Bac à sable diphonique
Par DavidLeMarrec, mercredi 4 avril 2007 à :: En passant - brèves et jeux :: #573 :: rss
Puisque je fus perfidement accusé de conserver jalousement Bajazet pour moi seul, alors même qu'il figure explicitement dans mon carnet mondain (voir colonne de gauche), étalons notre effroyable compromission au grand jour. Séduit par son parcours fortement évocateur autour de l'alouette, je le prolonge ici brièvement.
Il existe toute une tripotée de livrets, de textes de lieder qui évoquent avec plus ou moins d'insistance l'alouette. Evidemment, ni Bajazet, ni CSS ne les auront épuisés !
D'abord, pour prolonger la figure de Shakespeare par laquelle débute légitimement Bajazet, on peut évoquer le duettino rossignol/alouette, emprunté à Thomas d'Urfey (The Comical History of Don Quixote ; IV,1) par Henry Purcell (Let the dreadful engines):
There sung the nightingale and lark,
Around us all was sweet and gay ;
We ne'er grew sad till it grew dark,
Nor nothing feared but short'ning day.
Benjamin Britten en a réalisé un arrangement.
Parmi les plus célèbres, on pensera bien sûr à Morgengruss, le huitième de la Belle Meunière, à la toute fin du poème :
Die Lerche wirbelt in der Luft,
Und aus dem tiefen Herzen ruft
Die Liebe Leid und Sorgen.
Egalement Frühlingsstimmen ("Voix de printemps") de Johann Strauss II :
Die Lerche in blaue Höh entschwebt,
der Tauwind weht so lau ;
De façon classique, l'alouette peut annoncer le lever du jour :
So wie des Wandrers Blick am Morgen
Vergebens in die Lüfte dringt,
Wenn, in dem blauen Raum verborgen,
Hoch über ihm die Lerche singt :
An die Entfernte, Goethe/Schubert. Un lied en forme d'arioso.
Dans les lieder Op.4 de Franz Schreker, on trouve aussi l'alouette comme symbole de réjouissance printanière :
Frühling blüht auf allen Stegen,
Jauchzet in der Lerche Lied -
(Oui, même la partition, nos ressources sont infinies, pourquoi ?)
Par ailleurs, ni l'oeuvre, ni la plupart des interprétations disponibles ne sont extraordinaires, comme précisé dans le lien précédent : de petites miniatures[1] opératiques, un peu anecdotiques et assez inconfortables à chanter.
Parfois même, l'alouette tend à remplacer le rossignol comme confident amoureux. Comme chez William Smyth, dans les Scottish Songs[2] de Beethoven pour violon, violoncelle, piano et voix :
Sweet lark! with thy soaring echoing song,
Come down from thy rosy cloud.
Come down to thy nest, and tell thy mate,
But tell thy mate alone,
Thou hast seen a maid, whose heart of love,
Is merry and light as thine own.
O ! Thou art the lad of my heart.
Volume 17 de l'intégrale Beethoven chez DG.
Ces chants traditionnels de Beethoven (de tous pays, on trouve majoritairement de l'anglais, mais aussi de l'allemand, de l'espagnol, du portugais, de l'italien, du français, du russe, du polonais, du hongrois et quelques autres) sont à mes yeux - et sans balancer - de loin la part de sa production la plus méconnue, et la plus aboutie pour le domaine du lied, sans la raideur qu'on peut trouver à ses lieder plus traditionnels. A écouter de toute urgence, les volumes qui lui sont consacrés dans l'intégrale Beethoven chez Deutsche Grammofon (sept CDs), de très haute volée côté interprétation. Pour commencer, je recommande les chants écossais.
La réédition en disques séparés chez Decca.
Un extrait pour vous mettre en appétit.
Variante existante, comme messagère de l'amour, dans ce texte d'Henri Blaze de Bury (mise en musique de Meyerbeer) :
La blonde fille que j'aime
Habite loin du pays,
Bien loin des bleds que je sème,
Loin du village et du puits.
Je sais une alouette,
Qui chaque jour va dans son champ,
Et de ma part lui répète :
Aime-moi, je t'aime tant !
Chant des moissonneurs vendéens, Meyerbeer.
