Une question fondamentale qui m'a toujours chiffonné à l'écoute de Lakmé. Comment Lakmé fait-elle pour parler si bien l'anglais ?
Rappel de l'intrigue en deux mots : Un jeune officier britannique, déjà fiancé, rencontre la fille d'un brahmane en guerre contre les Anglais. Ils s'aiment jusqu'à ce que Gérald la quitte pour rejoindre l'armée. Je vous passe les subtilités qui dépassent mon propos.
La convention permet sans trop de peine d'imaginer que le français est une traduction pour la langue des personnages, ce qui donne au compositeur et au librettiste le pouvoir de présenter un drame compréhensible pour le spectateur ou à tout le moins (lorsqu'il s'agit d'une langue étrangère au public, ou qu'elle est mal prononcée) pour eux.
Mais comment le délicat badinage du couple de jeunes premiers, avec ses préciosités déjà seulement rendues vraisemblables par l'artifice du français, peut-il être crédible dans cette configuration ? Gérald, tout fraîchement arrivé, ne peut parler le dialecte précisément employé par Lakmé. Et inversement, je doute que les filles de brahmanes orthodoxes aient reçu pour première consigne de soigner leur anglais.
Bref, le fondement même de l'argument du livret (le dialogue amoureux, très bavard ici) s'effondre avant d'avoir commencé. J'ai toujours été très perplexe là-dessus. Est-ce une déformation, ou ai-je des semblables qui en souffrent semblablement ? La question est ouverte.
Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de lister les invraisemblances lourdes de la littérature théâtrale. Tout est possible avec la convention (résurrection de Castor, invocations des enfers, un roi dans une armoire, chanter ou déclamer à pleins poumons un quart d'heure après avoir été frappé en plein coeur, etc.). Sauf qu'ici, la convention ne donne pas les clefs pour oublier cette invraisemblance, avec une action qui se veut relativement réaliste [1]. Rien n'est prévu pour oublier ce vice de construction.