TIHANYI László - Genitrix - Bordeaux, 28 novembre 2007
Par DavidLeMarrec, jeudi 29 novembre 2007 à :: Musicontempo :: #784 :: rss
Nous présentons par avance nos excuses aux lecteurs de CSS pour le caractère informel du texte, pas aussi léché qu'il aurait fallu, et qui est loin de présenter de façon suggestive et complète, à ce qu'il nous en semble, la soirée. C'est qu'il s'agit avant tout de classement, et pas véritablement d'une entrée d'article conçue comme telle. La texte s'améliore probablement petit à petit, au fur et à mesure que nous songeons à rendre le propos plus complet.
Que cette entrée plus apparente soit aussi l'occasion de renouveler nos remerciements chaleureux à qui se reconnaîtra aisément.
Création Mondiale - Nouvelle production (en langue française) - Commande de l'Etat (omis sur le site de l'Opéra...) et de ll’Opéra National de Bordeaux - Avec le concours du Centre François Mauriac de Malagar
Direction musicale László Tihanyi - Mise en scène Christine Dormoy - Assistance à la dramaturgie Isabelle Bonnet - Décors Philippe Marioge - Costumes Cidalia da Costa - Lumières Paul Beaureilles - Vidéaste Éric Angels - MATHILDE (soprano) Sevan Manoukian - FÉLICITÉ (mezzo-soprano) Hanna Schaer - FERNAND (baryton-basse) Jean-Manuel Candenot - DULUC (ténor) Christophe Berry - MARIE (rôle parlé) Denise Laborde
Orchestre National Bordeaux Aquitaine - Chœur de l’Opéra National de Bordeaux
... Accueil glacial comme, de mémoire de lutin, on n'en a jamais vu à Bordeaux - un tiers de la salle applaudissait, et mollement. Les gens ne sont pas sortis furieux comme c'est souvent le cas pour le contemporain par ici, mais surtout pétrifiés. Nous avons deviné qu'on y trouvait beaucoup de gens que l'abondante propagande mauriacienne (campagne d'affichage tram, journaux, télévisions, y compris à l'échelle nationale) avait poussés ici. Evidemment, ils ont été un peu surpris.
Pour notre part, l'oeuvre est apparue tout à fait conforme à ses promesses, et les critiques qu'on peut lire (particulièrement celle de Pierre Gervasoni) nous paraissent alors assez à côté du principe. Pas du tout de grands sauts d'intervalle (nettement moins que chez Wagner et R. Strauss, voire que chez Mozart...) : au contraire, des lignes peu volubiles, un texte économe et dense.
C'était opportunément surtitré (la première fois à Bordeaux pour du français, effort remarquable), mais la diction des protagonistes était parfaite (surtout Jean-Manuel Candenot et Hanna Schaer) ; l'orchestre était bien écrit pour ne pas couvrir les voix toujours dans le bas de la tessiture.
Musicalement, c'était étrange dans la mesure où la première partie ressemblait véritablement à du Tihanyi, avec ses constantes inflexions tension / détente, qui étaient très efficaces non seulement en tant que telles, mais aussi pour soutenir une action dramatique, fût-elle uniquement psychologique - car l'action en question se résume à un acte pour l'infection postpuerpérale et un acte pour ses conséquences jusqu'à la mort symétrique de la mère étouffante, avec un nombre incalculable d'analepses, comme on dit (du flash-back en pagaille, pour parler clair). De très belles trouvailles aussi, comme ce violon caché dans la salle qui répond aux motifs obsessionnels orchestraux pendant le délire de la fièvre. Vraiment saisissant physiquement.
La seconde partie, elle, marque une rupture très nette. On n'a pas ce semblant de tonalité, ce babil discret d'instruments solistes qui égrennent des bribes de motifs. Une chappe sonore immobile qui enserre des existences figées. Ce devient un peu long, on en convient, pour nous autre : rien ne bouge plus, et le même univers qu'au premier acte est sans fin ressassé. La fatigue s'empare de l'auditeur comme pour une oeuvre qui ne module pas - ici, en réalité, de minuscules marches harmoniques déplacent les hauteurs, mais tout demeure si semblable...
L'effet voulu est pleinement atteint : l'impossibilité de dépasser cette relation de couple inséparable et conflictuel entre la mère et le fils quinquagénaire s'incarne dans le figement insupportable de la musique. Mais, musicalement, peu de choses se passent ; des répétitions littérales de sections musicales et de texte rendent même la chose pénible - on imagine mal écouter deux fois au disque le Credo du petit Henri (énoncé cinq fois sur la même musique irritante, en l'espace de deux scènes...).
