Carnets sur sol

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Bac à sable diphonique

Puisque je fus perfidement accusé de conserver jalousement Bajazet pour moi seul, alors même qu'il figure explicitement dans mon carnet mondain (voir colonne de gauche), étalons notre effroyable compromission au grand jour. Séduit par son parcours fortement évocateur autour de l'alouette, je le prolonge ici brièvement.


Il existe toute une tripotée de livrets, de textes de lieder qui évoquent avec plus ou moins d'insistance l'alouette. Evidemment, ni Bajazet, ni CSS ne les auront épuisés !




D'abord, pour prolonger la figure de Shakespeare par laquelle débute légitimement Bajazet, on peut évoquer le duettino rossignol/alouette, emprunté à Thomas d'Urfey (The Comical History of Don Quixote ; IV,1) par Henry Purcell (Let the dreadful engines):

There sung the nightingale and lark,
Around us all was sweet and gay ;
We ne'er grew sad till it grew dark,
Nor nothing feared but short'ning day.

Benjamin Britten en a réalisé un arrangement.




Parmi les plus célèbres, on pensera bien sûr à Morgengruss, le huitième de la Belle Meunière, à la toute fin du poème :

Die Lerche wirbelt in der Luft,
Und aus dem tiefen Herzen ruft
Die Liebe Leid und Sorgen.


Egalement Frühlingsstimmen ("Voix de printemps") de Johann Strauss II :

Die Lerche in blaue Höh entschwebt,
der Tauwind weht so lau ;




De façon classique, l'alouette peut annoncer le lever du jour :

So wie des Wandrers Blick am Morgen
Vergebens in die Lüfte dringt,
Wenn, in dem blauen Raum verborgen,
Hoch über ihm die Lerche singt :

An die Entfernte, Goethe/Schubert. Un lied en forme d'arioso.




Dans les lieder Op.4 de Franz Schreker, on trouve aussi l'alouette comme symbole de réjouissance printanière :

Frühling blüht auf allen Stegen,
Jauchzet in der Lerche Lied -


(Oui, même la partition, nos ressources sont infinies, pourquoi ?)

Par ailleurs, ni l'oeuvre, ni la plupart des interprétations disponibles ne sont extraordinaires, comme précisé dans le lien précédent : de petites miniatures[1] opératiques, un peu anecdotiques et assez inconfortables à chanter.





Parfois même, l'alouette tend à remplacer le rossignol comme confident amoureux. Comme chez William Smyth, dans les Scottish Songs[2] de Beethoven pour violon, violoncelle, piano et voix :

Sweet lark! with thy soaring echoing song,
Come down from thy rosy cloud.
Come down to thy nest, and tell thy mate,
But tell thy mate alone,
Thou hast seen a maid, whose heart of love,
Is merry and light as thine own.

O ! Thou art the lad of my heart.


Volume 17 de l'intégrale Beethoven chez DG.

Ces chants traditionnels de Beethoven (de tous pays, on trouve majoritairement de l'anglais, mais aussi de l'allemand, de l'espagnol, du portugais, de l'italien, du français, du russe, du polonais, du hongrois et quelques autres) sont à mes yeux - et sans balancer - de loin la part de sa production la plus méconnue, et la plus aboutie pour le domaine du lied, sans la raideur qu'on peut trouver à ses lieder plus traditionnels. A écouter de toute urgence, les volumes qui lui sont consacrés dans l'intégrale Beethoven chez Deutsche Grammofon (sept CDs), de très haute volée côté interprétation. Pour commencer, je recommande les chants écossais.


La réédition en disques séparés chez Decca.

Un extrait pour vous mettre en appétit.




Variante existante, comme messagère de l'amour, dans ce texte d'Henri Blaze de Bury (mise en musique de Meyerbeer) :

La blonde fille que j'aime
Habite loin du pays,
Bien loin des bleds que je sème,
Loin du village et du puits.
Je sais une alouette,
Qui chaque jour va dans son champ,
Et de ma part lui répète :
Aime-moi, je t'aime tant !

