Enregistrements, domaine public - XI - Giuseppe VERDI, Il Trovatore (en tchèque) - Šubrtová, Orchestre de la Radio de Prague, Dyk
Par DavidLeMarrec, mercredi 25 juillet 2007 à :: Musique, domaine public - Opéra romantique et vériste italien :: #605 :: rss
Une découverte tellurique. CSS ne peut pas vous proposer la prise sur le vif, non publiée, du Met, qui n’est pas libre de droits (années soixante-dix, et le Met est particulièrement jaloux de son patrimoine). Le Trouvère verdien s’y trouve à un degré de feu même pas approché ailleurs. Zubin Mehta, dans ses jeunes années, se jette à corps perdu, avec des tempi vif, dans le drame secondé par des chanteur tous aux sommets de leurs moyens et de leur engagement. Martina Arroyo loin de sa sagesse habituelle, dont tous les moyens sont tendus, électrique ; Shirlet Verrett brûlante et troublante en mère juvénile, envoûtante ; Richard Tucker, toujours prêt à donner de sa personne, malgré un timbre très personnel ; enfin Mario Sereni, immuablement souverain dans le mordant et la noblesse du propos.
Mais nous avons mis la main sur un témoignage encore plus original et au moins aussi palpitant. Car ici, outre un plateau déchaîné (et un rien moins arrogant vocalement, il est vrai), nous disposons d'un orchestre de premier ordre, qui transfigure totalement la partition. De quoi mettre les couleurs inédites de Muti en 2001, particulièrement fascinantes dans D'amor sull'ali rosee, au rang de sympathiques finitions.
Et, comme l'indique le titre, nous aurons quelques gâteries supplémentaires. Voilà qui pourrait convaincre des réfractaires à Verdi, tant tout cela sonne différent.
Car ce Verdi-là est joué avec la subtilité des articulations qu'on placerait dans Dálibor...
En voici la distribution :
Leonora - Milada ŠUBRTOVÁ
Azucena - Vera KRILOVÁ
Manrico - Beno BLACHUT
Luna - Theodor ŠRUBAR
Ferrando - Jaroslav VEVERKA
Inez - Vera ŠOUKUPOVÁ
Ruiz - Karel LEISS
Messager - Sobeslav SEJK
Vieux Gitan - Karel WIMMER
Chorus Československeho Rozhlasu (Choeur de la Radio Tchèque)
Chef de choeur : Jiri PINKAS
Orchestre de la Radio de Prague
Le tout dirigé par František DYK.
Enregistrement radio de 1955. Jamais publié officiellement, apparemment.
D'emblée, et c'est bien l'intérêt principal de cet enregistrement, on est saisi par cet orchestre invraisemblablement doux, dansant, élégant. Cette précision, cette couleur soyeuse... Incroyable, même le dernier Muti à la Scala dans le Trouvère de 2001 ne faisait pas cela. Disparu, tout le pathos vulgaire et démonstratif qu'on répand souvent dans ces pages. Non, ici, simplement l'incisivité percussive nécessairement à l'impact dramatique, et un goût parfait. Une sorte d'esthétique Toscanini, mais parée de chatoyances et de voluptés qui étaient inconnues de l'icône en question.
Di quelle pira devient une danse triste, un rituel mélancolique, au lieu de cette fanfare exécrable habituelle. Un léger rubato[1], et tout danse. Et bien sûr ces accords terribles, suspendus, à nouveau ce rubato intense de la toute fin qui ne nous est jamais apparue aussi impressionnante - physiquement même.
CSS n'a jamais autant cru au Trouvère qu'à l'écoute de cet enregistrement ; et le plaisir de la découverte réapparaît dans son entièreté, chose extrêmement rare. Il faut dire aussi que le son de la langue tchèque bouleverse certains automatismes auditifs.
Et on salue la très belle adaptation prosodique au tchèque, d'un infini naturel. Naturellement, le résultat sonne plus corsé, avec ces chuintantes merveilleuses qui font le charme de cette langue-ci.
Et le tout servi par une prise de son remarquable.
Naturellement, les caractéristiques vocales diffèrent sensiblement de la tradition d'école italienne ; voix très avant pour les femmes, très douces pour les hommes, loin du métal verdien. Une impression de proximité, de continuité de l'humain, plus que l'épate comme surnaturelle qui prévaut habituellement dans ce répertoire. En cela, l'attitude de l'orchestre constitue un atout de premier plan, choisissant immanquablement de surprendre et de servir le drame. Le rubato sert ici à toucher, et non à tenir un point d'orgue pour permettre à l'interprète de briller. Vous remarquerez sans doute, notamment, les ponctuations orchestrales qui se suspendent dans Stride la vampa, qui retiennent l'attention devant le conte.
Les amateurs de chant d'école italienne relèveront inévitablement que la nature de ces voix peu ou pas sombrées ne semble pas pleinement compatible avec la partition, comme les aigus blancs et difficiles de Beno Blachut qui propose un contre-ut absurde lorsque le sol est écrit[2], ou comme l'acidité de Šubrtová, qui rend d' Amor sull'ali rosee un peu difficile - l'étroitesse de la voix par rapport à nos standards verdiens ne rend pas non plus la tâche aisée sur un tel cantabile[3], surtout avec une émission très antérieure. En revanche, elle propose une première partie de scène du Miserere sobre et hallucinée, déchirante plus que toutes les Callas et autres méditerranéennes emphatiques réunies. La seconde renoue toutefois avec des pleurnicheries moins gracieuses.
En cadeau, pupitres féminins des choeurs remarquables, pleinement soyeux.
On redécouvre ce que peuvent être la force dramatique et la simplicité de Verdi, dégagé de tout pathos ostentatoire et de toute épate vocale. Un régal, de même qu'on peut revenir à du Mozart après avoir goûté à des mets plus sophistiqués.
A connaître impérativement, pour son renouvellement, et surtout son orchestre d'une justesse et d'une poésie rares. De surcroît, je ne sache pas que cet enregistrement soit commercialisé...
L'enregistrement intégral libre de droits.
Il faut surtout ne pas manquer de tirer un grand coup de chapeau à Kia qui mit en toute urbanité ce joyau du domaine public en ligne. Je me permets de proposer un téléchargement direct sur nos serveurs, puisque son site n'est pas accessible en permanence (et difficilement ces jours-ci), mais ne manquez pas d'aller vous émerveiller de ce qu'il y propose.
Notes
[1] C'est-à-dire de petites fluctuations volontaires des durées écrites.
[2] Et plus beau, à notre humble avis. La quinte laisse la situation suspendue - il faut attendre l'acte suivant pour connaître le dénouement de cet affrontement tout à la fois urgent, impromptu et décisif. Toutefois, pour complaire au public et valoriser les chanteurs, il n'est jamais donné. (Le seul exemple au disque est cette fameuse version philologique et très inspirée de Muti en 2001, qui fut au passage huée pour cette raison lors des premières soirées.)
[3] Ligne mélodique longue et très lyrique.
Commentaires
1. Le samedi 28 juillet 2007 à , par Morloch
2. Le samedi 28 juillet 2007 à , par Morloch
3. Le samedi 28 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec
4. Le dimanche 29 juillet 2007 à , par Didier Goux :: site
5. Le dimanche 29 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec
6. Le vendredi 17 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le vendredi 17 août 2007 à , par Morloch
8. Le vendredi 17 août 2007 à , par DavidLeMarrec
9. Le vendredi 17 août 2007 à , par Morloch
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