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Enregistrements, domaine public - XXX - Verdi, La Forza del Destino - Schmidt-Isserstedt - Martinis, Mödl, Schock, Metternich, Frick (en allemand)

La Forza del Destino ossia Die Macht des Schicksals.

Une version exceptionnelle, libre de droits et dans un excellent son.

Dûment introduite par nos soins.

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Giuseppe VERDI, La Force du Destin (d'après Riva)

Hambourg, 1952

Leonora - Carla Martinis
Preziosilla - Martha Mödl
Don Alvaro - Rudolf Schock
Don Carlo - Josef Metternich
Padre Guardiano - Gottlob Frick
Fra Melitone - Gustav Neidlinger
Marchese di Calatrava - Sigmund Roth

Das Rundfunk Sinfonie Orchester Hamburg,
Hans Schmidt-Isserstedt

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Une grande partie du charme de cette version provient sans le moindre doute de la direction très délicate de Schmidt-Isserstedt, qui propose des tempi inhabituellement retenus. Mais pas par indifférence routinière, l'orchestre est très inhabituellement habité, et sonne magnifiquement, alors même qu'il ne s'agit pas de la meilleure orchestration de Verdi, à la fois quelconque et au besoin pétaradante. Les différents plans sont tout à fait audibles, et le ton d'un tact vraiment rare et surprenant dans ce répertoire.
Beaucoup de netteté aussi, pas de débordements postbrucknériens ici ; ceux qui redoutent des similitudes avec l'Idoménée de Mozart par le même chef peuvent se rassurer.

Pour vous en convaincre, observez par exemple la façon dont le chef atténue les explosions les plus disgracieuses en les produisant avec rondeur, et surtout sa façon de parvenir à les faire suivre immédiatement de piani recueillis. La contemplation poétique qui peut surgir dans ce drame désordonné, superposition de situations paroxystiques à plusieurs années de distance, de surcroît généreusement coupé dans tout ce qui ne participait pas directement à l'action principale - l'introduction de cette contemplation, donc, représente un tour de force dont on goûte pleinement la valeur.

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S'ajoutent à cela un orchestre doté de cordes soyeuses, de cuivres doux, de bois enjôleurs [1], et un plateau de première qualité. Choeurs de la NDR impeccables (diction, justesse, mise en place, clarté, investissement...). [2]

L'ensemble des chanteurs (avec la réserve qu'on notera pour Schock) profite pleinement de cette transposition linguistique pour déclamer pleinement leur texte, se remplir la bouche de consonnes expressives. Non seulement on peut ressentir qu'ils comprennent et pensent à ce qu'ils énoncent, mais de surcroît la diction se révèle parfaite (on peut suivre sans un hypothétique livret allemand épuisé depuis des lustres), les rôles habités de bout en bout, avec une force de conviction peu commune.

Conclusion, le résultat se révèle supérieur aux versions italiennes, tant le texte, assez faible initialement, prend un relief tout à fait considérable.

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Carla Martinis fait valoir une voix à la fois puissante et parfaitement maîtrisée, plutôt claire, nollement grossie par les emplois dramatique. Une Agathe plus qu'une Isolde. Les moyens ne sont jamais mis en faille ; le timbre, qu'on jugera peut-être un peu froid, resplendit néanmoins. Avec l'investissement déclamatoire qu'on décrivait, et qui est particulièrement fort chez elle, on ne peut qu'être comblé, sur un rôle techniquement très exigeant.
On pourrait imaginer quelque chose entre Grümmer pour la tenue et Mödl pour l'investissement.

On reste pantois devant la perfection, sans la moindre tension, de la terrible aria finale Pace, mio Dio, si périlleuse pour les chanteuses les plus émérites. Carla Matinis se permet même de nous gratifier d'un modèle de messa di voce sur sa première note, ou de sons merveilleusement filés, comme on n'en entend pas même chez les grandes italiennes... Le plus stupéfiant est que, pour couronner le tout, pour la première fois nous entendons réellement une expression autre que vocale dans cet air - des affects d'une part, des mots d'autre part.

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Son partenaire Rudolf Schock constitue sans doute la seule faiblesse - minime de l'ensemble. A son habitude, sa bonne maîtrise technique lui permet d'assurer avec une grande honnêteté les lignes qui lui sont confiées, quel que soit le répertoire. Néanmoins, la voix sonne toujours légèrement enfarinée, l'expression demeure extrêmement figée. Il y a là une question de tempérament, puisqu'il se manifeste à peu près invariablement de cette façon dans l'ensemble de son répertoire. Cependant la lourdeur des rôles abordés, sans modifier sa nature vocale plus légère, le tient sans doute sur une certaine réserve.
Bref, le fougueux prince indien sonne pâle, et semble avant tout préoccupé de rendre justice, malgré les difficultés, à la partition. Effort louable et suffisant, mais qui souffre de la comparaison avec ses partenaires superlatifs.