Le public semble soulagé par les interventions parlées de la servante (en patois), qui allègent en effet de façon presque salutaire l'ensemble.
Très efficace et réussi, donc, mais en fin de compte un peu pénible pour le spectateur - la seconde partie n'a plus rien du divertissement qui traiterait de problèmes graves de façon esthétisée ; elle les concrétise tout de bon.
Nous en retînmes retiens surtout l’interlude entre les deux premières scènes, avec ces motifs incisifs et ses percussions boisées assez mantovaniens.
Au total, tout de même une grande satisfaction, avec de la belle musique très bien écrite pour les voix, des effets vraiment bien pensés, sans rien d'ostentatoire. Et avec une matière difficilement passionnante à l'opéra, un résultat assez captivant.
Côté interprétation, trois interprètes essentiellement, plus le choeur de l'Opéra. Le choeur est dans un bon jour, sans doute que ses rugosités sont opportunément gommées par le fait qu'il chante (en latin) en coulisse, mais le résultat est tout à fait honorable. On ne comprend pas un mot, mais c'est du latin, après tout (on va dire).
Sevan Manoukian (Mathilde, soprano) dispose d'une bien belle voix ronde, qu'on trouverait peut-être trop molle ou trop uniforme ailleurs, mais dont la volupté est très précieuse dans une oeuvre de ce type ; on prend avec plaisir. Hanna Schaer (Félicité Cazenave, mezzo-soprano) dispose de la plénitude de sa voix d'une façon stupéfiante - la voix n'a pas bougé depuis vingt ans... Toujours grande diseuse, et son français est absolument parfait, même parlé ; en écoutant ses lieder, nous étions persuadé qu'elle était germanophone ; à présent, nous pensons qu'elle a parlé les deux langues très tôt (ce qui est tout à fait probable, née à Bâle). Jean-Manuel Candenot (Fernand), enfin, est un authentique baryton-basse, dont les graves sonores et clairs émerveillent, vraiment hors du commun ; et riches, et parfaitement timbrés. On sent, dans l'aigu, que la voix sonne étrangement vieillie et poussée, peut-être est-ce la raison d'une carrière si discrète - parce que dans ce rôle écrit idéalement pour lui, il est véritablement stupéfiant. [On découvre avec plaisir qu'il chante de la mélodie française en récital, dont du Ibert et du (Guy) Sacre - deux très bons choix en plus des plus traditionnels Ravel / Poulenc.]
Tous trois font valoir des dons d'acteurs hors du commun - y compris pour des acteurs de théâtre. Une présence suggestive pour chaque geste, le naturel pour chaque déplacement. L'illusion mimétique est parfaite - nous n'avions jamais vu cela !
Mais le plus grand plaisir du spectacle provenait de la mise en scène de Christine Dormoy (qui a mis en scène pas mal de contemporain dont du Scelsi et du Sto). Aussi bien la fonctionnalité extrême du décor que la direction d'acteurs, le tout sans transposition et si beau à regarder. Le résultat confine au génie.
Pourtant, le livret de Tihanyi (assisté d'Alain Surrans, notamment pour les questions de prosodie) n'est pas franchement efficace, fait de saynètes dans un ordre chronologique totalement bouleversé, retournant inlassablement aux mêmes moments, dans une langue à plusieurs reprises maladroites. Outre l'idée très regrettable de supprimer les "e" caducs à la finale (ce qui a toujours été très laid, y compris chez Ravel, mais se révèle parfaitement absurde lorsqu'on veut donner corps à la langue et l'esprit de Mauriac !) [1], ce sont surtout ces microfractures propres aux apprentis écrivains qu'on remarque : ces ruptures dans le registre de langue, ces bizarreries du vocabulaire qui tout à coup fissurent le pacte de l’illusion théâtrale ou romanesque, et nous rappellent désagréablement qu’il ne s’agit que d’une histoire écrite par quelqu’un. L’insistance musicale, surtout au début de l’œuvre, sur certains de ces éléments qui auraient pu passer inaperçus n’améliore pas les choses, notamment lorsque le chant s’envole joyeusement, chez la malade, sur « fausse couche » (on voit aussi des mots grammaticaux, par exemple « comme », accentués comme des termes expressifs, quelques maladresses vénielles).
En dépit de cela, le travail de Christine Dormoy et de son équipe rend absolument passionnant l’ensemble, plus encore que la musique.
