Concert : aspects de Carlo GESUALDO par l'Ensemble Sagittarius
Par DavidLeMarrec, mercredi 19 mars 2008 à :: Disques et représentations :: #903 :: rss
Programme très excitant ce soir (Grand-Théâtre de Bordeaux, il y a deux heures), dirigé par Michel Laplénie, entrecoupé de pièces instrumentales de Frescobaldi (de banales à très intéressantes).
Brièvement.
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1. Les oeuvres.
Tout d'abord des Répons des Jeudi, Vendredi et Samedi saints. Des textes soigneusement choisis parmi les moments forts du mythe : l'invitation à la prière au moment de l'Agonie (étymologique) du Christ à Gethsémani (In monte Oliveti, Tristis est anima mea), la déréliction sur la Croix (Omnes amici mei derelquerunt me, Tenebrae factae sunt), les signes de la colère céleste (Velum templi scissum est, Tenebrae factae sunt), etc. A six voix, d'une belle force dépouillée.
Ensuite un bouquet de madrigaux de Gesualdo (IVe, Ve, VIe & VIIe livres) à cinq voix. Dans l'écriture de ces pièces, des trouvailles remarquables ; les chromatismes descendants, les incidentes expressives y sont splendides ; le reflux des voix laisse sans cesse apparaître des strates plus discrètes, des moirures imprévues ; l'atmosphère de déploration sublimée, presque abstraite, et en tout cas sans larmes, est admirable.
Le programme est très astucieusement conçu en exploitant, dans cette seconde partie, des poèmes de martyre amoureux et de déréliction, pendant profane de la Passion.
En bis, une pièce-devinette religieuse, à l'écriture très "pleine". Manifestement du Monteverdi, vu les notes répétées des cadences.
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2. L'interprétation [1]
Très contrastée. Dans les pièces latines de la première partie, de gros problèmes de justesse, de mise en place, vraiment très modeste prestation pour un ensemble professionnel - certes plutôt spécialisé dans le baroque allemand. Sur six chanteurs, quatre chantent régulièrement faux. L'incarnation - si l'on ose dire - des textes se limite à plusieur reprise à une surexposition des consonnes dans les moments "dramatiques".
Quelques déchets aussi dans les soli de viole de gambe [2], mais les continuistes ne sont pas nécessairement formés pour ce genre d'écriture agile, difficile aussi vu le nombre de cordes et la prise en main de l'archet - sans compter l'exposition intimidante pour un habitué de la ligne de basse. Vraiment un très beau son, cela dit.
Structurellement, le théorbe est malheureusement inaudible, et ici plus que jamais : les harmoniques riches de la viole de gambe suffisent déjà à l'engloutir tout entier, d'autant plus que l'interprète semble prendre un soin tout particulier à égrener de délicates nuances piano. Amplification ou jeu fortissimo indispensables...
La seconde partie, elle, constituait une leçon phénoménale. Mieux rodé car déjà joué l'an passé, l'ensemble des madrigaux de Gesualdo (avec des voix un rien plus vibrées) révèle une maîtrise au plus haut niveau du genre. Notamment une clarté d'articulation remarquable, et surtout, surtout - ce que personne n'arrive à faire - une précision expressive étonnante. Les interprètes s'emparent des inflexions du texte avec une unité d'intention et une volonté tout à fait perceptibles. Plus que réjouissant. Et vraiment inouï, au sens propre.
Cela dépasse (malheureusement, d'une certaine façon) les interprétations gravées au disque, souvent d'une belle plastique, mais peu frémissantes - ou manquant de précision dans la pensée des intentions, d'unité dans la réalisation.
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3. Livret de salle
Fourni gracieusement, il comporte texte et traductions, ce qui est un plaisir (malgré le faible éclairage pour les courageux). Contrepartie, de très nombreuses coquilles et aucun accent grave noté dans le texte italien - ce qui produit des futurs un peu étranges.
Mais c'est amplement suffisant pour goûter les pièces, une excellente décision.
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4. Peuplement
Parterre rempli à moitié. Et reste du théâtre pas bien plein non plus. Personne pour ainsi dire, et accueil glacial.
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5. Entendu
- C'est beau.
- Oui, c'est beau.
- Mais on sent quand même que quatre siècles nous séparent.
- Oui, c'est très dolorique tout ça.
Beaucoup de spectateurs n'avaient que cela à la bouche : "C'est beau. C'est beau mais." Il faut dire que ce répertoire est d'un abord particulièrement cérébral - peu de chances d'être touché d'emblée, sans un effort fait vers le genre en tant que tel.
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En somme, malgré une réalisation très imparfaite de la première partie, une très grande leçon d'interprétation du madrigal, et appliqué à des chefs-d'oeuvre incontestables (les deux derniers livres en particulier contiennent des choses stupéfiantes).
Notes
[1] Pour en savoir plus sur les interprètes, en résidence à Bordeaux, qui regroupent un certain nombre d'anciens des Arts Florissants : http://www.sagittarius.fr/.
[2] Les Frescobaldi, de même que l'ensemble du continuo de cette soirée, se jouait avec viole de gambe et théorbe uniquement. Parfait pour la clarté du propos.
Commentaires
1. Le jeudi 20 mars 2008 à , par sk†ns
2. Le jeudi 20 mars 2008 à , par Morloch
3. Le jeudi 20 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
4. Le jeudi 20 mars 2008 à , par Vartan
5. Le jeudi 20 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
6. Le vendredi 21 mars 2008 à , par Eragny
7. Le vendredi 21 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
8. Le vendredi 21 mars 2008 à , par WoO
9. Le samedi 22 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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