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Concert Schumann - N. Stutzmann/I. Södergren - Fontainebleau

Liederkreis Op.39 et Dichterliebe Op.48.
Et toujours sous la forme d'un merveilleux compte-rendu de Sylvie Eusèbe.


Fontainebleau, Théâtre municipal, vendredi 10 mars 2006, 21h.
Récital Robert Schumann :
Liederkreis op. 39 (poèmes d’Eichendorff)
Dichterliebe op. 48 (poèmes d’H. Heine).
Nathalie Stutzmann : contralto, Inger Södergren : piano.


À proximité des grilles du célèbre château, le Théâtre de Fontainebleau est un beau petit bâtiment en pierres de taille blondes et briques, dans le style Louis XIII mais construit au début du XIXe siècle.

La petite salle à l’italienne est un superbe espace dans les beige - marron clair aux stucs rehaussés d’or, les fauteuils sont en velours rouge foncé et le sol est composé d’un parquet aux larges lattes de bois. L’orchestre, surplombé de deux niveaux de petit balcon, est divisé par deux allées qui alimentent une douzaine de rangs.

La scène, proportionnée à la salle, est occupée par le Steinway de concert au couvercle plus rabattu que lors des récitals de ces interprètes auxquels j’ai déjà assisté (je trouve que cela a permis un meilleur équilibre chant / piano). Le fond de la scène est tendu d’un écran blanc éclairé en rose fuchsia (heureusement que pendant le chant, cette couleur, à mon avis sans rapport avec Schumann, se trouve en grande partie remplacée par du blanc…).

Un porte-partitions, devant le creux du piano et assez bas, indique que la chanteuse, pour une fois, a besoin de ce soutien ; elle ne jettera pourtant que très rarement un bref coup d’œil à la partition. Schubert est actuellement le compositeur qu’elle interprète le plus en récital, c’est donc une réelle chance de l’entendre dans les lieder de Schumann qu’elle semble chanter de moins en moins.

Le public est composé de personnes d’allure modeste, d’un peu tous les âges, je repère un couple d’anglais et un petit groupe de 4 ou 5 personnes qui parlent allemand. On devine des mélomanes sincères, le bon silence et la qualité de l’écoute viendront confirmer cette impression.
Malheureusement, comme à Bordeaux, les lieder semblent bien peu « populaires » parmi les amateurs de musique, et la salle n’est guère remplie, peut-être au 2/3, et encore, ce qui doit faire environs 150 personnes présentes…

Il est 21h10 et annoncées par le bruit de leurs pas sur la scène, les deux musiciennes entrent par la droite.

Très rapidement sont échangés saluts, légers sourires, applaudissements, et les deux artistes prennent « leurs marques ».

Mais déjà débute « In der Fremde ».
Dès les premiers mots, on est tout de suite « dedans ». Il n’y a pas ce soir de temps d’adaptation, ni pour les musiciennes, ni pour le public. Pas de nervosité visible, encore moins de trac perceptible, la voix est là immédiatement entière et sûre d’elle-même.

Je ne peux m’empêcher de « comparer » les deux cycles de ce récital aux versions enregistrées par la contralto, voilà plus de 10 années déjà, avec la regrettée Catherine Collard. Ce sont ces versions que j’ai dans l’oreille, ce sont elles qui m’ont fait découvrir ces Å“uvres.
Je sens bien que cette comparaison-là est difficile (et même inutile ?), mais j’aimerais vraiment arriver à qualifier en quoi la voix de Nathalie Stutzmann a évolué, j’entends bien qu’elle a changé, mais comment le décrire ?

Le jeu des accents et des timbres me semble beaucoup plus divers et flamboyant que par le passé, les nuances déjà nombreuses sont encore plus extraordinaires par leur diversité et la force de leur inventivité. On entend réellement un grand nombre d’intonations vraiment spéciales, qui lui sont entièrement propres. L’agilité vocale est peut-être encore plus grande, le vibrato n’est pas systématique et me paraît plus « léger » (bien qu’il était déjà la plus-part du temps discret). Beaucoup plus de notes ne sont plus vibrées du tout, bien que cela ne donne pas pour autant un « son blanc ». Et à moins que cela soit pure imagination de ma part, je ressens moins la recherche du beau son pour lui-même.

L’écoute en directe n’a rien « Ã  voir » avec l’écoute d’un disque : l’histoire est racontée non seulement par le chant mais aussi par l’attitude et les gestes qui vont avec ; elle est vécue devant nos yeux, et nous marque bien autrement que dans la solitude de l’écoute « en aveugle ».
Nathalie Stutzmann possède une belle présence scénique et un charisme certain. Cela lui permet de montrer qu’elle vit ce qu’elle chante, mais si on n’y réfléchit pas trop, on qualifie son jeu de sobre et retenu. Ce n’est qu’une apparence. Que voit-on ? Par l’expression du visage et l’attitude du corps, la chanteuse « colle » au texte de la manière la plus « simple » qui soi : elle prend un air tout guilleret ou assombrit son regard au gré du sentiment immédiat que procure le poème.

Quand le lied est léger (pour autant qu’ils y en aient de légers…), vif, rythmé, plus heureux ou faussement joyeux (« Waldesgespräch », « Die Stille », « Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne », « Das ist ein Flöten und Geigen », « Ein Jüngling liebt ein Mädchen », « Aus alten Märchen winkt es »), Nathalie Stutzmann se redresse de toute sa taille, bombe le torse, et bien ferme sur ses jambes, elle chante à plein poumons avec une parfaite candeur, une innocence bien feinte, l’air « faussement désolé », le front plissé de soucis joués, le regard haut et clair, le sourire malicieux et entendu.
Le chant est alors rapide et piqué, puis soudain il s’étend, se traîne à la limite de la fausse note, il s’étire presque jusqu’à la dislocation (« Zwielicht »), se relâche, faussement désinvolte et négligent… La chanteuse s’amuse visiblement de la prononciation : « wissent soll » à la reprise dans « Die Stille », ou joue avec l’articulation : « schütteLST » (« SECOUES ta blonde tête »), répété deux fois avec un plaisir évident dans « Allnächtlich im Traume ».
Une impression de force, de puissance qui s’extériorise sans aucune gêne se dégage alors, mêlée au bonheur visible de chanter librement, sans contraintes, ni techniques, ni musicales !

Un autre type de lied, plus triste ou tout à fait dramatique, voit Nathalie Stutzmann prendre une attitude beaucoup moins démonstrative, ou carrément introspective. « Mondnacht », « Auf einer Burg », « Wehmut », « Hör’ich das Liedchen klingen » ou « Ich hab’im Traum geweinet » appartiennent à cette catégorie. Ce sont des lieder lents et douloureux, les poèmes sont bouleversants et il y est souvent question de cÅ“urs qui se brisent, de douleurs, et de pleurs. Une intention très dramatique est toujours liée à l’accent sur le « e/è » de « SchmErzen » particulièrement propice à l’expression de la peine, à l’accent sur le « Ã¤/è » de « Tränen » (larmes) ou encore au timbre pris sur le « ei » décomposé en « Ã¨-i », dans les nombreux « weinen » ou « geweinet, », différentes formes du verbe pleurer ! D’une dignité touchante, la chanteuse est ici visiblement retirée en elle-même, quand le regard n’est pas vers le sol, les yeux sont souvent fermés, et paradoxalement très au-delà des sentiments, son attitude immobile laisse percevoir une tension extraordinaire.