Chant des moissonneurs vendéens, Meyerbeer.




Toujours chez Smyth, cette fois-ci dans les Irish songs[3] de Beethoven, l'alouette peut même devenir le symbole de l'amour en personne :

What bliss, to me my Patrick cries,
In splendour and in riches ?
He says, we love too little prize,
That gold too much bewitches !
More blest the lark, tho' hard its doom
Whene'er the winter rages,
Than birds, he says, of finer plume,
That mope in gilded cages.

O might I but my Patrick love !




La fragilité de l'alouette n'est pas évoquée que par Smyth, on la trouve également de l'autre côté de la Manche, chez Paul de Chazot :

La vive alouette
Se lève inquiète,
Craignant pour son nid ;
La jeune couvée
Sera préservée,
Car Dieu la bénit.

Son emploi se justifie ici comme symbole de l'innocence ballotée. La dimension amoureuse y est plutôt d'ordre marial[4] que sensuel (Dans la plaine immense, Gabriel Fauré).





On rencontre dans le cycle Scott de Schubert le Lied des gefangenen Jägers (le dernier du cycle, après les trois Ellen) :

Sonst pflegte die Lerche den Morgen zu bringen,
Die dunkle Dohle zur Ruh' mich zu singen ;
In dieses Schlosses Königshallen,
Da kann kein Ort mir je gefallen.

A la fois le passage du temps comme dans Roméo & Juliette, et l'évocation d'un monde extérieur libre.

Même Ellen I parle de notre alouette !

Doch der Lerche Morgensänge
Wecken sanft dein schlummernd Ohr,
Und des Sumpfgefieders Klänge
Steigend aus Geschilf und Rohr.




La figure est tellement parlante que certaines traductions allemandes de Witwicki (mis en musique par Chopin) inventent des alouettes. Wiosna ("Printemps"), par exemple.

Immanquablement, on la rencontrera dans les énumérations ornitologiques :

Ah! chantez, chantez,
Folle fauvette,
Gaie alouette,
Joyeux pinson, chantez, aimez !
Parfum des roses,
Fraîches écloses,
Rendez nos bois, nos bois plus embaumés !
Ah ! chantez, aimez !

(L'été de Cécile Chaminade, sur un texte d'un auteur qui aurait préféré rester anonyme, mais qui s'appelle Edouard Guinand.)




Je laisserai la conclusion de cette compilation coucou à la Bonne Chanson de Paul Verlaine :

Va, chanson, à tire-d'aile
Au-devant d'elle, et dis-lui
Bien que dans mon coeur fidèle
Un rayon joyeux a lui,

[Dissipant, lumière sainte,
Ces ténèbres de l'amour :
Méfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour !]

Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous ? La gaîté,
Comme une vive alouette,
Dans le ciel clair a chanté.

Va donc, chanson ingénue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.

Les attributions de l'alouette y sont remarquablement synthétisées : par l'association avec la chanson ("à tire-d'aile"), on perçoit sa présence de messagère ; par le "rayon joyeux", par "le ciel clair", les beaux jours sont annoncés ; "la gaîté" amoureuse lui est attachée, mais toujours avec un caractère éthéré que n'a peut-être pas le pervers rossignol - grand Tentateur devant l'Eternel, c'est bien connu.

Ce poème n'a pas été mis en musique par Fauré dans son cycle, mais Charles Koechlin s'en est chargé !

Notes

[1] Appel à témoignage : CSS est à la recherche de grosses miniatures.

[2] Titre original : 25 schottische Lieder mit Begleitung von Pianoforte, Violine und Violoncello.

[3] 20 Irische Lieder mit Begleitung von Pianoforte, Violine und Violoncello.

[4] . (Pour une image de meilleur goût, on peut se reporter aux balbutiements de Carnets sur sol).


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Commentaires

1. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie

David,

Je n'ai pas osé, jusque ici, vous dire à quel point j'admire votre prose. D'ailleurs, un flot de lettres électroniques essaie en vain d'attirer votre attention, afin de pouvoir partager notre passion commune pour la tarte au citron.

