Enregistrements, domaine public - III - Giuseppe VERDI, Requiem - Ferenc Fricsay I (1953) - [et une discographie sélective]
Par DavidLeMarrec, lundi 19 février 2007 à :: Domaine religieux et ecclésiastique - Musique, domaine public - Discographies - Opéra romantique et vériste italien :: #526 :: rss
Je pensais proposer cet enregistrement comme disque du jour, mais je me rends compte[1] de ce qu'il est tombé dans le domaine public.
Aussi, je vous le propose d'autant plus volontiers. (les artistes et leurs héritiers ne touchent plus rien, simplement l'éditeur qui vend le support - en l'occurrence moi)
Maria Stader, soprane
Marianne Radev, mezzo-soprane
Helmut Krebs, ténor
Kim Borg, basse
Choeurs de la RIAS et de Saint-Hedwige
Orchestre de la RIAS
Le tout dirigé par Ferenc Fricsay.
Enregistrement en monophonie réalisé à la Jesus Christus Kirche de Berlin en 1953.
Publié en 1954, entré dans le domaine public le 1er janvier 2005.
Il existe une seconde version, sur le vif, avec Maria Stader et Oralia Dominguez, qui date de 1960.
Cet enregistrement figure à mon sens parmi les plus grandes réussites de l'histoire du disque, rien de moins. Fricsay dément totalement le caractère théâtral qu'on associe généralement à ce Requiem, de façon sans doute exagérément proverbiale - "L'Opéra de la Mort".
Notes
[1] Contrairement à ce que veut l'orthodoxie linguistique, je trouve l'anglicisme "réaliser" tout à fait agréable d'usage.
Ce qui frappe d'emblée est l'atmosphère pleinement religieuse, totalement recueillie, qui saisit et ne lâchera plus. Difficile de mettre ce disque et de l'interrompre avant le terme. Une ferveur hors du commun. Ensuite, l'homogénéité sans faille du choeur ; mais cette homogénéité ne se traduit nullement par un flou, au contraire, il semble s'exprimer d'une seule voix, avec des intentions précises et décelables.
Les solistes, en eux-mêmes, n'ont rien de particulièrement prestigieux (qui a dit "au contraire, leur réputation les a précédés" ?)[1], mais parfaitement disciplinés, ils forment un quatuor en place comme rarement, digne écho individualisé du choeur. Le passage d'une voix à l'autre fait judicieusement valoir des éloquences, des phrasés différents (et non une suite de répétitions mélodiquement prévisibles), sans jamais perdre cette belle unité.
La simplicité de ton est celle de la voix parlée, de la prière psalmodiée. Pas de succession numéros vocaux à effets, dans cette interprétation, mais un flux liturgique. Le soliste est partie intégrante d'un vaste dispositif de prière.
Sous la baguette de Fricsay, des motifs passionnants, cachés par la plupart des interprètes au profit des plus lancinents (tout particulièrement dans l' Ingemisco et le Lacrymosa), font leur apparition, grâce à la limpidité de l'orchestre. Grâce aux tempi très allants, tout s'enchaîne avec grand naturel - et tient en un disque, ce qui n'est quasiment jamais le cas pour ce Requiem.
Le tout est admirablement servi par une prise de son idéale[2], qui met parfaitement en place les plans sonores, y compris les échos instrumentaux, malgré la mono. Un bain homogène, appaisant, un son qui permet d'entendre aisément les nuances dynamiques, sans les écraser toutefois. Et qui sert cette limpidité, précisément. L'accoustique à la réverbération discrète de la Jesus Christus Kirche n'y est pas étrangère non plus.
Prenons l'exemple du Dies irae : des trompettes précises et légèrement acides, qui ouvrent le gouffre d'où semble sourdre le choeur, avant que l'orchestre ne se dérobe et que le serpentement des pupitres féminins se suspende au-dessus de l'abîme. Véritablement saisissant !
Dans l' Ingemisco, au lieu d'exalter le petit ostinato mélodique aux cordes, c'est son dialogue avec les autres parties qui est placé en évidence.
Dans le Lacrymosa, enfin, le motif en demi-ton descendant aux cordes ne balafre plus le déroulement mélodique, mais intervient judicieusement comme soutien du reste du propos.
Vous l'aurez saisi, dominent ici l'homogénéité, l'évidence, le naturel et la ferveur.[3]
Finalement, après avoir assené tout cela, je m'en vais négocier un pourcentage avec Deutsche Grammophon et ne pas vous communiquer l'enregistrement à si bon compte. Ah, n'était ma proverbiale débonnaireté...[4] Voici donc la chose. Compression de riches, à 320 kbps (mais on notera indéniablement un peu de perte par rapport au disque véritablement parfait).
Edit[5] : Pour des raisons techniques, il manque un nombre significatif de plages. Le complément si possible et dès que possible. Mais vous aurez à tout le moins une idée très large de cette réussite éclatante.
Après cette lecture plus liturgique qu'italienne, on peut tout de même recommander quelques compléments diamétralement opposés, bien qu'à mon sens l'aboutissement de ce parti pris soit mené à un tel degré ici que les autres versions peinent à soutenir la comparaison.
Bernstein. Arroyo, Veasey, Domingo, Raimondi.
Une version pleinement engagée, avec une distribution idéale du côté des solistes, au delà même de leur maîtrise instrumentale superlative.
Toscanini. Nelli, Barbieri, Di Stefano, Siepi.
Une grande référence historique, avec des sonorités inédites ailleurs. Des cuivres très présents et sauvages, notamment. Une lecture apocalyptique.
Egalement dans le domaine public, Carnets sur sol le conserve précieusement de côté.
Et le numéro complémentaire pour les plus motivés :
Karajan. Freni, Ludwig, Cossuta, Ghiaurov.
Pour les hédonistes, avec l'expansion infinie de cet Introït, un peu à la façon de la crème chantilly. Ni très italien, ni très liturgique, mais assez joli à regarder se faire (malgré des solistes 'améliorables').
Notes
[1] Maria Stader est tristement célèbre pour avoir un peu plombé les Don Giovanni et Nozze di Figaro de Fricsay en Donna Elvira et en Comtesse, une voix petite et droite, légèrement maniérée. Kim Borg a gravé un Boris sanglotant jusqu'à l'invraisemblable. Radev et Krebs n'ont pas laissé un legs discographique particulièrement étendu, malgré les belles qualités de Krebs pour fournir un évangéliste : éloquence bénigne et timbre caressant.
[2] Quand je vous répète que la stéréo reste un gadget !
[3] Si d'aventure vous êtes convaincus, les Noces de Figaro de 1961 sont sensiblement du même tonneau, avec notamment une atmosphère nocturne ineffable au IV.
[4] Luttons contre les néologismes en -tude qui deviennent décidément envahissants ces derniers temps.
[5] A propos, je suis toujours à la recherche, par curiosité, d'un équivalent français utilisable.
Commentaires
1. Le vendredi 23 février 2007 à , par Morloch
2. Le vendredi 23 février 2007 à , par DavidLeMarrec
3. Le vendredi 23 février 2007 à , par Morloch
4. Le mardi 28 mai 2019 à , par BERNIARD Maurice
5. Le jeudi 30 mai 2019 à , par DavidLeMarrec
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