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Antonio VIVALDI - Atenaïde, RV 702 - Sardelli, Modo Antico - Piau, Basso, Laurens, Genaux, Stutzmann, Ferrari, Agnew

Atenaide
Dramma per musica in tre atti
Livret d'Apostolo Zeno
Création : Teatro della Pergola, Florence (1728)
Edition critique de l'Institut Italien (Alessandro Borin)

Atenaide/Eudossa : Sandrine Piau
Teodosio : Vivica Genaux
Pulcheria : Guillemette Laurens
Varane : Romina Basso
Marziano : Nathalie Stutzmann
Leontino : Paul Agnew
Probo : Stefano Ferrari

Orchestre : Modo Antiquo
Chef : Federico Maria SARDELLI

*

Une présentation de nouveauté discographique, comme ce n'est à peu près jamais le cas sur CSS, due à la vigilance de Sylvie Eusèbe, à qui les lutins cèdent immédiatement la parole :


Sylvie Eusèbe :

C’est avec beaucoup de curiosité que je viens enfin de découvrir ce « nouvel » opéra de Vivaldi : Atenaide. Je tiens à dire haut et fort que mon attente n’a pas été déçue, et que tant du point de vue musical que du point de vue de l’interprétation, cet enregistrement est magnifique.

Je distingue particulièrement Romina Basso qui m’avait déjà attiré l’oreille dans Motezuma. Sa voix de « mezzo-grave » franche et chaleureuse est capable de beaux accents originaux, la ligne à la fois ferme et élégante de son chant est très impressionnante. Je n’insiste pas mais sa voix me plait énormément.
Je me doute bien que les sopranos Sandrine Piau et Vivica Genaux ont de nombreux admirateurs, mais hélas pour moi elles ont des timbres dont je n’entends pas bien les particularités, je peux juste souligner les aigus très pures de Sandrine Piau. Décidément je n’ai toujours pas d’affinités avec cette tessiture que je trouve peu expressive, et j’ai été très étonné que certains de leurs airs me fassent penser par moments à ceux de Rossini… Voici une filiation dont je ne me serais pas doutée !
J’ai aussi retrouvé Stephano Ferrari entendu dans le Tempo de « Il trionfo » de Haendel à Pleyel début avril 2007. Il est ici plus à l’aise que lors de ce concert, il est bien expressif dans les récitatifs, mais parfois pas très juste dans les airs bien que je reconnaisse que son rôle est particulièrement virtuose.
Paul Agnew (dont je garde un grand souvenir en Platée) est toujours très reconnaissable grâce à son vibrato qui commence agréablement mais devient tremblant dès qu’il se termine par un fortissimo même léger.
Il me semble que Guillemette Laurens est ici moins émouvante que dans la Vérità, mais je suppose que cela est dû à la musique. Elle chante un air qui commence par des violons qui font tout doucement « tacatacatacata » pour finir en tempête, superbe Vivaldi (Acte II, air de Pulcheria : « Sorge l’irato nembo ») !
A propos de violons, l’orchestre Modo Antiquo dirigé par Federico Maria Sardelli est admirable. Les musiciens et leur chef ont trouvé l’équilibre parfait entre vivacité, légèreté et grandeur sans recourir à la moindre agressivité. Je pense ici évidemment à la direction de J.-C. Spinosi dont la Verità est exceptionnellement déchaînée. Avec cette Atenaide, on a une vision plus beaucoup douce sans être fade, qui a un caractère et un souffle propres sans se démarquer avec une brusquerie voyante, même si cela est agréable quand c’est bien fait. C’est du très grand art, et je tiens vraiment à souligner la magnifique sonorité des violons, à la fois « classique » mais avec quelque chose en plus que je n’arrive pas à définir, quelque chose d’extrêmement réjouissant et enthousiasmant !
La seule petite remarque un peu « critique » que j’ose faire ici est à propos des tempi choisis pour les airs. Beaucoup d’entre eux (presque tous en fait) sont des airs de colère et leur succession me paraît de ce fait un peu « monotone ». Il n’y a guère dans Atenaide une alternance d’airs furieux ou guerriers avec des airs tendres ou désespérés, comme dans la Verità ou Motezuma, par exemple. Alors, peut-être que pour de simples mélomanes comme moi, une variation plus nette des tempi aurait permis de mieux soutenir l’intérêt auditif, d’autant plus que ces rythmes tous très rapides rapprochent parfois les chanteurs de leurs limites…

