Carnets sur sol

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Avant-concert : introductions à la Damnation de Faust (Hector BERLIOZ)

Sur commande[1] , voici une esquisse de réponse à quelques questions posées, portant sur :

  1. La construction de l'oeuvre.
  2. La fidélité à Goethe et la fin modifiée.
  3. Opéra ou pas ?

Et bien sûr, au passage, les adaptations lyriques du mythe de Faust.

On en fait donc profiter les lecteurs de notre petit antre.

Notes

[1] ... puisqu'à Paris se prépare en ouverture de saison une version réunissant James Levine, Yvonne Naef, Marcelo Giordani et José van Dam.


1. Bain sonore

Bien qu'il fût possible de placer A la voûte azurée, D'amour l'ardente flamme semblait plus propice à la lecture. Bon voyage en compagnie de la Marguerite pathétique de Régine Crespin.




2. Présentation

La Damnation de Faust (présentée par son auteur comme une légende dramatique) s'inscrit dans une tradition déjà fournie de mise en scène des tableaux qui constituent le drame de Goethe.

Si Spohr[1] (et plus tard Gounod, Boito, etc.[2]) ont proposé un véritable opéra, en revanche Beethoven[3], Schubert[4], Radziwill[5], Schumann[6], Wagner[7] ont composé sur des scènes célèbres, un peu comme pour Wilhelm Meister dont les chants (du harpiste ou de Mignon) ont fait la fortune du lied allemand.
Dans les cas de Radziwill et de Schumann, on disposait même d'un orchestre pour accompagner ces scènes (littéralement le texte de Goethe).

Berlioz appartient à ce dernier cas. Initialement, il compose des Scènes de Faust, utilisant la traduction de Nerval, qui incluent certains moments parmi les plus célèbres, notamment des chansons de Méphisto. Faust n'apparaît pas dans ces fragments, seulement Marguerite déjà mezzo et un Méphistophélès rieur, ténor.

Ce n'est que plus tard que Berlioz écrit les formidables récitatifs ("A la voûte azurée" est assurément un sommet du genre), le « liant » et les numéros complémentaires, sans que l'ensemble ne sonne, d'un point de vue musical, véritablement disparate.
Le livret est de Nerval (c'est-à-dire largement inspiré de sa traduction) et Berlioz, avec la partiticipation d'Almire Gandonnière pour certaines scènes spécifiques - que le compositeur lui avait confiées pendant son absence.

Cette gestation en deux étapes explique très bien la caractère fragmentaire dramatiquement de ce qui n'est pas conçu comme un opéra mais comme l'enchaînement élégant de scènes majeures. Au demeurant, le drame de Goethe est, lui, extrêmement césuré (écouter les Scènes de Faust de Schumann en donne la juste idée).




La trame retenue est celle du premier Faust, sans nuit de Walpurgis ; néanmoins, au lieu de laisser la suite en suspension à la mort de Marguerite (Barbier & Carré le font très exactement à la fin de l'opéra de Gounod, choeur extatique excepté), le livret laisse celle-ci en prison (non pas pour le meurtre de l'enfant, mais de la mère à coups de somnifère).
Faust, dupé par un faux contrat, vend son âme pour la sauver, sans que l'on sache rien de ce qui adviendra de la pauvrette, manifestement laissée à son sort.
Contrairement à l'errance initiatrice de Goethe, le drame se clôt sur la damnation de Faust (un titre subversif pour une adaptation de Goethe, en fin de compte), sur le modèle des versions plus anciennes du mythe - car l'introduction de l'incertitude, puis de la rédemption est le fait de Goethe.
Nous avons ainsi droit à un choeur en langue infernale, appelé pandemonium (une confusion avec le nom de la capitale des Enfers), marquant le triomphe de Méphisto. L'oeuvre s'achève tout de même sur une concession esthétique, à savoir l'assomption de Marguerite, manière de ne pas laisser le mal triompher du monde et de la vie dans une sorte d'aporie. De ne pas présenter un spectacle amoral non plus, sans doute.

