Guide pour les 'Victoires de la musique classique' - 1 - "Enregistrement de l'année"
Par DavidLeMarrec, mardi 5 février 2008 à :: Disques et représentations :: #838 :: rss
A propos des nominations. L'occasion de rêvasser.
La manifestation est généralement très décriée, avec un bonheur partagé, disons. On ne peut pas attendre d'une manifestation grand public la rigueur d'une audition officielle ou l'équité de vraies épreuves (existe-t-elle, d'ailleurs ?). Il est exact cependant que la présence quasiment exclusive de quelques noms-phares d'EMI-Virgin et Naïve laisse songeur sur les ressorts de la manifestation.
Peu importe, au moins pour les jeunes gens, ce sera l'occasion, pour nous, de proposer quelques remises en perspective sur les présents, qui ne sont pas dépourvus d'intérêt, loin s'en faut. Surtout que les extraits fournis gracieusement par les organisateurs sont, comme c'est la tradition, fort mal choisis...
Petite balade dans le palmarès, et suggestions éventuelles. Un bon prétexte pour apporter quelques éclairages au buzz.
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Tout d'abord, on se tiendra autant que possible aux contraintes du genre, qui veulent se limiter au périmètre français - pour flatter quelques fiertés sans doute, mais surtout afin d'obtenir la venue des artistes sur le plateau. C'est à admettre comme cela...
Enormément d'opéra. Etonnant tout de même, car si le public lyrique fait partie des plus ardents - la voix est ainsi faite qu'une prestation d'un soir sur l'autre ne produit pas les mêmes effets, et les plus dépendants guettent ainsi la moindre ariette lâchée ici ou là par leurs chanteurs fétiches -, il n'empêche que l'opéra, avec ses codes propres, est plus difficilement accessible, un fort répulsif pour toute une partie du public potentiel de cette soirée.
Si l'on part du principe qu'il faut écouler les stocks Virgin Classics et Naïve, ce sera déjà plus compréhensible.
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Enregistrement de l'année.
CSS n'aime pas trop les récitals vocaux, souvent dépareillés ou, pire et plus fréquemment encore, monotones. Les mêmes airs de bravoure (ou le même type), sur un compositeur donnés, tous extraits de leur contexte de façon à produire une chaîne interrompu de "savoir-faire" d'un compositeur ou d'une époque donnée.
Ils ont manifestement la préséance sur les intégrales d'opéra ou même les disques
- CARESTINI, HISTOIRE D'UN CASTRAT, Philippe Jaroussky / Emmanuelle Haïm, Le Concert d'Astrée (Virgin)
- Le traditionnel disque Jaroussky, devenu marronnier inévitable comme Bartoli ou Dessay. Le programme est ici bien plus original que pour son Vivaldi, qui souffrait d'une certaine uniformité. Il est vrai que sa voix claire et ronde se prête peu accents expressifs, et encore moins aux changements de couleur. Sur la longueur d'un récital écouté d'une traite, la lassitude guette, malgré la grande beauté du résultat.
- Ici, donc, remarquable programme, de surcroît thématique autour d'un interprète historique dont on restitue une portion de répertoire. Porpora, Capelli, Gaendel, Leo, Hasse, Gluck et Graun se succèdent, et les belles couleurs de l'orchestre de Haïm (étrangement décrié à chacun de ses enregistrements) sont un véritable atout. Italien perfectible sans doute, mais s'il fallait retenir un récital de Jaroussky, celui-ci serait assez indiqué.
- On y note des parti pris qu'on jugera au choix complaisants avec son public, ou intelligemment conformes à sa personnalité. Scherza infida, par exemple, devient un lamento presque appeuré, frappé de stupeur - l'ironie mordante de Della Jones ou l'indignation de Kožená ne sont pas convoquées ici. L'avis des lutins est que bien qu'en préférant d'autres approches, le contrepied demeure intéressant, notamment la surornementation qui devait en effet prévaloir à cette date et avec ce type d'interprète. Même si la culture postromantique dans laquelle chacun baigne encore bien largement fait peut-être regretter à beaucoup de monde, nous compris, des da capo plus proches de la géniale exposition écrite par Haendel.
- Cependant, la voix poursuit sa prise de corps déjà très sensible dans son Rinaldo d'octobre 2005, et les personnages se trouvent vocalement et dramatiquement plus incarnés que dans le récital Vivaldi Heroes. Très bon produit, donc, pour les amateurs du genre récital. Et susceptible, par cette voix claire, dépourvue d'harmoniques fortes ou métalliques, de plaire y compris aux rétifs au chant lyrique.
- MARIA, Cecilia Bartoli, Adam Fischer (DECCA)
- Autre disque-concept consacré à un artiste historique. On passe sur le titre qui, associé à la photographie, joue d'une ambiguïté qui lui fait peu honneur. Virgin a de toute évidence emprunté le concept du récital thématique annuel avec un ensemble baroque distinct à Decca.