Toujours chez Smyth, cette fois-ci dans les Irish songs[3] de Beethoven, l'alouette peut même devenir le symbole de l'amour en personne :
What bliss, to me my Patrick cries,
In splendour and in riches ?
He says, we love too little prize,
That gold too much bewitches !
More blest the lark, tho' hard its doom
Whene'er the winter rages,
Than birds, he says, of finer plume,
That mope in gilded cages.
O might I but my Patrick love !
La fragilité de l'alouette n'est pas évoquée que par Smyth, on la trouve également de l'autre côté de la Manche, chez Paul de Chazot :
La vive alouette
Se lève inquiète,
Craignant pour son nid ;
La jeune couvée
Sera préservée,
Car Dieu la bénit.
Son emploi se justifie ici comme symbole de l'innocence ballotée. La dimension amoureuse y est plutôt d'ordre marial[4] que sensuel (Dans la plaine immense, Gabriel Fauré).
On rencontre dans le cycle Scott de Schubert le Lied des gefangenen Jägers (le dernier du cycle, après les trois Ellen) :
Sonst pflegte die Lerche den Morgen zu bringen,
Die dunkle Dohle zur Ruh' mich zu singen ;
In dieses Schlosses Königshallen,
Da kann kein Ort mir je gefallen.
A la fois le passage du temps comme dans Roméo & Juliette, et l'évocation d'un monde extérieur libre.
Même Ellen I parle de notre alouette !
Doch der Lerche Morgensänge
Wecken sanft dein schlummernd Ohr,
Und des Sumpfgefieders Klänge
Steigend aus Geschilf und Rohr.
La figure est tellement parlante que certaines traductions allemandes de Witwicki (mis en musique par Chopin) inventent des alouettes. Wiosna ("Printemps"), par exemple.
Immanquablement, on la rencontrera dans les énumérations ornitologiques :
Ah! chantez, chantez,
Folle fauvette,
Gaie alouette,
Joyeux pinson, chantez, aimez !
Parfum des roses,
Fraîches écloses,
Rendez nos bois, nos bois plus embaumés !
Ah ! chantez, aimez !
(L'été de Cécile Chaminade, sur un texte d'un auteur qui aurait préféré rester anonyme, mais qui s'appelle Edouard Guinand.)
Je laisserai la conclusion de cette compilation coucou à la Bonne Chanson de Paul Verlaine :
Va, chanson, Ã tire-d'aile
Au-devant d'elle, et dis-lui
Bien que dans mon coeur fidèle
Un rayon joyeux a lui,
[Dissipant, lumière sainte,
Ces ténèbres de l'amour :
Méfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour !]
Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous ? La gaîté,
Comme une vive alouette,
Dans le ciel clair a chanté.
Va donc, chanson ingénue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.
Les attributions de l'alouette y sont remarquablement synthétisées : par l'association avec la chanson ("à tire-d'aile"), on perçoit sa présence de messagère ; par le "rayon joyeux", par "le ciel clair", les beaux jours sont annoncés ; "la gaîté" amoureuse lui est attachée, mais toujours avec un caractère éthéré que n'a peut-être pas le pervers rossignol - grand Tentateur devant l'Eternel, c'est bien connu.
Ce poème n'a pas été mis en musique par Fauré dans son cycle, mais Charles Koechlin s'en est chargé !
Notes
[1] Appel à témoignage : CSS est à la recherche de grosses miniatures.
[2] Titre original : 25 schottische Lieder mit Begleitung von Pianoforte, Violine und Violoncello.
[3] 20 Irische Lieder mit Begleitung von Pianoforte, Violine und Violoncello.
[4] . (Pour une image de meilleur goût, on peut se reporter aux balbutiements de Carnets sur sol).
Commentaires
1. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie
2. Le jeudi 5 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
3. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie
4. Le jeudi 5 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
5. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie
6. Le jeudi 5 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
7. Le jeudi 5 avril 2007 à , par fitze
8. Le jeudi 5 avril 2007 à , par Windie
9. Le samedi 7 avril 2007 à , par Morloch
10. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
11. Le samedi 7 avril 2007 à , par Morloch
12. Le samedi 7 avril 2007 à , par Bajazet
13. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
14. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
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