A la découverte de Pelléas & Mélisande de Debussy/Maeterlinck - IX - Sortie des souterrains (III,3) - c - temporalité de Pelléas
Par DavidLeMarrec, jeudi 8 mars 2007 à :: Autour de Pelléas et Mélisande :: #540 :: rss
Nous avions achevé la tirade de Pelléas qui, en somme, brasse à nouveau des motifs déjà connus - l'occasion de faire le point sur quelques-uns que nous n'avions pas encore abordé en profondeur.
A présent, la tirade de Golaud, plus féconde dramatiquement.
GOLAUD
Oui, elles se sont réfugiées du côté de l'ombre.
A propos de Mélisande, j'ai entendu ce qui s'est passé
et ce qui s'est dit hier au soir.
D'emblée, Golaud place son intervention sous un aspect inquiétant[1], en feignant de répondre à Pelléas. Il enchaîne immédiatement, dans une transition assez artificielle, avec l'objet réel de sa prise de parole. Muet jusqu'ici, il a guetté le moment pour intervenir.
On se souvient de la situation : au début du III, Golaud a surpris Mélisande et Pelléas badinant avec insistant par une fenêtre de la tour ; puis Golaud entraîne Pelléas dans des souterrains menaçants, pour une initiation étrange, un face à face avec la mort [2] - dont ils viennent de sortir.
Vous noterez l'un des rares marqueurs temporels (hier au soir) dans cet univers temporel distendu. En réalité, si l'on excepte l'acte I, où plusieurs mois s'écoulent entre les deux scènes[3], chaque acte est relativement distant des autres mais homogène à l'intérieur de ses scènes, d'une trentaine d'heures maximum pour chacun.
- Le II : badinage autour de la fontaine à midi ; entretien avec Golaud le soir ; recherche feinte de la bague tout de suite.
- Le III : badinage au balcon peu avant minuit ; le lendemain vers midi dans les souterrains, puis sur la terrasse ; entretien avec Yniold le soir.
- Le IV : rendez-vous pris pour le soir ; scène de l'outrage en suivant ; duo d'amour le soir.
- Le V : une seule scène, qui ne dure guère plus d'une heure, dans l'esprit du drame (quelques petites heures tout au plus).
De ce point de vue, cela est assez habilement bâti. On notera notamment le parallélisme du début badinant au I, II, III et IV. Le V, qui n'en a pas, est la fin de la vie et la fin du drame : Pelléas a été tué, Mélisande meurt, Golaud se dit près de mourir, et Arkel ne survivra peut-être pas à ce carnage. Quant à Geneviève, elle a étrangement disparu - a-t-elle survécu au meurtre de son fils ?
L'ensemble de Pelléas semble se dérouler sur un petit nombre d'années. Quelques mois entre chaque acte (sauf entre le IV et le V), peut-on penser, puisque beaucoup de choses se sont déroulées mais que les psychologies n'ont pas énormément changé.
Pelléas connaît à peine Mélisande au II (l'inverse n'est pas vrai, comme Mélisande le précise dans le duo du IV), Golaud a des soupçons sur leur complicité au III, les habitudes sont prises au IV (et Golaud torturé). La durée de la maladie du père coïncide assez bien (on pense à la remarque d'Arkel en IV,2, soulignant que Mélisande n'a jamais connu que ce château-garde-malade). Mettons, six mois entre chaque. Plus les six mois écoulés au sein de l'acte I.
(I) + (I,II) + (II,III) + (III,IV) = 4 x 6 = 24 mois, soit deux ans à peu près.
On peut aussi faire des hypothèses d'une autre nature, selon la date de consommation du mariage. Que signifie donc précisément la robe déchirée au IV ? L'attente possible d'un enfant au III (encore tout jeune, il se déroule donc un peu plus de six mois entre le III et le IV) laisse aussi la place à quelques conjectures. Mais, sans qu'il soit possible de se montrer catégorique, la durée est assez de cet ordre. Surtout que, dans le cadre de la stylisation du décor voulue par Maeterlinck, il est probable que le temps séparant chaque acte soit pensé comme approximativement égal.
Naturellement, il existe d'autres éléments de temporalité plus essentiels comme les métaphores horizontales ou les leitmotivs (car je suis convaincu qu'il y en a !), mais nous parlons ici de la temporalité interne à l'histoire représentée.[4]
Notes
[1] L'usage de l'ombre est assez limpide, si l'on ose dire, de ce point de vue.
[2] Golaud : Sentez-vous cette odeur de mort qui monte ? Penchez-vous ; elle viendra vous frapper au visage.
[3] Comme le précise la lettre lue par Geneviève : Il y a maintenant six mois que je l'ai épousée, et je n'en sais pas plus que le jour de notre rencontre.
[4] Ce que les genettistes de rang appellent poétiquement de leur belle langue sibylline la temporalité diégétique.
Commentaires
1. Le samedi 10 mars 2007 à , par jadis
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