1. Proposé le 03/07/02 : Lacunes des distributions parisiennes.
2. Proposé le 20/07/02 : Billet d'humeur sur école et longévité passées françaises.
3. Proposé le 24/07/02 : Raimondi live et versions italiennes abusives
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Mais pourquoi donc Alagna se mesure-t-il à son désavantage aux seuls rôles qu'il ne peut aborder : Manrico, Alvaro, tous sont parus en récital... ?
Sans détailler, je voudrais juste recommander aux Parisiens que je plains, car soumis à des distributions sans cesse identiques (comment par exemple distribuer une oeuvre belcantiste sans Franco Farina, de valeur certes, mais dont le timbre n'a rien de charmant, si bien qu'il ne semble lui rester dans l'aigu, comme toute une génération de ténors (Richard Margison, Vincenzo La Scola, mais ce dernier possède tout de même un charme et un goût indéniables, même lorsqu'il est --ou plutôt semble court : Faust dans Mefistofele avec Muti et Ramey, Aida d'Harnoncourt, aux côtés d'une peu stable mais fortement esthète Gallardo-Domâs, à l'approche séduisante), que son formant, hélas ; aujourd'hui, excepté l'Amérique du Sud (où l'on a récemment vu June Anderson incapable, péché véniel de nombres de sopranes qui ne sont ni Callas, ni Caballé, de chanter juste les aigus abrupts de Norma, constamment en-dessous de presque un demi-ton) ? L'on ne peut en effet presque pas assister à une Norma sans lui (Orange 1999, Macerata 2001...) ), leur recommander donc de prêter attention aux protagonistes discrets mais très présents du récent Fliegende Holländer bordelais. Pavlo Hunka, baryton-basse typiquement wagnérien, qui a collaboré avec la Philarmonie de Vienne pour ses concerts d'été (dans Fidelio), avec Turin aussi pour le festival d'été (dans Lohengrin), possède une voix élancée mais solide, et beaucoup de charme dans la conduite de ses phrasés, de ses attitudes, aidé en cela par Günther Neuhold, et il est de plus doté d'une forte endurance, avec quelques étrangetés de timbres auxquelles l'on se fait très bien dans l'aigu. Nina Stemme, déjà Senta à Vienne, possède une voix plus rammassé, mais à la force d'une incontestable puissance voire d'une inspiration dramatiques, transcnde presque son personnage au point de le rendre étroit lorsque la tessiture ne lui semble pas forcément facile à couvrir ; le temps écoulé au fil des représentations a même bonifié sa prestation et sa voix. Pour finir, Hans-Peter König est une magnifique basse wagnérienne, très large (dans son ouverture représente deux crans supplémentaires de l'intervalle d'amenuisement de l'étroitesse séparant Salminen de Talvela), plein de bonhomie, à l'inpact physique non négligeable, mais sa voix se fatigue vite et a parfois du mal à clore une série de représentations (à aller écouter au début de sa prestation donc). Voilà : songez-y ; de tels artistes se retrouvent régulièrement, tels Delunsch ou Tézier ayant fait leurs débuts en province, ou les membres de troupes, tel le solide et jamais décevant Fernand Bernadi, basse d'une constance et d'une largeur de répertoire admirables (Haendel mais sans bonheur, surtout dans une pathétique vocalisation colorature à laquelle il n'est pas plus formé que dévoué par nature, Mozart, Donizetti, Verdi, Gounod, Berg), dans les théâtres de province, et, hélas, à Paris, le rabâchage des mêmes noms pour ler célébrité nuit parfois à l'adaptation des voix à leurs rôles : si le récital Fleming fut grandiose (touchante, touchante Desdémone, inégalée pour ainsi dire, fût-ce par Jones ou Tebaldi), il suo Pirata belliniano fut en proie à de plus grandes préoccupations techniques, vocales, stylistiques (adaptation de cette voix à de tels rôles, n'étant ni dramatique d'agilité, ni même colorature à proprement parler, mais simplement lyrique... ?) ; grandiose pour le récital, parfois préoccupant pour la cohésion, la longeur des répétitions, la justification stylistique (il en va de même pour Alagna à la voix changée de façon préoccupante pour son âge : adoucie, apaisée, mais doté de ces cgharmantes résonances graves révélatrices souvent d'une fin de carrière ; s'il chante admirablement bien Donizetti, et se montre remarquable dans le grand opéra français : mais pourquoi ne pas dépasser le récital, et chanter, comme le devraient faire Alvarez et Vargas, merveilleux dans la Favorite de Viotti que je vous recommande, Meyerbeer, Gounod --je veux dire pas