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Die Enführung aus dem Serail - Minkowski, Aix 2004 (télédiffusion)

Plusieurs gros projets (et quelques grosses notes en préparation) ralentissent le rythme de publication ici même. Manière de ne pas délaisser ces pages trop longtemps désertées, j'enfreins ma ligne éditoriale habituelle qui préfère s'intéresser à des sujets autant que possible réutilisables, plutôt sur les oeuvres que sur les représentations.

Un compte-rendu de cette télédiffusion, à une heure ce matin, de l' Enlèvement au Sérail de Mozart à Aix-en-Provence (millésime 2004).


Europa Chor Akademie
Chef de chœur : Joshard Daus
Les Musiciens du Louvre
Direction musicale : Marc Minkowski

Mise en scène : Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff
Décors et costumes : Macha Makeïeff

Konstanze : Malin Hartelius
Blonde : Magali Léger
Belmonte : Matthias Klink
Pedrillo : Loïc Félix
Osmin : Wojtek Smilek
Selim Bassa : Shahrokh Moshkin-Ghalam

Figurants : Jean-Marc Bihour, Robert Horn-Wilson, Hervé Lassïnce, Patrice Thibaud, Luc Tremblais, Félix Deschamps




Personnellement, je n'aime guère l'Enlèvement, dont je trouve la musique globalement assez médiocre et le livret des plus indigents - cousu de fil blanc, mais sans la fraîcheur ironisante d'un opéra-comique. Pourtant, cette version m'a vraiment permis, pour une fois, d'être captivé. Alors même que la critique s'était montrée très loin d'être délirante.


La mise en scène de Jérôme Deschamps (ironie de le voir saluer aux côtés de son rival pour l'Opéra-Comique) et Macha Makeïef (dont les talents de chorégraphe font ici merveille) saisit à merveille ce qui peut être tiré de l'oeuvre, avec quelques excellentes trouvailles : figurants omniprésents dans ce qui est censé être un lieu de secret clos, matérialisation très utile du lieu de rétension des belles, dans une tour de Babel un peu ridicule. La direction d'acteurs est extrêmement fluide, et contrairement aux habitudes, ne se concentre pas sur les dialogues (extrêmement coupés !) mais sur les airs, les rendant beaucoup plus habités. Certes, elle ne vise pas à apporter de la signification sur les motivations des personnages, mais elle exalte bien ce côté opéra-comique, ces bons sentiments un peu niais, sans arrière-pensée.
Une fort belle réussite qui rend cette succession de numéros bien plus souple et digeste, là où la bande son de cette soirée n'aurait probablement pas suffi.

L'autre réussite, et non la moindre, est la direction de Marc Minkowski. Je n'ai jamais entendu cette musique ainsi ! Non seulement chaque pupitre est audible à tout instant, non seulement le sens de la danse est omniprésent, mais en outre la personnalité des couleurs et du ton apportent l'enthousiasme à la seule audition de l'orchestre - ce qui est tout de même une gageure dans une telle partition !
Ce type rendrait une intégrale Philip Glass vivable.


Pour les interprètes vocaux, c'est assez moyen. Surtout en termes de projection, l'impression qu'on devait très mal les entendre dans la salle, surtout derrière les harmoniques très riches des Musiciens du Louvre.
Malin Hartelius (Konstanze), malgré un Marten allen arten impersonnel, qu'on sent très prudent, réussit des ensembles lyriques de toute beauté. Largement enrichis, de toute évidence, par un rayonnement scénique (maintien aristocratique) qui laisse penser qu'une radiodiffusion serait nettement moins éloquente. Loïc Felix (Pedrillo), avec une voix très naturelle, force en permanence, mais si la prestation doit être épuisante pour lui, le résultat pour l'auditeur est personnel et tout à fait charmant. Inhabituellement, le rôle de Selim est très sollicité, et Shahrokh Moshkin-Ghalam en sort avec une force de conviction et une finesse des poses très inhabituelles.

L’allemand est globalement exotique dans les dialogues – ou malmené dans les airs pour les germanophones. Mais vu leur brièveté, ce n’est nullement rédhibitoire. Juste amusant. On devine instantanément que Loïc Félix est américain et Shahrokh Moshkin-Ghalam très 'sudiste', malgré leurs efforts tout à fait plaisants d’habiter leurs répliques.

