Le disque du jour - IX - Intégrale des mélodies de Debussy (EMI, Dalton Baldwin)
Par DavidLeMarrec, samedi 16 septembre 2006 à :: Le disque du jour :: #382 :: rss
1. La mélodie française
La mélodie française est un univers difficile, plus encore que le lied, sans doute car encore moins opératique, et lié à une poésie rétive à toute action, à tout affect clair, et même dans certains cas absconse. Elle présente la grande difficulté d'exiger une intelligibilité parfaite, et un sens du commentaire qui puisse être utilisé subtilement, sans aucune insistance. Car si la littéralité y est ennuyeuse, la lourdeur y est vulgaire. La ligne vocale est en outre très souvent située dans le passage, et toujours de façon très parlée, sans éclats ni confort pour la voix.
Ajoutons, mais à cela on ne peut rien faire, des poèmes assez peu musicaux et des mises en musique parfois très apprêtées, à la limite de l'affectation, peu naturelles à l'oreille francophone.
On imagine aisément la difficulté pour l'auditeur : d'une part faire preuve d'une attention très précise (et se fondre dans cette esthétique très spécifique), d'autre part dénicher des interprètes à la hauteur de ces pièces éminemment piégeuses.
Seule facilité : les accompagnements fonctionnent assez bien "seuls", c'est-à-dire indépendamment de l'engagement de l'interprète, et leur difficulté nettement plus prononcée que chez les germaniques tend à écarter les chefs de chant les plus littéraux. Pas trop de préoccupations de ce côté-là, donc.
2. La mélodie chez Debussy
Debussy n'écrit pas la mélodie dans le genre de Pelléas, absence d'intrigue dramatique et d'errance mystérieuse oblige. Pas non plus, mais cela on s'en doutera, dans la veine plus opératique de Rodrigue et Chimène, sorte de Tristan français. Pas plus dans le genre très laconique de La Chute de la Maison Usher. Non, il s'agit bien de mélodie, avec ses paroles égales, le fleuve monotone des mots qui s'amoncellent pour faire paisiblement sens.
Il y a bien entendu cette prosodie si particulière, à la fois errante, agile et comme badine. Pourtant, ce qui sonne le plus clairement debussyste réside dans l'acompagnement fluide et perlé, qui le distingue en un instant de n'importe quel autre corpus de mélodies.
Trois Mélodies L.81 - III - L'Echelonnement des haies. Gérard Souzay, Dalton Baldwin.
La mélodie où l'on peut sans doute le plus penser à Pelléas, une exception.
3. Le disque recommandé
Intégrale des mélodies en trois disques, chez EMI.
Y participent Mady Mesplé, Elly Ameling, Michèle Command, Frederica von Stade, Gérard Souzay et Dalton Baldwin.
Les caractéristiques sont uniformément : diction d'une grande clarté, toujours compréhensible (à condition, mis à part chez M. Mesplé et G. Souzay, d'une écoute attentive), parfaite maîtrise prosodique, grande intégrité stylistique, véritable intelligence de cette musique - difficile, on l'a dit.
Mady Mesplé fait montre d'une adéquation stylistique idéale avec cette musique. On songe à Mary Garden avec une meilleure technique, à une évidence héritée de la tradition, mais parfaitement intégrée à sa personnalité musicale. Ce n'est pas en vain qu'on la désigne comme l'une des grandes mélodistes. Cependant, c'est Elly Ameling qui emporte selon mon goût le pompon. Une voix ductile, de texture légère mais dotée d'un corps certain, une grande pudeur expressive mais selon toute apparence une joie presque triomphale à placer les sons dans le masque ; quelque chose d'une fraîcheur, d'une exultation assez enthousiasmantes. Etonnamment, Michèle Command (Mélisande chez Baudo, sa première et plus célèbre intégrale) peine un peu plus à se faire comprendre, et bien que francophone, on repère quelques acidités qu'on aurait plus attendues chez Ameling au passage à la langue française. Le timbre, d'une assez grande beauté, sonne plus proche du mezzo (plutôt du côté de sa Bellangère[1] que de sa Catherine d'Aragon [2]), et le résultat, malgré une petite opacité des couleurs en contraste avec Ameling ou Mesplé, est très réussi. Enfin, même sans être transporté par tout ce qu'a pu faire Gérard Souzay, il faut bien lui reconnaître ici une aisance sans pareille, plus enclin aux piani qu'ailleurs, atténuant ici sa couleur baytonnale qu'il force quelque peu selon les répertoires. Pas dans toutes les pièces, il est vrai : certaines font état d'une voix un peu "poussée".
Dalton Baldwin est égal à lui-même, et vraiment dans un bon jour : jeu très probe, précis et incisif, pas toujours très original mais ici dépourvu de raideur. Un excellent standard, en quelque sorte. Il parvient à donner un très beau relief perlé à ces pièces, son meilleur disque de notre connaissance.
