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FRANCOEUR & REBEL - Pyrame et Thisbé, creuset de la tragédie lyrique - IV - exécution musicale (Daniel Cuiller, Nantes-Angers 2007) et lectures

6. A Nantes et Angers : l'exhumation par Daniel Cuiller (ensemble Stradivaria)

Mai-juin 2007. Mise en scène de Mariame Clément.
Distribution :

  • Thisbé : Judith van Wanroïj
  • Zoraïde : Katia Velletaz
  • Ninus : Jeffrey Thompson
  • Pyrame : Thomas Dolié
  • Zoroastre : Jean Teitgen
  • La Gloire : Léonor Leprêtre
  • Vénus : Adèle Carlier
  • Ensemble Stradivaria
  • Clavecin et direction : Daniel CUILLER


Le jeu de l'ensemble Stradivaria évoque immanquablement les traits d'archets incisifs et la couleur des Musiciens du Louvre dans ce répertoire. Et pour cause, on apprend que Daniel Cuiller est ancien violoniste de cet ensemble ; il explique par ailleurs précisément qu'il entend donner une couleur précise aux attaques des cordes, et qu'il insiste beaucoup dans les répétitions pour que cet ensemble ait cette personnalité et cette diversité de coups d'archets.

Bien sûr, en comparaison avec d'autres ensembles plus expérimentés, Stradivaria sonne encore un peu vert, et on entend de petites imperfections instrumentales, ou dans la mise en place ; on pourrait aussi souhaiter une fougue, un abandon plus grands dans certaine pages. Il n'en demeure pas moins que le résultat est splendide, et certaines trouvailles y prouvent un souci réel du théâtre - on a §déjà évoqué le silence saisissant qui suit la révélation à Ninus de l'amour de Pyrame.




Côté chanteurs, on nage dans le ravissement. Diction vraiment bonne et expressive, pour tous ; un enchantement, de ce point de vue, d'autant plus que tous ne sont pas francophones.

Les voix féminines s'apparentent toutes à des sopranos lyriques de belle facture. A défaut d'un affrontement de couleurs, on dispose d'interprètes véritablement convaincants.

En Vénus, Adèle Carlier, avec ses acidités bellement expressives, rappelle furieusement le timbre de Mireille Delunsch, ce qui n'effraiera guère CSS ! Léonor Leprêtre, dans le rôle de la Gloire, semble avoir, elle beaucoup entendu Agnès Mellon dont on retrouve quelques inflexions.

Judith van Wanroïj (Thisbé) et Katia Velletaz (Zoraïde) ne s'opposent certes pas par le timbre ou le caractère. Ces voix de dimension moyenne, lyriques et fruitées développent des qualités semblables ; on avouera peut-être un faible pour Katia Velletaz, avec plus de caractère dans le timbre (un peu plus sombre) et plus d'expression dans le phrasé (on la sent plus francophone, plus précise dans la charge émotionnelle des mots). Toutefois, quelques-unes des nasales de Judith van Wanroïj sont habitées d'une tendresse absolument confondante.

Côté voix graves, on entend une voix grasse et noble chez Jean Teitgen en Zoroastre, tout à fait conforme à ce qu'on pourrait en attendre ; et on se réjouit que Thomas Dolié appartienne à cette nouvelle génération (tel Bertrand Chuberre) de basses 'baroques' charnues. Sa voix ronde et pleine parvient à séduire dans Pyrame, tandis que le rôle n'est pas très payant dramatiquement - et qu'il ne semble pas chercher non plus à l'habiter démesurément, comme le ferait un Corréas.

Tous ces interprètes, sans être dotés d'un charisme hors du commmun, convainquent pleinement.

Nous reste le singulier Jeffrey Thompson (la haute-contre de l'histoire) en Ninus. On imagine qu'il a dû irriter plus d'un auditeur. Pourtant, autant l'avouer, CSS a beaucoup admiré son travail.
Comme vous avez pu l'entendre dans l'extrait proposé, ce chanteur propose des voyelles très ouvertes, ce qui procure un panache certain à ses interventions, et surtout, émet des aigus toujours à la limite de la rupture, voire au-delà. La révolte des cordes vocales, ce court relâchement qui crée ce que l'on nomme le couac, semble être une méthode pour émettre les notes les plus hautes de la tessiture. On ne sait combien d'années son organe pourra supporter une telle violence, et, certes, les aigus n'y sont guère ronds et polis ; mais il faut bien lui reconnaître cette présence électrique, cet investissement de chaque instant. On l'a souligné, Ninus est littéralement fou d'amour, et Jeffrey Thompson joue chaque phrase comme si son amour dément dépendait tout entier d'elle.
Le résultat serait peut-être plus déplaisant dans un véritable rôle de jeune premier, mais ici, pour satisfaire la véhémence vengeresse du roi, on s'avoue pleinement satisfait par cette technique singulière doublée d'un investissement intégral du texte et de la musique. Une aisance, sinon vocale, psychologique dans ce rôle.