Un troisième groupe de lieder pourrait rassembler « les passionnés », si bien sûr on ne les qualifie pas tous ainsi… Y seraient par exemple placés « Frühlingsnacht », « Ich will meine Seele tauchen », « Ich grolle nicht », « Und wüßten’s die Blumen, die kleinen ». Nathalie Stutzmann prend alors un regard bien douloureux et dramatique, mais jamais outré dans son aspect démonstratif, l’attitude est effectivement passionnée, le corps en avant, les genoux fléchis, accrochée de toutes ses forces au piano et tout contre lui. Les deux derniers vers de « Ich grolle nicht » sont particulièrement représentatifs : « Je l’ai vu dévoré par l’avide serpent / Je t’ai vue, mon amour, dans toute ta misère ». L’intensité vocale est ici la plus forte de tout le récital, la tension et le « dramatisme » culminent dans cette terrifiante vérité. Très proche de cette voix si forte et si impérieuse qu’elle repousse l’auditeur au fond de son siège, citons toujours deux derniers vers, ceux de « Und wüßten’s die Blumen, die kleinen » : « Oui, elle qui a déchiré / De ses mains déchiré mon cÅ“ur », ce « Zerrisen mir das Herz », la carotide saillante sous la pression sanguine, est crié plus que chanté, sans aucune retenue, éperdument.

À l’opposée de cette extériorisation, la chanteuse est aussi à l’aise dans l’expression de la tendresse et de la douceur. « Hör’ich das Liedchen klingen », lent, recueilli, bien triste et très doux, le « auf in Tränen » dit des bouts des lèvres dans un pianissimo d’un poids extraordinaire, même remarque pour le tendre et murmuré « Sei unsrer Schwester nicht böse » dans « Am leuchtenden Sommermorgen ».

Les descentes dans et sur les graves sont toujours d’une magnifique fluidité, d’une aisance et d’une netteté parfaites : le « munter » à la fin de « Zwielicht », la descente sur le « un » de « Herzensgrunde » lors de la reprise de « Im Walde », le « die Eine » (« Die Rose… »), le « genau » final de « Im Rhein… ».
L’expression des sentiments est d’une délicatesse remarquable : le « bitterlich » final de « Wenn ich in deine Augen seh’ » pas trop appuyé sur les « tt ». Les plaintes ne sont jamais excessives, mais toujours bouleversantes par leur pudeur. Aucun effet dramatique « facile » ne vient ternir l’élégance et la noblesse du ton.

En plus de l’art du chant, Nathalie Stutzmann possède celui de raconter. « Auf einer Burg », pris bien lentement, montre un sens aigu de la construction et révèle l’architecture du lied. On avance pas à pas, la tension augmente par degré, et cette montée en puissance, méthodique et inévitable, se dissout dans les larmes de la mariée !
« Die alten, bösen Lieder » donne la même impression. Tantôt décidé, tantôt relâché et traînant, chaque mot est une pierre, chaque vers est une assise de l’édifice. Même si on n’en comprend pas précisément chaque détail, on sent le Dom se construire, et on devine bien avant la fin de l’œuvre que la clé de voûte qui scellera l’ensemble sera monumentale !

De sa main droite, la chanteuse est en permanence arrimée au piano. Sa présence semble la rassurer, il lui transmet ses vibrations et lui permet un appui sûr, éventuellement presqu’un refuge (« Ich grolle nicht »).
Parfois, entre deux lieder, les musiciennes se regardent rapidement, la chanteuse souriant discrètement à la pianiste, ou bien d’un signe de la tête à peine perceptible elle lui indique qu’elle peut débuter.

Inger Södergren a un jeu visuellement sobre avec des gestes puissants, lents et amples. Au-dessus du clavier, sa main gauche, doigts écartés, caresse voluptueusement l’air. La main droite attaque les touches vigoureusement et horizontalement, faisant preuve d’une force totalement maîtrisée.
Quand elle joue, la pianiste bouge les lèvres et chantonne tout bas, sans que je puisse dire s’il s’agit du texte ou de la mélodie, voire même de sa « propre musique ». Elle chante non pas comme si le piano ne lui suffisait pas, mais plutôt comme pour rejoindre sa partenaire, et partager un peu plus encore la même émotion musicale.
Son piano est d’une grande tendresse, « moelleux » (« Schöne Fremde »), très descriptif dans l’évocation des paysages visuels et sonores (« Waldesgespräch »), il prend des accents « Ã  la Debussy » (« Mondnacht »), semble chercher ses notes « au hasard » (« Zwielicht ») ou bien en impose par la grandeur de ses accords (« Im Rhein… »), entraîne dans une danse tourbillonnante qui finit par s’abîmer dans un chaos d’une douceur surprenante (« Das ist ein Flöten und Geigen »), laisse place à la voix seule après une note ferme, répétée cinq fois (« Ich hab’ im Traum geweinet »), ou bien encore il se fait tout simplement chant (« Aus alten Märchen winkt es).

Est-ce parce qu’il s’agit du dernier son du lied que je raffole littéralement du « s » de « Haus » si délicat et seul, sans note de musique (« Mondnacht »), et du deuxième « t » de « tot » (« Im der Fremde »), détaché du reste, tout petit et pourtant si précis ?
De même, s’il ne concluait pas le lied, aurais-je remarqué l’effet de « poussé-tiré » comme pour l’archet du violoncelliste sur les deux dernières syllabes de « Verlangen » (« Im wunderschönen Monat Mai ») ? Ou bien le « hinein » de « Die alten, bösen Lieder » me paraîtrait-il aussi terrifiant s’il n’était pas le dernier souvenir emporté de ces Dichterliebe ? Nathalie Stutzmann lui donne une intonation vraiment spéciale, puisqu’elle n’est utilisée que pour lui seul, le « i » bien étiré et les deux « n » parfaitement articulé jusqu’au bout !
C’est d’ailleurs une intonation similaire que l’on entend à la fin des deux cycles de Schubert, pour le Winterreise, « Deine Leier dreh’n » (le «é/è » de « dreh’n »), et pour le Schwanengesang , « So manche Nacht, in alter Zeit ? » (le « a » de « alter »).

Le long postlude du piano permet de sortir du chant le plus doucement possible, de parcourir à regret le chemin entre la musique et la vie réelle.
Les deux musiciennes vivent la musique jusqu’au bout, elles y restent absorbées au-delà de la dernière note. Comme il est dur aussi pour elles de revenir, cela se voit ! La pianiste semble enivrée par la musique, quant à la chanteuse, on sent l’effort qu’il lui faut pour sortir du lieu où elle s’était transportée.

Mais les applaudissements et les bravos effacent très vite cet instant presque insupportable, ce passage entre le tout et le vide. Inger Södergren sourit timidement à ces manifestations d’enthousiasme et Nathalie Stutzmann a l’air vraiment heureux, mais toujours un peu étonné. Et le plus extraordinaire c’est que ce sont leurs yeux qui brillent de gratitude !

Est-ce parce que je pense très fort au lied « Mein schöner Stern !» que c’est celui-là que Nathalie Stutzmann décide de donner en bis ? Non, je crois savoir qu’elle l’aime particulièrement ! Avec « Mondnacht » et « Stille Tränen », il fait partie de ceux que j’aime le plus !

Alors elle annonce de sa superbe voix parlée : « Toujours de Schumann, Mein schöner Stern ! ». (extrait de Minnespiele op. 101 n°4, texte de F. Rückert)

Mein schöner Stern ! ich bitte dich,
Ma bonne étoile ! je t’en prie,
o lasse du dein heit’res Licht
ô ne permets pas que ta joyeuse lumière
nicht trüben durch den Dampf in mir,
soit troublée par le brouillard en moi,
vielmehr den Dampf in mir zu Licht,
ce brouillard en moi, à la lumière
mein schöner Stern, verklären hilf !
plutôt aide-le à s’éclairer, ma bonne étoile !