Mon extrait choisi :
"Dans le jardin", sur un texte de Paul Gravollet. Elly Ameling, Dalton Baldwin.
Mélodie assez bouleversante, et nul ne pourra plus insinuer que le talent d'Elly Ameling est purement instrumental - nous avons là les preuves d'un talent véritable de diseuse, dans ce répertoire si délicat - et pas dans sa langue maternelle.
On comprend pourquoi ce coffret est recommandable : en plus d'être une intégrale (et très peu chère), il propose des interprétations excellentes de façon homogène. La variété des interprètes, habilement regroupés ou entrecoupés, soutient en outre l'attention.
Un autre disque que j'aime beaucoup est celui de Dawn Upshaw, pour les couleurs incroyables distillées avec grand art. Le français n'est pas mauvais mais le texte inintelligible (trop flou). Une autre vision, dépourvue d'angles, faite d'aplats surprenants. Pas très en style, mais assez stimulant.
4. Contenu et catalogue
Le coffret (actuellement disponible pour 20€ chez le vendeur en ligne quasi-philanthropique Amazon) comprend, toujours accompagné par Dalton Baldwin :
CD1
1. Nuit d'étoiles ("Nuit d'étoiles, sous tes voiles"), L.4 (3:12) - Ameling
2. Fleur des blés ("Le long des blés que la brise fait onduler"), L.7 (2:02) - Ameling
3. Beau soir ("Lorsque au soleil couchant les rivières sont roses"), L.6 (2:18) - Souzay
4. Mandoline ("Les donneurs de sérénades"), , L.29 (1:23) - Souzay
5. La belle au bois dormant ("Des trous à son pourpoint vermeil"), , L.74 (3:49) - Command
6. Romance ("Voici que le printemps, ce fil léger d'avril"), , L.52 (2:48) - Mesplé
7. Paysage sentimental ("Le ciel d'hiver si doux, si triste, si dormant"), , L. 45 3:43 - Mesplé
8. Triolet à Phillis ("Si j'étais le zéphyr ailé"), L. 12 2:01 - Mesplé
9. Rondeau ("Fut-il jamais douceur de coeur pareille"), L. 30 2:50 - Mesplé
10. Pantomime ("Pierrot qui n'a rien d'un Clitandre"), L. 31 2:11 - Mesplé
11. Clair de lune ("Votre âme est un paysage choisi"), L. 32 2:46 - Mesplé
12. Pierrot ("Le bon Pierrot que la foule contemple"), L. 15 1:35 - Mesplé
13. Apparition ("La lune s'attristait"), L. 53 3:37 - Mesplé
14. Rondel chinois ("Sur le lac bordé d'azalée"), L. 17 3:49 - Mesplé
15. Aimons-nous et dormons ("Aimons-nous et dormons, sans songer au reste du monde"), L. 16 2:45 - Mesplé
16. Jane ("Je pâlis et tombe en langueur"), L. 19 2:53 - Mesplé
17. En sourdine (première version), L. 28 3:08 - Mesplé
18. Romances (2), L. 79 4:36 - Mesplé & Command
19. Les Angélus ("Cloches chrétiennes pour les matines"), L. 76 2:07 - Command
20. Dans le jardin ("Je regardais dans le jardin"), , L. 78 2:19 - Ameling
21. Mélodies (3), , L. 81 6:19 - Souzay
22. Fêtes galantes (3), , Set I, L. 80 7:10 - Ameling
CD2
23. Poèmes (5) de Baudelaire, , L. 64 25:39 - Command
24. Proses lyriques (4), , L. 84 18:53 - Ameling
25. Ariettes oubliées (6), , L. 60 16:07 - von Stade
CD3
26. Chansons de Bilitis (3), , L. 90 8:37 - Command
27. Fêtes galantes (3), , Set II, L. 104 8:18 - Souzay
28. Chansons de France (2), , L. 102: I. Rondel. Le Temps a laissié son manteau 1:07
29. Chansons de France (2), , L. 102: II. Rondel. Pour ce que plaisance est morte 2:25
30. Le promenoir des deux amants, L.118 6:59 - Souzay
31. Ballades de François Villon (3), L.119 10:55 - Souzay
32. Poèmes (3) de Mallarmé, , L. 127 7:20 - Ameling
33. Noël des enfants qui n'ont plus de maison, , L. 139 2:30 - Ameling
Commentaires
1. Le samedi 16 septembre 2006 à , par Bajazet
2. Le samedi 16 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
3. Le lundi 18 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
4. Le mardi 19 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
5. Le jeudi 21 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
6. Le jeudi 21 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
7. Le vendredi 22 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
8. Le vendredi 22 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
9. Le dimanche 27 mai 2007 à , par DavidLeMarrec
10. Le samedi 25 août 2007 à , par jdm
11. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
12. Le samedi 25 août 2007 à , par jdm
13. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
14. Le samedi 25 août 2007 à , par jdm
15. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
16. Le samedi 25 août 2007 à , par jdm
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