Antonio VIVALDI - Atenaïde, RV 702 - Sardelli, Modo Antico - Piau, Basso, Laurens, Genaux, Stutzmann, Ferrari, Agnew
Par DavidLeMarrec, samedi 13 octobre 2007 à :: Disques et représentations :: #739 :: rss
Atenaide
Dramma per musica in tre atti
Livret d'Apostolo Zeno
Création : Teatro della Pergola, Florence (1728)
Edition critique de l'Institut Italien (Alessandro Borin)
Atenaide/Eudossa : Sandrine Piau
Teodosio : Vivica Genaux
Pulcheria : Guillemette Laurens
Varane : Romina Basso
Marziano : Nathalie Stutzmann
Leontino : Paul Agnew
Probo : Stefano Ferrari
Orchestre : Modo Antiquo
Chef : Federico Maria SARDELLI
Une présentation de nouveauté discographique, comme ce n'est à peu près jamais le cas sur CSS, due à la vigilance de Sylvie Eusèbe, à qui les lutins cèdent immédiatement la parole :
Sylvie Eusèbe :
C’est avec beaucoup de curiosité que je viens enfin de découvrir ce « nouvel » opéra de Vivaldi : Atenaide. Je tiens à dire haut et fort que mon attente n’a pas été déçue, et que tant du point de vue musical que du point de vue de l’interprétation, cet enregistrement est magnifique.
Je distingue particulièrement Romina Basso qui m’avait déjà attiré l’oreille dans Motezuma. Sa voix de « mezzo-grave » franche et chaleureuse est capable de beaux accents originaux, la ligne à la fois ferme et élégante de son chant est très impressionnante. Je n’insiste pas mais sa voix me plait énormément.
Je me doute bien que les sopranos Sandrine Piau et Vivica Genaux ont de nombreux admirateurs, mais hélas pour moi elles ont des timbres dont je n’entends pas bien les particularités, je peux juste souligner les aigus très pures de Sandrine Piau. Décidément je n’ai toujours pas d’affinités avec cette tessiture que je trouve peu expressive, et j’ai été très étonné que certains de leurs airs me fassent penser par moments à ceux de Rossini… Voici une filiation dont je ne me serais pas doutée !
J’ai aussi retrouvé Stephano Ferrari entendu dans le Tempo de « Il trionfo » de Haendel à Pleyel début avril 2007. Il est ici plus à l’aise que lors de ce concert, il est bien expressif dans les récitatifs, mais parfois pas très juste dans les airs bien que je reconnaisse que son rôle est particulièrement virtuose.
Paul Agnew (dont je garde un grand souvenir en Platée) est toujours très reconnaissable grâce à son vibrato qui commence agréablement mais devient tremblant dès qu’il se termine par un fortissimo même léger.
Il me semble que Guillemette Laurens est ici moins émouvante que dans la Vérità, mais je suppose que cela est dû à la musique. Elle chante un air qui commence par des violons qui font tout doucement « tacatacatacata » pour finir en tempête, superbe Vivaldi (Acte II, air de Pulcheria : « Sorge l’irato nembo ») !
A propos de violons, l’orchestre Modo Antiquo dirigé par Federico Maria Sardelli est admirable. Les musiciens et leur chef ont trouvé l’équilibre parfait entre vivacité, légèreté et grandeur sans recourir à la moindre agressivité. Je pense ici évidemment à la direction de J.-C. Spinosi dont la Verità est exceptionnellement déchaînée. Avec cette Atenaide, on a une vision plus beaucoup douce sans être fade, qui a un caractère et un souffle propres sans se démarquer avec une brusquerie voyante, même si cela est agréable quand c’est bien fait. C’est du très grand art, et je tiens vraiment à souligner la magnifique sonorité des violons, à la fois « classique » mais avec quelque chose en plus que je n’arrive pas à définir, quelque chose d’extrêmement réjouissant et enthousiasmant !
