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Michel Onfray, les Ultras des Lumières et l'illusion d'optique

Sur France Culture, diffusion des conférences données par Michel Onfray à l'Université Populaire de Caen cette année.

Ce travail est d'une pédagogie et d'une clarté remarquable, aussi je ne puis qu'en recommander l'écoute à qui ne maîtriserait que vaguement les philosophes du XVIIIe siècle.

En revanche, quelques points de méthode m'ont étonné. Des points qui, je dois le dire, disqualifient en partie la démonstration - à défaut des données factuelles, réellement intéressantes et qui justifient l'écoute quoi qu'il en soit.


Tout d'abord, la présence permanente de présupposés militants (un peu simplistes). L'Eglise c'est mal, l'athéisme c'est bien. Soutenir la peine de mort, l'esclavagisme, la royauté, l'exclusion des femmes, le racisme, la démocratie censitaire, c'est mal. L'inverse étant le gage du progrès. Bref, le remake du Manifeste d'Euston. Ceci pose plusieurs problèmes, et j'imagine qu'en tant qu'amateur d'art et de lettres, je suis d'autant plus gêné par cette posture moralisatrice. Même si la morale réflexe n'est pas de la philosophie.




Premier corollaire, une certaine cécité historique : Voltaire est méprisable parce qu'il n'aimait pas les athées. On peut trouver bien des reproches à faire à Voltaire, dont parfois une faiblesse de la pensée, ou des positions hypocrites ou faciles, mais l'attaquer sur le plan de l'anti-athéisme est peut-être prendre une cible erronée : il n'était pas, de loin, le pire de ses contemporains. Faire de grands philosophes les seuls qui pensent comme lui, dire que l'homme du XVIIIe siècle, avec ses connaissances d'alors, aurait dû rire de l'enfer et renverser tyrannie et bourgeois tout ensemble, c'est facile depuis le XXIe siècle, mais c'est s'aveugler sur la réalité historique, plaquer des oppositions contemporaines sur l'histoire. Un trompe-l'oeil.

En outre, ce trompe-l'oeil est gênant par son absence d'humilité dans la perspective. Pour un fervent admirateur de Nietszche, c'est bien en oublier sur la généalogie ! Tout est relu à partir du XXIe siècle qui, il est bien connu, dispose de toutes les bonnes réponses à tous les questionnements philosophiques. Michel Onfray peut ainsi courageusement reprocher aux matérialistes de ne pas avoir été assez athées et d'avoir refusé de se faire brûler, depuis sa chaire, devant un public acquis à ce qui nous paraît désormais du bon sens.
De surcroît, cette vision centrée depuis le présent appauvrit considérablement la bonne intelligence de ces pensées, les non-dits évidents pour l'époque, les cadres psychologiques incontournables... Ce sont des choses qui ne passeraient pas chez un historien, un lettreux ou un arteux. C'est faire de la philosophie un pur jeu de la pensée depuis le présent, où l'on s'amuse à bretter à armes inégales avec les grands noms du passé. Je peux aussi tourner en dérision les certitudes d'Euclide, moi qui ai sous la main Lobatchevsky et Riemann... La question est l'utilité de cette relecture, pas la « victoire » prétendue que je pourrais remporter sur eux.
Cet aspect moralisateur et revanchard me semble donc, en plus d'être peu courageux et créatif, assez néfaste à la richesse du propos.

Pour finir, la cerise sur le gâteau que je n'aurais jamais cru entendre à ce niveau. Kant est disqualifié, certes parce qu'il méprisait les femmes et les noirs, qu'il aimait trop le monde bourgeois, mais par dessus tout ? Tenez-vous bien, vous ne lirez plus Kant pareil. Parce qu'il était l'auteur préféré d'un n-a-z-i.
L'argument de la disqualification par le statut d'un lecteur à 150 ans d'intervalle, surtout venant de la part d'un défenseur de Nietzsche, est pour le moins cocasse. Il paraît que Milton Friedman aurait lu Marx dans sa jeunesse. C'est bien la preuve que le marxisme n'est qu'un courant néolibéral, au fond...
En plus d'avoir vaillamment sollicité l'aide de Godwin, le ridicule de la théorie jette le discrédit sur la rigueur de sa méthode philosophique. Dommage pour le reste, qui est réellement intéressant. Vous aurez noté que ce qui est derrière les fagots a ma sympathie, un peu de curiosité ne nuit pas.




Bref, quelques réserves sur une démonstration avortée, mais le contenu factuel de la conférence est réellement accessible à tous, et intéressant. C'est le plus important, vu la nature du cours : instruire plutôt que convaincre. Alors nous dirons que ce militantisme a le mérite de sa franchise et de sa bonhommie, et qu'il n'empêche pas de jouir des connaissances apportées. Merci donc à Michel Onfray, et à France Culture qui diffuse toute l'année des conférences sur tous sujets.


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Commentaires

1. Le lundi 31 juillet 2006 à , par Inactuel :: site

Bonjour,
je suis tout à fait d'accord avec vous.
Cette série de cours est passionnante mais quelques fois très irritante.
A trop combattre le Dogme, M.O. est devenu dogmatique.
D.

2. Le lundi 31 juillet 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Denis !

Oui, c'est une caractéristique de certains athées. Il faudrait créer deux catégories : athée indifférent, et athée militant. Et peut-être même l'athée prosélyte.

Les militants (dont je comprends par ailleurs tout à fait la démarche) sont assez attendrissants dans leur rage parfois bien peu rationnelle. Certains le font avec mesure, d'autres comme Michel Onfray en font une foi. Un homme bon est forcément athée, tout croyant est forcément borné et mauvais, c'est ce qu'il dit dans sa conférence. Et plus encore, c'est le critère pour juger de la qualité d'un philosophe !

Un peu comme l'Index jugeait les livres selon leur contenu idéologique et non leur qualité - sauf que Michel Onfray est censé enseigner la philosophie.

On peut tout à fait défendre l'idée qu'être intelligent, savant, libre intellectuellement ET croyant est un grand paradoxe, mais faire croire que parce qu'il s'agit d'un paradoxe, c'est impossible, c'est là se méprendre sur la nature humaine et la philosophie.

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