2. Le jeudi 5 avril 2007 à , par DavidLeMarrec

Chère Windie,

Je vous remercie pour ces mots qui sonnent si doux à nos oreilles.

Concernant le flot, je ne sais pas si une lettre vaut flot, mais je l'ai remarquée, en effet, délicatement parfumée à ma variété de tomate favorite.
Il ne faut pas en vouloir au centre de traitement des lettres de fans s'il n'est pas très efficace - ce sont des bénévoles.

Par ailleurs, pour vous remercier, je m'empresse de vous envoyer une boîte de chocolats aux parfums suivants : tarte citron meringuée, tarte citron pistache, tarte citron vert, tarte citron chocolat, tarte citron pomme, tarte citron caramel, tarte citron bouchonnée. Non, non, c'est tout naturel.

Bien à vous,

Votre Nimsgie

3. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie

Oh !
Cher David,

Mille fois merci pour votre attention ! J'en suis très touché mais...n'avez-vous pas oublié que le naturel a ma préférence?

Je comprends très bien que sous le flot, ces pauvres bénévoles soient débordés. J'attends patiemment, comme toujours. Si je passe par ce moyen, afin de vous joindre, c'est qu'une question particulière attend une réponse et que l'on me charge de vous la transmettre. Cependant, je saurai bien réfréner ses ardeurs.

Très cordialement,

Windie


4. Le jeudi 5 avril 2007 à , par DavidLeMarrec

Mille fois merci pour votre attention ! J'en suis très touché mais...n'avez-vous pas oublié que le naturel a ma préférence?

Vous n'aimez donc pas à blasphémer quelquefois ? Tant pis, moi non plus je n'en suis guère amusé, et je pendrais volontiers qui oserait produire de telles friandises. Pourquoi pas des caramels au confit ou de petits cylindres de sucre au Bordeaux !


J'attends patiemment, comme toujours.

Votre stoïcisme est votre plus bel ornement, incontestablement. :)


Si je passe par ce moyen, afin de vous joindre, c'est qu'une question particulière attend une réponse et que l'on me charge de vous la transmettre. Cependant, je saurai bien réfréner ses ardeurs.

S'agit-il de celle que vous m'avez déjà communiquée ? La période se prête peu à ce genre d'entreprise, mais on trouvera le temps. Le vermifuge n'est donc pas efficace ?

5. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie

Cela dépend, j'avoue avoir fort aimé les cylindres (de sucre???) au Bordeaux mais je lutte toujours, et avec énergie, contre les adorateurs des Chocolats-goût-tarte-citron.

Concernant la requête, cela doit être toujours la même. Cependant, la révolte gronde et je n'ai point le code pour désamorcer le globe-noir-qui-fait-de-la-fumée. Mais tout ira bien.

6. Le jeudi 5 avril 2007 à , par DavidLeMarrec

Cela dépend, j'avoue avoir fort aimé les cylindres (de sucre???)

De sucre fermenté, disons.

mais je lutte toujours, et avec énergie, contre les adorateurs des Chocolats-goût-tarte-citron.

Il me semble qu'il s'agissait même de goût-tarte-citron-meringuée. Oui, moi aussi, j'ai peur.


Concernant la requête, cela doit être toujours la même.

[Traîne les pieds.] Il faut donc vraiment que j'y remette le nez ? :-( Viendra-t-on me couvrir de chaînes jusque dans cet asile ?


Cependant, la révolte gronde et je n'ai point le code pour désamorcer le globe-noir-qui-fait-de-la-fumée. Mais tout ira bien.

Dans ce cas, ce n'est pas du vermifuge qu'il faut, c'est noyer le nid. Enfin, moi, ce que j'en dis.

7. Le jeudi 5 avril 2007 à , par fitze

Très chère Windie,

Soyez assurée de mon entière solidarité en cette affaire. Amateurs de chocolats-goût-tarte-citron dites-vous ? Vous faites preuve d'un bien grand courage en les supportant. Le chocolat se marie bien mieux avec la poire, c'est un fait indiscutable, et je suis bien certaine que Monsieur LeMarrec, ici présent, ne le démentira pas.
Par ailleurs, et pour revenir au sujet premier, je tiens à redire ici solenellement tout mon soutien aux allouettes que des coucous indélicats auraient chassé de leur nid.