Les fidèles lecteurs de CSS ont compris que j’ai bien sûr gardé pour la fin mon commentaire détaillé sur Nathalie Stutzmann ! Elle chante ici le rôle de Marziano (un général byzantin) qui est à mon avis celui qui offre le plus de possibilités d’expression puisque sur quatre airs, les deux premiers sont rapides et les deux autres si magnifiquement lents qu’ils contiennent les douleurs du monde et consolent en même temps de ses peines.

La contralto est ici logiquement plus retenue qu’avec J.-C. Spinosi dans « La Verità in cimento », et ce que son chant perd en fougue, il le gagne en pureté. Un sentiment de noblesse absolue se dégage de sa voix calme et posée, son chant audacieux et imperturbable instaure une rassurante tranquillité proche de la sérénité. Elle est toujours aussi généreuse en accentuations, ses notes étirées s’envolent souvent avec une rêverie toute nouvelle, ses pianissimi sont d’une beauté bouleversante, sa ligne musicale extrêmement souple lui permet de souligner et même d’inventer de magnifiques écarts de notes. Ces changements de registres se font si naturellement que j’en suis émerveillée !

Les deux airs de Marziano à l’acte I sont difficiles à cause de leurs longues et rapides vocalises et paradoxalement moins spectaculaires que ses deux airs suivants. Cela laisse moins de possibilités à la chanteuse pour s’exprimer, elle y est cependant prodigieuse de vitalité. L’aria « Al valore che prode ti preggi » est brillant et chatoyant, les violons ont de petits traits « glissés » très enthousiasmants et N. Stutzmann descend sur les « a » en fin de vers sur ses graves si profonds, mais ses aigus forte rendent son timbre moins attirant.
Dans le second aria « Di novi allori adorno », le ton est digne, le chant fluide tout en restant fier et martial (Marziano va se battre). J’admire la virtuosité de l’invention et la virtuosité tout court qui entrainent les syllabes de « E a pié del soglio avvinta » d’un extrême à l’autre (ou presque) de la gamme. Stupéfiant !

Parmi les récitatifs de Marziano, je distingue cette réplique à la fin de la scène 3 du premier acte : « Ti basti / Che sia reo il mio silenzio » (Mon silence coupable hélas t’en dit assez). Le « e » de « reo » s’allonge et ralentit déjà le tempo. Puis vient « Lascia penar con innocenza il core, / E interpreta per zel anche l’amore » (Laisse mon cœur innocemment souffrir, Et vois dans mon amour un effet de mon zèle). Ces deux vers sont chantés presque a capela, le tempo est encore plus retenu, un saisissant effet de pureté et de solitude se dégage de la prière de Marziano à sa bien-aimée.

A l’acte II, accompagné de deux flûtes, le magnifique aria « Bel piacer di fido core » offre à l’inspiration créatrice de Nathalie Stutzmann les nombreuses reprises de « Per te peno per te moro » (Pour toi je souffre, pour toi je meurs) : le « e » de « peno » est étiré de tant de façons différentes ! La note la plus délicieuse est sur « o » de ce « peno ». Il s’envole comme jamais la chanteuse ne l’a fait auparavant puis il disparait dans un enchantement inconnu ! L’espace d’un instant, le temps s’est arrêté.

