Quoi répondre ?
Par DavidLeMarrec, jeudi 28 avril 2005 à :: H.S. :: #3 :: rss
Voici.
J'ai beau chercher, en lisant le traité, en écoutant les argumentations développées, je ne saisis pas bien ce qui justifie cet antagonisme frontal.
1. Un texte avec lequel on n'est pas d'accord doit être rejeté. Et la partie III inquiète.
- Les avancées sont dans les seules parties nouvelles (I et II). Le reste, on le garde de toute façon ; et c'est en vigueur depuis longtemps.
2. En le rejetant, on espère avoir l'occasion de l'améliorer
- Si le non l'emporte, il n'y aura pas de possibilité d'alliance - les critères de l'extrême-droite et de la gauche n'étant pas précisément les mêmes - pour renégocier efficacement.
- Car voter oui signifie qu'on accepte le traité, mais on peut voter non selon une foule de critères.
- Le traité est le fruit d'un compromis à 28 (Roumanie, Bulgarie et Turquie, potentiellement adhérents, on le sait, ont participé), les attentes étaient très diverses, et la Consitution est largement inspirée de la Consitution française ; espérer d'obtenir encore plus est illusoire.
- Historiquement, le cas de rejet est simplement suspensif : la Grande-Bretagne ou le Danemark ont simplement revoté les mêmes textes ! (les autres attendant bien gentiment leur décision)
3. Le droit de l'Union prime sur le droit des Etats membres.
- Il ne manquerait plus qu'on nous fasse voter un texte qui ne s'appliquerait pas! Oui, bien sûr, il prime et unifie, mais chaque Etat est libre de se retirer de certains protocoles qui lui déplairaient.
4. Le texte est trop libéral.
- En admettant que le libéralisme soit par essence un fléau (le terme est aujourd'hui galvaudé et désigne plutôt ses dérives oppressives, mais qui se plaindra de la libre-circulation des idées et des personnes?), la constitution est moins libérale (dans le sens négatif du terme) que les traités existants, qui sont l'équivalent de la seule partie III. La mention économie sociale de marché, bien nécessaire, a eu du mal à être arrachée aux pays opposants.
5. Les services publics seront peut-être démantelés.
- Les services publics sont simplement ouverts aux opérateurs étrangers, qui, s'ils fournissent le même service, peuvent participer. Le service public n'est pas censé disparaître ; simplement l'Etat devra répartir équitablement les subventions entre les entités qui remplissent le cahier des charges.
- Ces cahiers des charges, qui garantissent les obligations de qualité demeureront ou non selon les gouvernements, pas selon la Constitution.
6. La France gardera-t-elle sa puissance?
- Je n'aime pas trop ces arguments nombrilistes, qui ne sont pas l'essentiel. Mais il faut savoir que ce n'est pas un problème, puisque par rapport à Nice, qui plaçait le poids de la France sensiblement identiquement à celui de la Pologne et l'Espagne (29 voix contre 26), le nombre de voix sera rééquilibré sensiblement en faveur de la France du fait du nouveau traité.
7. Le texte va financer le développement des nouveaux membres aux frais des anciens.
- L'exemple de l'Espagne a prouvé qu'en intégrant un pays retardataire économiquement, le financement était amplement amorti par la dynamique qui s'ensuivait. L'Espagne est aujourd'hui un point fort de l'Europe.
8. Le texte va favoriser les délocalisations.
- L'espace de Schengen existe depuis longtemps. La Constitution ne fait que confirmer cette libre-circulation des personnes et des biens déjà établie. Ce sont ensuite les directives (qu'on appellera désormais des lois) qui vont, tout comme aujourd'hui, en organiser les règles précises. Mais le Parlement européen, qui aura plus de pouvoir, fera que ces décisions seront toujours un peu plus démocratiques.
- Après, on peut toujours rêver qu'un meilleur texte ne mentionne pas l'ouverture des frontières. Mais l'Europe n'a jamais fonctionné sur un autre modèle, et ce serait la tabula rasa - pour aller où ? Qui le sait ?
9. Avec ce texte, la Turquie peut entrer dans l'Union Européenne.
- Remarque liminaire : Je ne suis pas hostile à l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne, et l'argument géographique est un grandiose concerto pour pipeau solo et choeur d'hypocrites. Toutefois, je comprends bien qu'en l'état, du fait de ses normes politiques et de ses valeurs sensiblement distinctes, il soit difficile de parvenir à des consensus internes. Et qu'il ne faille surtout pas conclure les négociations pour l'instant.
- Pour répondre à cette neuvième question : Ce texte ouvre en effet une possibilité à la Turquie et à l'Ukraine d'entrer dans l'Union. Mais des référendums seront organisés, et il faudra de toute façon modifier le mode de fonctionnement des institutions pour le permettre, sinon le gouvernement serait totalement déséquilibré du fait du poids démographique.
