Quelques raccourcis d’erreur sur la tragédie lyrique
Par DavidLeMarrec, samedi 11 août 2007 à :: Baroque français et tragédie lyrique :: #687 :: rss
[Oui, très joli génitif hébraïque, pas ostentatoire du tout, merci.]
Sur le très sympathique carnet d'une médiathèque française, où je vais lire de temps à autre, j'ai trouvé aujourd'hui quelques imprécisions parfois récurrentes sur la tragédie en musique.
Je me suis donc attaché à les rectifier gentiment en commentaire, et je me dis, après tout, qu'elles peuvent être utiles, sait-on jamais, à certains visiteurs de passage sur CSS.
Je ne citerai pas à cette occasion le carnet en question, le but n'est surtout pas de lui causer du tort, mais d'essayer de fournir les informations les moins erronées possible. D'autant plus que la synthèse sur le genre était une excellente idée, et bien structurée. Le propos portait essentiellement sur le modèle Lully/Quinault, mais au vu des petites confusions, je me permets de préciser au delà.
Je passe sur la coquille de Lully et le Grand Siècle au XVIIIe, parce qu'il s'agit selon toute vraisemblance d'un des terribles lapsus digiti qui font tant de tort, sur les nombres.
Propos 1
L'Euridice de Peri, le premier opéra.
L'Euridice n'est que le premier opéra dont nous ayons recueilli la partition intégrale (il existe plusieurs enregistrements, CSS pourra éventuellement faire la point sur la question), mais La Dafne du même Peri est en réalité le premier opéra joué. L'article opérait d'ailleurs tout à fait opportunément une distinction entre premier opéra et premier chef-d'oeuvre - L'Orfeo de Monteverdi, dont on a à plusieurs reprises lu à l'occasion de son quadricentenaire, cette année, qu'il était le premier opéra tout court.[1]
Propos 2
Dans la tragédie lyrique, l'action est toujours mythologique ou légendaire.
C'est largement vrai, mais j'en profite pour préciser.
On pouvait tout à fait trouver des sujets pas nécessairement mythologiques.
=> Des sujets liés à la littérature médiévale, et dès Lully (Roland, Amadis des Gaules, etc.).
=> A partir du Scanderberg de Rebel/Francoeur/La Motte, il est possible d'inclure des sujets historiques (relativement récents et pas trop lointains, même si considérés comme tels : XVe siècle en Albanie, ici).
Propos 3
Toute tragédie lyrique qui se respecte débute par un prologue qui n'a souvent aucun lien avec la tragédie qui suit.
Le Prologue a parfois une résonance avec la tragédie chez Lully. Par exemple dans Armide, l'éloge du roi semble faire confusion avec l'éloge de Renaud, on ne sait plus guère de qui l'on parle. Dans Atys, le sujet est annoncé par Melpomène, embrayant ainsi réel (la fête donnée au roi) et sujet de la tragédie.
Après la mort de Louis XIV, le Prologue a à peu près systématiquement un lien effectif (exposition allégorique des enjeux, ou du moins le feint-on) avec la tragédie. Il commence à être supprimé à partir de la première mouture du Zoroastre de Rameau (1749).
Propos 4
Chacun des 5 actes est interrompu par un intermède chant ou dansé qui n'a lui non plus aucun rapport avec l'action.
L'intérêt des danses est précisément d'intégrer leur artificialité à l'impératif dramatique. C'est ainsi que certains divertissements ont pu être déplacés ou même supprimés (l'exemple le plus célèbre étant celui du V de la Médée de Charpentier/Th. Corneille).
Propos 5
respect des 3 règles d'unité : lieu, temps, action (Selon cette règle, l'intrigue devait former un tout (unité d'action), cependant que la scène devait ne représenter qu'un seul lieu (unité de lieu) et l'action de la tragédie ne devait pas dépasser vingt-quatre heures
L'unité de lieu n'existe pas du tout, bien au contraire, dans la tragédie lyrique, où l'on se déplace autant qu'on peut, et souvent sur les ailes de la magie !
Sinon, le jeu de miroir et d'opposition, les nuances entre tragédie lyrique et tragédie classique étaient bien vus.
Voilà, si jamais cela peut dissiper des confusions lues ailleurs par certains de nos lecteurs, ça n'a pas mangé beaucoup de pain.
Ajout : pour en savoir plus sur la tragédie lyrique, une synthèse-introduction figure ici.
Notes
[1] On pourrait d'ailleurs discuter, vu la qualité réelle de L'Euridice, dans un autre genre ; vu la singularité très importante de L'Orfeo ; vu les lacunes encore immenses des musiciens et du grand public sur ces premiers opéras, de l'opportunité de désigner comme premier chef-d'oeuvre ce qui surnage d'une période que nous ne connaissons pas... Mais chef-d'oeuvre assurément, oui !
Commentaires
1. Le lundi 13 août 2007 à , par Bajazet
2. Le lundi 13 août 2007 à , par DavidLeMarrec
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