Dans l’aria « Cor mio che prigion sei » de l’acte III, le chant de la musicienne souligné par le basson est si léger ! Presque à mi-voix, il s’appuie sur les pizzicati des violons et nous berce doucement. La chanteuse vocalise délicatement sur les voyelles, intensifie brièvement certains traits, rebondit souplement sur d’autres, puis s’évade vers des hauteurs inconnues. Mais déjà son chant retient l’envolée et vient se reposer gravement. Une élégance majestueuse termine cette tendre berceuse d’un cœur prisonnier, le dernier pianissimo s’évanouit comme un rêve.

Inutile que je précise la joie et l’excitation toujours aussi fortes que m’apporte un nouvel enregistrement de Nathalie Stutzmann, n’est-ce pas ? Je suis fascinée par sa capacité à renouveler la virtuosité musicale de son interprétation tout en restant dans la continuité de son « style ». Bravo.


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Commentaires

1. Le samedi 13 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Juste un mot pour commencer, sur le propos promotionnel du disque : cette histoire d'authenticité absolue, avec recréation dans le théâtre (toutefois vide de public donc avec beaucoup de réverbération, et sans le moindre bruit, avec de surcroît une captation micro dans la bouche), voix qui, assure Sardelli, collent tout à fait aux créateurs, me fait doucement rigoler.

On sait bien que les affaires d'authenticité sont un leurre, et tous les chefs honnêtes reconnaissent que les recherches musicologiques leur servent avant tout à trouver une justesse stylistique et à stimuler leur imaginaire sonore, vers un renouvellement plus que vers un retour.

Mais évidemment, l'authenticité a quelque chose d'excitant qui se vend très bien. C'est plutôt un tort fait au jeu sur instruments d'époque, qui dans ce type de musique est très difficilement contestable aujourd'hui, sauf précisément dans sa logique de prétention de recréer à l'identique - pourquoi faire, le public n'étant plus le même, après tout...

Surtout qu'l y a fort à parier que les instrumentistes originaux n'avaient ni l'imagination ni la qualité technique de l'équipe de Sardelli...

2. Le samedi 13 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

J'oubliais aussi le caractère de "compilation" et de variété soi-disant exceptionnel dans cet opéra, où l'on trouve pour l'nième fois les mêmes alternances d'affects et les mêmes tubes. Encore du propos de mercateurs...

On remarque d'ailleurs que si Sardelli se prête au jeu, peut-être en partie de bonne foi vu son admiration béate pour Vivaldi (paraît-il compositeur absolument majeur, ce qui me paraît un rien excessif, mais tout dépend sur quels critères il est vrai), mais peut-être aussi pour complaire à l'éditeur qui lui offre une visibilité inespérée, les chanteurs, eux, semblent souffrir du troncage de leurs propos, très fragmentaires et absolument orientés dans le même sens...

3. Le lundi 15 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Sylvie :

« Je distingue particulièrement Romina Basso qui m’avait déjà attiré l’oreille dans Motezuma. Sa voix de « mezzo-grave » franche et chaleureuse est capable de beaux accents originaux, la ligne à la fois ferme et élégante de son chant est très impressionnante. Je n’insiste pas mais sa voix me plait énormément. »

Le côté translucide m’avait beaucoup gêné dans Motezuma (même si c’était objectivement sans faiblesses), je ne l’ai pas relevé pour cette Antenaide, et je n’avais pas trouvé le personnage aussi bien incarné qu’ici. Je suis d’accord, c’est tout à fait impressionnant de maîtrise.


« Je me doute bien que les sopranos Sandrine Piau et Vivica Genaux ont de nombreux admirateurs, mais hélas pour moi elles ont des timbres dont je n’entends pas bien les particularités, je peux juste souligner les aigus très pures de Sandrine Piau. »

Piau ne peut que susciter l’admiration par sa musicalité, mais effectivement, on peut trouver la voix légère et le timbre pas aussi personnel que d’autres. Cela dit, particulièrement en salle, c’est un enchantement : une facilité d’exécution, un goût, une flexibilité stylistique admirables.

