Vade mecum du spectateur au concert et à l'opéra
Par DavidLeMarrec, samedi 29 mars 2008 à :: Pédagogique - Glottologie :: #913 :: rss
(Et la question des huées.)
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Encore tout récemment, CSS constatait le désarroi de spectateurs peu habitués, lors d'un Faust de Gounod - dont on n'a pas encore parlé ici.
Les maisons d'opéra seraient peut-être bien inspirées de laisser dans leur entrée, à disposition, un petit mode d'emploi avec quelques éléments utiles, des choses qu'on ne peut pas nécessairement deviner. Une FAQ, comme on dit sur la Toile.
CSS se met donc à contribution. Les commentaires sur des oublis ou des désaccords sont bienvenus.
Et si jamais une maison d'opéra souhaitait réutiliser ces indications d'une façon ou d'une autre, elle peut le faire sans mon autorisation, il s'agit tout bêtement d'une collection d'usages qui se veut utile.
Qui peut aller à l'Opéra ?
Question toute bête, qui ne se pose peut-être plus à celui qui a déjà franchi les portes - mais après tout, les amateurs d'architecture, ou les visiteurs à l'Office du Tourisme pourraient être intéressés par ce type de fascicule.
Parce qu'on ignore, pour certains, qu'aucune connaissance préalable n'est requise, qu'on ne risque pas le ridicule, et que les prix sont échelonnés de façon suffisamment progressive pour que toutes les bourses puissent s'y retrouver. Pour les moins de 26 ans et les chômeurs, voire pour des places de dernière minute, la plupart des théâtres proposent des prix extrêmement avantageux (c'est-à-dire de 5 à 10€).
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Quelles sont les règles vestimentaires ?
Le mieux est de se renseigner directement auprès du théâtre. Hors (rares) soirées de gala de toute façon réservées à des abonnés, en France, n'importe quelle tenue décente est admise. A moins de se présenter en maillot de bain, ce qui pourrait causer quelque perplexité au sein du personnel d'accueil, peu de chances de se faire refouler. Peut-être avec des nu-pieds, pour des raisons d'hygiène ? Pas de problème avec les T-shirts et les jeans, en tout cas.
Il n'est pas interdit non plus de 's'habiller'. Le noeud papillon fait tout de même très emprunté, désormais. Mais la cravate, qui selon les théâtres est devenue rare, n'a rien de ridicule, bien sûr. Elle tient juste très chaud.
CSS recommande tout de même plutôt une tenue confortable : il fait souvent chaud, ou bien une soufflerie (silencieuse) peut laisser échapper de l'air frais pas loin. Dans les vieux théâtres, peu de place aussi. En conséquence, une tenue facile à moduler et peu encombrante peut se révéler un avantage.
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Quand réserver ?
Selon la popularité des titres (on commence souvent avec des choses connues, accessibles ou familières), il vaut mieux s'y prendre tôt, dès l'ouverture des guichets. On peut aussi tenter quelques tarifs réduits de dernière minute. En cas d'épuisement des places proposées, des contingents sont souvent remis en vente, parfois le soir même. Ne pas hésiter à réessayer.
Ne pas se fier non plus à un coup de téléphone ou à l'interface internet : au guichet, il peut tout à fait rester des places. Il est toujours plus sûr de se déplacer.
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Est-ce qu'on voit bien de partout ?
Tout dépend des théâtres. Dans les théâtres « à l’italienne », c'est-à-dire en rotonde, mieux vaut être placé au parterre (« à l'orchestre »), ou de face (y compris haut, peu importe, si l'on n'a pas le vertige - mais attention aux surtitres, qui peuvent être masqués par le lustre). Les premiers rangs sont toujours meilleurs, surtout si l'on est de relativement petite taille, c'est l'évidence. [Attention aussi aux colonnes au Châtelet...]
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Est-ce qu'on entend bien de partout ?
En général, oui. Le son est généralement très bon même tout en haut dans les salles anciennes, où il est excellent. Dans les baignoires, il peut être agréablement amplifié de la même façon. Ce sera surtout de côté que la résonance peut arriver indirectement et un peu dénaturée (pour les voix uniquement).
Dans les salles modernes, dont certaines sont mal conçues, mieux vaut être soit très près (ce qui est généralement difficile), soit proche des parois, où sont placés des blocs réverbérants. Eviter, dans le doute, d'être trop loin de la scène.