seulement avec sa Juliette : Faust, par exemple--, continuer dans Massenet, plutôt que de se fourvoyer dans ce Trovatore à Montecarlo et les grands verdiens, tentants certes, mais que même un complaisant récital prouve comme dangereux pour une voix que les sombres harmoniques verdiennes enlaidissent lourdement jusqu'à la difformité et détruisent : le Requiem, plus modeste et moins exigeant en ytermes de couleur, suffirait) d'une représentation lyrique complète et exigeant un don total d'interprète en ayant minutieusement préparé les phrasés, le sens, sans complaisance du chef pour l'expansion de la voix (sans les bousculer comme Muti lorsque le courant ne passe pas avec eux, comme l'atteste son Rigoletto enregistré lors des représentations à La Scala --remarquez que, vu le peu d'imagination des metteurs en scène et le statisme inhérent à leur style, les chateurs doivent être à leur maximum pour chanter dans cette salle un peu sèche en à l'écoute en enregistrement--, mais sans les aduler comme Pappano un peu fade), quitte à préférer ce que la critique a, en la personne de Neuhold pourtant attentif aux timbres (ah!, ces fusées violoncellistiques!), au phrasés, et à la rigueur indéniable, au souffle dramatique confondant avec un orchestre aussi paresseux de nature que celui de Bordeaux, ayant déjà laissé inachevée(!) la Quatrième Symphonie de Schubert --qui n'en serait pourtant pas la huitième, a priori-- pour s'être levé et refuser de se rasseoir après trois gouttes de pluie, lors d'un concert en plein air, nommé sèchement "Kapelmaister", comme si son métier était celui d'un répétiteur dénué de poésie, ce qui ne se ressent pas, je vous l'assure, à l'écoute.
Prudence donc, à ce que le paradis du récital ne se fasse purgatoire de la cohérence distibutive des oeuvres avec appareil scénique.
P.S. : Vous pouvez aller consulter la critique de ces représentations plus que réussies à Bordeaux sur le succinct mais existant article de Concertonet.
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Symbole de cette élégance artistique à la française tant goûtée outre-Atlantique et que la diction impeccable et émouvante de nombreux artistes anglo-saxons a respectée (Allen, Milnes, Keenlyside...), Gounod trônant sur un timbre américain en tant que plus que compositeur, "Auteur de Faust" même, éclipsant ainsi l'infortuné concepteur Goethe (ce théâtre descriptif, tremplin philosophique et réconciliateur --d'avec le diable même, mais pas seulement, nous aurons peut-être l'occasion de l'évoquer à l'ouverture d'une page sur les "interprétations littéraires" des sujets originaux fournisseurs d'arguments opératiques-- au moyen de vers bien trempés) aux yeux du grand public au profit des mélodies presque italianisantes, tout en conservant, style, argument nuancé, orchestration (même si privé de la puissance littéraire et philosophique de l'original germanique), tessiture, traitement des personnages, couleurs des lignes à l'élégance et au raffinement, au détail français.
En effet, une grande école a vécu (cela dit, une nouvelle se met en place, avec des atouts différents, moins de maîtrise vocale, mais un sens dramatique, et, pour ce qui est de l'abord des étrangers, linguistique, phénoménaux : comparez un peu un l'italien des chanteurs allemands dans le Don Giovanni de Fricsay, le jeune DFD compris pour sa coloration assez exotique des voyelles, au français de Thomas Allen, Simon Keenlyside ou Ramon Vargas...).
Ernest Blanc, doté d'une voix très ferme, parfois presque dure, ou du moins rude et authentiquement formée, n'en possédait pas moins, en plus de l'autorité déjà évoquée dans le message précédent, une véritable élégance, apanage nécessaire de l'opéra. Quiconque a rencontré la version Beecham de Carmen doit reconnaître que la trivialité du propos a ici fait place à la nuance, au goût, au phrasé impeccablement géré. Ses ornementations et appoggiatures des couplets d'entrée d'Escamillo, tantôt fines évocations à l'espagnolade, tantôt murmures flatteurs, ne laissent pas d'enchanter,contrairement aux attaques forte de ses collègues, même les plus méritants, faisant de ce toast aux suggestions semi-érotiques un air de bravoure aussi discret que "Di quella pira" chanté par le néanmoins admirable Del Monaco.
Arthur Endrèze aussi possédait ce charme indéniable, notamment dans son Valentin, hors de l'enceinte de la salle Favart dont il fut un piier.
