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Il matrimonio dissoluto ossia Il Trionfo della lingua di cotone

Grmblbl.

Le triomphe de la langue de coton. Soyez contre l'inéquité, le mépris des femmes et l'intégrisme totalitaire. Pour pas cher.

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Le vain débat autour de l'affaire de l'annulation du mariage lillois commence à devenir pénible. On peut ne pas partager l'avis du juge, mais il s'explique aisément, sans avoir besoin de recourir aux justifications impossibles de l'asservissement de la femme et de l'islam-croquemitaine. CSS met donc brièvement la main à la pâte en espérant participer à un peu d'information, ou du moins de réflexion dans ce concert bien unanime.

En l'occurrence, on nous rebat les oreilles avec "la virginité reconnue par le juge qualité essentielle", alors que ce n'est écrit nulle part et qu'il ne s'agit que d'un vice du consentement. A partir du moment où la mariée reconnaît la tromperie sur un élément essentiel du consentement, le juge n'a aucune raison de faire traîner la procédure - qui leur accorde au bout du compte un statut plus enviable que celui de divorcés.

Cela n'a rien à voir avec des "qualités essentielles" qui seraient reconnues par le juge. Il s'agit de caractéristiques reconnues comme fondatrices du consentement, subjectivement par les parties. Il se trouve qu'en l'occurrence, cette caractéristique est attachée à une coutume, donc que le choix se trouve en réalité hors du choix individuel, mais ce n'est pas au juge de l'interdire, on a le droit d'épouser quelqu'un pour les mêmes convictions morales que soi. Dans cette affaire très précise, on n'a pas d'éléments sur la contrainte, et la mariée acquiesce à la dissolution du mariage, en reconnaissant son mensonge volontaire (car, dans le cas contraire, le mariage n'aurait pas eu lieu). Dans un autre cas (par exemple pour le même motif, mais en cas de divergence des parties, soit sur le mensonge, soit sur l'annulation), il est très vraisemblable que le Tribunal de Grande Instance de Lille aurait statué autrement.

Comme tout jugement, on peut bien entendu le contester, mais cette première jurisprudentielle est tout simplement liée à la reconnaisance du mensonge fondamental et à l'acquiescement de la mariée à la procédure. Vraiment pas de quoi fouetter un chat.

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Si on se balade à présent hors sujet, en s'éloignant du droit.

La seule objection qui me paraisse valide est celle qui consiste à remarquer que la contrainte pèse sur la femme seule, puisqu'on ne peut pas le vérifier sur le mari. Mais à partir du moment où le tort est constaté, même si Dame Nature a réparti les aptitudes à le dissimuler de façon très injuste, difficile pour le juge de feindre de ne pas le savoir et de décréter l'élément sans fondement...

Par ailleurs, si l'on désire vraiment parler de morale (et en supposant que la mariée ait librement consenti, bien entendu), le fait de mentir aussi généreusement sur sa vie passée, et sur un élément aussi vérifiable, ne laisse pas véritablement optimiste pour la survie d'un jeune couple. D'une certaine façon, les cris d'orfraie sont tellement exagérés qu'ils présentent comme négligeable qu'eux non plus, sur ce sujet ou un autre, n'auraient pas aimé subir un mensonge important sur la vie passée de leur élu.
Non, non, avec ces questions, on n'en finirait pas, et toutes ces considérations morales sont si subjectives (chacun réagissant à sa manière à ce type de révélation)... Il faut se fonder en droit, et en cette matière, si la décision peut être bien sûr contestée (l'appel est là pour ce faire), elle est en tout cas expliquable et en rien inique.

A noter enfin, au rang des remarques non juridiques : l'appel qui vient d'être demandé par la Garde des Sceaux pour défendre la dignité des femmes aura tout de même, paradoxalement, pour effet direct de prolonger l'humiliation publique de la mariée infortunée.

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Ainsi, les indignés sont, je le redoute, pour beaucoup ou mal informés, ou de mignons petits Tartuffe.