Pour Genaux, je suis à classer parmi les enthousiastes. Le timbre est très personnel au contraire, avec ces nasalités caractéristiques qui l’approchent assez, comme je le proposais dans le fil Debussy/Haitink où nous avions débuté la discussion, de Maria José Trullu ou de Della Jones. Ce type de voix me séduit toujours infiniment.
Une engagement assez hors du commun aussi. Cela dit, ce rôle un peu aigu n’est pas ce qui la met le mieux en valeur ; je la préfère dans les emplois de contralto (même s’il s’agit, on est bien d’accord, d’une mezzo).

Si vous pouvez tenter son Rinaldo chez Jacobs, vous serez peut-être encline à changer d’avis. Et Morloch essaiera à tout prix de vous vendre – avec quelque raison je devine – son Polinesso (mais pour ma part, j’ai déjà Trullu sous le coude).


« Décidément je n’ai toujours pas d’affinités avec cette tessiture que je trouve peu expressive, et j’ai été très étonné que certains de leurs airs me fassent penser par moments à ceux de Rossini… Voici une filiation dont je ne me serais pas doutée ! »

Ce n’est pas très étonnant : on appelle belcanto l’époque de Bellini et Donizetti, mais en réalité, cette esthétique est issue de ce que l’on appelle aussi le « belcanto », à savoir le seria. La parenté entre les derniers opere serie (par exemple Temistocle de Johann Christian Bach) et les Rossini sérieux n’est pas si distendue que ça, en réalité ; même si les tournures stylistiques et les sujets diffèrent beaucoup, les recettes fondamentales en sont les mêmes.


« J’ai aussi retrouvé Stephano Ferrari entendu dans le Tempo de « Il trionfo » de Haendel à Pleyel début avril 2007. Il est ici plus à l’aise que lors de ce concert, il est bien expressif dans les récitatifs, mais parfois pas très juste dans les airs bien que je reconnaisse que son rôle est particulièrement virtuose. »

Je vois difficilement comment faire la fine bouche : le rôle est assuré avec panache, et vocaliser comme cela pour un ténor est d’une prodigieuse difficulté.


« Il me semble que Guillemette Laurens est ici moins émouvante que dans la Vérità, mais je suppose que cela est dû à la musique. Elle chante un air qui commence par des violons qui font tout doucement « tacatacatacata » pour finir en tempête, superbe Vivaldi (Acte II, air de Pulcheria : « Sorge l’irato nembo ») ! »

Je suis tout à fait d’accord, je n’ai pas été bouleversé comme pour la Verità, alors même que la musique est meilleure – mais moins adaptée aux qualités de Guillemette. Les airs de Pulcheria n’ont pas la même qualité élégiaque. Et même dans les récitatifs, bien qu’engagée, on ne retrouve pas le même frémissement – on sent un peu le studio.

« Sorge l’irato nembo » est l’un des tubes que l’on trouve dans un sacré paquet d’opéras de Vivaldi. S’il faut choisir, c’est sans hésiter Sonia Prina qu’il faut entendre (dans Farnace avec Savall).


« A propos de violons, l’orchestre Modo Antiquo dirigé par Federico Maria Sardelli est admirable. Les musiciens et leur chef ont trouvé l’équilibre parfait entre vivacité, légèreté et grandeur sans recourir à la moindre agressivité. Je pense ici évidemment à la direction de J.-C. Spinosi dont la Verità est exceptionnellement déchaînée. Avec cette Atenaide, on a une vision plus beaucoup douce sans être fade, qui a un caractère et un souffle propres sans se démarquer avec une brusquerie voyante, même si cela est agréable quand c’est bien fait. C’est du très grand art, et je tiens vraiment à souligner la magnifique sonorité des violons, à la fois « classique » mais avec quelque chose en plus que je n’arrive pas à définir, quelque chose d’extrêmement réjouissant et enthousiasmant ! »

Pour ma part, je trouve cela tout de même redoutablement sec. On dirait que les violons jouent pizzicato, même lorsqu’ils utilisent leur archet ! Et je n’y trouve pas, en contrepartie, la même soif d’interpréter (jusqu’à l’hystérie, soit) de Spinosi. Je préfère les orchestres avec plus de chair ; mais, objectivement, oui, c’est tout à fait excellent.

