Debussy et la poésie
Par DavidLeMarrec, dimanche 2 mars 2008 à :: Mélodie française :: #875 :: rss
Etrange comme Debussy, sur des bijoux de poèmes, fragmente, voire dissout la structure poétique. Ses Verlaine, en particulier Clair de lune, Le son du cor s'afflige ou en encore Colloque sentimental, semblent changés en prose.
Son côté cursif, qui refuse le refrain et la structure d'ensemble, la lenteur de l'énonciation, la ligne très parlée et volontairement applatie (c'est l'impression que procurent ces intervalles par tons entiers), tout cela contribue à faire de ces poèmes un flux un peu neutralisé, presque un prétexte. Les rimes, et plus encore le mètre, n'ont plus guère de signification.
Autant le traitement trop mélodique (voire strophique [1]) peut se révéler un péché chez certains compositeurs, en banalisant le texte, autant ici, ces compositions fascinantes musicalement, suspendues, oniriques, semblent bien loin de l'esprit des poèmes.
Il ne s'agit plus guère de l'appropriation intime d'un texte par un compositeur, bien plutôt d'une expression purement musicale inspirée par un contexte poétique, mais traduite en des termes absolument propres à Debussy - qui ne cherchent en rien à exalter ou même respecter l'esprit initial des textes employés.
Notes
[1] En répétant, donc, la même thématique musicale pour des strophes distinctes.
Dommage, parce que le problème de la mélodie française est précisément de ne pas employer d'aussi bons textes que les lieder. Et Debussy a eu franchement bon goût - ses Proses lyriques, écrites lui-même, ne sont pas, loin s'en faut, les plus médiocres du lot.
Mais non, décidément, les répliques gravement et sentencieusement énoncées de cet aigre-drôle Colloque sentimental qui clôt les Festes Galantes, cela reste tout entier du Debussy, Verlaine n'a plus rien à y voir.
Gérard Souzay, Dalton Baldwin. L'effort d'interprétation ne peut pas y contredire l'essence même de cette écriture musicale si lointaine.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.- Te souvient-il de notre extase ancienne ?
- Pourquoi voulez-vous qu'il m'en souvienne ?- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? - Non.- Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Des chefs-d'oeuvre musicaux plus que d'autres, mais des textes abîmés par leur adaptation dans l'univers debussyste (manifestement un peu exclusif), contrairement à d'autres compositions plus fades qui préserveront mieux la forme et le sens poétiques - à condition de ne pas trop miévrifier l'ensemble, comme c'était trop souvent l'usage dans le gros du répertoire français de l'époque. Car les corpus postdebussystes qui nous sont parvenus, ou les prix de Rome que nous connaissons, du genre des Dupont, Caplet, Cras, Boulanger, Emmanuel, Milhaud ou Sacre n'étaient pas du tout majoritaires en réalité ; le postGounod et le postMassenet, ou au mieux le postSaint-Saëns régnaient en maîtres dans les salons et les coeurs.
Commentaires
1. Le mardi 4 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
2. Le mardi 4 mars 2008 à , par Morloch
3. Le mardi 4 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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