Dans la première catégorie, le citoyen non juriste, victime consentante ou non. Dans la seconde, les hommes politiques soucieux de soigner leur popularité à peu de frais (illustration parfaite et répugnante du vocable démagogie) - c'est bien, comme cela les juges trembleront pour trancher en toute impartialité des cas aisément caricaturables. [1] [2]
Il en manque une troisième : les vendeurs de papier, qui ne se posent pas trop de questions, surtout pas, ça pourrait faire baisser les ventes.

Les journalistes sont lourdement à blâmer dans cette affaire : lorsqu'un juriste leur explique en quoi la décision est justifiable en droit - voire tout à fait bien rendue -, on se met à l'interroger sur son avis "en tant qu'être humain", "en tant que femme", pour obtenir un début de concession qui puisse bien montrer combien, hors des rouages glacés du droit, l'humanoïde normal se doit de ressentir une juste ardeur courroucée. Et surtout ne pas sortir du rang de l'unanimité. Bref, on vend une fois de plus des émotions prémâchées, et en rien de l'information.

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La langue de coton triomphe. Et c'est fatigant.

Notes

[1] On peut ajouter, dans cette seconde catégorie, les militants de toute espèce et les angélistes en chef comme Dounia Bouzar ; Caroline Fourest a quant à elle judicieusement revu ses protestations initiales pour abandonner l'aspect juridique du problème et protester sur l'exigence injuste de ces conditions en amont dans la société, ce qui est un combat beaucoup plus valable.

[2] Il serait intéressant en tout cas de savoir qui a saisi l'occasion de la parution du jugement dans un code Dalloz... Et, ainsi, de savoir à quelle fin : militantisme, soin de sa propre image, volonté de publicité, indignation maladroite, erreur ?


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Commentaires

1. Le mercredi 4 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Un petit chef-d'oeuvre de démagogie dans les questions à l'Assemblée ce mardi... (ce sont les deux premières questions)

Comment veut-on après tant d'outrance qu'on accorde le moindre crédit à l'honnêteté (intellectuelle ou non) des représentants du souverain...

Pathétique de contempler des députées venir faire leur publicité, attirées comme les mouches par le miel, devant une Assemblée malheureusement pleine, à grand renfort de mauvaise foi.

On peut voir à la suite, sur le lien donné, la réponse de la ministre à ces questions - pour une fois, une réponse sage et éclairante (à l'exception de l'anathème final sur le groupe socialiste, pas malin parce que forcément repris en boucle par les médias au détriment d'un discours déjà suffisamment offensif pour être diffusé, avec un peu du fond de sa réponse...).

Par ailleurs, l'Assemblée est plus que jamais une foire assez répugnante (invectives ou pas, des huées à présent...).

2. Le mercredi 4 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

... et à présent, jusque sur la chaîne parlementaire, on nous cause de "mariage annulé pour cause de non virginité". Ben voyons.

A mon avis, c'est plutôt pour cause d'islam, ça va faire jurisprudence et les musulmans ne pourront plus se marier.

3. Le vendredi 6 juin 2008 à , par Morloch

J'ai suivi d'un œil cette affaire qui suscite un grand émoi.

Je n'ai pas lu le texte exact du jugement et c'est difficile d'en déterminer la portée, simplement quelques idées qui me traversent la tête.

Ce serait intéressant de voir si l'on peut retrouver d'anciennes jurisprudences du XIXème qui iraient dans le même sens, j'imagine que des nullités de mariage pour non-virginité ont bien dû être obtenues sur le fondement des mêmes textes sur le consentement.

Surtout, personne ne traite du jugement par le biais de la procédure, c'est pourtant passionnant la procédure. Dans cette affaire, si j'ai bien compris, on a soumis au juge une double requête, émanant des deux parties en présence, en nullité du mariage pour vice du consentement. Or, en procédure civile, le procès est la chose des parties, le juge ne peut s'écarter du débat tel qu'il est posé, sauf à procéder à une requalification des faits, facultative, si celle proposée par les parties est inexacte. On ne peut pas reprocher au juge de ne pas avoir prononcé un divorce quand la question qui lui était posée était la nullité du mariage, sauf à changer les termes du litige qu'il devait trancher - je dis cela parce que j'ai vu ce reproche fait au juge de ne pas avoir prononcé un divorce.

