Guide pour les 'Victoires de la musique classique' - 5 - Compositeur, DVD "de l'année", victoires d'honneur - et pronostics
Par DavidLeMarrec, jeudi 7 février 2008 à :: Disques et représentations :: #844 :: rss
Compositeur de l'année :
Cette catégorie, ici plus encore qu'ailleurs, semble totalement détenue par une seule école. Une école de réaction par rapport au sérialisme qui a longtemps étouffé toute opposition dans le système institutionnel.
Autant le sérialisme systématique pouvait être abscons et dépourvu d'esprit, autant le résultat chez ces néos peut être, à son tour, assez fade.
Sans doute par volonté de ne pas brusquer le public, ou par relations, on ne peut donc avoir le choix, chaque année, qu'entre les compositeurs suivants : Thierry Escaich, Eric Tanguy, Philippe Hersant. Ou quelques autres dans le même esprit.
Dommage, parce que dans le style posttonal lui-même, ce ne sont pas forcément les plus intéressants. Pas forcément de mauvais compositeurs, mais le résultat paraît souvent bien tiède. Chez Thierry Escaich, on retiendra surtout les concertos pour orgue ou pour trompettes ; de Philippe Hersant, son opéra Le Château des Carpathes, très appétissant pour les extraits que l'on en a entendu.
Il est un peu dommage de présenter une image déformée de la musique contemporaine, alors qu'il existe tant d'écoles différentes. En convenant de la condition absurde de la nécessité d'être français, et sans chercher à imposer notre chouchou Bruno Mantovani, dont les raffinements un peu abstraits pourraient effrayer le spectateur ingénu, que fait-on des chatoyances miraculeuses de Thierry Pécou, de l'imaginaire de Bernard Cavanna, ou même de l'ultratonalité ingénue d'Isabelle Aboulker ? Et avec cela, on demeure dans du contemporain très facile d'accès, quasiment sans atonalité, mais qui ne se limite pas à une seule chapelle.
Voyons à présent.
- Nicolas BACRI
- Compositeur assez largement apprécié, à juste titre. Une musique assez évidente, pas nécessairement pessimiste, qui évoque un Berg un peu léger. Le concours de quatuor de Bordeaux lui avait commandé l'an passé une pièce (des variations), assez accessible pour le public, et propice à l'investissement interprétatif. Rien de révolutionnaire, mais de la musique bien faite, qui s'écoute bien. On reste dans le tonal.
- Son dernier disque, consacré à ses quatuors 4, 5 et 6, a le mérite d'être interprété par la formation de tout premier ordre, lauréat du concours de Bordeaux en 2001 : les Psophos.
- Philippe HERSANT (Song Lines)
- Compositeur qui a le mérite de se montrer assez syncrétique ; cependant, à l'exception de la recommandation que nous faisions plus haut, nous n'avons entendu que des pièces d'une assez grande fadeur. Non pas déplaisantes, mais sans grand relief, très polies, oubliées sitôt entendues.
- Eric TANGUY (In terra pace)
- Concernant Eric Tanguy, c'est encore pire : non seulement cette musique n'invente rien, dans un juste milieu entre vilain contemporain et absence totale d'innovation, qui reste tonal mais avec des atmosphères sinistres, mais de surcroît elle est assez plate et disgracieuse. On a beau entendre de nouvelles oeuvres, elles ne nous évoquent rien, et cette musique se déverse en nous sans faire sens - non pas qu'elle soit inintelligible, au contraire, mais sans qu'aucune aspérité ne nous attire l'oreille. Pis, elle véhicule une tristesse grise en toute circonstance, toujours la même.
- Non, décidément, nous restons extérieurs à cette musique. Non pas qu'elle nous soit odieuse, mais largement indifférente. [1]
On aura compris à qui échoira sans hésiter le suffrage des lutins. Même si l'on reste circonspect sur la présélection.
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DVD de l'année
CSS aura du mal à se prononcer sur cette catégorie : il faudrait se rappeler de la date de parution de ces choses que nous avons pour la plupart vu lors de leur première diffusion, à la télévision. De surcroît, dans les trois proposés, nous ne connaissons que le Hindemith, et encore, par sa seule radiodiffusion.
Tentons tout de même quelques pistes :
- CARDILLAC
- Opéra de Paul Hindemith / Angela Denoke, Alan Held, Christopher Ventris, Hannah Esther Minutillo, Charles Workman /Orchestre & Chœurs de l’Opéra national de Paris / Direction : Kent Nagano / Mise en scène : André Engel / Réalisation : Chloé Perlemuter / Bel Air Classiques / Co-production Bel Air Media, Opéra national de Paris
- Un choix un peu audacieux, qu'on s'empressera d'applaudir en fermant les yeux sur le côté assez gallicisant de la sélection. Très bel opéra, rare, servi par une distribution idéale. Avec notamment de très grands chanteurs comme Charles Workman ou Angela Denoke. Si CSS ne peut en voir une reprise à Paris, comme c'est à redouter (ce ne sera pas tous les ans...), nous acquerrons vraisemblablement le DVD. Merci à Gérard Mortier d'oser présenter plusieurs fois ce type d'oeuvre, cela permet de les sortir de l'épisode alibi de la redécouverte.