Et Robert Massard... lui aussi plus qu'honorable Valentin, il culmine dans l'amorce de "Avant de quitter ces lieux", aux moyens de "a" très nasalisés, mais avec un charme indéniable abolissant les tensions dans l'aigu, à propos duquel l'on se demande bien pourquoi il ne l'a pas osé piano, que n'avait pourtant pas pu éviter le susdit sieur Blanc lui-même. Son Ourrias, tout récemment reparu par le label Accord (au délicieux packaging, ce qu'il convient de remarquer --c'est si rare lorsque jovialité et bon goût se trouvent mêlés), vaut par son aspect, en tout point opposé au magistral Van Dam, très lyrique, et aussi mieux coloré dans un grave très riche, voir plus subtil sur l'appréhension du sens même du texte, excellent car se prêtant à l'utilisation large de la tessiture ("Votre amour m'irrite et m'outrage", par exemple, est bien habile, et permet ces contrastes de registres si efficaces pour contrecarrerla naturelle monotonie de la sonorité française), car doté d'une déclamation d'une qualité exceptionnelle, et d'une aisance en tous points admirable dans l'aigu (ce qui lui aurait permi d'aborder Pelléas, sans le sentiment de jeunesse que procure un tel timbre... ?). Ses rôles comiques dans Berlioz n'ont pas toujours la même portée, néanmoins (Cellini, par exemple). Que voulez-vous...
Encore plus impressionnant dans l'aigu, Jules Bastin était doté d'une facilité admirable, et son Méphisto berliozien avait, en plus d'une finesse que seul le vieux Van Dam (qui a pourtant la voix totalement usée dans les années 90, mais s'est trouvé en état de grâce, le temps d'une soirée, à Paris en 2000, alors que l'enregistrement Solti, en plein firmament, fut une catastrophe autant pour le chef, face à l'esthétisme de Sado ou la précision et l'intelligence incomparable --voyez la danse des sylphes-- d'Osawa, que pour lui --bien entendu, connaissant les limites de Kenneth Riegel, l'horreur de son français et l'absence totale de goût et d'originalité, surtout ici, sans compter une voix peu ch^toyante et plutôt sèche, il ne s'agit pas là d'une déception) a su depuis égaler avec un faux air de balourdise (contrairement aux Figaro véritablement peu futés du même Van Dam) et un splendide service du texte, un timbre éclatant, cassant à l'occasion,, ironique, et si facile dans l'aigu qu'il rappelle à quel point l'ébauche des scènes de Faust confiant un ténor aux appas du guide Méphisto n'était pas ridicule. Un grand moment d'art lyrique et de théâtre, qui fait pâlir Gedda pourtant assez à l'aise dans ce type de répertoire, jusqu'à Meyerbeer même (par exemple avec ce live de Lewis et sa femme M.Horne en 1970 à Turin). Un diable charmeur, intelligent, en somme bien plus intéressant que n'importe quelle divinité, fût-ce en compagnie des flammes de l'Enfer (rappellez-vous les allusions hilarantes des premières scènes d'Une larme du diable de Gautier, à la fin un peu trop convenue et incohérente face aux audaces et au décor initialement planté, comme un retour à l'acceptation de l'image déjà désuète que la théologie du dix-neuvième siècle avait de Dieu, mais dont l'ensemble est formidable source de réflexion sur le sens, l'orientation même de tout acte,de toute doctrine), voilà ce que représente Bastin chez ce pan notable de l'activité lyrique de Berlioz.
Voilà pour un tout petit peu des anciens barytons (que l'on sait très représentatifs de ce courant, de ce goût, notamment caractérisé par la parcimonie du poitrinement d'aigus qui ne le sont que très modérément, cequi confère une aisance qui aide à trouver l'adéquation au style précis requis et qui, respecté, est un enchantement) même si je songe à Doria, Vanzo, D.Etcheverry (mais ne nourris pas une affection immense pour Souzay, au timbre par trop acide pour mes oreilles éprises virbrato assez sensible : chez Mozart indispensable à mon avis, ainsi que le pratiquent Popp, Hendricks, Chilcott, Te Kanawa, en passant à la rigueur l'épatante Stich-Randall, au vibrato très léger et un peu irrégulier, un peu semblable à Delunsch, parfois âpre ou dure à la façon de la jeune Scotto, mais combien touchante, par exemple dans une Fiordiligi bien trop courte, sans aura dans "Come scoglio", mais resplendissante de remords dans son second air)...
Quant à la longévité, je détiens peut-être un complément d'explication au très détaillé exposé d'Antoine G. .