Mein schöner Stern ! ich bitte dich,
Ma bonne étoile ! je t’en prie,
nicht senk herab zur Erde dich,
ne te rabaisse pas vers la terre,
weil du mich noch hier unten siehst,
comme tu me vois toujours ici-bas,
heb auf vielmehr zum Himmel mich,
élève-moi plutôt vers le ciel
mein schöner Stern, wo du schon bist !
là où toi tu est déjà, ma bonne étoile !



Par la voix de Nathalie Stutzmann, la musique nous donne le sentiment de notre grandeur, de notre puissance sûre d’elle-même, de notre fermeté, de notre force inouïe, et en même temps, elle nous révèle notre extrême sensibilité, notre si précieuse fragilité, notre compréhension absolue, délicieuse et affaiblissante.

Qu’est ce que j’entends dans son chant que je ne discerne pas chez les autres ? Je devine que cela tient de la grâce, c’est à la fois le bonheur total et une expérience éprouvante. On en ressort plus fort, plus complet, mais aussi plus seul face à soi-même.

S. Eusèbe, 11-15 mars 2006.


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Commentaires

1. Le mercredi 15 mars 2006 à , par DavidLeMarrec

Et moi qui me désespère qu'on ne joue jamais que les mêmes cycles ! Déjà que les salles sont vides...

Ludovic Tézier, avec sa réputation, sa tournée depuis novembre, un programme contenant Dichterliebe, les tubes de Duparc, Don Quichotte à Dulcinée, et les invitations distribuées à tour de bras au Conservatoire (me suis-je laissé dire) n'a rempli qu'au quart le tout petit Grand-Théâtre de Bordeaux !

D'ailleurs, on m'a conseillé d'aller chercher une invitation. N'étant pas moi-même invité, je tout de même suis allé acheter une place, mais effectivement, ils auraient presque pu me payer pour faire la claque...

Les Fauré étaient hors style, mais les bis vraiment très impressionnants, pour le coup très habités. On a senti une détente incomparable entre la dernière pièce du programme et les suppléments. Jamais vu le très sage public de Bordeaux dans un tel état de démence.
Un peu exagéré à mon sens du point de vue technique (des piani détimbrés, par rapport à son potentiel immense) et surtout selon ce traitement très opératique de la mélodie, avec des nuances un peu en noir et blanc, très théâtrales, peu minutieuses sur le texte. C'était manifestement juste le résultat d'une crispation, si j'en crois la fin du récital.
Mais il faut dire que le public était surtout amateur de "voix", et s'ennuyait ferme au lied, d'habitude. Aussi, cette façon plus attentive au beau son a plu. Je suis resté un peu pantois lorsqu'on m'a dit que :
- c'était comment cela qu'il fallait chanter le lied (qu'on aime, oui, bien sûr, mais en faire la norme, j'étais très surpris)
- Prégardien était nul (question de goût, mais une fois encore, il est plus précis dans le lied que ne l'était Tézier lors de cette tournée)
- Fischer-Dieskau chantait le lied aussi avec une voix très opératique (si on compte le nombre de détails et d'attaques en mixte, je doute).

Bref, le public était enthousiasmé par le chanteur, un peu déçu par le programme. Moi c'était peut-être l'inverse, malgré une soirée vraiment excellente, mais nous étions d'accord sur un point : à ce jour, il est plus à l'aise dans l'opéra. Une question de lâcher prise surtout, parce qu'en dépit d'une couverture extrême des sons, d'un formant pas du tout allégé, il parvenait à des choses bien plus fines une fois détendu.


Bref, revenons-en à notre salle, que vous nous avez brillamment fait visiter, et qui était au tiers vide.

J'ignorais cela, sur l'époque dix-neuvième. Restauration ? Pastiche ? L'occupation de Fontainebleau ne date pas d'hier, aussi m'étais-je laissé prendre par son aspect stylistique.


"Un porte-partitions, devant le creux du piano et assez bas, indique que la chanteuse, pour une fois, a besoin de ce soutien ; elle ne jettera pourtant que très rarement un bref coup d’œil à la partition."

Ce genre de détail fait partie de la panoplie de diagnostic du liedersänger...


"Schubert est actuellement le compositeur qu’elle interprète le plus en récital, c’est donc une réelle chance de l’entendre dans les lieder de Schumann qu’elle semble chanter de moins en moins."

Eh bien moi, j'ai découvert (il est vrai que je la suivais peu) qu'elle chantait le lied à l'occasion de son récital Calliope. Que chantait-elle comme lieder auparavant, et, apparemment, depuis toujours ?
A part le récital que vous mentionnez ?


"Mais déjà débute « In der Fremde ».
Dès les premiers mots, on est tout de suite « dedans ». Il n’y a pas ce soir de temps d’adaptation, ni pour les musiciennes, ni pour le public. Pas de nervosité visible, encore moins de trac perceptible, la voix est là immédiatement entière et sûre d’elle-même."

Ce phénomène d'abandon arrive lors que les chanteurs ne sont pas surveillés par des critiques, ou que le bouche à oreille limité leur fait courir peu de risques. Il arrive aussi que certains, notamment inexpérimentés, ou au contraire célébrissimes, en profitent pour relever le pied ou tester des programmes pas très bien rôdés. [J'ai eu le cas Torres, récemment, dans un récital informel qui craquait de partout.]

C'est tout à l'honneur des interprètes d'en profiter pour donner une version plus parfaite.


"Le jeu des accents et des timbres me semble beaucoup plus divers et flamboyant que par le passé, les nuances déjà nombreuses sont encore plus extraordinaires par leur diversité et la force de leur inventivité. On entend réellement un grand nombre d’intonations vraiment spéciales, qui lui sont entièrement propres."

Ca, c'est indéniable. C'est très personnel.


"L’agilité vocale est peut-être encore plus grande, le vibrato n’est pas systématique et me paraît plus « léger » (bien qu’il était déjà la plus-part du temps discret). Beaucoup plus de notes ne sont plus vibrées du tout, bien que cela ne donne pas pour autant un « son blanc »."

Ah bon ? Je n'avais pas remarqué. :-)

(Désolé pour la perfidie.)


"Et à moins que cela soit pure imagination de ma part, je ressens moins la recherche du beau son pour lui-même."

Il est évident que l'expressivité relègue le beau son très, très loin chez elle. C'est nettement mieux que l'inverse, même si parfois, je me satisferais bien d'un petit effort en ce sens.
Je ne demande pas ses voluptés mahleriennes, entendons-nous, mais un peu moins d'angles parfois.


"L’écoute en directe n’a rien « à voir » avec l’écoute d’un disque : l’histoire est racontée non seulement par le chant mais aussi par l’attitude et les gestes qui vont avec ; elle est vécue devant nos yeux, et nous marque bien autrement que dans la solitude de l’écoute « en aveugle »."

Plus le temps passe, plus je m'attache au contraire au disque. Oh, ça ne remplace pas l'impact de la voix en salle, mais le loisir d'y revenir, de l'écouter paisiblement, de ne pas être parasité par une mise en scène, une gestuelle qui captent parfois l'essentiel au détriment d'un texte.


