Clara WIECK-SCHUMANN - Lorelei et ses prolongements
Par DavidLeMarrec, vendredi 9 mai 2008 à :: Clara Wieck-Schumann - Poésie, lied & lieder :: #945 :: rss
(==> Un point sur les influences, le style et les grands jalons discographiques. Et beaucoup de jolies pochettes un peu tartes.)
Influences
Nous disions hier, dans une autre présentation autour de Clara :
Par ailleurs, toujours cette superbe langue musicale, au mélodisme chopinien et à l'harmonie schumanienne.
Le premier s'explique très bien par l'attraction qu'a pu représenter le modèle chopinien (ou même Hummel et Kalkbrenner) sur la jeune virtuose. Pour Schumann, il s'avère que le style a vraiment ses parentés, mais c'est moins expliquable rationnellement.
Quoi qu'il en soit, Clara Wieck-Schumann reste un compositeur extrêmement remarquable de son époque, avec une véritable personnalité. On connaît surtout son Concerto pour piano en la mineur (Op.7), clairement imité de Chopin, voire certaines pièces pour piano, pleines de grâce, d'esprit, de recherche, comme l'opus 6 (Soirées musicales). On y trouve notamment un très beau Nocturne, assez imaginatif, qui ne cède ni à la convention fieldienne, ni au format chopinien, et un Scherzo assez nettement sorti de nulle part, un hapax assez déroutant.
En réalité, mis à part le Concerto et le Trio avec piano - dont les premières mesures sont plus que clairement inspirées de Chopin -, son travail est très peu épigonal.
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Les lieder
Ses lieder n'appartiennent véritablement qu'à elle et constituent un corpus majeur de l'histoire du lied. L'ensemble dure à peine plus d'une heure (pour vingt-sept lieder), il serait donc tout à fait possible de proposer des concerts monographiques. Surtout avec le nom de son mari, et à l'époque où la promotion des femmes à l'égal des hommes est un argument de vente.
Et une curiosité légitime, tout simplement. Qui ne serait ici certes pas déçue !
Voici ce que nous en disions dans notre série sur le lied :
Imaginez si Chopin, au lieu de mélodies intimistes aux accents populaires, avait écrit du lied de concert. Clara Schumann est dans cette veine - toujours cette fièvre Schumannienne tempérée par la suprême élégance chopinienne. Sa musicalité fait ici des merveilles.
Comme chez Schumann, le piano, virtuose (plus encore chez elle), est largement autonome. L'art de la mise en atmosphère est sans doute moindre, mais - qu'on me pardonne - l'art de la mise en musique d'un texte est, lui, d'une bien plus grande subtilité. Dans le flux musical qui parcourt le morceau, Clara Schumann ménage des hésitations, des retouches, des redites dont le ton change. Si peu que l'interprète y soit sensible, l'effet est véritablement merveilleux.
Pour autant, l'écriture mélodique est très vocale, avec de belles lignes d'un port admirable.Clara Schumann n'est décidément pas un compositeur de lied mineur. A titre personnel, j'y suis plus sensible qu'à Schumann, Mendelssohn, Brahms ou Wolf.
Clara est donc à classer dans la sainte trilogie des femmes supérieures à l'homme au même patronyme plus célèbre, avec Fanny Mendelssohn-Hensel et Alma Schindler-Mahler. (Du moins pour le lied...)
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La discographie
Pour une fois, la réponse est simple !
Le disque qui s'impose (l'un des tout plus précieux de notre discothèque korriganesque) est celui de Christina Högman et Roland Pöntinen chez BIS, consacré à des lieder choisis (et parmi les tout plus beaux) de Fanny Mendelssohn-Hensel, Clara Wieck-Schumann et Alma Schindler-Mahler. Un très grand sens du climat chez Högman, dont la diction n'est pas parfaite, mais l'engagement textuel total. Un piano délicieusement ferme et sculpté par Roland Pöntinen lui tient lieu d'écrin idéal.Que des oeuvres majeures, et par des interprètes hors du commun.