Plus précisément pour ce qui concerne Verdi, l'on remarque que les harmoniues que l'on réclame usuellement pour le chanter détruisent les voix, surtout si elles sont fragiles et peu adaptées pour ce répertoire. Dès qu'un chanteur aux moyens larges, à l'exemple Alagna, dont le récital consacré à ce compositeur paru au disque n'a fait que confirmer son égarement dans un tel chemin, lorsqu'il possède plus de moyens que nécessaire pour triompher dans tout le répertoire français, certes avec ce son de voix un peu pâteux caractéristique d'un son français de l'époque vandamienne, et qu'il aurait les contrats pour réaliser un accomplissement dans un répertoire où beaucoup reste à faire : dans Faust de Gounod, Leech, Gedda, Björling, Domingo, me semblent raisonnablement surpassables, avec un peu de recherche dans l'adéquation stylistique et la discrétion qu'il a tant de mal à adopter --eh oui, visibilité induit argent, contrats, obtentions de moyens de pression--, et où il pourrait marquer historiquement l'nterprétation de ces pages, lorsqu'un interprète possède de larges moyens donc, il se tourne systématiquement vers Verdi et les véristes (ces derniers posant moins de contraintes stylistiques : pas de longs cantabili, pas d'harmoniques spéciales : même si une tessiture de spinto est plus que souhaitée, seuls des rôles à vocifération chronique alla Santuzza peuvent mettre à mal une voix). Et souvent, comme pour Alagna, mal employé selon ses propres voeux de divo gâté qui ne prend pas conscience que sa voix lui impose plus que ses impresarii, ou Cura, lui probable verdien employé dans trop de rôles différents, trop tôt, et trop lourdement, alors qu'il n'est encore qu'un ténor lyrique, certes doté d'une quinte supérieure au vibrato suprêmement rond, mais qui n'en rend pas moins périlleux l'abord simultané d'un Radamès très réussi, d'un Canio intéressant mais pas historique, d'un Alvaro parfois hésitant, d'un Otello très en-dessous de ses capacités réelles qui se trouvent malmenées, jusqu'à la fatale transparence qui chez Alagna est déjà accompagnée de cette superbe patine qui accompagne la fin de carrière (Simionato en 1960, par exemple...), ces lourdeurs non souhaitées, répétées inlassablement, finissent par coûter la longévité à celui qui les néglige, et par conséquent la réussite d'une carrière... et pour nos oreilles et nos répertoires oubliés : heureusement que Radio-France et René Koering sont là pour nous rappeler qu'Offenbach a avec talent versé dans le genre sérieux, dans la grande forme !
Le passé nous montre deux solutions : ou la raisonnable adoption d'un répertoire adapté à la voix, surtout si elle est naturelle, donc fragile et très dangereuse à forcer, comme un Gedda qui a su raisonnablement courtiser les lourdeurs tout en touchant à tout, ou, ce qui est tout aussi intéressant, même si cela ne permet pas de découvertes dans le répertoire approfondi, l'attitude d'un Vanzo, qui a donné à Verdi un éclairage tout autre, moins sombre : il ne mettait pas d'harmoniques verdiennes et chantait le requiem avec le même timbre suspendu, la même douceur, lemême charme que la chanson de Magali... un peu court parfois donc, même si son Duc de Mantoue était assez excellent et original, vivant, cueillant la vie, presque innocemment. La seconde possibilité, en ces temps honorables mais parfois irritants d'intransigeance et d'hypocrisie de respect des textes (Don Carlos restitué intégralement, de version en version qui s'en réclame (car en 1996 au Châtelet, la scène d'aumône d'Elisabeth ouvrant l'opéra ne fut pas donnée) : admirable ; refuser de plus en plus Mozart aux grands orchestres est légitime historiquement et accoustiquement, mais crée un vide, une rupture dans la tradititon ; ne jouer le baroque que sur instruments anciens et en tempi rapides en l'érigeant en religion lorsque la Philarmonie de Berlin donne une magistrale il est vrai version pleine de souffle sous Sir Simon Rattle, dont l'aspect massif n'est présenté comme normal que pour l'indépoussiérable Bach, et vouloir restituer l'époque lorsque la censure avait déjà avant représentation bridé implicitement les créateurs, et que Berlioz se plaignait tant de la médiocrité des orchestres incapables à jouer son oeuvre... veut-on cela?... surtout que si l'on compare notre temps de crise à cause de "l'à-tout-prix" verdien : pour avoir une voix, il faudrait nécessairement pouvoir chanter Verdi, étrange renversement de raisonnement, joli sophisme indéfectible, le passé si glorieux et pourtant inécoutable : je suis preneur de quiconque me convaincra du bien-fondé des (abo)minables notes détachées, avec une respiration entre chacune d'elles, de Maria Caniglia dans le passage néo-belcantiste, réminiscence quasi-bellinienne