"Nathalie Stutzmann possède une belle présence scénique et un charisme certain. Cela lui permet de montrer qu’elle vit ce qu’elle chante, mais si on n’y réfléchit pas trop, on qualifie son jeu de sobre et retenu. Ce n’est qu’une apparence. Que voit-on ? Par l’expression du visage et l’attitude du corps, la chanteuse « colle » au texte de la manière la plus « simple » qui soi : elle prend un air tout guilleret ou assombrit son regard au gré du sentiment immédiat que procure le poème."

Très juste. Ca m'avait laissé perplexe, ça avait aussi suscité quelques sarcasmes lorsque je l'avais raconté. Force est de reconnaître qu'elle le fait très bien.


"faussement désinvolte et négligent…"

Que d'artistes aimeraient vous avoir comme commentatrice attitrée ! Vous savez sans doute mieux qu'eux justifier leur choix !


« est crié plus que chanté, sans aucune retenue, éperdument. »
« Une impression de force, de puissance qui s’extériorise sans aucune 'gêne se dégage alors, mêlée au bonheur visible de chanter librement, sans contraintes, ni techniques, ni musicales ! »

Je connais pas mal de mauvais esprits qui ne laisseraient pas passer ça. ;-)


« Un autre type de lied, plus triste ou tout à fait dramatique, voit Nathalie Stutzmann prendre une attitude beaucoup moins démonstrative, ou carrément introspective. « Mondnacht », « Auf einer Burg », « Wehmut », « Hör’ich das Liedchen klingen » ou « Ich hab’im Traum geweinet » appartiennent à cette catégorie. »

Pourtant, Auf einer Burg, il y aurait de quoi mimer !


« En plus de l’art du chant, Nathalie Stutzmann possède celui de raconter. « Auf einer Burg », pris bien lentement, montre un sens aigu de la construction et révèle l’architecture du lied. »

Comment cela ? Je ne vois pas bien. Forme AA.


« Quand elle joue, la pianiste bouge les lèvres et chantonne tout bas, sans que je puisse dire s’il s’agit du texte ou de la mélodie, voire même de sa « propre musique ». »

Le texte, je doute, ce serait peu pratique et du jamais vu. Le chant de la pianiste (le plus probable), pour s’imprégner, ou sa propre partie, très possible.


« Est-ce parce qu’il s’agit du dernier son du lied que je raffole littéralement du « s » de « Haus » si délicat et seul, sans note de musique (« Mondnacht »), et du deuxième « t » de « tot » (« Im der Fremde »), détaché du reste, tout petit et pourtant si précis ? «

Je retrouve là mes propres pathologies. Les « r » uvulaires de Valérie Millot, dont je parle à tout bout de chants, me plongent dans une douce hystérie.
Au fait, arrivez-vous à entendre la Radioblog ? Sinon, nous trouverons une autre solution.


« Le long postlude du piano permet de sortir du chant le plus doucement possible, de parcourir à regret le chemin entre la musique et la vie réelle. »

Je ne suis pas fou de celui des Dichterliebe (si, son joli morceau de concerto dedans), il dissipe un peu trop l’effet du cycle, si peu que le pianiste ne soit pas exceptionnel. Celui de Frauliebe me bouleverse en revanche. Sinon, la fin de l’opus 39 est merveilleuse. Oui, j’adore Eichendorff. Je ne me consolerai pas, je crois, qu’il soit né trop tard, ou plutôt que Schubert soit mort trop tôt.
Lorsque je vois le massacre que Schumann fait du Schatzgräber, en le désarticulant complètement, en en faisant un vulgaire tour de force, en en trahissant les mots, ça me prive encore plus.

A l’opposé, je suis assez hermétique à Möricke. Ce qui ne m’empêche pas de le fréquenter, Wolf oblige.


« Est-ce parce que je pense très fort au lied « Mein schöner Stern !» »
« Non, je crois savoir qu’elle l’aime particulièrement ! »

N’y a-t-il vraiment aucun lien entre ces deux postulats ?


Merci beaucoup pour cet excellent compte-rendu, développé, détaillé, précis, suggestif et juste. Vraiment merci !


David

2. Le dimanche 19 mars 2006 à , par Inactuel :: site

oui, merci pour ce beau commentaire (et le commentaire du commentaire est très bien aussi !).
merci à tous les deux, cela me fait chaud au cœur de savoir qu existent encore des Amateurs (au sens le plus noble du terme) de la Musique et des Musiciens.
D.

3. Le lundi 20 mars 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Merci à Inactuel pour ce noble mot d'amateur ! J'essaye d'en être digne :-) !

Et vous, cher David, figurez-vous que j’ai reçu une invitation pour le récital de Ludovic Tézier ! Si j’avais su, je vous l’aurais envoyée :-) ! Je ne le connais pas vraiment, je l’ai juste écouté lors de la retransmission des Victoires de la Musique. Je suppose que ce type de soirée est très difficile pour les artistes (et pour les amateurs aussi :-) ), il m’a paru très contracté et très concentré, mais je dirais que comme ça, au premier abord, sa voix m’a assez plue. Cela m’a donc fait bien plaisir de lire ce que vous avez pensé de son récital à Bordeaux.

Bien, j’en arrive à « mon Récital de Fontainebleau » :-) !
Je me suis mal exprimée quant au théâtre : le récital a été donné dans le théâtre municipal de Fontainebleau, et non pas dans le théâtre du Château, d’où votre étonnement sur la datation du bâtiment.

Nathalie Stutzmann chante le lied depuis… très longtemps :-) !
Disons qu’elle a commencé sa carrière professionnelle vers 1985 et si je mets en parallèle ce qu’elle a enregistré avec ce qu’elle chante, voici pour le lied, ce que cela donne :
Dès 1984, elle enregistre (au départ je crois juste pour la radio) les 2 chants op. 91 de Brahms (avec G. Caussé et F.-R. Duchable), puis en 1989, 24 lieder de Mendelssohn (avec D. Baldwin). Ces 26 lieder sont repris sur un CD en collection économique (Erato). Si les 2 Brahms sont très un témoignage très touchant, ils n’ont pas encore la maîtrise vertigineuse atteinte par les Mendelssohn, dans lesquels je trouve déjà tout ce que j’aime chez elle !!! En 1991, je l’entends dans « An die ferne Geliebte » de Beethoven et elle commence à enregistrer l’intégrale des lieder de Schumann : un CD avec M. Dalberto (Erato), puis 2 CD avec C. Collard (RCA, 1992 et 1993), puis 3 CD avec I. Södergren (RCA, 1994, 1995 et 1997). Un CD de lieder de Brahms est enregistré en 1996 (après la brusque disparition de Catherine Collard fin 1993, tous les récitals de Nathalie Stutzmann, les lieder, comme les mélodies, sur scène comme au disque, sont faits avec Inger Södergren ; leur association me semble commencer vers le milieu de l’année 1994). Elle enregistre la Rapsodie pour contralto op. 53 de Brahms dès 1993 (RCA, C. Davis), et la même année elle chante en concert les lieder avec orchestre de G. Mahler, puis ses symphonies n°3 (enregistrée en 1998, Delos, A. Litton) et n°2 (enregistrée en 2000, Sony, S. Ozawa). Je ne sais pas exactement depuis quand elle chante Schubert en récital, je dirais depuis 1996 ou 1997, mais je n’ai rien pour le vérifier. Quant au Winterreise, je pense que c’est plus récent et qu’elle le donne plutôt depuis 2002 ou 2003. En tous cas, au disque, elle l’enregistre en septembre 2003 (Le Calliope sorti à l’automne 2004) et depuis, elle le chante plusieurs fois par an. Pour le Schwanengesang, elle l’a enregistré en juin 2005 (Calliope) et elle l’a déjà donné en récital en novembre dernier à Vevey (enfin, c’était ce qui était annoncé et je n’ai pas vérifié) ; je ne sais pas si elle l’avait déjà chanté avant en public. Elle dit elle-même qu’elle chante maintenant moins Schumann qui correspondait plus à la période de sa vie entre 1990-2000 et que actuellement elle se sent plus proche de Schubert. C’est pour cette raison que le programme de Fontainebleau m’a semblé représenter une grande chance !
Pour la saison parisienne de 2006-07, je l’attends avec à nouveau un Winterreise en octobre prochain, et les Rükert Lieder en janvier 2007. Elle vient de chanter pour la première fois en septembre dernier « Das Lied von der Erde » (Budapest, I. Fischer), et j’espère bien qu’un jour elle enregistrera les trois cycles de Mahler :-) !!!