- La voix de Bartoli n'a jamais été aussi belle, avec une nasalité qui disparaît, un velours qui s'installe, une capacité à renoncer à l'expression en noir et blanc, à ses affectations les plus agaçantes. Sa Casta diva, chantée sottovoce [1] avec tout le confort que permet le studio, résonne comme jamais, une vraie prière naïve et touchante, celle de la jeune fille écartelée entre des valeurs contraire, et non l'âpre prêtresse. Tout simplement du jamais entendu, et réalisé avec de très grandes qualités. De même pour les Bellini, et particulièrement O rendetemi la speme des Puritani, le sommet du disque.
- Le récital pèche, en revanche, par les oeuvres imposées par son sujet. Sorties de leur contexte, les romances badines, les airs de caractère, les clins d'oeil opératiques se muent rapidement en un alignement de fadeurs aimables, peu nourrissantes. De quoi donner de l'opéra français en particulier l'image de superficialité qu'on lui accole trop volontiers, et à tort.
- Il n'empêche qu'on prend ces raretés avec plaisir, surtout aussi bien servies ; cependant l'intérêt du disque réside dans la relecture vraiment inédite de pages rebattues. Une redécouverte, en somme.
- PIERRE ET LE LOUP ET AUTRES CONTES RUSSES, Valérie Lemercier/ Tugan Sokhiev, Orchestre du Capitole de Toulouse (Naïve)
- On s'explique mal la présence de ce disque, dit avec platitude d'une voix naturelle [2], et interprété de façon assez timide, où la partition se trouve étrangement dominée par ses cordes, très polie, autrement que par le nom du label...
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Bien que les lutins ne soient guère attirés par l'impératif des nouveautés (chères et trop commentées, le recul est nécessaire pour le jugement et le porte-monnaie), on peut toujours imaginer quelques contre-propositions - en imaginant ingénument qu'il ne soit pas impératif, pour chaque catégorie, de citer au moins un Naïve et un Virgin.
- Destouches, CALLIRHOE, Niquet (Glossa)
- Voir ici ; même si nous regrettons le remplacement, par rapport à la recréation de Beaune, de Blandine Staskiewicz et Alain Buet par Stéphanie D'Oustrac (un peu affectée) et João Fernandes (plus sombre et monolithique), et également la prise de tempi beaucoup moins uniformément vifs et urgents qu'en concert.
- Quoi qu'il en soit un disque majeur, sans doute le premier à posséder pour toute discothèque de tragédie lyrique. Il serait dans les
dixcinq intégrales d'opéra à posséder absolument si l'on écoutait les lutins, sans le moindre doute. - De surcroît, luxueux livre-disque avec des articles très stimulants.
- Monteverdi, ORFEO, La Venexiana (Glossa)
- Pour ce que CSS en a entendu (fort peu), une lecture très différente, peut-être à même de rivaliser enfin avec Harnoncourt I, ce que l'on attend toujours depuis 1969... Un grand jalon discographique, donc.
- Sous réserve d'une désillusion à l'écoute intégrale, et bien sûr difficile de proposer deux intégrales d'opéra baroque dans une même catégorie.
- Clérambault, Rameau, ORPHEE (Cantates), Auvity (Zig Zag Territoires)
- Le premier récital d'Auvity, à son meilleur niveau déclamatoire, constitue évidemment l'événement de fin d'année. Surtout dans un aussi beau programme.
- R. Strauss, Quatre Derniers Lieder, Stemme / Pappano (EMI)
- Pour la lecture inédite, délicate et colorée de Pappano, qui se confirme comme l'un des tout meilleurs chefs en activité.
On pourrait continuer longtemps. Cette année, peut-être pas de parutions majeures dans le domaine de l'opéra classique (épuisé par une année Mozart intensive), ni romantique (ni redécouvertes publiées, ni interprétations faisant date) ou vingtième (trop vaste pour tout vérifier, cela dit), à notre connaissance. Côté récitals ou musique symphonique, nous suivons plutôt l'actualité des concerts via les radios du monde. Tout au plus peut-on signaler un très beau récital Schumann de Kirchschlager, mais sans doute date-t-il de 2006 (et il existe d'autres parutions de ce niveau, ce n'est qu'un choix de lutins). Paavo Järvi a tout explosé cette saison (Kristjan aussi, en attendant qu'il enregistre des disques...), mais recommander une intégrale de Beethoven, non. Quelle idée d'enregistrer des platitudes, aussi - le génie nivelé par la quantité... Alors qu'ils ont joué du Nielsen, du Weber, du Eller, du Kapp, du Tormis (surtout Kristjan)... On pourrait aussi récompenser Parry pour son infatiguable défrichage toujours en style chez Chandos.
Quant à CPO, la masse de nouveautés est telle qu'on ne peut que recommander l'achat de toutes ses parutions, et en faire comme tous les ans le label de l'année.
Bref, on n'en finirait pas.
Commentaires
1. Le mardi 5 février 2008 à , par jdm
2. Le mardi 5 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le mardi 5 février 2008 à , par Morloch
4. Le mardi 5 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le mercredi 6 février 2008 à , par sk†ns
6. Le mercredi 6 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le mercredi 6 février 2008 à , par sk†ns
8. Le mercredi 6 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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