Cela dit, à force de sècheresse, on perd régulièrement de beaux effets ; dans « Sorge l’irato nembo » où la comparaison est aisée, on voit bien combien le refus du moindre rubato et l’allègement des traits conduit à un environnement sonore en fin de compte peu saisissant, presque métronomique.


« La seule petite remarque un peu « critique » que j’ose faire ici est à propos des tempi choisis pour les airs. Beaucoup d’entre eux (presque tous en fait) sont des airs de colère et leur succession me paraît de ce fait un peu « monotone ». Il n’y a guère dans Atenaide une alternance d’airs furieux ou guerriers avec des airs tendres ou désespérés, comme dans la Verità ou Motezuma, par exemple. Alors, peut-être que pour de simples mélomanes comme moi, une variation plus nette des tempi aurait permis de mieux soutenir l’intérêt auditif, d’autant plus que ces rythmes tous très rapides rapprochent parfois les chanteurs de leurs limites… »

Pareil pour moi. Mais dans Motezuma, il existe très peu d’airs réellement virtuoses, en réalité ; et je goûte fort cette sobriété. J’y entends le meilleur Vivaldi, plus élégiaque, moins de véhémence démonstratice.


Enfin, concernant Nathalie Stutzmann, je la trouve moi aussi très à son aise dans ce répertoire. Je l’avais préférée dans la Verità, s’il faut absolument choisir, parce qu’ici, les deux airs lents sont lourdement chargés de ces maniérismes, de ces petites affectations qui me chagrinent tant chez elle, surtout dans le lied, et qui disparaissent étrangement de ses Mahler, ses mélodies françaises ou ses airs rapides du seria

4. Le mercredi 17 octobre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Cher David, merci pour votre lecture et votre écoute précises. Je suis toujours assez soulagée quand nous sommes un peu du même avis... ;-)
Je suis débordée en ce moment, mais je ferai quelques remarques de remarques dès que je pourrai ! Désolée... A+++

5. Le mercredi 17 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Je suis toujours assez soulagée quand nous sommes un peu du même avis... ;-)

Pourquoi ? Doutez-vous tant de mon bon goût ? ;)

6. Le lundi 19 novembre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Hello David !
Non, non ce n'est pas de votre bon goût que je doute ;-) !!!

Je n'oublie pas Atenaide, mais un "devoir" plus urgent m'appelait. Le voici et merci de lui faire bon accueil.

Paris, Salle Pleyel, jeudi 15 novembre 2007, 20h00, concert.
J. Brahms : Variations sur un thème de Haydn op. 56a,
F. Schubert (transcriptions de J. Brahms pour chœur d’hommes et orchestre) : Gruppe aus dem Tartarus D. 583, An Schwager Kronos D. 369, F. Schubert : Gesang der Geister über den Wassern D. 714 (deuxième version),
J. Brahms : Rhapsodie pour alto, chœur d’hommes et orchestre op. 53,
J. Brahms : Symphonie n°1 en ut mineur op. 68.

Orchestre Révolutionnaire et Romantique ; The Monteverdi Choir ; Sir John Eliot Gardiner, direction ; Nathalie Stutzmann, alto.


Bravant les grèves dans les transports et le chaos qui règne à l’extérieur de la Salle Pleyel, les mélomanes sont venus en nombre pour ce beau programme Brahms-Schubert préparé par John Eliot Gardiner.

Dès les premières mesures des Variations sur un thème de Haydn de Brahms, le chef britannique attire par sa direction énergique, franche et lisible même pour le simple amateur. Très grand, il se penche sur son orchestre, le soutient avec précision et bienveillance, et s’anime vigoureusement en faisant voleter les pans de sa queue de pie dont l’intérieur d’un beau vert changeant chatoie comme les élytres d’un scarabée rare.

