Le latin à la française
Par DavidLeMarrec, mardi 24 avril 2007 à :: Pédagogique - Glottologie :: #591 :: rss
On lit régulièrement des commentaires défiants face à la prononciation à la française, partiellement ou intégralement, des oeuvres religieuses du domaine français.
On peut, par goût, défendre l'un ou l'autre, mais voici (très succinctement !) quelques éléments pour répondre aux questionnements les plus courants.
La prononciation "restituée" qui est apprise dans les collèges, lycées, à la faculté, est une projection probable, mais n'a jamais, à aucune époque, été mise en application dans le chant. [A part, bien entendu, dans les chansons à boire romaines.]
Il s'agit là du fruit d'hypothèses linguistiques, qui pour savantes n'en sont pas moins, ainsi que leur nom l'indique, hypothétiques.
Le latin d'Eglise se prononçait, lui, à la manière des résidents de chaque contrée.
La prononciation habituelle est celle à l'italienne et parfois celle à l'allemande, mais beaucoup d'enregistrements de musique baroque française (Christie dans les petits motets de Lully, Herreweghe dans le Requiem de Gilles, Niquet partout...) font le choix de restituer le latin tel que prononcé à l'époque, ou du moins ainsi qu'on le suppose.
On se souvient aussi de l'émoi général lorsque Herreweghe avait opéré le même choix pour son Requiem de Fauré - un choix semi-français, en réalité, les "u" étant prononcés "ou", à l'italienne.
Exemples pour chaque catégorie.
Laudate Nomen Ejus. Sicilia.
Restitué : Laoudaté nomène éyousse. Sikiliya.
Italien : Laoudaté nomène éyousse. Sitchiliya.
Français : Lodaté nomène éjusse. Sissilya ou Sissiliya.
CSS n'est pas d'une ferveur démesurée devant l'authenticité absolue.
- D'abord parce qu'elle n'est pas nécessairement plus esthétique. Les conditions de jadis n'étaient pas obligatoirement supérieures à celles d'aujourd'hui, et ce serait même, semble-t-il, le contraire.
- Ensuite parce qu'elle n'est pas possible. Pour entendre la même chose, il faudrait avoir la même culture qu'un homme du XVIIe-XVIIIe, ne pas connaître les instruments modernes, etc. Toutes choses impossibles.
Un exemple pour chaque proposition : les "r" roulés réellement à la façon XVIIe sont très sonores et denses, et tendent à parasiter l'écoute ; les "oué" à la place de "oi" créent une sensation d'étrangeté partielle qui n'est ni profondément gênante, ni profondément utile, faisant perdre tout de même un peu de proximité avec ce texte / cette musique.
Et l' Incoronazione de Maderna (Monteverdi par Bumbry, Gencer et di Stefano présente un caractère bien particulier, bien qu'assez modérément monteverdien) a réellement des charmes.
Mais en l'occurrence, le latin est une langue qui est traditionnellement pratiquée selon les usages de chaque locuteur. Et il nous semble extrêmement intéressant (bien que marginal, c'est évident) de rétablir cette prononciation pour deux raisons :
- le compositeur a composé pour cette sonorité, voire cette prosodie-là (finales potentiellement plus lourdes), et les respecter peut favoriser la musicalité de la pièce ;
- les chanteurs qui l'interprètent sont le plus souvent francophones, cela leur permet de trouver des sonorités qui leur seront plus propres qu'un impersonnel latin italianisant.
Ainsi, guère de quoi attiser les passions, mais on peut proposer un acquiescement modéré sur la question, sans s'offusquer de ces entreprises "authentiques".
Commentaires
1. Le mardi 24 avril 2007 à , par jdm
2. Le mercredi 25 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 25 avril 2007 à , par Bajazet
4. Le mercredi 25 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
5. Le mercredi 25 avril 2007 à , par Vartan
6. Le mercredi 25 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
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