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Et si l'opéra est en langue étrangère ?
Il est bien sûr possible de lire une traduction du livret (le texte de la pièce) auparavant (généralement disponible avec le disque, on peut emprunter ça en médiathèque). Cependant la plupart des maisons d'opéra disposent d'un système de surtitrage qui permet de suivre pas à pas le texte en traduction française. Attention à se placer sans avoir le lustre devant le surtitrage, ne pas hésiter à demander au moment de réserver les places.
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Est-ce que ça ressemble vraiment au livret ?
Attention, pas forcément. Actuellement, selon les théâtres et les mises en scène, les transpositions sont fréquentes, ce qui signifie qu'on peut assister aux Dialogues des Carmélites avec des danseuses nues dans un lupanar de la banlieue varsovienne des années vingt. Mieux vaut se renseigner sur le metteur en scène auparavant, regarder les photos de la production ou de ses précédents travaux (facile avec internet), ou bien se préparer à tout, stoïquement.
Sur le néophyte, ce peut faire une impression très néfaste si l'on n'et pas prévenu.
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Comment est la musique ?
Ici aussi, attention, on compose de l'opéra de 1599 à nos jours, et dans des styles très différents. Les oeuvres récentes, en particulier, peuvent dérouter le public novice. Tout ne ressemble pas, loin s'en faut, aux oeuvres les plus connues. Ici aussi, il est facile de se renseigner en allant écouter des extraits sur Amazon, on voit vite le type de musique dont il s'agit, ou mieux encore, en empruntant un disque à la médiathèque.
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Comment se préparer ?
Difficile de conseiller sur ce point. On peut préférer préparer sa soirée pour tout comprendre : bien lire le texte, des commentaires, écouter plusieurs fois la musique. Ou au contraire se laisser surprendre par l'intrigue et la musique le soir même. Il faut se connaître un peu et savoir si l'on peut apprécier d'un seul coup quelque chose de différent.
Cela dépend aussi de la difficulté des oeuvres : pas besoin d'une grosse préparation pour un Mozart comme Don Giovanni ou Le Nozze, qui sont des débuts accessibles. Pour du Richard Strauss, il vaut peut-être mieux se faire une idée auparavant.
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Comment se comporter dans la salle ?
Comme dans la vraie vie : avec mesure et courtoisie. On peut toujours rappeler quelques points auxquels les plus novices ne penseraient nécessairement pas à temps - mais d'expérience, ce n'est pas avec eux que l'on rencontre fréquemment ce type de chose.
Bien sûr, on s'en doute, ne pas laisser le portable allumé, même en position "vibreur", ne pas feuilleter bruyamment son programme, ne pas porter de grands chapeaux qui masquent la scène, ne pas étendre ses coudes sur son voisin, et ne pas ronfler si on dort.
D'autres évidences paraissent moins intégrées par une frange du public. Sortir les bonbons de leur emballage avant la représentation - l'air de rien, ils sont très sonores. Ne pas taper du pied, même sur les musiques les plus entraînantes : la vibration se communique de façon incommodante aux voisins, et très loin.
A noter : les hôtesses n'acceptent pas le pourboire des ouvreuses des cinémas de l'ancien temps. Inutile de les mettre dans la gêne, elles n'ont pas le droit d'accepter. On peut avantageusement remplacer par un petit remerciement gentil.
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Et en cas de retard ?
Les spectacles commencent à heure plus ou moins fixe, mais rarement plus de cinq minutes après l'heure dite (et souvent moins). En cas de retard, il reste possible d'entrer lors d'une pause, éventuellement à une autre place, ou à l'entracte. Avec, dans certains cas, la possibilité de suivre le spectacle sur un écran en attendant.
Donc inutile de rentrer chez soi en cas de retard, il est toujours possible d'en voir un morceau.
Evidemment, il faut entrer en principe avant l'extinction des lumières pour ne pas déranger les autres spectateurs, et jamais après le début de la musique...
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Comment réagir au spectacle ?
C'est la partie la plus intéressante et la moins évidente pour le néophyte. Ces réactions sont codifiées, et les connaître permet ensuite d'y évoluer en toute liberté, sans crainte de mal faire.