Car toutes ces affaires de Marguerite-sainte ne sont pas traitées par Goethe (qui la laisse simplement mourir en prison à la fin du premier Faust), mais l'opéra, dans son besoin d'édification pour un spectacle un tant soit peu moral, en développe le motif chez les Français (Berlioz et Gounod).
A bien y réfléchir, d'ailleurs, Marguerite n'a rien d'une sainte, il s'agit d'une petite ingénue débauchée par les malices infernales (telles Alix et Blancheflor d' Une Larme du diable de Gautier), une victime tout au plus, qui tue tout de même, selon les cas, son enfant ou sa mère. Rien de particulièrement édifiant, mais Faust est déstabilisant en ce qu'il ne nous présente, du moins dans sa première partie, aucun personnage qui puisse servir d'exemplarité ou même seulement de support d'identification. Trop fragmentaires, trop imparfaits.
D'où cette exaltation paradoxale du personnage.




Voilà pour un début d'indication sur la conception de cette chose lyrique. Musicalement, bien sûr, mélange de pièces orchestrales, chorales, d'airs, de récitatifs, de scènes de genre, de ballets... Une variété qui rend l'abord assez commode.

Contrairement à ce qui est parfois soutenu, je crois que Berlioz ne le souhaitait pas mis en scène tout simplement par impossibilité de faire jouer cet objet fragmenté comme un opéra, dont le cahier des charges était sensiblement distinct. Mais il n'existe pas d'objection interne à l'oeuvre à une mise en scène, bien au contraire, l'aspect visuel y est une richesse - tout s'y prête à merveille.







Ajout du 10 novembre 2007 : On peut noter aussi le délicieux caractère légèrement subversif du titre. Le Second Faust, publié de façon posthume l'année de la mort de Goethe, en 1832, est traduit en extraits dès 1840 par Nerval, et si Berlioz ne pouvait les connaître, évidemment, pour les Scènes de Faust qui se contentent de reprendre quelques épisodes très pittoresques du Premier Faust (Chants de la Fête de Pâques, Paysans sous les tilleuls, Concert de Sylphes, Ecot de joyeux compagnons, Chanson de Méphistophélès, Le Roi de Thulé, Romance de Marguerite, Sérénade de Méphistophélès)[8], il ne pouvait ignorer le contenu global du Second Faust [9]. Les Scènes de Faust s'interrompant juste avant la mort de Valentin, sans modifier le moindre élément, il était donc possible de suivre le cheminement de Goethe.
Aussi, ce titre qui annonce d'emblée l'infidélité au texte inspirateur sonne-t-il comme un paradoxe, voire comme une légère provocation. Ou, plus vraisemblablement il est vrai, comme la poursuite de la réception du Faust par tous : après le I, on ne peut imaginer que cette âme chargée d'un tel péché fût sauvée. Surtout que le mythe qui, bien que magnifié par Goethe, lui préexistait [10], disposait bel et bien l'enlèvement de Faust par le diable.

Autre chose : malgré le caractère volontairement rhapsodique de ces épisodes, on est frappé par la cohérence stylistique de l'ensemble, en dépit du grand fossé qui sépare les deux époques de composition. Il est vrai que Berlioz a toujours utilisé les mêmes recettes, mais le résultat en est étonnamment homogène dans l'esprit - même si nombre des scènes les plus profondes et surtout des plus beaux récitatifs ont été écrits dans la seconde phase de composition.

Notes

[1] Le premier a avoir traité le sujet à l'opéra. Le ton est assez proche de la Flûte Enchantée de Mozart, et l'oeuvre oscille entre le plaisant et le profond, sans constituer en elle-même un chef-d'oeuvre indispensable. Au demeurant, c'est un peu notre avis sur la Zauberflöte...

[2] Attention, Busoni ou Dusapin s'inspirent plutôt des version antérieures du mythe, en tête desquelles Marlowe.

[3] Pour des oeuvres avec piano et chant assez peu passionnantes.

[4] On parle de ses Faust-Lieder dans ce propos sur les cycles ou dans cette présentation de l'approche schubertienne du lied.

[5] Apparemment, ce n'est pas édité, malgré l'intérêt réel de l'oeuvre, assez proche de la musique vocale de Marschner et de Schumann (plutôt celui de Genoveva).