On salue tout de même la très émission mixte de son air O tu che in sen agl'angeli, où par l'allègement, sa nature vocale parvient à mieux s'épanouir - et à mieux négocier le résultat que ses confrères poitrinants.

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Le reste ne nous donnera prétexte qu'à réjouissances. On peut expédier rapidement Gottlob Frick, avec les qualités de timbre qu'on lui connaît, et un investissement nettement sensible, ce qui n'est pas toujours le cas. Gustav Neidlinger, Melitone très sombre, parvient à trouver l'équilibre difficile entre tour bouffe et tenue vocale raisonnable - dans la tradition bien entendu du détimbrage à l'allemande plus que du cri à l'italienne, mais avec un certain bonheur.

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Josef Metternich, caractérisé par la plus grande arrogance (et aisance) vocale qu'on puisse imaginer, avec un timbre plein et incisif, chargé de morgue, trouve ici son meilleur rôle à notre connaissance. Très raisonnable sur les excès "véristes" qu'on lui connaît habituellement jusqu'à l'insupportable - voix de prince, manières de charretier -, le voilà en tout état de cause à son avantage avec ce personnage, éclatant dans ses aigus, méprisant dans ses manières, toujours emporté, noble mais pas nécessairement raffiné. Tout son portrait. Don Carlo di Vargas et Josef Metternich se nourrissent réciproquement, si bien que le rôle peu riche sur le plan psychologique - une incarnation de l'adversité plus qu'une psychologie autonome - et le chanteur en errance stylistique en sortent magnifiés.
L'incarnation majeure de ce rôle.

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Enfin, Martha Mödl transfigure totalement le rôle pittoresque de Preziosilla, la bohémienne divinatrice, qui ne tient aucun rôle dans la structure dramatique. Dans une forme vocale tout à fait similaire à son Isolde légendaire de 1952 (disponible sur CSS), son rayonnement d'actrice irradie les micros. C'est une aventurière, peut-être une impératrice exotique qui voyage déguisée ; en tout cas pas une cantinière ou une bohémienne vendeuse de chimères.

On y entend le même beuglement singulier qui débute ses sons [3], cette attaque en deux fois, une sorte d'appoggiature au ton inférieur, qui orne son expression d'un halo quasiment magique.
Et tout cela avec l'éloquence formidable qu'on connaît, un soin au texte qui en fait une figure grand genre égarée ici, quoique tout à fait à son affaire. Car le rôle n'a jamais été aussi convaincant en tant que tel, jusque dans la trivialité de la chanson du tambour.

Martha Mödl en Preziosilla ?

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On ne peut même pas imputer un certain manque d'abandon lié à ces studios de radio.

A titre d'exemple, voyez plutôt la fin du second duel, où l'électricité est telle qu'on les dirait prêts à crier s'ils se touchent. Et l'on entend comme l'orchestre sonne rond et profond...

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Fichiers à reconstituer avec Total Commander (PC) ou HJSplit (Mac & PC).

320 kpbs, son excellent. Pas de sècheresse radiophonique, et les voix ne sont même pas favorisées sur l'orchestre comme c'était alors la norme. L'équilibre est tout à fait bon.

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Enfin, un mot sur les coupures drastiques. Ce sont les scènes sans rapport avec l'action qui en pâtissent - sauf les plus réussies musicalement, les airs de Preziosilla et du faux bachelier, par exemple.

La scène de l'auberge de Hornachuelos se limite ainsi à deux airs : l'entrée de Leonora, ses grands ensembles sont supprimés. Les danses de l'acte militaire, et en particulier la tarentelle qui précède l'entrée de Melitone, ont logiquement disparu. Enfin, tout le début bouffe du premier acte (la soupe aux pauvres, la colère de Melitone, le duo avec Guardiano) a été amputé - on débute avec le monologue intérieur de Don Carlo.

Les plus belles pages et toute la structure dramatique, bien que privée de son contexte pittoresque, sont ainsi conservées. CSS regrette surtout les ensembles d'Hornachuelos, que le tact infini de Schmidt-Isserstedt et la valeur des choeurs hambourgeois auraient pu magnifier, couronnés par l'entrelacement de ces solistes. Tandis que l'habitude est plutôt, précisément, une atmosphère d'auberge, un rien braillarde.

Cela signalé, force est de reconnaître que, pour une fois, les coupures se révèlent cohérentes et efficaces, ici, en ôtant la part hors sujet - qui est aussi la moins passionnante sur le plan musical.

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La référence des lutins pour cette oeuvre. Amusez-vous bien.

Notes

[1] La petite limite technique du solo de clarinette est à imputer, probablement, à cette mise en valeur inhabituelle et inhibante pour l'interprète, ou à la rapidité de la succession de ces enregistrements radio prétendument de routine.

[2] Nous disons NDR par raccourci, cependant on ne parlait pas encore de la Norddeutsche Rundfunk, mais de la Radio de Hambourg.

[3] (avant que dans ses prestations futures les attaques ne s'applatissent et que la voix ne s'abîme)


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David Le Marrec

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