Au cœur de l’orchestre, les pizzicati des violoncelles résonnent chaleureusement, autour d’eux les autres pupitres se déploient avec clarté. Les phrasés sont marqués souplement, avec la légèreté de l’élégance ; les contrastes entre les variations ne sont jamais violents, l’ensemble est souvent moelleux, toujours net et aéré. Une particularité des cors sonne à mes oreilles : leur son dans les forte se charge d’une vibration très particulière, entre la « fausseté plus ou moins maîtrisée » des cuivres baroques et le rayonnement étincelant des instruments plus récents. Cela nous rappelle que J. E. Gardiner a fondé cet orchestre Révolutionnaire et Romantique pour jouer les œuvres du XIXe siècle dans le même esprit qu’il a créé l’orchestre des English Baroque Soloists pour faire revivre la musique ancienne.

Des trois pièces avec chœur d’hommes de Schubert qui suivent, je retiens l’adéquation profonde entre la musique et le texte. Les poèmes, de Goethe sauf « Gruppe aus dem Tartarus » (Le Groupe surgi du Tartare) qui est de Schiller, parlent gravement de la dure destinée humaine, du temps qui nous échappe ou de notre âme, fluide et fractionnée comme des gouttes d’eau.

« Gruppe aus dem Tartarus » débute par la clameur sourde du chœur révélant le grondement de la mer (« Horch - wie Murmeln des empörten Meeres », Ecoute - pareils au murmure de la mer courroucée…). Au gré des sentiments se dégageant du texte, le chant devient syncopé pour exprimer la peur (« Fragen sich einander ängstlich leise », Apeurés, ils se demandent à voix basse…), ou s’enfle jusqu’à devenir terrifiant dans les deux derniers vers : Au-dessus d’eux, l’éternité tournoie / Brisant en deux la faux de Saturne.

« An Schwager Kronos » (Au cocher Chronos, de Goethe) présente quelques passages plus légers chantés par les ténors (4ème strophe) alors que tout le chœur se réunit pour affermir notre courage devant la fuite de notre vie conduite pas Chronos et pour célébrer les quelques instants qui nous sont donnés :
Allons ! Il est temps de repartir, plus vite !
Regarde, le soleil décline !
Avant qu’il ne se couche, avant que la brume
Ne me rattrape dans les marais, moi, le vieillard,
Avant que mes mâchoires édentées ne s’entrechoquent,
Et que mes jambes ne chancellent.

Le merveilleux « Gesang der Geister über den Wassern » (Chant des esprits sur les eaux) transporte immédiatement par sa gravité soulignée par la petite formation orchestrale qui l’accompagne. Le chant pur des ténors fait penser à la musique grégorienne (« Zur Erde muss es, Ewig wechselnd » : l’âme doit (…) descendre sur la terre dans une éternelle alternance), les basses expriment la puissance alors que les ténors répondent par la grâce, et tous expriment magnifiquement la profondeur de l’abîme (« Zur Tiefe nieder ») renforcée par des cordes dramatiques. Le dernier vers des strophes est toujours marqué d’une intensité très poignante, perpétuée par le bref passage orchestral qui suit. On sent une communion exceptionnelle entre les musiciens ; ils atteignent ici véritablement le public qui applaudit avec émotion et enthousiasme J. E. Gardiner, lui aussi très ému par la dignité de cette incantation profane.

