L'opéra contemporain, ses difficultés, ses enjeux
Par DavidLeMarrec, dimanche 1 janvier 2006 à :: Musicontempo - Genres - Pédagogique - Glottologie :: #129 :: rss
Il y a, je crois, de nombreuses raisons pour lesquelles l'opéra contemporain est en crise.
Et je crains que ce soit pas que conjoncturel, mais qu'il y ait aussi en quelque sorte une difficulté ontologique du langage contemporain à se fondre dans l'opéra.
Je vais tâcher de détailler un peu.
1) D'abord, la baisse des commandes.
- L'opéra coûte cher, la musique contemporaine séduit peu. On ne peut pas investir infiniment.
- Les effectifs souvent énormes, le haut degré de virtuosité réclamé, la difficulté de la mise en place qui force à augmenter le nombre de répétitions augmentent les coûts.
- On dispose d'un nombre très important d'opéras anciens au répertoire. Nous maintenons un musée de quatre siècles en état, avec un nombre toujours croissant de titres, ce qui n'était pas le cas auparavant !
2) La baisse des envies.
- L'opéra n'est plus le genre-roi, il n'y a donc plus de nécessité de composer pour lui.
- Au contraire, les compositeurs préfèrent la musique pure, voire méprisent ce genre imparfait, dans lequel :
- les instruments (vocaux) sont limités
- un texte vient parasiter la pureté esthétique de leur propos.
- Composer un opéra est un travail immense, surtout pour des pièces de cet effectif, de cette complexité.
- Or un opéra sera peu repris, et le plus souvent pas du tout. Financièrement, pour un an de composition minimum, je ne sais pas si c'est rentable, mais en termes de notoriété et de jeu, pas du tout.
- Le public d'opéra est souvent peu séduit par la musique contemporaine, et inversement. Peu de succès envisageable, peu de publicité positive.
- Le risque de se planter est donc en plus énorme, surtout si les interprètes ne se mouillent pas assez.
- Naturellement, les grands interprètes ont un planning trop chargé, soignent trop leur voix, veulent s'assurer des succès et ne se risqueront pas dans ce genre d'aventure qui demande trop de temps, comporte trop risques et ne rapporte rien si ce n'est des trous dans leur saison. C'est en partie leur faute aussi si les ouvrages n'ont pas beaucoup de public et ne sont pas acclamés.
3) Plus grave ; le problème esthétique. La musique contemporaine est-elle soluble dans l'opéra ?
- Evidemment, la question ne se pose pas vraiment pour les noétonals, qui sont les plus favorisés pour écrire un opéra écoutable (à défaut d'être intéressant musicalement et dramatiquement, je n'entre pas dans ce débat pour l'instant). Il y a aussi des atonals lyriques (Lars Ekström ou Ivan Fedele, par exemple).
- L'abolition du sentiment culturel de tension/détente rend délicat l'agencement d'un drame. Comment faire vivre une intrigue si l'on n'avance ni ne recule jamais, si tout est dans l'hédonisme (plus ou moins bousculé qui plus est) ?
- A cela s'ajoute le goût parfois saugrenu de spectacles plus ou moins conceptuels, délibérément sans action. Si peu qu'on ne comprenne pas le texte (inaudible ou allusif), c'est la catastrophe.
- Après m'être posé longuement la question, je crois qu'il y a aussi, tout simplement, une question physique.
- Le chanteur est physiquement plus à l'aise dans une écriture mélodique conjointe, ou à tout le moins avec de petits intervalles. Contrevenir à cette règle rend le chant plus tendu, moins agréable car l'interprète force nécessairement.
- Le fait de forcer la voix à chercher des registres peu utilisés, de lui faire exécuter des sauts d'intervalle importants rendent le texte peu intelligible à cause des hauteurs utilisées. Même avec le livret sous les yeux, il est très désagréable de n'entendre que des voyelles.
- Surtout, ces procédés écartent la voix du mimétisme de l'inflexion parlée, et lui ôtent donc pour partie ses possibilités expressives - ce qui , on en conviendra, est plutôt fâcheux pour le genre Opéra qui perd alors considérablement de son intérêt.
Tout cela ne remet pas en cause l'esthétique employée elle-même, mais pose bien la question de son adéquation à l'Opéra. Qui plus est avec une littérature pas forcément "d'intrigue", celle du vingtième siècle. Car il y a cela aussi en musique : la recherche de la forme pour le vertige de la forme.
Je crois qu'il faut savoir adapter son langage au genre Opéra, et cela, peu de fiertés de compositeurs l'acceptent. Certaines voies intermédiaires ont très bien réussi : Holliger, Rautavaara, Udo Zimmermann, Saariaho, Fedele, Reverdy, Ekström. Et puis les tonals ou approchants : Landowski, Daniel-Lesur, Aboulker...
L'opéra est peu compatible avec l'abstraction de la recherche musicale (exception notable : Machinations, pour ordinateur et quatre voix de femme de George Aperghis). Il est donc plus difficile aujourd'hui de faire un bon opéra qu'avant-hier. Et de façon simple, l'opéra contemporain rencontre aussi les mêmes problèmes d'acceptation par le public que l'opéra, que la musique contemporaine, et que la littérature du vingtième siècle... Le fait d'aimer les trois étant nécessaire, mais n'incluant pas nécessairement d'adhérer au genre ! Le parangon même de la niche culturelle. -<;oD
David - vilaincorbeau
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