du "Ben lo sapete" d'Elisabetta face au roi Philippe, le tout fini d'assassiner par un timbre d'une incroyable lourdeur, et d'une laideur sans pareille, ou encore de l'admiration pour le plus que désuète Caruso, aux effets qui, face à des salles qui avaient plus l'attitude passive du mécène de jadis ou des participants dilettanti des manifestations scaligères que le regard exercé et critique du mélomane d'aujourd'hui, sensible s'il le désire à l'émission aussi bien qu'à la prise de son ou qu'à la version arbitrairement ou raisonnablement élue, pouvaient alors porter, tant l'on croyait que le professionnel ne pouvait se tromper --l'on sait aujourd'hui que le chanteur se trompe même plus que tout autre corporation dans ce qu'il réalise, ne serait-ce qu'à cause des caprices de sa génitrice Dame Nature, s'il n'a pas la paresse devenue légende de la --délicieuse lorsqu'elle ne se met pas à minauder-- Caballe--, car ledit Caruso abusait de portamenti surappuyés, ou d'effets triviaux aujourd'hui interdits alors même que le vérisme ne parvient pas à s'échapper d'oeuvres purement originales telles que Rigoletto, aussi bien du point de vue du belcanto que du verismo, même si Verdi se voulait réaliste dans ses représentations sociales tout en fustigeant la "suite de numéros" que constitua plus tard cette oeuvre à ses yeux avant d'en venir au Trouvère (!!), sans jouir d'un timbre particulièrement grâcieux --quel verdien ne préfèrerait en toute honnêteté l'étrange mais original et profond Vanzo à ce qui peut auourd'hui nous sembler un monstre... .Tout cela pour en venir au fait que croire en un Eden passé (la tragédie grecque alla Callas, toute saisissante qu'elle soit, a vécu, au profit d'une approche plus simple, plus vraie, moins convenue, moins statique, moins vocale parfois aussi, mais tant mieux, si le théâtre, le drame meme y gagnent) du chant verdien que l'on sait encore statique, ennuyeux, si peu textuel à l'exemple de l'approche bastianinienne, très impressionnante pour le novice, mais si creuse que le théâtre est relégué à l'arrière-plan, ou accessoire, ainsi que le prouvent ces traditions de sorbets et airs connexes, presque pour éviter de s'endormir etpermettre de papoter, se faire voir, changer de loge, fuir la longueur de la vanité de ce spectacle stérile dans leurs existences --d'accord, l'absence de conventions, me direz-vous, a aujourd'hui mené à l'incompréhension des langages musicaux s'éparés de leur public qui ne peut les comprendre que si, ayant la même formation qu'eux, ils ont lu leurs traités de motivations, en gommant toute coupable immédiateté ainsi que toute dimension émotionnelle au profit des mathématiques : la passionnante recherche dodécaphonique est-elle vraiment à poursuivre, surtout dans un tel délittement tant personnalisé qu'il en est privé et de sens et d'intelligibilité?-- serait déplacé, et que les Malibran, Viardot, Lablache, et autres Lind ne furent pas nécessairement cousus d'intentions tout en élégances, ni dotés à de timbres "à faire pâlir les étoiles", en rapport à ce que nous connaissons ou avons connu aujourd'hui : et c'est pourquoi cette surinterprétation théâtrale, pour peu que l'Etat poursuive ses politiques culturelles --quarante pour cent du budget culturel de Bordeaux pour le Grand-Théâtre et ses représentations-- et que les majors se contentent de petites rentrées sur ce marché, laissant progressivement la place aux présentations anciennes de petites firmes exploitant un domaine public qu'elles remasterisent admirablement tout en négligeant notices et livrets, en cela complices du futur boom opératique netivore, n'est pas près de périr dans son raffinement, son intérêt mêmes en ce qu'elles complètent au moyen d'une indicible force interprétation littéraire, vers, placements scéniques, émotion aussi), est moins accessible, ce qui est parfois dommage : donner la parole à la pensée unique, sans remises en questions ni modifications par incidences d'autres visions que "puristes" (on l'a vu pas toujours de bon aloi, à bon escient, ni même bien-fondé ou honnête intellectuellement, même si l'on se montrera satisfait de ce que otto Klemperer ne soit plus l'interprète de référence de Water Music...), fait perdre de la richesse par le mixage, ou du moins, ce qui est d'ailleurs mieux, la confrontation de propos nuancés, voire fortement contrastés, sensibles à chacun dans leurs individualités éventuellement antithétiques.
Je souhaite que ces quelques lignes de propos divers permettront de susciter un agréable débat, ou quelques discussions-échanges, tout en espérant ne pas vous avoir trop ennuyé par ce petit état des lieux qui, en somme, me caractérise peut-être plus que tous ceux de qui j'ai ici eu l'occasion de parler.