Ah, j’aimerais bien que vous me résumiez ce qui vous parait vraiment « très personnel » dans ses intonations :-) !

Pour le « son blanc », je ne sais pas qui de nous deux est le plus perfide :-) !!!

Je crois que j’ai autant besoin du concert ou du récital que du disque. L’un complète et enrichi l’autre et inversement.

« Que d’artistes aimeraient vous avoir comme commentatrice attitrée ! »
Un grand merci pour cette phrase, vous me faites là un superbe compliment :-) !!! (Et je suis absolument certaine que le « négligent » dont je parle est volontaire et donc pas dû à une… négligence).

« … sans contraintes, ni techniques, ni musicales ! », hum, merci de ne pas vous associer « aux mauvais esprits » :-).

Pour « Auf einer Brug », je ne faisais pas allusion à la construction musicale qui m’échappe généralement complètement (je n’y connais rien). Mais je pensais plutôt « architecture » dans le sens métaphorique, un peu comme je le décris plus précisément pour « Die alten, bösen Lieder ».

Je suis ravie de rencontrer chez vous les mêmes tendances pathologiques que chez moi, vous ne pouvez pas savoir comme ça me rassure :-) !!!
Non, pour la radio je ne m’en sors pas, mais je viens juste de m’acheter un PC portable dernier cri, alors j’ai bon espoir…

Et pour finir, je suis sûre qu’il n’y a aucun lien entre les deux postulats, mais c’est très gentil à vous de le penser :-) !

Merci pour vos commentaires, ils me sont toujours aussi précieux. J’espère avoir prochainement le temps de revenir sur votre texte « Différencions (la prononciation) », mais je serai surtout admirative ! S.

4. Le mercredi 22 mars 2006 à , par DavidLeMarrec

"merci à tous les deux, cela me fait chaud au cœur de savoir qu existent encore des Amateurs (au sens le plus noble du terme) de la Musique et des Musiciens."

Oui, il en reste, le tout c'est de les trouver. ;-)
Merci Denis !

5. Le mercredi 22 mars 2006 à , par DavidLeMarrec

"Et vous, cher David, figurez-vous que j’ai reçu une invitation pour le récital de Ludovic Tézier ! Si j’avais su, je vous l’aurais envoyée :-) ! "

Merci. :-)


"Je ne le connais pas vraiment, je l’ai juste écouté lors de la retransmission des Victoires de la Musique. Je suppose que ce type de soirée est très difficile pour les artistes (et pour les amateurs aussi :-) ), il m’a paru très contracté et très concentré, mais je dirais que comme ça, au premier abord, sa voix m’a assez plue."

Oui, la voix est somptueuse, même s'il a eu, ce soir-là, quelques soucis de mise en place.

J'ignore si ce type de soirée est difficile, mais il a disposé d'un public tout entier acquis au beau bon, qui lui a fait un triomphe, sans discernement entre les répertoires et les réussites. Sauf pour Fauré, peut-être, qui ne passionne pas les foules et qui était, objectivement, un peu à côté de la cible stylistique. Du coup - mais cela, il n'en avait peut-être pas conscience -, c'est sa technique vocale et sa personnalité qu'on a fêtées, pas la réussite de tel ou tel morceau. Clairement, ce n'était pas un public rompu au liederabend (suivez mon regard...).


"Je me suis mal exprimée quant au théâtre : le récital a été donné dans le théâtre municipal de Fontainebleau, et non pas dans le théâtre du Château, d’où votre étonnement sur la datation du bâtiment."

Pardon, ce doit être moi... Lorsqu'on me dit Fontainebleau, je pense forêt et château, et rien d'autre. Je ne me souvenais même pas qu'il y avait quelque chose autour, je l'avoue à ma honte !


"Nathalie Stutzmann chante le lied depuis… très longtemps :-) !
Disons qu’elle a commencé sa carrière professionnelle vers 1985 et si je mets en parallèle ce qu’elle a enregistré avec ce qu’elle chante, voici pour le lied, ce que cela donne :
Dès 1984, elle enregistre (au départ je crois juste pour la radio) les 2 chants op. 91 de Brahms (avec G. Caussé et F.-R. Duchable), puis en 1989, 24 lieder de Mendelssohn (avec D. Baldwin). Ces 26 lieder sont repris sur un CD en collection économique (Erato). Si les 2 Brahms sont très un témoignage très touchant, ils n’ont pas encore la maîtrise vertigineuse atteinte par les Mendelssohn, dans lesquels je trouve déjà tout ce que j’aime chez elle !!! En 1991, je l’entends dans « An die ferne Geliebte » de Beethoven et elle commence à enregistrer l’intégrale des lieder de Schumann : un CD avec M. Dalberto (Erato), puis 2 CD avec C. Collard (RCA, 1992 et 1993), puis 3 CD avec I. Södergren (RCA, 1994, 1995 et 1997). Un CD de lieder de Brahms est enregistré en 1996 (après la brusque disparition de Catherine Collard fin 1993, tous les récitals de Nathalie Stutzmann, les lieder, comme les mélodies, sur scène comme au disque, sont faits avec Inger Södergren ; leur association me semble commencer vers le milieu de l’année 1994). Elle enregistre la Rapsodie pour contralto op. 53 de Brahms dès 1993 (RCA, C. Davis), et la même année elle chante en concert les lieder avec orchestre de G. Mahler, puis ses symphonies n°3 (enregistrée en 1998, Delos, A. Litton) et n°2 (enregistrée en 2000, Sony, S. Ozawa). Je ne sais pas exactement depuis quand elle chante Schubert en récital, je dirais depuis 1996 ou 1997, mais je n’ai rien pour le vérifier. Quant au Winterreise, je pense que c’est plus récent et qu’elle le donne plutôt depuis 2002 ou 2003. En tous cas, au disque, elle l’enregistre en septembre 2003 (Le Calliope sorti à l’automne 2004) et depuis, elle le chante plusieurs fois par an. Pour le Schwanengesang, elle l’a enregistré en juin 2005 (Calliope) et elle l’a déjà donné en récital en novembre dernier à Vevey (enfin, c’était ce qui était annoncé et je n’ai pas vérifié) ; je ne sais pas si elle l’avait déjà chanté avant en public. Elle dit elle-même qu’elle chante maintenant moins Schumann qui correspondait plus à la période de sa vie entre 1990-2000 et que actuellement elle se sent plus proche de Schubert. C’est pour cette raison que le programme de Fontainebleau m’a semblé représenter une grande chance !
Pour la saison parisienne de 2006-07, je l’attends avec à nouveau un Winterreise en octobre prochain, et les Rükert Lieder en janvier 2007. Elle vient de chanter pour la première fois en septembre dernier « Das Lied von der Erde » (Budapest, I. Fischer), et j’espère bien qu’un jour elle enregistrera les trois cycles de Mahler :-) !!!"
Et moi donc ! Quel Urlicht, mais quel Urlicht ! Et les Kindertoten n'étaient pas mal non plus. :-)


"Ah, j’aimerais bien que vous me résumiez ce qui vous parait vraiment « très personnel » dans ses intonations :-) !"