C'est d'abord une réalisation esthétique à l'extrême, sans transposition, qui présente un décor unique à multiples significations - un splendide intérieur, dépouillé et lumineux, avec des ouvertures en plein ceintre verticales et étroites, surdimensionnées de façon saisissante mais non écrasante ; partiellement occultées, selon les moments, par des rideaux roulant également en bois - ce qui renouvelle sans cesse l'aspect du lieu. La projection vidéo, discrète et efficace, suggère la pluie au moment de la mort de la mère par un brouillage à peine distinct des teintes du fond de scène, mais étale aussi des échos des personnages filmés à la verticale lors du délire final qui s'empare de Fernand, avec des hordes de Félicité de tous âges et tous sexes qui déferlent sur le plateau. Plus subtilement encore, des lignes tracées par Mauriac, partiellement lisibles derrière les volets, apparaissent en écho aux bribes de texte exact parlé ou scandé par les personnages ; et la ferronnerie bordelaise évoque tout l'univers de cliché dans lequel se tiennent figés les personnages.
Les grands espaces, avec pour seul mobilier le lit et le double siège au I, le double siège et parfois la table basse au II, attendent seulement d'être habités par les rares personnages.
La gestion du va-et-vient temporel incessant opéré par le propos dramatique quelque peu confus de Tihanyi est admirable ; tout demeure limpide, centré autour d'un seul meuble pour chaque acte. Les personnages qui passent dans la chambre (puis dans le salon au II) sont aussi bien les souvenirs fantomatiques de la fièvre que des retours de la "narration", peu importe. Les personnages entrent et sortent de cette chambre parfois sans y être, parfois pour s'adresser à la malade, toujours avec une grande variété des déplacements et une grande clarté du propos. Il reste tout à fait évident que cette chambre et ce salon demeurent centraux et que passé et futur s'y bousculent en même temps que le présent (qui n'est pas nécessairement si présent que cela...).
Chacune de ces configurations distinctes évite la lassitude dans ces retours incessants à des situations obsessionnelles, toutes assez semblables - des conflits familiaux générés par l'égoïsme ou l'amour mal placé. Et toujours dans un grand souci esthétique, où chaque geste est à la fois élégant, signifiant et naturel - un tour de force dont on peine à se représenter les clefs dans le travail de préparation.
Nous qui redoutions la lourdeur du premier acte fondé tout entier sur l'agonie qui suit la fausse couche, craignant des images d'une laideur complaisante, exhibant sang, visage déformé, trémoussements douteux ; au contraire. La mesquinerie repoussante de chaque personnage ne fait pas obstacle à Christine Dormoy pour présenter des tableaux d'une rare beauté, et même d'une grande noblesse - sans nulle contradiction avec le propos du livret, au demeurant.
La fièvre ? Quelques roulements tourmentés mais presque doux sur le lit central, et les rideaux soulevés par un souffle léger, voire, au moment de l'agonie, des motifs de tapisserie obsessionnels qui apparaissent discrètement, presque transparents, en projection.
Le souvenir du temps joyeux ? A genoux, la petite se met à porter son drap (immaculé) comme une robe - sans rien singer, simplement rêveuse : ce n'est pas elle mais nous qui faisons l'association d'idées, autre tour de force de la mise en scène.
Le retour du souvenir de la morte ? Une robe blanche maculée de taches de sang séché qui semblent un décor de fleurs, et toutes au-dessus de la taille, de sorte que cette équivoque pas du tout réaliste et le comportement badin du personnage laissent le spectateur à son imaginaire, sans rien imposer de sinistre ou de frivole.
Et plus que tout, la direction d'acteurs, dont on ne dira pas assez le mérite et la réussite exceptionnels - et qui habite tout l'espace disponible sur le plateau - à trois ! Tout y fait sens, rien n'est surligné.
Que dire de plus sur une mise en scène qui conjugue de façon infaillible sens esthétique aigu, précision des déplacements, naturel absolu des attitudes, capacité de sens jamais imposé, vitalité, suggestions discrètes, poésie ? On jette pêle-mêle les ingrédients d'un idéal, assurément. Qui respecte à la lettre son livret (un texte très difficile à mettre en scène, statique, pas très riche), en répare les faiblesses, fait sens et fait beau. Le tout sans transposition.
S'il y a bien quelqu'un qui triomphe dans cette belle soirée... vous saurez à qui nous pensons.
En somme, une très belle soirée ; musicalement, qui permet d'entendre en salle la musique très-digne d'intérêt de Tihanyi, dont on retrouve les principales caractéristiques au premier acte ; servie par des chanteurs-acteurs irréprochables - et même mieux que cela, enthousiasmants ; magnifiée par une mise en scène dont on a assez dit pour se taire à présent.
Commentaires
1. Le vendredi 30 novembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
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