Le reste est hélas bien moins convaincant. Magali Léger. Le rôle de Blonde n’est pas si difficile, et on regrette que ce grand potentiel soit peu exploité. Très mobile scéniquement, elle chante de façon assez savonnée, et sans aucune consonne. Lorsqu’on a entendu sa Proserpine tout à fait intelligible, on fronce méchamment le sourcil.
Matthias Klink (Belmonte) est assez épouvantable, comme en Tamino à Schwetzingen : voix contrainte, il chante souvent très bas, en attaquant systématiquement par en-dessous, en déformant la prononciation, sans caractériser nullement ce qu’il peut dire. La parodie du ténor seria mozartien d’il y a trente ans, en bien plus mauvais. On croyait à une carrière bien plus confidentielle. Ce qui gêne n’est pas tant la médiocrité du chant qu'une incarnation absolument dépourvue d’idées et de jeu, hélas.
Quant à Wojtek Smilek (Osmin), entendu dans le Barde de Sigurd (Montpellier 1993 ; sans grand relief, mais correct), il est sans doute plutôt baryton que basse profonde ! Outre que là non plus, on ne saisit rien en dehors de la routine, la voix est vraiment sans intérêt pour une basse. Il devrait tenter les barytons, il trouverait peut-être sa vraie voix.

Sur le plan vocal, ce n’est donc pas une splendeur, comme l’avait souligné avec bien de la cruauté la critique à l’époque.

Pour ma part, malgré ces faiblesses individuelles, l’ensemble, en particulier grâce au chef et à la mise en scène, fonctionne parfaitement, et on aurait tort de faire la fine bouche. Pour la première fois, j'ai pu me rassasier avec l’ Enlèvement – dont je persiste à ressentir comme criantes les faiblesses. Belle performance[1] donc !

Notes

[1] Et pas dans le sens de l'anglicisme !


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Commentaires

1. Le jeudi 13 juillet 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Hello, David :-) !

Je suis toujours dans les parages et je viens de lire avec plaisir votre commentaire de l’Enlèvement. Malheureusement, je l’ai raté, je ne surveille pas très bien les programmes…

A vous lire, j’apprécie de voir votre méthode pour critiquer ce type de performance (française ou anglaise au choix ;-)), ça peut me donner des idées pour plus tard ! Et tient, tient, je crois comprendre que vous n’aimez pas trop les opéras (ou/et tout le reste ?) de Ph. Glass ?!!! Et que veut dire «chanter de façon savonneuse » ? Inarticulé, sans relief, sans nuance, en faisant des bulles ?
La semaine dernière je n’ai pas raté le programme musical de la télévision qui était fort chargé : Carmen, puis un concert-démonstration Domingo/Villazon/une soprano dont je n’ai retenu ni le nom ni la voix, le tout en direct de Berlin, et également La Clémence de Titus (Opéra Garnier, 2004 ou 2005). Dans un genre forcément différent, j’ai vraiment bien aimé les deux opéras : voix et jeu de bonne tenue dans l’un et l’autre. Je ne me souviens pas du nom de la chanteuse qui faisait Carmen, mais j’ai apprécié son jeu naturel, sans ce côté « aguicheur » (pour rester correcte) souvent énervent dans ce rôle ; elle tient tête à R. Villazon très émouvant dans la rose qu’elle lui a jetée. Le seul bémol est à mon avis les chœurs masculins du début du 1er acte, agressifs et pas justes dans les aigus… Quant à la Clémence, je retiens les costumes d’une grande élégance, ainsi que la scène où Titus demande à Sesto pourquoi il l’a trahi : ce cher Ch. Prégardien et S. Graham (envers qui ne n’avait pas un a priori très favorable malgré le bon souvenir que m’avait laissé son Compositeur) atteignent par leur jeu très concentré et leur chant droit et simple une très belle intensité dramatique !

Bon courage pour vos articles de fond en préparation. S ki pr an vac ans (ankor)

2. Le jeudi 13 juillet 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Sylvie !

Je vous croyais en vacances, à vrai dire !


Je suis toujours dans les parages et je viens de lire avec plaisir votre commentaire de l’Enlèvement. Malheureusement, je l’ai raté, je ne surveille pas très bien les programmes…

Je ne l'ai vu pour ma part que me trouvant par hasard à ce moment dans un lieu pourvu de télévision !

Pour les programmes, je peux faire des annonces...


A vous lire, j’apprécie de voir votre méthode pour critiquer ce type de performance (française ou anglaise au choix ;-)), ça peut me donner des idées pour plus tard !

Je crois que vous n'avez plus besoin de cours sur ce chapitre depuis fort longtemps !


Et tient, tient, je crois comprendre que vous n’aimez pas trop les opéras (ou/et tout le reste ?) de Ph. Glass ?!!!