Disons qu'elle utilise des sons spécifiques selon ce qu'elle chante, et que dans le lied, on entend tout un "système" derrière - ce qui m'avait un peu dérangé. Mais il est indéniable que ces choix sont tout à fait personnels, c'est en vain qu'on espèrerait y voir une imitation de qui que ce soit.

J'ai conscience de ne pas avoir répondu à la question, mais elle est diablement difficile, il faudrait que je réécoute son Winterreise.


"Pour le « son blanc », je ne sais pas qui de nous deux est le plus perfide :-) !!!"

Je le sais, hélas, et je m'en ouvrirai à mon confesseur mardi prochain.


"Je crois que j’ai autant besoin du concert ou du récital que du disque. L’un complète et enrichi l’autre et inversement."

Evidemment. Mais il est vrai que je peux me passer du concert, ou du moins m'y rendre de façon très espacée. L'idéal est d'avoir les deux, bien entendu.

Disons que le disque est indispensable dès qu'on veut déffricher des répertoires peu pratiqués. Ou alors il faut prendre directement la réduction piano (ou la partition intégrale, mais c'est moins excitant), ce qui est sympathique aussi.

Pour suivre un artiste, en revanche, la radio ou le déplacement s'imposent.

"« … sans contraintes, ni techniques, ni musicales ! », hum, merci de ne pas vous associer « aux mauvais esprits » :-)."

Je ne saurais oser - surtout si vous m'enjoignez à m'en garder.


"Pour « Auf einer Brug », je ne faisais pas allusion à la construction musicale qui m’échappe généralement complètement (je n’y connais rien). Mais je pensais plutôt « architecture » dans le sens métaphorique, un peu comme je le décris plus précisément pour « Die alten, bösen Lieder »."

Ah oui, je vois mieux.

Musicalement, c'est une oeuvre à deux strophes, c'est très simple. Eingeschlafen / Draussen ist. Ca se voit aisément sur la partition : www.dlib.indiana.edu/vari... .


"Je suis ravie de rencontrer chez vous les mêmes tendances pathologiques que chez moi, vous ne pouvez pas savoir comme ça me rassure :-) !!!"

Je ne suis pas sûr que ce soit rassurant, mais c'est réconfortant, à tout le moins.


"Non, pour la radio je ne m’en sors pas, mais je viens juste de m’acheter un PC portable dernier cri, alors j’ai bon espoir…"

Je m'exprimerai donc sobrement : youpieeee.


Evidemment, j'attends avec une impatience non dissimulée la suite de vos commentaires, toujours aussi riches !

6. Le lundi 27 mars 2006 à , par Sylvie Eusèbe

« … Fauré… qui ne passionne pas les foules… »
Et c’est bien dommage ! D’accord, ce n’est pas d’une folle subtilité, mais c’est très charmant quand même : le Papillon et la Fleur, très triste aussi : La Chanson du Pécheur, Tristesse, ou encore romantique « à la Française » : Rencontre, le Secret…

« J’ai conscience de ne pas avoir répondu à la question, mais elle est diablement difficile, il faudrait que je réécoute son Winterreise. »
Oui en effet, et je n’avais pas mesuré sa difficulté ! Je n’insiste pas :-) !

« Je ne suis pas sûr que ce soit rassurant, mais c’est réconfortant, à tout le moins ».
Va pour réconfortant, mais voilà bien une pathologie dont je ne veux pas guérir !

Je vais être absente quelques temps, mais si je suis inspirée, je reviendrai avec un nouveau… compte-rendu :-) !
Donc, bonne quinzaine à vous et à bientôt ! S.

7. Le lundi 27 mars 2006 à , par DavidLeMarrec

Dans ce cas... à un impatient très bientôt !

David

8. Le lundi 27 mars 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Merci de votre réponse si rapide.
Dois-je vous avouer avec un peu de retard et beaucoup de honte que je n'arrive pas à deviner ce qu'est un "spammeur" ?

Par édifiant, j'entendais que les différences de traductions pour la suite du poème me semblent aussi importantes que pour ce premier vers.

"Du coup, je n'ai pas eu besoin de modifier une note."
Entendez-vous par là que pour faire coller le texte traduit en français à
la musique, il vous arrive de "changer" la partition ?

Pour d'autres lieder, là tout de suite je ne sais pas... Je vais voir :-) !

Bonne fin de journée, S.

9. Le lundi 27 mars 2006 à , par DavidLeMarrec

"Dois-je vous avouer avec un peu de retard et beaucoup de honte que je n'arrive pas à deviner ce qu'est un "spammeur" ?"

C'est une entreprise qui envoie massivement des messages non sollicités (spams), généralement de la publicité déguisée ou des escroqueries. Vous en recevez sûrement dans votre boîte aux lettres électronique. Ils ont trouvé le moyen de le faire sous forme de commentaires, ce qui m'oblige à filtrer, et le filtre ne vous aime pas. :-(


"Entendez-vous par là que pour faire coller le texte traduit en français à
la musique, il vous arrive de "changer" la partition ?"

Cela arrive à tous les traducteurs. Pour des raisons métriques, on est parfois obligé d'ajouter une valeur, de la dédoubler, de la faire commencer plus tôt (en anacrouse), etc. Parfois même, on romp une phrase ou met un triolet au lieu de deux croches simples, etc.
On le fait le moins possible, mais ça arrive. Pour Atlas, ma version ne correspond pas rigoureusement à la partition, il y a quelques notes qu'il faut dédoubler. (deux triples croches au lieu d'une double croche, par exemple)


"Pour d'autres lieder, là tout de suite je ne sais pas... Je vais voir :-) !"

Très bien !

10. Le lundi 10 avril 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Bonjour David !
Je vous envoie ce texte juste fini, et j’ai bien conscience de le mettre n’importe où ! A vous de le placer où vous le souhaitez et encore merci d’héberger si généreusement ma prose.
Bonne lecture, amicalement, Sylvie.

Leipzig (Allemagne), Gewandhaus, jeudi 6 avril 2006, 20h.
Jean Sébastien Bach, la Passion selon Saint Jean BWV 245, première exécution en 1724.

Riccardo Chailly : direction ; Orchestre du Gewandhaus de Leipzig ; Chœur de Chambre du Gewandhaus.

Simone Kermes : soprano ; Nathalie Stutzmann : alto ; Werner Güra : ténor (l’Evangeliste) ; Kenneth Tarver : ténor (arias) ; Konrad Jarnot : basse (Jésus) ; Mathias Hausmann : basse (arias).


L’actuelle salle de concert du Gewandhaus de Leipzig est inaugurée en 1981, alors que Kurt Masur en est le Kapellmeister. Il reste à la direction de l’orchestre du Gewandhaus pendant 26 ans, et Herbert Blomstedt lui succède en 1998. Depuis 2005, le chef italien Riccardo Chailly est nommé à la tête de cet orchestre prestigieux.