On le constate : on peut considérer, sans complaisance, que l'oeuvre a été pleinement servie - et, partant, nous aussi.




7. Lire.

De même que pour Callirhoé, avec son luxueux livre-disque, comportant des articles plus ou moins indépendants de l'enregistrement (depuis la justification - discutable - de coupures minimes jusqu'aux conditions de création et analyses dramaturgiques), on expérimente ici l'heureux concept de résurrection documentée. Un ouvrage autonome a ainsi paru, sous la direction de Françoise Rubellin : Pyrame et Thisbé - un opéra au miroir de ses parodies, 1726-1779, chez Espaces 34. [CSS ne l'a pas encore lu : ses remarques proviennent donc de la seule écoute de l'oeuvre.]

Contrairement aux 30€ de Callirhoé tout compris, ici, il faudra ajouter le prix du disque (prévu) aux plus de 20€ de l'ouvrage. Mais avec ses trois cents pages, il y a de quoi se repaître d'informations autour de cet opéra de premier intérêt, vous l'aurez compris. S'il ne réédite pas l'exploit de Callirhoé (également conditionné par l'exécution formidable), avec des élans mélodiques moins personnels et plus périssables, il n'en constitue pas moins une oeuvre extrêmement aboutie, qui se place sans peine parmi les découvertes prioritaires en tragédie lyrique.


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Commentaires

1. Le vendredi 27 juillet 2007 à , par Inactuel :: site

Catherine Cessac vient d'écrire un livre sur Rebel :
http://www.musicologie.org/publirem/livre_cessac_rebel.html
(il en était question hier matin sur France Culture, je crois).

A bientôt,
D.

2. Le samedi 28 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec

Tout à fait, Denis, mais il s'agit de Rebel père (Jean-Féry), dont on a donné l'Ulysse tout récemment à la Cité de la Musique (puis en juillet au logis de la Chabotterie, près de La Roche-sur-Yon).

Mais il fallait en parler, et merci de l'avoir fait. :)

3. Le dimanche 25 mai 2008 à , par WoO

J'ai acheté le disque cet après-midi et pour le moment je l'ai juste laissé tourner en fond sonore. Ca m'a l'air vraiment très bon tout ça mais je t'avoue que mes dents ont effectivement grincé quand Ninus est entré en scène. On verra bien sur la longueur et en fonction du rôle qui lui est dévolu dans cette tragédie. J'ai vraiment hâte de pouvoir écouter ces disques d'une oreille plus attentive.

4. Le lundi 26 mai 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Je compte donc sur ton commentaire éclairé de tragédiliricomane !

Je dois avouer que c'est après Callirhoé la tragédie lyrique que je prends le plus de plaisir à écouter. Ma perversité coutumière fait que j'aime énormément le panache de Jeffrey Thompson en Ninus. Malgré les couacs façon crapaud, ou même grâce à eux : des imperfections qui ne se cachent pas, et qui ne caractérisent que mieux le personnage.
Par ailleurs, timbre très intéressant.

Mais en tant que groupie de Siegmund Nimsgern, est-ce bien étonnant ?

5. Le lundi 17 mai 2010 à , par Dave

J'ai écouté Pyrame et, en plus de trouver ça très beau, j'ai toujours attendu avec la plus grande impatience la prochaine intervention de Jeffrey Thompson... Je l'ai trouvé exceptionnel.

6. Le lundi 17 mai 2010 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Dave !

Effectivement, en termes de chant, c'est tout ce qu'il y a de plus discutable, mais alors, il y a là un enthousiasme, au sens le plus profond du mot, proprement exceptionnel !

Il a surtout trouvé des détracteurs, mais au moins deux admirateurs à ce que je vois.

Cela dit, Wanroij, Vellétaz et Dolié sont vraiment remarquables aussi.

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David Le Marrec

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