Je vous prie de bien vouloir agréer, Madame, l'expression de mon attachement sincère,

Fitze

P.S. : je vous saurai gré, Madame, de bien vouloir transmettre mes plus chaleureuses salutations à la Reine d'Assyrie que, je crois, vous comptez parmi vos connaissances.

8. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie

Cher David,

Je peux vous envoyer une alouette-dans-l'air-libre-et-pur-express-electronique pour vous expliquer les faits, et jouer les intermédiaires, ainsi vous n'aurez pas à vous déplacer.

Chère Fitze,

Les Salutations seront transmises avec joie.

Windie,eleveusedalouettecontrelechocolatgoutcitron.

9. Le samedi 7 avril 2007 à , par Morloch

Il s'en passe des drôles de choses dans le terroir bordelais...

et après on s'étonne du succès mondial des grands crus espagnols et sud américains :p

10. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec

Fitze :
Le chocolat se marie bien mieux avec la poire, c'est un fait indiscutable, et je suis bien certaine que Monsieur LeMarrec, ici présent, ne le démentira pas.

En effet, ayant pratiqué pour spécialité la poire pendant une année, je confirme. La poire, lorsqu'elle est adoucie de quelque sucrerie, ne pourrit jamais. Au vinaigre ou à la couleuvre, généralement, ses qualités nutritives disparaissent à moyen terme.


P.S. : je vous saurai gré, Madame, de bien vouloir transmettre mes plus chaleureuses salutations à la Reine d'Assyrie que, je crois, vous comptez parmi vos connaissances.

Je m'en voudrais de pinailler, mais régnant depuis Babylone, il y a fort peu de chances que ladite reine soit à proprement parler assyrienne. Enfin, ce que j'en dis.


l'Oursonne :
Je peux vous envoyer une alouette-dans-l'air-libre-et-pur-express-electronique pour vous expliquer les faits, et jouer les intermédiaires, ainsi vous n'aurez pas à vous déplacer.

Elle est bien reçue. J'ai également reçu une missive royale.


Morloch :
Il s'en passe des drôles de choses dans le terroir bordelais...

et après on s'étonne du succès mondial des grands crus espagnols et sud américains :p

Vous semblez, cher Morloch, ne pas avoir saisi que c'est là l'effet d'être à jeun.

Merci aussi de ne pas mettre sur le dos des crus bordelais des débordements parisiens, grenoblois ou tourangeaux.


Au passage, tu me fais penser que je manque à mon devoir. Un instant, je reviens.


*****


[sourcil-sévère-terrifiant]

Et si quelqu'un veut parler de l'article, qu'il ne se gêne pas, hein. Hein.


Je suis sûr que je suis terrifiant.

11. Le samedi 7 avril 2007 à , par Morloch

Je laisserai pour ma part la parole à la principale intéressée que l'on peut entendre sur cette page :

Alouette

12. Le samedi 7 avril 2007 à , par Bajazet

"Il existe toute une tripotée de livrets, de textes de lieder qui évoquent avec plus ou moins d'insistance l'alouette. Evidemment, ni Bajazet, ni CSS ne les auront épuisés !"

D'autant moins que je me refuse à tripoter quoi que ce soit, même des créatures de Dieu, durant la Semaine sainte. Petit libertin que vous êtes !
Merci pour le panorama. Je viens de me rappeler un air de Thomas Arne, évoquant l'alouette au matin, magnifiquement chanté par Emma Kirkby dans un programme Arne chez Hyperion. En voilà une qui chante comme l'oiseau sur la branche.

13. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec

Oui, c'est ce qu'on peut appeler pépier. Pour une fois l'accent sera à peu près adéquat. :)

14. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec

@ Morloch :

Good.
Beware, Daddart is down on you.

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David Le Marrec

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