L’architecture du bâtiment est particulièrement sévère, les lignes sont dures et les matériaux froids : c’est une belle boîte, largement vitrée sur le devant mais assez hermétique pour le reste.
La grande place sur laquelle s’ouvre le Gewandhaus est traitée encore plus sèchement, elle est presque totalement minérale. Seule une fontaine baroque aux sculptures de bronze entourant un obélisque met un peu d’animation mais semble tombée là par hasard.
Faisant face à la célèbre salle de concert, le Théâtre de l’Opéra est un bâtiment « néoclassique strict » datant de 1960 ; son architecture est totalement glaciale, et les matériaux choisis renforcent cette impression : belle pierre gris clair et huisseries, colonnes et rares décorations en métal de couleur or mat.
20 ans séparent ces deux temples à la musique, mais la conception qui a présidé à leur construction est la même : l’art est quelque chose de sérieux, et on ne doit surtout pas montrer qu’il puisse faire plaisir.

L’intérieur du Gewandhaus atténue l’effet de froideur de son extérieur.
Après avoir poussé de lourdes portes vitrées bardées d’énormes poignées en bronze, le hall, assez bas de plafond, s’étire très profondément sous la salle. Ses lignes sont pures sans être dépouillées, ses volumes s’emboîtent simplement mais harmonieusement, on circule aisément d’un espace à l’autre. Les matériaux et les finitions sont de bonnes qualités, les couleurs restent discrètes : granits gris des marches et noir autour des vestiaires et des bars, moquette beige, plafond blanc, mais aussi murs bleu foncé des étages.
Deux larges escaliers montent de part et d’autre du hall et se divisent dans l’air pour distribuer les différents accès à la salle. La grande fresque peinte que l’on voit de la place à travers la « façade-vitrine » se trouve sous la coque de la salle de concert proprement dite. Elle présente à mon avis des couleurs et un graphisme agressifs qui jurent cruellement avec le lieu dans lequel elle se trouve, elle est pour moi tellement peu attractive que je suis incapable de dire ce qu’elle représente ! Laissant derrière soi cette peinture sans objet et sans âme, à l’abri de la grande façade en verre, on surplombe l’Augustus-Platz et vu d’ici la rigueur de l’Opéra parait moins écrasante.

Les accès à la salle sont clairs et bien signalés, je me dirige sans difficulté vers la porte A et arrive au niveau du parterre droit, à quelques mètres de ma place située au 3ème rang sur le côté. Le volume de la salle est certes impressionnant, mais curieusement je m’imaginais que c’était encore plus grand ! Ce qui surprend le plus est cette habitude, comme au Concertgebouw d’Amsterdam dans un tout autre genre, de mettre des spectateurs sur les côtés de la scène et surtout derrière elle, de part et d’autre d’un orgue vraiment gigantesque. En dehors de l’aspect purement économique, cela traduit-il ici le prestige du chef d’orchestre et le désir de le voir diriger ? La scène se trouve donc entourée, comme l’arène antique, de trois balcons pentus et d’un parterre très incliné au-dessus duquel grimpent encore deux niveaux de balcons.
Si le matériau dominant est le bois, son aspect est peut-être un peu trop varié : parquet beige pour les sols du parterre et de la scène, panneaux verticaux de bois teint en vert foncé, sièges en bois marron et velours rouge. Les rebords blancs des balcons sont bien marqués et très épais, la salle est fermée par un haut plafond beige animé par les inclinaisons des abat-sons.
Les lignes de l’ensemble sont bien dessinées et très géométriques ; on a vraiment l’impression d’être à l’intérieur d’une boîte dans laquelle de nombreux tiroirs jouent de biais et sans heurt.

Dès l’entrée dans le Gewandhaus, le public surprend par son homogénéité. La moyenne d’âge tourne autour de 65-70 ans, les hommes portent un costume noir, et les femmes, en jupe ou en pantalons, sont également vêtues de noir relevé d’un foulard ou d’un gilet de couleur. L’ambiance générale est agréable, simple et légèrement détendue. Je ne croise pas vraiment de « jeunes » (moins de 25 ans), et pas d’« étrangers » (visibles) non plus…

Les premiers, les choristes prennent places sur deux rangs : les femmes entrent par la droite et les hommes par la gauche, en deux longues files qui serpentent et se croisent au centre de la scène. Les instrumentistes s’installent et le premier violon donne rapidement le la. Les musiciens sont assez jeunes, la majorité d’entre eux a autour de 40 ans.

Puis les solistes entrent à leur tour, suivis du chef. Rapides saluts et applaudissements brefs, les chanteurs s’essayent sur le devant de la scène de part et d’autre du chef, de gauche à droite : Jésus, la soprano, l’alto, le chef sur son podium, le ténor, la basse, l’Evangéliste.
Tout le monde, musiciens et spectateurs, est en place, il est 20h05 et la Passion selon Saint Jean débute.

Cette œuvre a été créée en l’église Saint-Nicolas de Leipzig, c'est-à-dire à quelques pas d’ici.
C’était pour les Vêpres du vendredi saint, un certain 7 avril 1724, soit à un jour près, il y a 282 ans (comme cette œuvre est rejouée ici demain, le compte sera encore plus juste).

Cette Passion selon Saint Jean semble moins célébrée que la Passion selon Saint Matthieu composée cinq ans après et dans l’ombre de laquelle elle reste un peu. Bien que plus courte, elle est d’un abord plus difficile, elle comporte moins d’arias, les thèmes musicaux sont moins aisés à retenir et les récitatifs plus « austères ».

Si cette Passion est moins « évidente » que sa cadette, pourtant dès le chœur d’entrée, le « Herr » répété par les sopranos sort magnifiquement de la masse sonore et prouve, s’il en était besoin, qu’elle « mérite » de notre part cet effort supplémentaire.

Passé le premier choc, ce qui frappe maintenant c’est l’acoustique. Les sons se dispersent rapidement, ils sont mats, mais surtout trop mélangés pour que je distingue bien les différents instruments. Je suppose que cela est dû à la place que j’occupe, très proche de la scène, à son niveau et sur le côté. On entend trop les bois, en particulier les hautbois, ils masquent la netteté des cordes qui arrivent complètement brouillées (violons et altos indissociables), même si c’est un peu mieux pour les violoncelles. D’autre part, cette curieuse acoustique produit parfois sur les chœurs un effet de décalage dans l’arrivée des sons, notamment pour les graves qui arrivent en avance (mais pourtant ce n’est pas à cause des choristes !).

Mais voici le premier récitatif : l’Evangéliste du ténor Werner Güra est superbe. Sa voix claire et légère est magnifiquement nuancée tout en restant d’une grande sobriété. L’écouter dans les récitatifs même les plus longs est un réel plaisir, il trouve de beaux accents, et ne manque pas d’évoquer une profonde tristesse avec le « ei » bien étiré de « weinete bitterlich » (« il pleura amèrement »).

Le Jésus de la basse Konrad Jarnot est très digne, sa voix est ample et posée, et bien qu’il remplace au pied levé le chanteur initialement prévu sa prestation est parfaite.