- Si on garde Nice, il me semble que les statuts empêchent l'entrée de la Turquie ; il faudrait donc une dérogation pour le permettre.
- Si on prend le nouveau traité, il sera impossible d'accepter l'entrée de la Turquie sans attiser la colère de bon nombre de peuples et surtout bloquer l'Union ; il faudra donc d'abord voter un nouveau texte, à l'unanimité. Ce qui peut signifier que, paradoxalement, ce texte repousserait pour longtemps l'entrée de la Turquie : le temps que ce Traité devienne obsolète et qu'on résolve de nouvelles négociations...
10. Le texte est bien long pour en saisir toutes les finesses, prudence.
- Il synthétise les traités précédents, il rend donc la procédure plus efficace. Du coup, il donne plus de lecture au citoyen, mais il lui permet aussi, en compulsant le texte, de prendre connaissance du fonctionnement
actuel de l'Europe, c'est-Ã -dire de ce qu'il gardera s'il vote non.
- Cette longueur est nécessaire en ce que l'Europe combine le droit de plusieurs Etats, ce qui rend complexe le lien à faire entre des lois divergentes, vers lesquelles il faut établir des ponts.
11. On ne pourra pas changer le texte une fois voté.
- Probablement pas tout de suite, évidemment ; puisqu'on l'aura voté, il faudra bien l'essayer ! Mais il est normal que l'on ne puisse changer les règles du jeu qu'à l'unanimité entre les joueurs. Imaginez que vous preniez une pouce et qu'on vous oblige en cours de partie à réaliser une garde contre ! (comparaison n'est pas raison, mais c'est juste manière de rappeler ma lointaine jeunesse...)
- Ensuite, il y aura, il faut y penser, un plus grand pouvoir du Parlement (il devra désormais approuver ou rejeter les règlements de la Commission, c'est confirmé par une spécialiste du droit communautaire que j'ai consultée), et un droit à l'expression référendaire d'initiative populaire, ce qui signifie que l'on aura toujours un peu plus de mainmise sur les décisions, y compris celle-là . Et que cette garantie n'est peut-être pas si négligeable pour la rejeter sous prétexte qu'elle ne pourrait pas nous être enlevée !
12. Mais alors, pourquoi se défie-t-on du texte ?
- Depuis le début de la campagne (qu'il était bien de traiter en référendum, mais dont on voit ici le logique effet pervers), je me dis la chose suivante, du fait que le texte est simplement utile. La majorité qualifiée en est le principal intérêt, très opportune à vingt-cinq, dont de nombreux partisans du non se plaignent même de ce qu'elle ne soit pas étendue au texte constitutionnel lui-même. Le reste contient surtout des voeux pieux, qu'il est bon de faire (les droits fondamentaux, of course), mais qui ne changera pas énormément de choses concrètement. Dans ce cas, pour un texte utile, sans être renversant de progrès, un soupçon, une incertitude s'installent facilement : pourquoi vote-t-on? Alors même qu'il n'y a pas d'obstacle sérieux. Et que sans, le fonctionnement européen sera fortement entravé, pourtant.
On voulait un débat européen, rendre les citoyens concernés, on l'a astucieusement fait en les consultant. Après, devant un texte purement fonctionnel, et pas vraiment fort idéologiquement (en pratique, tous les droits fondamentaux sont déjà en oeuvre) que l'incompréhension domine, ce n'est pas illogique.
Mais cela n'enlève rien à l'utilité du traité !
(Edit : Ci-dessous, une longue discussion avec Tom autour de la forme du TECE et des perspectives de réforme de l'Europe. Bien que le sujet ne me semble pas directement lié au référendum, où il est essentiellement question de se prononcer sur l'approbation ou le rejet du texte proposé, selon qu'on le considère comme un progrès ou non, la publication m'en a semblé indispensable, puisque l'effort est fait de replacer la construction européenne dans son contexte et sa signification.)
Commentaires
1. Le mardi 17 mai 2005 à , par Tom
2. Le mercredi 18 mai 2005 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 18 mai 2005 à , par Tom
4. Le vendredi 20 mai 2005 à , par DavidLeMarrec
5. Le vendredi 20 mai 2005 à , par DavidLeMarrec
6. Le vendredi 20 mai 2005 à , par DavidLeMarrec
7. Le vendredi 20 mai 2005 à , par DavidLeMarrec
8. Le vendredi 27 mai 2005 à , par Tom
9. Le lundi 6 juin 2005 à , par DavidLeMarrec
10. Le lundi 6 juin 2005 à , par DavidLeMarrec
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