Moi ? Ooooh, c'est mal me connaître. [souriard qui essaie de sourire niaisement]

Oui, Philip Glass a, à mon sens, un succès très largement dû au fait qu'on s'achète une bonne conscience en achetant de la musique contemporaine pourvu que ça ne soit pas plus complexe que de la techno. Tout n'est pas à jeter, certes, mais de là à avoir une Glass édition en série économique, on n'est pas loin de la mystification.

Glass est l'un des très rares compositeurs pour lesquels je n'ai vraiment guère d'estime. Il rejoint en cela l'autre monument de vacuité musicale qu'est le Chevalier de Saint-George (mais qui ne se prétendait pas, lui, compositeur).


Et que veut dire «chanter de façon savonneuse » ? Inarticulé, sans relief, sans nuance, en faisant des bulles ?

On parle de coloratures savonnées lorsqu'elles sont réalisées très approximativement, dans un legato excessif, au point de dégouliner.
Ici, je voulais dire que les notes n'était pas bien individualisées, et qu'entre le point de départ de l'attaque et son point d'arrivée, il y avait un monde. Ce n'était pas très "propre", ce qui est un peu fâcheux pour un rôle dépouillé comme celui de Blondchen. Mais ce n'était pas indigne dans l'absolu, juste de la part de Magali Léger qui a à mainte reprise montré qu'elle était capable de beaucoup mieux.


La semaine dernière je n’ai pas raté le programme musical de la télévision qui était fort chargé :

Et que je n'ai pas pu voir, faute de téléviseur. Je crois que je devrais pouvoir mettre la main sur les enregistrements vidéo.


Carmen, puis un concert-démonstration Domingo/Villazon/une soprano dont je n’ai retenu ni le nom ni la voix,

Il s'agissait d'Anna Netrebko, la pauvrette. Ce n'est pas très personnel, certes, mais c'est tout de même plus que probe. Très régulièrement la partenaire de Villazon (Traviata, Elisir...), au passage. Deutsche Grammophon a eu la triste idée de lui faire tourner des clips façon starlette de la chanson pop, à ses débuts, ce qui fait que depuis, le débat porte uniquement sur son physique et sur le fait qu'elle aurait été choisie uniquement pour.
Ce qui est franchement calomnieux vu son niveau technique...


le tout en direct de Berlin,

J'imagine qu'il y a eu peu d'extraits de la Lorelei de Catalani ou du Fischer de Schoeck... C'est généralement le problème de ces récitals : bien peu de découverte. Cela dit, étonnamment, la dernière mouture des Trois Ténors avait réussi à glisser quelques oeuvres rarement données en concert.


et également La Clémence de Titus (Opéra Garnier, 2004 ou 2005). Dans un genre forcément différent, j’ai vraiment bien aimé les deux opéras : voix et jeu de bonne tenue dans l’un et l’autre. Je ne me souviens pas du nom de la chanteuse qui faisait Carmen, mais j’ai apprécié son jeu naturel, sans ce côté « aguicheur » (pour rester correcte) souvent énervent dans ce rôle ; elle tient tête à R. Villazon très émouvant dans la rose qu’elle lui a jetée.

Amusant, j'ai lu exactement l'inverse. Mais il faut dire que c'est dans un nid de mélomanes souvent du genre à exécrer tout ce qui n'est pas l'excellence.

Le seul bémol

Pourtant, il me semble qu'il y a plusieurs passages en ut mineur, ça en fait au moins deux. [Pardon.]


est à mon avis les chœurs masculins du début du 1er acte, agressifs et pas justes dans les aigus… Quant à la Clémence, je retiens les costumes d’une grande élégance, ainsi que la scène où Titus demande à Sesto pourquoi il l’a trahi : ce cher Ch. Prégardien et S. Graham (envers qui ne n’avait pas un a priori très favorable malgré le bon souvenir que m’avait laissé son Compositeur) atteignent par leur jeu très concentré et leur chant droit et simple une très belle intensité dramatique !

Graham est généralement un remarquable Sextus. D'une manière générale, elle s'est hissée à un niveau d'excellence assez constant, quoi qu'en disent ceux qui lui trouvent un relatif manque d'envergure - difficile à accepter après sa Didon de Berlioz au Châtelet !

Petite remarque : c'est très clair dans ce contexte, mais un son "droit" est, techniquement parlant, un son sans vibrato, poussé, qui n'est ni "rond" ni "fini".


Bon courage pour vos articles de fond en préparation.

Bah, c'est un plaisir. :-)


S ki pr an vac ans (ankor)

Je vois que vous écrivez couramment le SMS, toutes mes félicitations. Cependant, je doute que cela vous soit d'une grande utilité au Cambodge.

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