Arrive le premier aria de la Passion, celui de l’alto. Nathalie Stutzmann apparaît très contractée. Dans ce premier air, elle manque cruellement de puissance, et les rimes en « -en » se perdent dans un orchestre qui malgré le « chut » du chef couvre trop sa voix, en particulier le basson et le contrebasson. Quelques belles intonations cependant, sur le « von » du début de l’air, un « a » bien ouvert dans « Lasterbeulen » et sur le « Lässt », et pour finir l’aria, le « -en » du « gebunden » final plus profond et mieux en gorge que les autres.
La contralto doit attendre son aria de la seconde partie de l’œuvre pour se libérer et retrouver ses couleurs habituelles.
Cet aria tient un rôle particulier puisqu’il reprend la dernière parole de Jésus expirant sur la croix : « Es ist vollbracht ! » (« Tout est accompli ! »). Il est amené très dramatiquement par Riccardo Chailly qui ménage un profond silence entre la parole de Jésus et les premières mesures du violoncelle qui accompagne le début de l’aria de l’alto. Ce court instant est rendu encore plus impressionnant par la qualité du silence, réellement religieux, qui émane du public.
Et dans ce moment si particulier, le violoncelle prépare l’écrin sonore qui convient le mieux à Nathalie Stutzmann. Elle débute l’aria par un « Es » à l’intonation exceptionnelle et si douce, poursuit avec un beau « -en » sur « Seelen », fait un trille raffiné sur le « u/ou » de « Stunde » et rend magnifiquement le « a » de « Trauernacht » : il est étiré le plus possible, le plus neutre possible, sans vibrato mais avec un très léger crescendo pour exprimer la longueur de l’agonie de cette « nuit de deuil ».
Contrastant avec ces paroles de douleur, l’aria est animé en son centre par deux vers chantés rapidement, glorifiant le « héros du royaume de Judée », la contralto y vocalise avec aisance, puis avec une très émouvante reprise du « Es ist vollbracht », elle conclue l’aria par un « t » final se détachant délicatement sur la résonnance de la dernière note de l’orchestre.

La soprano Simone Kermes contraste avec les autres solistes par une attitude beaucoup plus démonstrative lorsqu’elle chante. Elle tient sa partition très haut et en avant, tantôt vers le public, tantôt vers le chef. Elle joue particulièrement son premier aria « Je te suivrai également d’un pas joyeux ». Accompagné de flûtes traversières en ébène qui donnent une impression de légèreté, il se prête beaucoup plus facilement à l’extériorisation que ceux des autres solistes. La voix de la soprano est fraîche et agréable dans les aigus, même si je trouve que son articulation n’est pas toujours très précise.
Dans son deuxième aria, elle tient très élégamment la note sur les voyelles de « ZErfliesse, meine HErze, in FlUten der ZÄhren » (« DEborde, mon Âme, dans le flOt des lArmes ») et réalise de concert avec le hautbois un effet que je n’avais jamais entendu auparavant. Sur le « o » de « tot » (« Dein Jesus ist tot ! / Jésus est mort ! »), elle fait plusieurs fois de suite un rapide crescendo-decrescendo : « toOoOoOot », ce qui évoque un écho vraiment saisissant.

Le ténor Kenneth Tarver possède une voix au timbre pur et léger, mais un peu fausse dans les aigus. Malgré cela, il est très émouvant dans son deuxième aria, la montée sur les « Erwäge » et les « Daran », même si elles ne sont pas toujours très fermes, présentent de beaux sons bien tenus et peu vibrés. Il faut dire qu’il n’est pas vraiment aidé par les deux violes d’amour qui au lieu de soutenir ses aigus doivent plutôt les déstabiliser puisqu’elles jouent un peu faux !

La voix de basse de Mathias Hausmann est agréable et puissante, notamment dans les récitatifs, mais devient souvent fausse dans les aigus : le « Eilt » de son premier aria avec Chœur, pourtant souligné magnifiquement par les précis « Wohin, wohin » du chœur, très pianissimo et très haut.

Riccardo Chailly m’a fait une curieuse impression.
On ressent fortement l’attention qu’il porte aux voix, aux choristes qu’il a profondément remerciés à la fin de l’œuvre par un geste proche de la prière, comme aux solistes qu’il « accompagne » en prononçant en même temps qu’eux leurs paroles. Qu’il dirige tantôt avec une baguette, tantôt sans, il « surveille » ses musiciens avec bienveillance, sans marque d’autorité, ni froncement de sourcil désapprobateur. Malgré (ou à cause de ?) cette attitude plutôt sympathique, il ne dégage pas vraiment de charisme et on ne sent pas souvent la force de ses intentions.
Je trouve que son interprétation de cette Passion selon Saint Jean est un peu trop conventionnelle comme si le mouvement baroque n’existait pas et n’avait rien apporté. Malgré les instruments baroques employés, les sonorités obtenues restent classiques, un peu comme j’imagine qu’on jouait cette musique il y a 20 ou 30 ans… Je ne m’attendais certes pas à entendre quelque chose d’« original » ou de « décapant » (!), mais j’aurais souhaité être un peu plus surprise par un trait mis en lumière par le chef ou par une phrase instrumentale encore jamais entendue.
Je reconnais cependant deux « effets » qui vont dans le sens de ce que « j’attends ». Ils concernent les chœurs, et l’articulation musicale qui est donnée à la fin d’un mot pour le couper brusquement. Dans les chorals n°28, le « O Mensch » coupé court, et du même ordre bien que le sens ici ne semble pas le justifier autant, dans le n°37, à la fin du « Dafür ». J’apprécie également, comme pour la voix seule, que le jeu avec les sonorités du texte soit mis en avant par l’interprétation, comme l’allitération sur le « k » bien soulignée par les choristes dans la phrase : « Wir haben keiner König denn den Kaiser » (« Nous n’avons de roi que César »).
Dans le même ordre d’idée, je souhaite signaler la phrase du Chœur n°27b : « Lasset uns den nicht zerteilen, sondern darum losen, wes er sein soll » (« Ne la déchirons pas [la tunique de Jésus], mais tirons au sort à qui elle sera »). Le chœur l’a chantée très piquée, très « rebondissante », dans une superbe et précise polyphonie.

Et enfin, les deux derniers « morceaux », les n°39 et 40, voient les chœurs s’étirer dans une grande douceur pleine de nuances, puis quitter peu à peu le profond recueillement pour s’épanouir dans un subtile crescendo final.

Pendant toute l’œuvre, le public est resté très silencieux et très attentif au texte (quelle chance de le comprendre sans traduction !). Il n’est pas concevable ici de tousser ou même de s’agiter un peu entre les morceaux.

Aussi, le silence fait à la fin de la première partie, avant l’entracte, est extrêmement impressionnant ; le public met quelques interminables secondes avant de se manifester, c’en est presque gênant pour les musiciens : les solistes sortent déjà de scène quand le public commence à applaudir. Est-ce parce qu’il s’agit d’une œuvre religieuse, et que malgré son exécution profane, elle garde un statut particulier, ou bien est-ce parce que les auditeurs sont vraiment très « dans la musique », ou plus simplement parce qu’ils ne savent pas quoi faire, faut-il applaudir ou non ?

A la fin de la Passion, le problème ne se pause pas, le public applaudit rapidement. Le chef fait saluer les chœurs très fêtés, puis les instrumentistes solistes et les groupes d’instruments. Salut général pour les six solistes, qui après être restés si concentrés à la vue de tous, se détendent visiblement et discutent entre eux en souriant. 4 ou 5 rappels sans « bravos » ramènent le chef et ses chanteurs sur scène, sous des applaudissements importants qui s’adressent à l’ensemble des musiciens.

C’est une joie vraiment particulière d’écouter Bach ici, au Gewandhaus de Leipzig, et malgré cette vision très classique, je sais que je n’oublierai pas cette très grande expérience !


S. Eusèbe, 8-10 avril 2006.



11. Le lundi 10 avril 2006 à , par DavidLeMarrec

O joie !

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