Pour manifester son approbation, ce n'est pas une découverte, il est d'usage de taper dans ses mains - ce qu'on appelle applaudir, en somme - si, si. Il n'est en rien une obligation d'applaudir si l'on n'est pas satisfait. A l'inverse, il est tout à fait permis de brailler des bravo, y compris avec l'accent français, si l'on est enthousiaste.
Pour les huées, la question est délicate et âprement débattue. Certains les jugent nécessaires pour exprimer une palette d'expressions qui comprenne la désapprobation. D'autres les jugent possibles mais extrêmement discourtoises et violentes. D'autres enfin les jugent arrogantes et illégitimes. (L'avis de CSS se situerait quelque part dans la deuxième proposition.)
Le problème de la huée est tout de même, outre sa violence, la grande imprécision de son propos. Qui est visé ? Pour quel message ? [Voir note de bas de page...]
Dans le doute, en tant que néophyte, on peut s'abstenir, ça évite des bévues (et d'entrer dans le débat).
La question essentielle vient :
Quand applaudir ?
a) Au concert (musique symphonique, musique de chambre, mélodie et lied...).
Il est d'usage de ne pas applaudir avant la fin d'une oeuvre entière, afin de ne pas briser sa progression et ses contrastes. Aussi, dans le cadre d'une symphonie en quatre mouvements, d'un quatuor, d'un groupe de mélodies du même compositeur, d'un cycle de lieder, on n'applaudit qu'à la fin, même si les musiciens s'interrompent, voire se réaccordent (ce que les lutins détestent au demeurant).
Applaudir entre les mouvements n'est pas un crime de lèse-majesté (au pire, quelques "chut !" agacés fusent, s'il y a suffisamment d'habitués un peu ronchons dans la salle), mais il gêne le public qui aime bien avoir sa pièce dans la continuité et ne plaît pas trop aux musiciens. (Dans un cycle de lieder, en revanche, on risque le lynchage, soyez vigilants.)
En tout cas, on n'applaudit jamais pendant la musique. Bref, mieux vaut attendre de voir. Inutile de se précipiter alors qu'il reste un mouvement ou, pire, que cette interruption prévue par le compositeur se trouve au coeur d'un mouvement. Même enthousiaste, on attend un peu et on jauge la réaction des autres, c'est plus sûr.
b) A l'opéra.
L'opéra, sur les mêmes principes, connaît quelques exceptions. La règle générale est d'applaudir à la fin de chaque acte (sauf pour le premier acte de Parsifal à Bayreuth, folklore local oblige). Et plus longuement à la fin de l'oeuvre tout entière. Néanmoins, on peut rencontrer quelques entorses :
- Il est possible d'applaudir à la fin d'une pièce isolée (généralement un air, un choeur, un ballet) qu'on a trouvée particulièrement réussie. Il n'est pas toujours facile de bien se caler entre la fin de la pièce et l'enchaînement de la suite, parfois immédiat selon le chef. [A titre purement personnel, j'ai horreur qu'on brise le drame, et je ne saurais donc trop recommander la parcimonie en cas de doute, de façon à ne jamais couvrir la musique. La phrase baroquisante qui suit Salut, demeure chaste et pure dans le Faust de Gounod est absolument délicieuse, et trop souvent couverte par des restes de bravi.] Inutile en revanche de le faire systématiquement après chaque air, surtout dans un opéra seria (constitué tout entier d'une alternance d'airs et de récitatifs, soit une trentaine d'airs...). C'en est même fatigant pour les spectateurs qui applaudissent.
- Dans certaines maisons d'opéra (le Met de New York en particulier), il peut advenir qu'on applaudisse (de moins en moins au fil des années) les entrées des stars ou même les décors (cela se fait aussi de temps à autre pour les opérettes en province). Ce n'est pas franchement de bon goût et peut incommoder les autres spectateurs. Par prudence, CSS recommande donc plutôt de s'abstenir sur ce point.
Dans tous les cas de figure, il faut bien prendre garde à ne pas applaudir sur la musique. C'est-à-dire attendre que l'orchestre ait fini de jouer et non pas simplement que le soliste ou le chanteur lève les bras pendant la ritournelle finale. Jamais de précipitation, les morceaux peuvent réserver des surprises.
Pour tout un chacun, il est plus agréable de laisser s'éteindre la résonance dans la salle, c'est-à-dire de ne commencer à applaudir qu'après quelques secondes de silence.
A ne pas faire :
- Applaudir un aigu au milieu d'une pièce.