La seule petite remarque un peu « critique » que j’ose faire ici est à propos des tempi choisis pour les airs. Beaucoup d’entre eux (presque tous en fait) sont des airs de colère et leur succession me paraît de ce fait un peu « monotone ». Il n’y a guère dans Atenaide une alternance d’airs furieux ou guerriers avec des airs tendres ou désespérés, comme dans la Verità ou Motezuma, par exemple. Alors, peut-être que pour de simples mélomanes comme moi, une variation plus nette des tempi aurait permis de mieux soutenir l’intérêt auditif, d’autant plus que ces rythmes tous très rapides rapprochent parfois les chanteurs de leurs limites…
Les fidèles lecteurs de CSS ont compris que j’ai bien sûr gardé pour la fin mon commentaire détaillé sur Nathalie Stutzmann ! Elle chante ici le rôle de Marziano (un général byzantin) qui est à mon avis celui qui offre le plus de possibilités d’expression puisque sur quatre airs, les deux premiers sont rapides et les deux autres si magnifiquement lents qu’ils contiennent les douleurs du monde et consolent en même temps de ses peines.
La contralto est ici logiquement plus retenue qu’avec J.-C. Spinosi dans « La Verità in cimento », et ce que son chant perd en fougue, il le gagne en pureté. Un sentiment de noblesse absolue se dégage de sa voix calme et posée, son chant audacieux et imperturbable instaure une rassurante tranquillité proche de la sérénité. Elle est toujours aussi généreuse en accentuations, ses notes étirées s’envolent souvent avec une rêverie toute nouvelle, ses pianissimi sont d’une beauté bouleversante, sa ligne musicale extrêmement souple lui permet de souligner et même d’inventer de magnifiques écarts de notes. Ces changements de registres se font si naturellement que j’en suis émerveillée !
Les deux airs de Marziano à l’acte I sont difficiles à cause de leurs longues et rapides vocalises et paradoxalement moins spectaculaires que ses deux airs suivants. Cela laisse moins de possibilités à la chanteuse pour s’exprimer, elle y est cependant prodigieuse de vitalité.
L’aria « Al valore che prode ti preggi » est brillant et chatoyant, les violons ont de petits traits « glissés » très enthousiasmants et N. Stutzmann descend sur les « a » en fin de vers sur ses graves si profonds, mais ses aigus forte rendent son timbre moins attirant.
Dans le second aria « Di novi allori adorno », le ton est digne, le chant fluide tout en restant fier et martial (Marziano va se battre). J’admire la virtuosité de l’invention et la virtuosité tout court qui entrainent les syllabes de « E a pié del soglio avvinta » d’un extrême à l’autre (ou presque) de la gamme. Stupéfiant !
Parmi les récitatifs de Marziano, je distingue cette réplique à la fin de la scène 3 du premier acte : « Ti basti / Che sia reo il mio silenzio » (Mon silence coupable hélas t’en dit assez). Le « e » de « reo » s’allonge et ralentit déjà le tempo. Puis vient « Lascia penar con innocenza il core, / E interpreta per zel anche l’amore » (Laisse mon cœur innocemment souffrir, Et vois dans mon amour un effet de mon zèle). Ces deux vers sont chantés presque a capela, le tempo est encore plus retenu, un saisissant effet de pureté et de solitude se dégage de la prière de Marziano à sa bien-aimée.
A l’acte II, accompagné de deux flûtes, le magnifique aria « Bel piacer di fido core » offre à l’inspiration créatrice de Nathalie Stutzmann les nombreuses reprises de « Per te peno per te moro » (Pour toi je souffre, pour toi je meurs) : le « e » de « peno » est étiré de tant de façons différentes ! La note la plus délicieuse est sur « o » de ce « peno ». Il s’envole comme jamais la chanteuse ne l’a fait auparavant puis il disparait dans un enchantement inconnu ! L’espace d’un instant, le temps s’est arrêté.
Dans l’aria « Cor mio che prigion sei » de l’acte III, le chant de la musicienne souligné par le basson est si léger ! Presque à mi-voix, il s’appuie sur les pizzicati des violons et nous berce doucement. La chanteuse vocalise délicatement sur les voyelles, intensifie brièvement certains traits, rebondit souplement sur d’autres, puis s’évade vers des hauteurs inconnues. Mais déjà son chant retient l’envolée et vient se reposer gravement. Une élégance majestueuse termine cette tendre berceuse d’un cœur prisonnier, le dernier pianissimo s’évanouit comme un rêve.
Inutile que je précise la joie et l’excitation toujours aussi fortes que m’apporte un nouvel enregistrement de Nathalie Stutzmann, n’est-ce pas ? Je suis fascinée par sa capacité à renouveler la virtuosité musicale de son interprétation tout en restant dans la continuité de son « style ». Bravo.
Commentaires
1. Le samedi 13 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
2. Le samedi 13 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
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