Nous revenons à Brahms avec sa Rhapsodie pour alto, sur un texte (également de Goethe) qui nous parle des ravages que la haine fait dans le cœur de l’Homme et prie pour qu’un chant (la Musique ?) redonne vie à cette âme égarée.
Une grande sobriété domine le chant très recueilli de Nathalie Stutzmann. Ses intonations personnelles sont immédiatement présentes (dès le « e » du troisième mot « wer ») et magnifient la profondeur de l’œuvre. Ses graves si extraordinaires sont pleins et saisissants, et fait remarquable, son vibrato plutôt léger et parfois même absent renforce l’intensité dramatique. L’alternance entre sons vibrés et non vibrés atteint un sublime sommet dans ce vers : « Die Öde verschlingt ihn » (le désert -ou la solitude- l’engloutit). « Die » est lisse, le « ö » est délicieusement interminable et non vibré, puis les « i » des deux derniers mots sont admirablement soutenus et débutent sans vibrato pour finir dans une délicate modulation. Devant une telle richesse sonore et musicale, l’émotion nous immobilise et la gorge se serre.

La deuxième strophe plus animée voit la contralto toujours très concentrée maintenir une atmosphère pure et dépouillée. Le vers « Aus der Fülle der Liebe trank ? » lui permet de vertigineux écarts de notes, particulièrement tendus et élégants.

Dans la troisième et dernière strophe, Nathalie Stutzmann est rejointe par le chœur ; comme par enchantement, sa voix si lumineuse s’en dégage et monte vers le ciel. Le dernier vers « So erquicke sein Herz ! » (Alors rafraîchis son cœur) est repris lentement plusieurs fois, la descente sur les syllabes de « erquicke » détache les notes, et un « Herz » final très doux voit son léger vibrato s’abîmer dans les profondeurs orchestrales.
L’ensemble de l’œuvre est joué dans un même souffle, large et majestueux, avec une force souvent bouleversante mais jamais violente. J. E. Gardiner propose à la chanteuse un tempo lui convenant parfaitement et permet à son inventivité, son phrasé et sa respiration de se fondre en un tout devant lequel s’entrouvre une dimension inconnue.

Après tant de recueillement, des applaudissements particulièrement chaleureux éclatent. Nathalie Stutzmann, visiblement touchée de cet accueil, reçoit ce beau succès avec un air très humble et J. E. Gardiner s’efface avec élégance en lui présentant d’un geste de la main l’enthousiasme du public.

Après l’entracte, la première symphonie de Brahms résonne avec finesse, force et clarté, et le public parisien fait un réel triomphe au chef anglais et à son orchestre. Mais je ne suis plus suffisamment concentrée pour pouvoir être plus précise : mon esprit est resté attaché aux chants qu’il vient d’entendre, celui des chœurs comme celui de la contralto. Puissent ces quelques lignes me garder le souvenir de cette soirée exceptionnelle et distribuer un peu de ce miracle perpétuel qu’est une communion en musique.

Sylvie Eusèbe, 18 novembre 2007.


7. Le lundi 29 novembre 2010 à , par hancock73

la presence de ferrari dans Atenaide est le problème du disc! Sardelli aussi n'est pas un directeur genial.

8. Le mercredi 1 décembre 2010 à , par DavidLeMarrec

Sardelli s'inscrit clairement dans un courant qui se développe actuellement chez les chefs d'opéra seria, et qui tend à laisser des "trous" dans le flux orchestral, à utiliser les cordes de façon percussive, sans legato. C'est intéressant, bien que parfois systématique. Ca reste quand même un chef amplement très valable.

Enfin, pour ce qui est de Ferrari, je l'ai beaucoup aimé partout où je l'ai entendu... à commencer par l'Atenaide. Comme quoi ! Mais quel est le problème au juste avec lui ?

9. Le mercredi 1 décembre 2010 à , par hancock73

Sardelli n'est qu'un Metronome. La voix de ferrari dans ce disc est orrible. Je pense que c'est bien pour lui d'arreté de chanté. Il est musicien, il peut faire plain déautre chose.

10. Le mercredi 1 décembre 2010 à , par DavidLeMarrec

Hm. Devant de tels arguments, je crains de devoir rendre les armes. :)

Ca me paraît tout de même un brin expéditif pour des artistes de cet acabit.

11. Le vendredi 3 décembre 2010 à , par hancock73

je suis très content de vous avoir de mon côté

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