Werther à Bordeaux - I
Par DavidLeMarrec, mardi 30 mai 2006 à :: Disques et représentations - Opéra romantique français et Grand Opéra :: #251 :: rss
Représentation du 29 mai. Compte-rendu coupé en deux. Ce qui a sauvé la soirée.
Livret : Édouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann, d’après le roman épistolaire de Goethe
Musique : Jules Massenet
Direction musicale : Pascal Verrot
Mise en scène : Jean-Louis Pichon
Décors : Alexandre Heyraud
Costumes : Frédéric Pineau
Lumières : Michel Theuil
Charlotte, Lola Casariego
Sophie, Henrike Jacob
Werther, Gilles Ragon
Albert, David Grousset
Le Bailli, Christian Tréguier
Schmidt, Ivan Matiakh
Johann, Jean Ségani
Orchestre National Bordeaux Aquitaine Chœurs d’enfants du C.N.R. de Bordeaux
Je n'aime pas les critiques négatives. Elles sont souvent le masque de l'incompréhension de celui qui les formule ; au fond, ne pas aimer est un aveu d'incapacité à appréhender ce qui s'est dit d'intéressant.
Pourtant, j'ai beau faire, les impressions rapportées de ce Werther sont pénibles. A plusieurs titres.
Je commence par ce qui a sauvé la soirée. Tout d'abord, l'écriture des deux derniers actes, qui fonctionne véritablement toute seule : même massacrée, le 'raptus' est là[1]. Le temps, au train si calme, s'accélère, se resserre. On ne peut qu'être captivé, pour la centième fois, par l'abîme entrouvert entre l'impossible, l'interdiction, et la présence, là, au même endroit, des deux êtres pour qui tout semble matériellement possible, tout de suite.
Il y a là, surtout dans l'écriture musicale, un certain vertige, qui ne tient pas tant au lyrisme de la passion (le schéma en est plus que connu : le baryton empêche le ténor de coucher avec le premier rôle féminin, alors qu'elle l'aime), mais plutôt à la coexistence permanente au cours du troisième acte de ces deux principes : l'interdiction définitive et la présence immédiate. Entre l'austérité polie des récitatifs de Charlotte et l'explosion qui suit Pourquoi me réveiller ?.
Ensuite, le très bel Albert de David Grousset - qui travaille en troupe depuis assez longtemps à Bordeaux. Le début sonne assez ténorisant (on penserait à une voix de taille), avec un aigu très clair, mais la voix se chauffant, on entend toujours plus présent un médium intense. On saluera la diction parfaitement intelligible, et très soignée quant à la concordance avec le sens. Le Sans doute. qui clôt son rôle est une merveille d'ambiguïté et de sobriété. Le timbre, en lui-même, est agréable, et on note des progrès immenses par rapport à ses prestations antérieures, déjà de très bonne tenue, mais moins personnelles et moins attachantes.
De toute évidence, ce répertoire français est son répertoire d'élection, et l'on se prend à rêver qu'on lui confie un premier rôle dans une oeuvre peu jouée. Je ne sais pas, une version française du Vampyr de Marschner, Soliman dans La Reine de Saba de Gounod, Fabius Maximus dans Roma de Massenet, Scindia dans Le roi de Lahore du même, ou même Athanaël, si on a peur de l'originalité. Si j'étais perfide, je dirais que si son agent passait ses journées à autre chose que d'essayer de pourrir la vie des gens pour asseoir son royaume virtuel, David Grousset en serait beaucoup plus loin. Mais n'étant pas perfide, le réalisme me force à reconnaître que la concurrence est rude, puisque nous disposons d'un grand nombre d'excellentissimes barytons capables d'assumer ce répertoire - Jean-Philippe Marlière, François Le Roux, Stéphane Degout, Ludovic Tézier, Marc Barrard, etc.
La direction musicale de Pascal Verrot était aussi un sujet de satisfaction. Un travail imparfait, sans doute faute de répétitions, mais on aura pu remarquer quelques fulgurances, avec de très belles cordes douces, avec une recherche d'écho, voire de provocation de l'action scénique tout à fait intéressante.
Tirer quelque chose de l'orchestre assez indolent de l'ONBA[2] est une performance en soi, et ici la réalisation est en outre intelligente. Aussi, on ne portera pas grief grief au chef pour les bois plus prodigues en souffle qu'en son, souvent en décalage, pour les cuivres gras et pétaradants (qui ont manqué de s'étouffer de rire pendant un des monologues de Ragon). Son travail est de qualité, et l'ensemble, à moins de chercher le détail, est tout à fait satisfaisant, avec un son professionnel et un rendu tout à fait convaincant.
Et on citera le saxophone alto solo comme un sujet de satisfaction en soi ; un son magnifique, des phrasés d'une grande élégance - alors qu'il se trouve dans les passages les plus potentiellement dégouilinants de la partition. Bravo à lui.
Pour finir, bien entendu, bon point aussi que la conversation de qui se reconnaîtra en lisant (peut-être) ces pages.
Commentaires
1. Le mardi 30 mai 2006 à , par Ouf
2. Le mardi 30 mai 2006 à , par DavidLeMarrec
3. Le samedi 23 novembre 2013 à , par David
4. Le samedi 23 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec
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