Wagner avant Wagner 2/2 - Das Liebesverbot
Par DavidLeMarrec, mercredi 23 novembre 2005 à :: L'horrible Richard Wagner - Oeuvres - Opéra romantique allemand :: #97 :: rss
"La Défense d'aimer".
Livret. Musique. Discographie.
Le livret
L'oeuvre bénéficie d'un texte hautement jouissif, tiré de Measure for measure du Hocheur de poire, ce qui n'est pas un apport négligeable à la tenue de l'ensemble. Sur un sujet sérieux (sauver un condamné à mort par la ruse et l'infiltration, un sujet similaire au très sombre Dálibor) mais causé par un événement absurde (la défense d'aimer promulguée par un gouverneur hypocrite) se développe une trame comique, toute d'imbroglii délicieux.
Parmi les moments forts du texte, le début de l'acte second. Telle Milada dans le cachot de Dálibor, Isabella, qui a quitté le voile pour tenter de sauver son frère, rejoint celui-ci, Claudio. On assiste alors à un test cruel alla Così, et la jeune femme annonce à son frère que le tyran lui demande sa vertu contre sa propre grâce. Là où un opéra sérieux aurait développé un poignant échange de dévouement de nouveaux Pylade-Oreste, on assiste à un duo à rebours de toutes les valeurs, avec le frère apeuré qui glisse aux pieds de sa soeur pour la supplier de se vendre et celle-ci qui jouit de sa vengeance en lui annonçant sa mort prochaine – alors qu'elle sait comment le sauver.
La seconde intrigue principale propre à Shakespeare est la quête du débauché Luzio qui cherche à prouver ses bonnes intentions pour épouser l'énergique Isabella. Le trio où Dorella révèle tous les serments sans lendemain de Luzio devant Isabella est coupé dans la version Heger. Une intrigue secondaire expose le badinage entre la rouée Dorella et Brighella, le fonctionnaire qui rêve de jouer pour un jour au Prince.
Seul regret, le dénouement un peu précipité de l'action après la plus grosse péripétie et la plus insurmontable, la mort imminente de Claudio.
Ajouté à ces entrelacs, le caractère sérieux de l'action (avec la trahison du gouverneur Friedrich qui livre malgré son marché Claudio à la mort) assure de vrais délices.
La musique
Ce n'est pas vraiment proche du Wagner qu'on connaît. Ce serait plus proche de Weber (en mieux, comme pour les Fées), bien qu'assez inclassable.
On trouve cependant déjà un embryon de thématique cyclique et signifiante, avec un thème A et un thème B qui se succèdent dès l'Ouverture. Le thème A comporte une partie écrasante de triangle (et de castagnettes) ; il est séquencé, voire fragmenté, s'exprime par courts bondissements, et se trouve lié à l'univers du carnaval dans lequel se déroule l'ensemble du drame. Et comme, dans Tannhäuser, lorsque survient le thème B (Dir töne Lob'), qui sourd aux cordes et serpente, s'élève, semble courir dans les veines et enfler, toujours plus vigoureux, alors le vertige s'installe. C'est évidemment le thème de la passion, d'un autoréférentialité magistrale, absolument irrésistible dès qu'il apparaît.
Au cours de l'opéra, il se développe, après une réminiscence très vague à la fin du duo Isabella-Luzio, essentiellement dans le duo Isabella-Friedrich où l'inflexible gouverneur est rapidement submergé par la concupiscence. On est un brin privé que contrairement au Carnaval le thème B, impatiemment réattendu, ne refasse pas irruption lors du dénouement pour couronner le triomphe de l'amour.
La discographie
Le cas est presque simple. Deux versions. Pourquoi presque simple ? Parce que le comparatif n'est pas très compliqué, mais qu'il vous faudrait tout de même acheter les deux versions. :P
Robert Heger (1962)
Isabella - Hilde Zadek
Dorella - C. Sorrel
Mariana - Hanny Steffek
Luzio - Anton Dermota
Claudio - Kurt Equiluz
Friedrich - H. Imdahl
Choeurs et Orchestre de la Radio de Vienne
(capté sur le vif, Melodram)
Wolfgang Sawallisch (1983)
Isabella - Sabine Hass
Mariana - Pamela Coburn
Dorella - Marianne Seibel
Luzio - Wolfgang Fassler
Claudio - Robert Schunk
Friedrich - Hermann Prey
Brighella - Alfred Kuhn %%
Choeurs et Orchestre du Bayeurische Staatsoper
(capté sur le vif, Orfeo d'Or)
La version Heger est très bien dirigée, avec une grande justesse. La distribution est un rêve, tout particulièrement le Luzio d'Anton Dermota, à fondre tellement que c'est beau. Mais tous les chanteurs sont excellents. J'ai bien dit tous. Et la radio de Vienne très supérieure à ses standards. Le son est excellent, meilleur que chez Sawallisch, peut-être encore plus subtilement dirigée, mais où l'orchestre est très en retrait, ce qui rend une écoute qui rende justice à l'oeuvre difficile. Sa vision est plus allante, plus intense, pleine de bonne emphase, mais la structure assez simple de certains morceaux et les faiblesses d'orchestration sont mises en évidence là où Heger les intégrait parfaitement dans son discours.
Chez le même Sawallisch, hormis Prey à peine supportable (mais j'ai de plus de plus de problèmes personnels avec ce chanteur qui chante mal et n'exprime pas grand chose ; si vous aimez Prey, c'est bien lui qui chante avec ses tics habituels), le cast est également remarquable. Robert Schunk évidemment, et surtout Sabine Hass que je n'ai jamais entendue aussi en voix et aussi en mots, un régal intégral, surtout que Hilde Zadek sonne légèrement fatiguée chez Heger.
Restent les coupures. Naturellement aucune chez Sawallisch (à part dans les très rares dialogues), et tout le trio Isabella-Dorella-Luzio du II chez Heger. Ce ne serait pas si grave – comme Tonton Placido, je préfère encore des coupures intégrales de quelques scènes que des charcutages partout – s'il n'y avait aussi des coupures à l'intérieur des scènes.
Et c'est bien là qu'il faut choisir et que le bât blesse. Heger est plus homogène pour sa distribution, et surtout bien mieux capté que Sawallisch inconfortable si l'on désire entendre l'orchestre. La vision du premier a beau être moins véhémente que celle du second, elle gomme à merveille les quelques scories juvéniles du texte musical. Je conseillerais donc Heger pour une première approche.
Toutefois, étant donné les coupures chez Heger et la prestation formidablement dite et chantée de Sabine Hass chez Sawallisch, la connaissance de la seconde version sera de mise à terme.
L'oeuvre, en plus d'une trame shakespeariennement jouissive, contient des segments musicaux absolument irrésistibles, à commencer par l'entrée d'Isabella et le duo Isabella-Friedrich (chez Heger de préférence). Le duo Isabella-Claudio (chez Sawallisch de préférence) n'est pas mal non plus...
Je vous souhaite une excellente écoute ! J'espère que quelqu'un parlera de Rienzi et surtout de Die Hochzeit ; pour moi, j'ai rempli mon contrat.
David - décontracté
Commentaires
1. Le mercredi 23 novembre 2005 à , par DavidLeMarrec
2. Le mardi 21 avril 2009 à , par Gestalt
3. Le mardi 21 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
4. Le mercredi 22 avril 2009 à , par Gestalt
5. Le mercredi 22 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
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