La "rogne" a commencé ainsi : vous n'êtes pas sans ignorer (voilà bien une tournure française pour tourner autour du pot, mais c'est tellement mignon que je ne résiste pas, voyez-vous, au plaisir d'employer de telles expressions idiomatiques...) que les sites fnac.com, alapage.com, amazon.com, proposent des extraits musicaux courts tirés de leurs disques en vente, afin de se faire une idée, d'attirer l'auditeur, de le conquérir par le contenu même plus que par la distribution ou le packaging, vu que les pochettes sont très peu visibles; à charger séparément, et que les noms des interprètes sont peu souvent au grand complet et jamais associés à un rôle (lorsque vous avez, dans un même opéra comme Béatrice et Bénédict, R.Massard, J.Bastin, T.Allen, allez donc deviner avant écoute à qui est distribué chaque rôle barytonal! amusez-vous. ) --ce qui est très étrange car absolument opposé à la politique des majors qui préfère le plus souvent forcer sur des noms, même déplacés (Van Dam dans les chansonnettes, Carreras dans la World, P.Hoffman qui chante de la variété, Bocelli sur la superbement captivante couverture de ce sublime coffret du Requiem verdien, dont l'écoute révèle bien sûr (que les âmes sensibles et les émotifs de tous poils se rassurent, j'ai pu écouter --furtivement, je reconnais, et douloureusement, je précise : presque au oint d'en envier le mort qui lui, ne l'entend pas, j'étais au moins aussi navré que lui du massacre-- l'Ingemisco de ce Gergiev en déforme sans devoir acheter le disque.. c'est utile, tout de même, la radio.), alors qu'il chanterait admirablement sans doute, avec un peu de travail, l'opérette française --Offenbach ou Lopez, je ne me prononce pas*-- ou devrait, pour de probables problèmes linguistiques, se spécialiser dans le répertoire du type de la chanson napolitaine--).
J'y venais pour me cultiver et faire ma première approche de Georges Thill (eh oui... émouvant), sur lequel j'attendrai donc quelque peu avant de me prononcer mais qui se situe d'ores et déjà, à mon sens, à un bniveau d'excellence dans le répertoire français proche d'Alain Vanzo. Et, dans les Faust, que découvris-je? Une version avec Ruggero Raimondi -- comme beaucoup d'italiens, il perd de sa force dans les nasales, bien sûr, la version avait été captée sur le vif et l'on sait que sa voix charismatique mais fluette a parfois mu mal à passer la rampe -- mais qu'importe -- j'essayai.
Après écoute, je comptais publier mon compte-rendu en inauguration de la partie : "critiques discographiques diverses" du présent site, regroupant ce qui n'est ni nouveauté, ni réédition.
Mais tellement amer fut le constat de la mauvaise gestion de l'édition discographique (inutile et peu exportable ni même appréciable pour certains connaisseurs ou amateurs de langues (oui, oui, je suis de ceux qui pestent lorsqu'un film est en version française et colorisé!!), lorsque certaines immenses réussites manquent ou dorment dans les archives : Roi Philippe Van Dam à la Monnaie en 1983? Delunsch et Tézier dans Traviata? Chilcott en Fiordiligi? ... sans compter l'hideux, l'horriblement horrifique, le terrifiant superflu des version matrtinafranquesques exhumant, mais à quel prix (B des ou nuances douces des autres par respect ponteSS en outre souvent leur rédacteur en chef ou ami../ le tout pas en VO le plus souvent ou hideusement massacré, et impunément, avec les éloges même...) ), et me confrontant face à une généralisation possible d'erreurs constantes, de vives protestations, des suggestions à faire parfois déplacées dans une critique non détaillée car pas grand'chose à dire ne se trouvait dans le sujet intial... rien en exergue à part détails communs que je vais donc ici souligner, même si ce n'est pas toujours réjouissant comme tableau (l'on va contraster avec l'évocation précédente des bienheureux du goût de phrasé à la phrançaise si longévites...)... et tout cela à écrire. Mon article s'imposa donc dans cette rubrique titrée "Chroniques", dans laquelle j'escomptais pourtant, comme dit en tête de page, sur l'obtention de l'opportunité de réaliser le plus souvent des billets de BONNE humeur. Tant pis pour cette fois-ci, même si, je l'ai dit, il s'agit plutôt ici d'un désarroi, d'une incompréhension, d'un errement, d'un déplaisir face à l'inutile, et non face au laid ou à l'indicible excès, pas d'une colère.
Voici donc ce que rend ce type d'aventures, au regard aujourd'hui malheureuses.
En janvier 70 (comment donc le faire paraître fin 1994, alors que les moeurs ont tant changé?), ceci fut enregistré : le Faust de Gounod (ou du moins ce qu'il en reste) avec Mefisto : Ruggero Raimondi, Faust : Flaviano Labo, le chef : Mario Giusella (désolé, c'est tout ce que je possède comme portion du cast et j'avoue ne pas m'être mis en peine pour honnir la mémoire d'artistes de bonne volonté qui ne gagneraient rien à ce que les mette en pleine lumière pour les assassiner à la manière des exhumations martinafranquistes), certainement en Italie.