Il existe bienheureusement une intégrale (il manque simplement la version originale anglaise de Mein Stern), disponible à prix minuscule chez Arte Nova, par Lan Rao (soprano) et Micaela Gelius. Voix très légère, avec un peu d'accent américain, piano propret, mais interprétations largement honnêtes et convaincantes. On ne dispose pas du feu et de l'inspiration présents chez Högman / Pöntinen, mais c'est amplement suffisant pour profiter de l'ensemble de ces pièces.
Toujours la qualité du standard Arte Nova : des lieder rares, à prix ridicule (entre 5 et 6 euros chez les revendeurs Amazon), très bien interprétés et de surcroît, pour leurs rééditions, des natures mortes photographiques très poétiques.



Autres interprétations :
De nombreux disques (Bonney, Holzmair, Skovhus, Güra...) adoptent le concept de saupoudrer quelques Clara - souvent les mêmes très beaux bijoux - au milieu d'un bouquet largement consacré à Robert. Sympathique mais toujours frustrant. De plus, les interprétations pèchent souvent par ignorance des spécificités stylistiques de Clara et surtout une certaine fadeur. On joue cela avec le sérieux que réclame le dépouillement schumannien, alors que Clara est toute loquacité ! Les disques Bonney et Güra, en tout cas, ne sont pas à recommander.
Parmi les anthologies, on peut également citer le récital d'Hélène Grimaud, qui retient trois lieder en partenariat avec Anne-Sofie von Otter (pour qui il est hélas un peu tard) ; malgré un piano très plastique et vigoureux, la conception n'approche pas Högman / Pöntinen (il y manque cet enthousiasme et cette fraîcheur).
Au moins (et c'est tout à notre connaissance) deux autres intégrales ou prétendues telles existent. Néanmoins, elles sont incomplètes.
La plus complète des deux, avec Isabel Lippitz (soprano) et Deborah Richards (chez Bayer), n'est tout à fait, de même que les Alma Schindler-Mahler gravées pour CPO (Isabel Lippitz et Barbara Heller-Reichenbach), à un niveau professionnel satisfaisant. Certes, ici le piano n'est pas désaccordé (!), et certains effets percussifs sont intéressants, mais le texte réduit en bouillie, les incertitudes vocales sensibles et la justesse flageolante ne rendent pas, à vrai dire, bien justice au corpus (presque complet : vingt-cinq mélodies contre vingt-sept chez Arte Nova). Exactement comme pour Alma, cette quasi-intégrale a surtout eu le mérite d'être pionnière et d'ouvrir la voie à d'autres réalisations complètes. Ou de patienter en les attendant.
Bien que titré Completely Clara (avec un saut de ligne intempestif, une pochette vraiment en amateur), le récital de Korliss Uecker (soprano) et Joanne Polk (pour l'un des nombreux labels nommés Arabesque) ne contient que dix-neuf mélodies - il manque notamment la très chopinienne Valse de jeunesse. On peut saluer l'engagement de Mlle Uecker, d'un zèle parfois à la limite de l'affectation, mais qui fait plaisir à entendre. Ici aussi, des effluves américaines, des aigus pas aussi libres qu'on pourrait penser pour un disque commercialisé (de petites constrictions tout à fait évitables, lorsqu'on quitte le médium), ou bien des graves très ouverts, qui fleurent la voix pas encore tout à fait développée. Néanmoins, un souci d'habiter très appréciable. Ce serait une intégrale tout à fait correcte, malheureusement il nous manque trop de pièces pour la recommander.


Concernant le reste (instrumental) du corpus, il faut recommander le disque de Joseph Silverstein avec le beau Symphonique de Bamberg (Veronica Jochum au piano, chez Tudor) pour un Concerto pour piano convaincant, et surtout le plus beau Trio de la discographie (la version Argerich est à fuir, étonnamment affectée et sans esprit). Pour les pièces pour piano, il existe suffisamment de choix au disque pour que chacun fasse son marché comme il l'entend.

Ainsi, peu de grands noms autrement que fortuitement, le temps d'un complément à Schumann, et un niveau technique relativement modeste parfois. Mais tout de même de quoi contenter amplement le curieux !
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A noter pour les partitions : les lieder ont paru en deux volumes chez Beitkopf (prix raisonnable, mais tout aurait pu tenir dans un seul volume pour le même tarif...) et les pièces pour piano en un seul volume chez Dover (donc pas cher).
Voilà pour ce petit tour d'horizon autour de l'univers de Clara !
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(Rappel : Cette notule prolonge, afin de ne pas l'alourdir inutilement, celle consacrée à Lorelei.)
Commentaires
1. Le lundi 22 février 2010 à , par DavidLeMarrec
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