- JEANNE D’ARC AU BÛCHER
- Opéra de Arthur Honegger / Mélanie Boisvert, Eric Ruf, Isabelle Cals, Marie-Nicole Lemieux, Eric Huchet, Nicolas Testé / Sylvie Testud (récitante) / Orchestre National de Montpellier / Direction : Alain Altinoglu / Mise en scène : Jean-Paul Scarpitta / Réalisation : Don Kent / Accord / Co-production Arte France, Cinétévé, Opéra National de Montpellier
- Le spectacle avait connu une excellente réception. Musicalement, évidemment, ce n'est pas Cardillac, mais l'oeuvre fonctionne sans doute mieux avec l'image, donc remandé. Distribution tout à fait honorable.
- LA PIETRA DEL PARAGONE
- Opéra de Gioacchino Rossini / Sonia Prina, Jennifer Holloway, Laura Giordano, François Lis, José Manuel Zapata, Joan Martin-Royo / Coro del Teatro Regio di Parma / Ensemble Matheus / Direction: Jean-Christophe Spinosi / Mise en scène: Pierrick Sorin & Giorgio Barbiero Corsetti / Réalisation: Philippe Béziat / Naïve
- Tiens, Naïve fait des DVDs. On l'ignorait, mais grâce aux Victoires, nous n'avons pas pu passer à côté. Distribution appétissante (surtout Prina et Lis), curiosité (dubitative ?) d'entendre les sècheresses débridées de Spinosi là-dedans, mais le programme en lui-même est sans doute moins intéressant. Reste à savoir la qualité de la mise en scène et de la réalisation.
Ainsi, par pur a priori, CSS recommande Cardillac, de la très bonne musique ne peut jamais faire de mal.
Pour une sélection DVD, il existait sans doute plus excitant à trouver. La réédition des Diables de Loudun de Penderecki, très longtemps honteusement indisponibles, et en vidéo, constitue un événement. Et tant d'oeuvres du répertoire admirablement servies, ou à l'inverse de nouveautés radieuses... On a l'impression d'un saupoudrage Opéra de Paris / province française avec le réalisateur officiel de France 2 / Naïve et un peu de Rossini pour amuser tout le monde. Mais en l'occurrence, ce peut être une pure vue de l'esprit favorisée par la paranoïa issue de l'étrange récurrence labelistique.
Et les Gezeichneten de Nagano tant salués malgré leurs coupures, quand est sorti le DVD, au fait ? En 2006, peut-être.
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Victoires d'honneur
Le fait du Prince.
- Evgueny KISSIN (piano)
- Ah bon.
- Jean-Philippe LAFONT (baryton)
- Oui, malgré ses défauts bien connus (chant un peu à l'emporte-pièce), une endurance hors du commun, et particulièrement ces dernières années, de très belles prestations (Barak [2], César, Sirocco...), mettant en valeur ses grands talents de récitativiste, capable d'habiter n'importe quelle ligne un peu banale - pourvu que ce ne soit pas un cantabile.
- Et il a participé à relever tant de répertoire...
- Orchestre National du Capitole de Toulouse
- Pour sa contribution au répertoire, c'est indiscutable. Un assez bon orchestre de surcroît.
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Ainsi s'achève cet avant-propos pour de candides victoires aux parfums immaculés les Naïves victoires de Virgin. Avec des choix de qualité constrastée. On remarque que l'on est plus aisément juste pour les jeunes musiciens (relativement) inconnus que pour les catégories plus en vue, où les nécessités de la hiérarchisation selon la célébrité paraissent incontournables.
Conclusion ?
Puisque Morloch nous a invité au jeu, livrons-nous aux pronostics.
Victoire écrasante de Naïve, devançant nettement Virgin Classics, dans une solide seconde place.
Cecilia Bartoli, qui n'avait pu venir, une année (la dernière où les lutins ont regardé ?), à cause de la neige sur l'aéroport de Zürich. Rolando Villazón, pour changer. La Chambre Philharmonique, puisqu'il faut bien que Naïve rentre dans ses frais. Nicolas Bacri pour les compositeurs, une valeur sûre et il n'a jamais dû l'avoir. Thomas Dolié, nettement mieux mis en valeur par les extraits du disque diffusé et la nature de sa voix.
Pour nos préférences, on les a déjà indiquées.
Fin de la séquence badine. Retour prochain de nos émissions numériques sinistres.
Notes
[1] On ne le dit que maintenant afin de ne pas ajouter une perfidie insigne à un avis négatif que nous donnons déjà à contre-coeur, mais Eric Tanguy est publié par Naïve. Son dernier disque, consacré à ses deux concertos pour violoncelle, est hélas de la même farine que tout ce que nous connaissons de lui.
[2] Chez Strauss, revenez sur terre, bon sang. On parle de choses sérieuses ici.
Commentaires
1. Le jeudi 7 février 2008 à , par Morloch
2. Le jeudi 7 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le vendredi 8 février 2008 à , par Xavier
4. Le vendredi 8 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le vendredi 8 février 2008 à , par Xavier
6. Le vendredi 8 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le vendredi 8 février 2008 à , par licida :: site
8. Le vendredi 8 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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