- Sur une fin vive et enthousiasmante, applaudir en cachant la clausule orchestrale.
- Applaudir à l'instant où la dernière note se relâche.
Le comble du mauvais goût est d'applaudir juste sur la dernière note, de façon à montrer à toute la salle qu'on connaît l'oeuvre (particulièrement si elle est atonale ou difficile). C'est d'une grossièreté sans nom.
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Conclusion
Avec cela, en principe, on peut se rendre au concert sans risque de mal faire. Tant qu'on ne se manifeste pas pendant la musique (pas de bavardages pendant l'ouverture ou le prélude, par conséquent), pas de possibilité de se montrer déplacé.
On pourrait avec profit adjoindre à cela une petite présentation de la nature et des enjeux du genre opéra, mais ce serait un peu long pour aujourd'hui.
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Note : signification et typologie des huées
Quelques possibles (pour la plupart vécus) dans la signification des huées, qui attestent de leur difficulté à exprimer quelque chose de précis.
Confessions de hueurs anonymes.
- Je hue parce que je pense que ce rôle n'est pas pour cet excellent chanteur.
- Je hue parce que c'est moins bien que mon disque donc c'est nul.
- Je hue parce qu'il y a eu un décalage à la 323892e mesure du Rosenkavalier, une oeuvre facile en plus.
- Je hue parce que la mise en scène ne ressemble pas à celle du Met.
- Je hue parce que la mise en scène ne bouge pas assez, ça ressemble trop à celle du Met.
- Je hue parce qu'il y a du retard et que je vais rentrer à quelle heure moi.
- Je hue parce que j'aime bien passer à la radio.
- Je hue parce que le contre-ut était un peu tiré.
- Je hue parce que je n'ai rien compris à la musique et que c'est donc qu'elle est mauvaise.
- Je hue parce que les places de Mortier sont chères, qu'il fait dans la provoc' et que je regrette mon argent.
- Je hue parce que je n'ai pas de salle suffisamment vaste pour mettre en pratique mes cours de chant. D'ailleurs, des fois, je crie "ahhhh" (très ouvert).
- Je hue parce que j'adore ce chanteur et que je veux rester sur un bon souvenir de lui avant qu'il ne vieillisse.
- Je hue parce que le chef va partir et que j'aime beaucoup ce qu'il fait, pour lui dire qu'il a tort.
- Je hue parce que j'ai peur dans le noir.
On pourrait poursuivre longtemps. On doit pouvoir classifier tout cela entre hueurs instinctifs (un détail qui a cloché, une attente que ce soit comme au disque) et hueurs analytiques (faire passer un message sur la distribution, l'âge des chanteurs, le choix des metteurs en scène)...
Bien sûr, il y a aussi un autre clivage entre hueurs spontanés (pour exprimer leur avis) et hueurs d'apparat (pour poser leur avis).
Ces deux paradigmes peuvent avantageusement se croiser.
Commentaires
1. Le dimanche 30 mars 2008 à , par [ Ben ] :: site
2. Le dimanche 30 mars 2008 à , par Vartan
3. Le dimanche 30 mars 2008 à , par Morloch
4. Le dimanche 30 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le dimanche 30 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
6. Le dimanche 30 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le dimanche 30 mars 2008 à , par Vartan
8. Le dimanche 30 mars 2008 à , par Morloch
9. Le dimanche 30 mars 2008 à , par Xavier
10. Le dimanche 30 mars 2008 à , par Kia
11. Le dimanche 30 mars 2008 à , par Jean-Charles
12. Le dimanche 30 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
13. Le lundi 31 mars 2008 à , par Laurent :: site
14. Le lundi 31 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
15. Le lundi 31 mars 2008 à , par sk†ns
16. Le lundi 31 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
17. Le lundi 31 mars 2008 à , par sk†ns
18. Le lundi 31 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
19. Le mercredi 2 avril 2008 à , par Eragny
20. Le mercredi 2 avril 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
21. Le dimanche 6 avril 2008 à , par Faust
22. Le mercredi 9 avril 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
23. Le vendredi 1 août 2008 à , par Zip
24. Le vendredi 1 août 2008 à , par DavidLeMarrec
25. Le lundi 20 octobre 2014 à , par francis :: site
26. Le lundi 20 octobre 2014 à , par David Le Marrec
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