[6] Ses Scènes de Faust constituent un chef-d'oeuvre, et même un chef-d'oeuvre majeur, souvent mal interprétées, mais faisant preuve d'une extraordinaire sensibilité au texte de Goethe.

[7] On décrit ces Faust-Lieder ici.

[8] Ils ne seront pas repris dans le même ordre pour la Damnation.

[9] Qui s'achève, rappelons-le, sur la mort, l'assomption et la rédemption de Faust.

[10] Ludwig Spohr s'est d'ailleurs uniquement inspiré des traditions antérieures pour son opéra, le premier sur le sujet


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Commentaires

1. Le dimanche 13 décembre 2009 à , par lou :: site

Quelle serait ta discographie personnelle, ton interprétation préférée (et disponible dans le commerce, c'est pour une de mes correspondantes et je sèche : Léo Ferré ne l'a pas chanté) ?

2. Le dimanche 13 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Il y a deux versions particulièrement exceptionnelles :
- Markevitch, parce que toute l'orchestration berliozienne devient justifiée et éloquente, c'est très impressionnant, et la distribution, quoique peu célèbre, est très bonne ;
- C. Davis I (celle avec Veasey / Gedda / Bastin), pour l'éloquence de Bastin et le spectaculaire de l'orchestre.

La première est plus intéressante à mon avis, mais si on n'a pas l'habitude du répertoire, la seconde est peut-être plus séduisante, particulièrement si on écoute d'abord les voix.

La première se trouve en réédition pas cher (DGG), la seconde est plus chère et doit se trouver plus difficilement tant que Decca ne l'a pas réédité (c'était ancienne Philips), mais aux dernières nouvelles, ça se trouvait sans grande peine.

3. Le dimanche 13 décembre 2009 à , par lou :: site

Merci David !
Markevitch, c'est ce que j'aurais dit, mais c'est la seule version, d'époque, dont je dispose.
Colin Davis ne m'étonne pas à cette place, si l'on considère la distribution.

C'est quand même extraordinaire.
On cherche une damnation. C'est connu (moins que Gounod), mais si l'Internet est grand, son prophète est DLM.
Alors on tape tranquillement : Berlioz damnation carnets sur sol. On se demande ce qu'il n'y a pas dans les Carnets. On y trouve même des entractes.

Je viens de lire et d'écouter ton Schlafe.
Inconnu, faut-il le dire ?
L'ambiguïté est un trait qu'on entend souvent chez Schubert et ton interprétation, le moins emphatique possible, le rend bien.

4. Le dimanche 13 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Quel lobgesang ! J'attends avec impatience la prochaine sourate.

Je réponds néanmoins au reste :

Colin Davis ne m'étonne pas à cette place, si l'on considère la distribution.

En réalité, c'est une vraie surprise pour moi, parce que je le trouve très mal à l'aise dans Berlioz - son omniprésence dans un répertoire qu'il a été un peu seul à défendre a fait beaucoup de tort à l'image lourde et clinquante qu'on a longtemps perpétuée au sujet de ce compositeur. C'est peut-être bien son seul disque de Berlioz que je recommanderais sans réserve, mais il faut bien en convenir : c'est une fresque très vivante et grandiose, un vrai voyage.
Gedda n'est pas ma tasse de thé (la prononciation hasardeuse, le timbre saturé), mais il est plutôt dans un bon jour. C'est surtout Bastin qui tient la vedette, peut-être bien la plus belle incarnation d'un rôle d'opéra que j'aie entendu.

Alors on tape tranquillement : Berlioz damnation carnets sur sol. On se demande ce qu'il n'y a pas dans les Carnets.

La Samaritaine est fermée, il faut tâcher de trouver des remèdes.

Je viens de lire et d'écouter ton Schlafe.
Inconnu, faut-il le dire ?
L'ambiguïté est un trait qu'on entend souvent chez Schubert et ton interprétation, le moins emphatique possible, le rend bien.

Je suis ravi que tu le prennes sur ce ton-là, et je n'en modulerai rien. :)

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