La première chose qui choque, c'est le contraste idiomatique : l'italien appauvrit le nombre, la diversité, les couleurs des vocables initaux et cela, personne n'y peut rien. En plus, le rythme et la structure des phrases se trouve modifiée, de telle sorte que l'on bascule dans une cruelle production de sons arythmiques. Comme si cela ne suffisait pas (ce serait largement rédhibitoire), le texte a pour des raisons métriques, à moins qu'il ne s'agisse de l'une de ces hideuses et irrespectueuses transpositions littéraires du siècle dernier de valeur nulle on le sait, surtout en Italie où le talent littéraire n'était pas toujours au rendez-vous dans les opéras, été lagrmenet modifié et privé de son sens, le plus souvent totalement détourné de manière absurde : ainsi l'amorce de l'expression de cette affection de Valentin, attaché à son origine, son vain honneur qui s'incarne dans ce "sol natal de mes aïeux", se place-t-elle sur le plan de la dévotion ("Dio possente, Dio d'amor"), alors même que Valentin ne révère ce Dieu qu'à condition qu'il serve la juste protection d'une soeur, près de le maudire à son trépas rejetant ses préceptes, et réclame un peu péremptoirement l'assistance de sa toute-puissance, tel un dû face à cette juste cause qui efface toutes les autres (il ne néglige cependant pas la joyeuse humeur de ce régiment qu'il a choisi et qui qui le sépare durablement et périlleusement de sa soeur, mais c'est uniquement une affaire de famille...), ainsi qu'en atteste son confiant "délivré d'une triste pensée", comme si ce "roi des Cieux", qui n'a effectivement rien à partager avec l'amour, d'autant plus qu'il se montre ingrat envers ses plus douces créatures (rappelez-vous ce pacte conclu en prologue qui n'existe pas ici, mais que l'on retrouve ainsi inscrit en filigrane, alors même que par pudeur, tout l'aspect novateur et rédempteur de l'oeuvre semblait gommée chez Carré et Barbier... mais pas détruite : aucune conclusion n'existe en effet à l'issue semblable à celle du Premier Faust) se devait d'adhérer à la volonté de cet intérêt supérieur de tous subjectivement, mais auquel il devrait se plier sous peine d'être nié par cet individu de façon à le faire quasiment disparaître ("Son lo spirito che negga sempre tutto" ?? la question est posée sur le statut de Valentin, force du doute qui serait capabe de détruire pour lui le Créateur simplement en rejetant son existence étant donné la non-coïncidence de ses actions avec ce qu'il avait annoncé à la face du monde... réminiscence des incohérences entre Ancien et Nouveau Testaments?) : ne correspondant pas à l'image modelée par la pensée, l'éducation, refusant d'agor ainsi, il ne peut être reconnu et même présent, à ce moment précis cesse d'exister pour celui qui rejette ainsi sa vue dans le Néant, le Chaos : ainsi Valentin, à l'instant de la prise de conscience dub statut nouveau de sa soeur rejette-t-il ce Dieu qui ne peut exister, en tant que protecteur absent, et de là prenant statut de divinité creuse de sens et d'existence : qui est donc le Négateur, l'Opposant, cet Arhiman en quelque sorte? Valentin ou Méphisto**?
Bref, au vu de ce sens détourné, voici ce que je note , un peu durement tout de même, mais ceci est révélateur de mon désarroi, d'autant plus que je pensais à son habitude Raimondi capable de finesses incomparables, de charisme flamboyant et d'ambiguités qui lui sont coutumières entre forces diverses (Padre Guardiano, Grande Inquisitore...) :
"laid, défiguré, change (abo)minablement le sens pour mieux l'appauvrir et l'assassiner : comment permettre cela, et ensuite clore les sévices par une publication en CD, internationale pour mieux faire goûter aux Français leur malheur : la guerre aurait-elle été déclarée à mon insu ? mal chanté d'autant plus que pas fait pour (Don Giovannni en allemand change de coueur mais rejoint racines, surtout avec l'admirable DFD, mi-belcantiste, mi-"lideriste" ; Don Carlo changeable en allemand aussi vers plus de richesse de sons vocaliques, de colorations, de nuances, même si imparfait rendu de la force verdienne par le rempart consonnant germanique : mais appauvrissemnt des couleurs inadmissible lorsque contre-idiomatique de plus, et donc par trop prévisible dans cet hideux manque de résultats à l'arrivée ; Don Carlos de français en italien faisable lorsque Verdi l'avait conçu dans une dynamique langagière qui lui était proche, inextricablement liée à son style --mais La Favorite donizettienne, on le sait depuis Viotti et surtout Vargas, a grand intérêt à se rapprocher du lieu de sa création-- et que le livret Méry/Du Locle avait été élaboré en collaboration avec les versificateurs italiens, qui conservèrent la plus grande partie du sens précis (mis à part des traits d'esprits tels que "j'ai cherché en vain dans ma cour, ce vaste désert d'hommes"
Mais c'est l'oreille d'une autre époque qui s'exprime face à ce document inconnu d'une esthétique oubliée (que dirait-on dans cette période d'authenticité, d'Alain Pâris qui parlait de iatus pour Verdi chanté en français à propos des Vêpres Siciliennes, aussitôt gentiment rabroué par le spécialiste Damien Colas?), époque qui voit pour plus grande hardiesse et pour extrême audace René Koering, partenaire de Radio-France, autoriser la lecture des textes d'Hary Janos en français, alors que jadis l'idiome semblait difforme dès qu'elle n'était pas familière, et cela en priorité avec le sens (compris,du moins ; on a vu à quel point on perdait, le plus souvent, au change, à moins d'une reconstitution scrupuleuse et talentueuse) plus qu'avec la musique, alors même que l'on ne suivait que la musique et se moquait du sens (le temps d'Ettore Bastianini, voilà qui est significatif) --et de l'authenticité, mais là, c'est plus évident--, à un point tel que l'on ne songeait nullement à fustiger la médiocrité de nombre de livrets reconnus aujourd'hui comme consternants (mais pas la musique à l'inverse : toute découverte est nécessairement excellent, tout compositeur oublié devient majeur... parfois à raison. Mais pas toujours, bien sûr).
