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Quelques raccourcis d’erreur sur la tragédie lyrique

[Oui, très joli génitif hébraïque, pas ostentatoire du tout, merci.]

Sur le très sympathique carnet d'une médiathèque française, où je vais lire de temps à autre, j'ai trouvé aujourd'hui quelques imprécisions parfois récurrentes sur la tragédie en musique.

Je me suis donc attaché à les rectifier gentiment en commentaire, et je me dis, après tout, qu'elles peuvent être utiles, sait-on jamais, à certains visiteurs de passage sur CSS.

Je ne citerai pas à cette occasion le carnet en question, le but n'est surtout pas de lui causer du tort, mais d'essayer de fournir les informations les moins erronées possible. D'autant plus que la synthèse sur le genre était une excellente idée, et bien structurée. Le propos portait essentiellement sur le modèle Lully/Quinault, mais au vu des petites confusions, je me permets de préciser au delà.


Je passe sur la coquille de Lully et le Grand Siècle au XVIIIe, parce qu'il s'agit selon toute vraisemblance d'un des terribles lapsus digiti qui font tant de tort, sur les nombres.

Propos 1

L'Euridice de Peri, le premier opéra.

L'Euridice n'est que le premier opéra dont nous ayons recueilli la partition intégrale (il existe plusieurs enregistrements, CSS pourra éventuellement faire la point sur la question), mais La Dafne du même Peri est en réalité le premier opéra joué. L'article opérait d'ailleurs tout à fait opportunément une distinction entre premier opéra et premier chef-d'oeuvre - L'Orfeo de Monteverdi, dont on a à plusieurs reprises lu à l'occasion de son quadricentenaire, cette année, qu'il était le premier opéra tout court.[1]




Propos 2

Dans la tragédie lyrique, l'action est toujours mythologique ou légendaire.

C'est largement vrai, mais j'en profite pour préciser.

On pouvait tout à fait trouver des sujets pas nécessairement mythologiques.
=> Des sujets liés à la littérature médiévale, et dès Lully (Roland, Amadis des Gaules, etc.).
=> A partir du Scanderberg de Rebel/Francoeur/La Motte, il est possible d'inclure des sujets historiques (relativement récents et pas trop lointains, même si considérés comme tels : XVe siècle en Albanie, ici).




Propos 3

Toute tragédie lyrique qui se respecte débute par un prologue qui n'a souvent aucun lien avec la tragédie qui suit.

Le Prologue a parfois une résonance avec la tragédie chez Lully. Par exemple dans Armide, l'éloge du roi semble faire confusion avec l'éloge de Renaud, on ne sait plus guère de qui l'on parle. Dans Atys, le sujet est annoncé par Melpomène, embrayant ainsi réel (la fête donnée au roi) et sujet de la tragédie.

Après la mort de Louis XIV, le Prologue a à peu près systématiquement un lien effectif (exposition allégorique des enjeux, ou du moins le feint-on) avec la tragédie. Il commence à être supprimé à partir de la première mouture du Zoroastre de Rameau (1749).




Propos 4

Chacun des 5 actes est interrompu par un intermède chant ou dansé qui n'a lui non plus aucun rapport avec l'action.

L'intérêt des danses est précisément d'intégrer leur artificialité à l'impératif dramatique. C'est ainsi que certains divertissements ont pu être déplacés ou même supprimés (l'exemple le plus célèbre étant celui du V de la Médée de Charpentier/Th. Corneille).




Propos 5

respect des 3 règles d'unité : lieu, temps, action (Selon cette règle, l'intrigue devait former un tout (unité d'action), cependant que la scène devait ne représenter qu'un seul lieu (unité de lieu) et l'action de la tragédie ne devait pas dépasser vingt-quatre heures

L'unité de lieu n'existe pas du tout, bien au contraire, dans la tragédie lyrique, où l'on se déplace autant qu'on peut, et souvent sur les ailes de la magie !




Sinon, le jeu de miroir et d'opposition, les nuances entre tragédie lyrique et tragédie classique étaient bien vus.

