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dimanche 1 juin 2008

Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - IV - acte troisième : la morale et la marotte

La suite.

De nombreuses questions, à défaut de se résoudre (ce n'est pas le genre de la maison), trouvent leur développement dans cette première partie du troisième acte.

Tout d'abord, le livret n'esquive pas l'évocation d'une pesante morale judéo-chrétienne, dont il se trouve totalement imprégné, sans chercher à la défendre ni à la fuir, alors même que son joug est secoué de façon constante au moyen des provocations païennes et lascives qui parcourent l'oeuvre. La religion, à l'exception de la présence symbolique de l'angélus dans le premier ballet qui ouvre l'acte III, n'est jamais invoquée (et seulement par le peuple) - il en reste cependant, inamovible, l'inertie de toute une morale.

Ainsi, alors que les nobles gênois ont connu l'orgie de jeunes filles, enlevées à leur famille, alors que chaque personnage développe des aspirations égoïstes tout à fait distinctes de la morale, l'élément déclencheur de l'oeuvre, le don de l'Ile d'Elysée, qui permet la rencontre entre Carlotta et Tamare, entre Carlotta et Salvago, ainsi que l'intrigue façon 'roman noir' autour de la découverte des enlèvements et l'intrigue politique de l'acceptation par le Duc Adorno du don, est décrit explicitement par Salvago durant l'acte III comme un geste d'expiation.

So fragt' ich mich auch, / C'est ce que je me demandai aussi,
und Zweifel bedrängten mich hart. / et le doute m'asaillit de toutes parts.
Doch war mir bewußt einer Schuld, / Mais j'étais conscient de m'être rendu coupable,
eines frevlen Gedankens, / d'une idée sacrilège,
der Früchte zeitigte, die ich verdammte / dont je maudissais les fruits
und deren Gift an der Seele mir fraß. / et dont le venin empoisonnait mon âme.
Diese Schuld zu sühnen, / Pour expier,
hab' ich das Liebste, das damals noch meinem Herzen lebte, / j'ai sacrifié ce qui était à l'époque le plus cher à mon coeur,
das einzige Glück meiner freudlosen Tage geopfert, / le seul bonheur de mes jours sans joie
ohn' das ich's bereu', / sans le regretter,
denn unverdient hoher Lohn ist mir geworden. / car j'en ai tiré une récompense imméritée.

(traduction tirée de l'extrait de livret que nous avons joint - p.178)

Le plus frappant étant que non seulement le discours d'Alviano (Salvago) consacre cette idée, mais de surcroît l'issue du drame retirera en effet cet unverdient hoher Lohn (plus littéralement "une haute récompense imméritée"), en une double punition. L'expiation trop heureuse n'aura pas purgé les comptes à rendre lors de l'interpellation publique pour ses crimes, et de surcroît le bien reçu en contrepartie de son geste lui sera absolument ôté : non seulement Carlotta est morte et donc inaccessible, mais en plus, elle aspirait vers autre chose que ses fiançailles avec Salvago... Totalement ôtée, concrètement et symboliquement - ce qui renvoie en effet au seul élément sûr que puisse reconnaître Salvago le difforme : sa marotte imaginaire.

Und meine Kappe, meine schöne Kappe / Et ma marotte, ma belle marotte,
rot und mit silbernen Schellen / pouge, avec des grelots d'argent,
sah niemand die Kappe ? / personne n'a-t-il vu ma marotte ?
Laßt mich, ich muß ja doch endlich... / Laissez-moi, il faut enfin...

D'une certaine façon, on retrouve un motif très important présent dans Le roi s'amuse (pas certain que Schreker ait lu cette pièce peu fêtée de Hugo, dans laquelle la question se pose de façon beaucoup plus complète que dans le néanmoins excellent livret de Rigoletto).
Le difforme, lié au statut de bouffon de cour, protège une jeune fille du monde dépravé auquel il contribue néanmoins (sans y toucher) avec un plaisir féroce. La rencontre fortuite des deux mondes provoque la destruction du monde candide et de la jeune fille - seule joie du bossu. Hugo, pour se défendre contre la censure (pourtant abolie par la Charte de Louis-Philippe) qui avait frappé d'interdiction Le roi s'amuse après sa première représentation, avait ajouté, en guise de préface, un développement d'une bonne foi limitée, mais qui défendait de façon assez convaincante l'idée d'une faute de Triboulet, qui avait lui-même nourri l'instrument de son propre malheur, en poussant les nobles à la débauche.

Toutefois :
(La suite et le matériel d'écoute et de lecture :)

Suite de la notule.

La politique et le sacré

Ou peu s'en faut.

Entendu, vendredi dernier, Daniel Mesguich, tout récent directeur du Conservatoire National d'Art Dramatique, en appeler à une augmentation des crédits et subventions pour la culture. Chacun prêche pour sa paroisse, c'est bien naturel, et tant mieux si chacun est convaincu de l'importance supérieur de son secteur. Sur les carnets d'avocats, on lit que la justice est première parce qu'elle assure la paix sociale ; sur les carnets d'enseignants, que l'éducation est seule à même de former une société harmonieuse, par l'amont. Et que dire de la santé sur laquelle il est inconcevable de rogner, tellement évidente qu'on l'oublierait ?

S'il fallait absolument se prononcer, CSS penche plutôt pour l'importance primordiale de l'éducation, qui à défaut de donner la santé, peut procurer un épanouissement et une sûreté qui peuvent éventuellement rendre les tribunaux moins essentiels. Mais étant donné qu'aucune de ces institutions n'est parfaite (l'école n'apprend pas à soigner les cancers par la force du mental, pas plus que l'incarcération des analphabètes ne leur apprend à coup sûr à lire), il faut bien entendu soutenir les autres pour que l'équilibre soit à peu près atteint.

Fort bien, et évidemment, CSS ne dira certes pas que la culture est négligeable, ou qu'on peut représenter des opéras sans moyens. [Il est cependant possible d'économiser à tous les niveaux de l'échelle, et ce serait donc plus une réorganisation des dépenses qu'une augmentation des crédits qui serait efficace, mais dans l'attente de réaliser ces réaménagements, il faut bien faire souffrir les chéquiers publics, c'est entendu.]

--

Plus que la litanie sur les moyens qui n'est jamais corporatiste, mais toujours quand même un peu de mai 1791 [1], c'est l'analogie choisie pour argumentation qui a froncé notre sourcil serein.

En substance :

Notes

[1] Soit un peu avant juin, si vous avez bien suivi.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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