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Feuilleton - Concours International de Quatuor à Cordes de Bordeaux 2007 - V - journée du 4 juillet (fin)

La fin de cette première journée de la première épreuve. (CSS renonce à manger et à dormir pour satisfaire la curiosité légitime de ses lecteurs.)

D'autant plus agréable à traiter que les quatuors présents méritent le détour, y compris pour un concert officiel.


Reprenons :

17h35 pause




18h Quatuor Atrium (Russie)

Une très belle formation, vraiment solide techniquement. Tout ce qu'on peut imaginer d'un quatuor russe, au demeurant (de même que les quatuors Sacconi pour la Grande-Bretagne, Nandor[1] pour la Hongrie, Quiroga pour l'Espagne, Benaïm pour la France...).

Dans le Quartettsatz, la conception est évidemment un peu sage, plutôt romantisée, avec un son très rond (et très beau), pour un résultat très homogène. Ce n'est pas leur répertoire de prédilection, mais on sent le potentiel réel. Toutefois, les épreuves suivantes, avec Mozart, Bacri et Schubert, ne favoriseront sans doute pas leur vibrato large et généreux.

La pièce complémentaire était le deuxième quatuor de Tchaïkovsky, opus 22, une oeuvre remarquable qui préfigure étrangement, contrairement à l'idée qu'on se fait du compositeur, la Russie du vingtième siècle, à la fois tonale et noueuse. Et si l'on pense à Chostakovitch, ce serait plutôt pour les derniers quatuors ! CSS était heureux de pouvoir l'entendre en salle ; bien que le plus célèbre des trois, il n'est guère souvent joué dans nos contrées. L'explication tient potentiellement, outre le facteur culturel, à la nature du son des ensembles invités dans les salles. Etonnant dans la mesure où le public raffole de ce lyrisme-là, dans le genre quatuor - et nous ne faisons pas exception à la règle.
Avec une maîtrise instrumentale à toute épreuve et une homogénéité sans faille (ajouter à cela des qualités individuelles très réelles), les Atriums proposent ici un jeu volontairement emphatique, beaucoup de vibrato, quelque chose de peut-être pas extrêmement personnel (presque un cliché de l'âme russe), mais pleinement convaincant. De façon surprenante, au moyen de phrasés relativement courts.
Le deuxième mouvement révèle des sons voilés dans le médium, qui évoquent de façon saisissante la voix humaine ; ou encore un alto très sonore, aux superbes sons 'rocaille' ; le rubato, déjà très présent, se trouve employé avec une grande justesse, et prouve encore à quel point ces quatre instrumentistes semblent respirer ensemble...
La tension est bâtie avec un très grand soin, avec un long climax de plusieurs minutes (la moitié du troisième mouvement !) ; la force du son n'y fait jamais renoncer à cette délicieuse rondeur moelleuse ; plus encore, malgré la charge du vibrato, chaque voix est parfaitement audible, comme très rarement dans ce répertoire, la petite harmonie centrale étant souvent couverte par les spectres sonores extrêmes.
Ici ou là, on n'hésite pas au ton lyrique mais badin, au battuto...
Le public, séduit par la veine lyrique de l'oeuvre, la force physique de ce son, et sans doute soulagé après la série Schumann un rien austère, semblait ravi. (Et nous tout pareil.[2])

En somme, une leçon, technique et stylistique, particulièrement adaptée au répertoire russe, et on achèterait volontiers un cycle de ce genre.

Mais cette spécialisation risque constituer un handicap conséquent pour obtenir un prix généraliste comme celui d'Evian-Bordeaux, assurément.

(A noter, le quatuor Vermeer, colonne vertébrale du jury, a enregistré l'intégrale des quatuors de Tchaïkovsky. Si des bruits de couloir nous reviennent sur leur avis...)




18h45 Quatuor Brodowski (Grande-Bretagne)

Ce quatuor propose un beau son feutré, et des phrasés intelligents, qui parviennent à retenir de façon très positive notre attention après un après-midi de concerts.

Le Quartettsatz de Schubert est joué sans la violence que la plupart des candidats ont voulu mettre pour prouver leur maîtrise (avec des nuances fortepiano souvent un rien brutales, pas très schubertiennes) ; au contraire, beaucoup de douceur et de rêverie dans les phrasés, les climats.

Suite le Premier Quatuor de Smetana (dit "De ma vie") , où l'on est plus mitigé. Inutile de présenter la pièce en elle-même, bien connue, succession de mouvements de caractère, évoquant la biographie de son auteur. Un Smetana assez différent du grand lyrique des opéras ou de l'ingénuité limpide de Ma Vlást ; ici bien plus sombre, un esprit plus proche de Janáček que de la Fiancée Vendue ou des quatuors de Dvořák - qui, étrangement, n'ont été retenus par aucun candidat.
Un splendide violoncelliste, doté d'un son clair, dense et pénétrant (ni rocailleux, ni serré), se distingue tout particulièrement ; le premier violon laisse sentir, notamment, un manque d'élan ou d'abandon. Le ton est exact, mais le son de l'ensemble est assez hétérogène, avec des rugosités inattendues pour l'oeuvre et gracieuses sans excès.
(Quelqu'un de pressé a applaudi après les accords suspendus qui précèdent la fin.)

Il n'empêche que le goût de la nuance et surtout le très beau Schubert nous ont très vivement séduit, pour un résultat excellent. Reste à voir si leurs faiblesses (petits accidents de justesse pour le premier violon dans le Quartettsatz notamment) seront interprétées comme un potentiel de progrès vers un son mieux harmonisé et des possibilités techniques accrues (qui valoriseront le concours), ou comme des limitations, un manque de maturité à ce jour. CSS croit à la première hypothèse, mais CSS n'est pas le jury - et s'en accommode avec une certaine satisfaction vu la cruauté de la hiérarchisation qui leur est imposée...




19h30 libération des otages

Et retour pour aller soigner les lutins (qui n'ont rien publié sur CSS en notre absence, les pendards !).

Notes

[1] Ils ont dû oublier un accent quelque part... Sans doute le a, qui est vraisemblablement très ouvert.

[2] Avec peut-être en plus le goût pour la modernité surprenante du langage et le style très adéquat du rubato, mais nous nous avançons sans doute.


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Commentaires

1. Le vendredi 6 juillet 2007 à , par Kia

De vrais enfoirés ces lutins !

2. Le samedi 7 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec

Je ne l'exprimerais pas en termes si choisis, mais on est dans l'esprit. :)

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