Voilà, si jamais cela peut dissiper des confusions lues ailleurs par certains de nos lecteurs, ça n'a pas mangé beaucoup de pain.




Ajout : pour en savoir plus sur la tragédie lyrique, une synthèse-introduction figure ici.

Notes

[1] On pourrait d'ailleurs discuter, vu la qualité réelle de L'Euridice, dans un autre genre ; vu la singularité très importante de L'Orfeo ; vu les lacunes encore immenses des musiciens et du grand public sur ces premiers opéras, de l'opportunité de désigner comme premier chef-d'oeuvre ce qui surnage d'une période que nous ne connaissons pas... Mais chef-d'oeuvre assurément, oui !


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Commentaires

1. Le lundi 13 août 2007 à , par Bajazet

Et pan sur le bec ;-)

Le propre de la tragédie lyrique est en effet de pouvoir proposer un décor différent à chaque acte : les auteurs s'en privent rarement. Il est rarissime d'avoir une unité de lieu au sens strict (c'est le cas sauf erreur du Renaud de Desmarets en 1722, mais je confonds peut-être avec un autre opéra). Le problème reste évidemment de définir l'unité de lieu (voir les contorsions de Corneille à ce sujet) : dans Idoménée de Danchet/Campra, le décor change à chaque acte mais on est toujours dans un même lieu plus ou moins élastique, la capitale de la Crète. Dans Hippolyte et Aricie au contraire, on se balade tout le temps, youpitralala. C'est en effet le régime le plus courant.

Sinon, les idées reçues ont la vie dure : cette "gratuité" du divertissement dansé "sans rapport avec l'action", c'est une vue de l'esprit. Les actes III d'Armide, d'Atys ou de la Médée de Charpentier ou encore d'Hippolyte et Aricie offrent des contre-exemples éclatants, et ce ne sont pas les seuls. Il me semble plus juste de considérer que le divertissement correspond à l'insertion d'une séquence dansée dans l'acte, et que cette séquence peut en effet n'avoir qu'une valeur de pause ("divertissement" au sens premier, bifurcation provisoire par rapport au drame) mais que bien souvent elle a un lien avec l'action dramatique, selon des modalités assez souples. Il y a souvent une solidarité organique du "divertissement" avec son contexte, par exemple quand la séquence dansée installe l'euphorie d'une fête collective précisément destinée à être détruite plus tard dans le même acte.

2. Le lundi 13 août 2007 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Bajazet. :-)

Et pan sur le bec ;-)

Oh non, surtout pas, ils voulaient avec beaucoup de bonne volonté introduire à ce genre, ça me semble une démarche très louable.

Seulement, à moins d'être un peu habitué, on trouve facilement des bêtises un peu partout sur le genre...

Pour le reste, je n'ajoute rien à tes remarques, il y a amplement de quoi être rassasié. :)

Si, peut-être, concernant les divertissements, on peut aussi évoquer le cas où le drame est tout entier un divertissement, et, contrairement à l'habitude, les sert (je pense en particulier à l' Omphale de Destouches/La Motte, comme tu t'en doutes) ; ou encore le cas inverse où le divertissement est détourné pour être une pièce de ballet dramatique, qui n'a plus rien du divertissement au sens premier, et plus grand chose du divertissement au sens second (l'acte III de Médée, bien sûr, avec des manifestations infernales et des sections instrumentales brèves) ; enfin celles où le divertissement est regardé comme tel, souligné comme artifice. Ici encore, je pense à Médée, avec ces choeurs hypocrites qui flattent Oronte, ou cette ariette italienne qui intervient ; ces sections s'affichent comme divertissements, et parfois en portant diversion ou mensonge.
Bien sûr, les cas les plus fréquents sont ceux que tu cites, et la Médée de Charpentier les réunit très bien : le simple divertissement qui fait césure, suspend l'action, comme l'ariette italienne ; ou le divertissement qui prolonge l'action, qui participe même de son déroulement.

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