En réalité, le résultat, pour choquant, se montre, sinon enthousiasmant, moins sévère à tête reposée.
Vocalement, en effet, le résultat, est assez satisfaisant, au moyen de protagonistes solides, de la meilleure école italienne actuelle : voix sans charme, mais solide, tentant en vain d'imiter leur aînés qui avaient les deux et tout autant, voire plus, d'expressivité. Ainsi dans ce drame défiguré littérairement, arythmique, il parviennent à sauver les intentions et la valeur de l'entreprise sans toutefois que le plaisir de l'auditeur en soit intense.
Raimondi, précisément, avait à l'époque une projection déjà faible, mais suffisante en salle --contrairement aux années 90, par exemple, avec Abbado à Vienne, dans un Fiesco taillé sur mesure et sans extravagance scéniques imposées qui rate dans la projection qui nous prive d'un des charismes vocaux les plus forts de l'histoire (hélas seulement en studio pour un homme se revendicant à bon droit acteur-chanteur de nature, au point qu'il se reconvertit aujourd'hui dans mise en scène, théâtre, lecture en public...) de l'opéra et qui déjà finissait--, ce qui est touchant, mais pas grandiose dans son incarnation de Méphistophélès en somme pas si révolutionnaire que cela, même si fortement soignée et pensée en rapport à beaucoup de ses collègues.
Il en va de même pour Baris Gadunova. J'avais en effet oui-dire qu'il représentait un de ses rôles favoris. Aussi l'ai-je entr'entendu. Hélas! Moi qui me moquais du peu d'orthodoxie (hi hi) de la prononciation fortement pâteuse "à la bonne franquette" de Van Dam très en place vocalement à son apogée, je fus servi. Première version entendue, en italien : évidemment, comment voulez-vous faire partager ce fragment de vie russe (vous imaginez, vous, la chanson de Vaarlam dans cette langue qui évoque plus la chanson napolitaine que les comptines des patois russes... ?) dans cette langue, posant en outre les mêmes problèmes de prosodie et de coloration ? Sans compter l'inadéquation d'interprètes qui tout en singeant les coutumes de l'oeuvre, n'ont que des voix de l'école italienne entre belcantisme et vérisme... Quant à la version russe, elle est tellement mâchée, Raimondi en tête, que je défie quiconque d'en saisir la force (dommage, car dans les deux versions, Raimondi est bien sûr très crédible psychologiquement, surtout dans son air très travaillé et saisissant, mais il lui manque totalement la maîtrise du russe et de la technique de chant russe, fragilisé par le peu d'aptitude des chanteurs italiens à s'exporter), et constitue un véritable assassinat : l'on préfèrera encore la dernière des versions russes clandestines de l'époque soviétique (remarquez, elles font bien rire au début, ces deux versions, mais usent très rapidement).
Voilà pour ce qui fut une expérience surprenante, mais que je ne recommande à personne, surtout pas au sympathisants raimondiens ou des opéras en question. Si vous êtes curieux du difforme, cela peut toujours remplacer les "hommes-caouthouc" et fait moins de mal à ceux qui se produisent.
Notes :
*n'y voyez aucune malignité de ma part, c'est tout simplement parce que je ne puis ainsi le déterminer par fragile et infondée spéculation.
**cf. Avatars de Faust... le blâme : Méphisto guide initiatique, daimon, ange de la révélation, etc...
bientôt publié sur ces pages.
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