A ne pas trancher la question de la nullité, il aurait même commis un éventuel déni de justice. Enfin, j'imagine que dans ce cas il aurait écarté la nullité avec une argumentation solide. Et pour partir dans une procédure pour divorce, il aurait fallu qu'il reprenne la procédure à zéro et allongé les délais pour les parties qui ne le souhaitaient visiblement pas, avec échanges contradictoires d'arguments entre les parties. Je ne sais pas s'il y avait un enjeu financier particulier dans l'affaire, après moins de quatre ans de mariage les solutions proposées par l'alternative divorce/nullité ne devaient pas être si éloignées, mais personne n'en parle donc je ne sais pas ce qu'il en est.

Enfin, bref, tout cela pour dire que le juge était lié par la façon dont les parties lui ont amené le débat, et comme les deux présentaient la question de la virginité comme ayant été déterminante du consentement du mari, il lui fallait répondre à la question de savoir si la virginité était une qualité essentielle de la personne épousée.

J'imagine qu'il n'a pas imaginé les remous qu'il allait provoquer en y répondant de cette façon.

4. Le vendredi 6 juin 2008 à , par Morloch

Grmbl.

Ce que c'est que de ne pas se relire après avoir remanié un paragraphe tarabiscoté, j'imagine.

5. Le vendredi 6 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Je précise donc qu'il n'y avait plus de vie commune depuis le soir de la noce, et que la procédure courait depuis plus d'un an. Donc pas beaucoup de biens nouveaux à partager.

Effectivement, c'est une évidence qu'il était impossible au juge de ne pas répondre en n'étant pas saisi, qu'il ne pouvait pas prononcer un divorce (j'ai entendu le regret du divorce, mais pas à la charge du juge, elle est bien bonne celle-là...), et qu'il statuait en fonction des conditions posées subjectivement au moment du contrat. On reproche le choix de la virginité au mari, mais faudrait-il aussi interdire pour la bonne morale, les mariages non mixtes, les mariages dans la même classe sociale, les mariage avec les gens beaux, etc., pour ne pas perpétuer des injustices ? Ca me paraît plutôt compliqué à mettre en oeuvre, et vicier totalement la nature même du mariage.

Par ailleurs, tous les Tartuffe qui s'offusquent n'ont pas l'air de concevoir que si leur femme leur avait menti sur leur passé à ce point, ils l'auraient fort mal pris et que cela se conçoit assez bien. En ce sens, la portée du mensonge me paraît assez lourde de toute façon, et imaginer un vice du consentement à ce propos ne me semble pas forcément démesuré.

Ensuite, bien sûr, un tribunal en appel pourra décréter autre chose, mais de là à dépeindre ce jugement comme inique... Il faut bien être à la fois non juriste et naïf, ou bien de mauvaise foi.
En ce sens, Caroline Fourest a été très adroite, puisqu'après avoir réagi très vivement contre le jugement, elle a très vite porté son offensive sur les questions culturelles en amont, ce qui est tout à fait légitime. (Cela dit, il semblerait, aux dires d'un des avocats des parties, qu'il n'y a jamais eu d'affaire de drap "ostenté" comme on l'a dit très sérieusement dans les rédactions moutonnières, sans doute pour enjoliver le récit. Maintenant, la parole d'un avocat, on sait ce que ça vaut...)


Et voici un morceau du jugement :

6. Le mardi 10 juin 2008 à , par Morloch

Ah, donc dès la nuit de noces les effets du mariage ont cessé entre les époux ? En effet, les conséquences financières de l'annulation ne sont pas très différentes de celles du divorce dans ce cas. L'enjeu est exclusivement sur le fondement juridique du jugement.

L'acceptation des vices du consentement pour annuler un mariage ont en réalité été longtemps très restrictifs, le mariage apparaissant comme une institution plus que comme un contrat. Etaient admis la violence (les mariés avaient un fusil dans le dos au moment de dire oui devant le maire) ou bien l'erreur sur l'identité de l'époux (oui, ça a pu arriver, comme quoi...)

L'évolution du mariage, moins sacralisé, massivement sujet au divorce et devenu un choix parmi d'autres comme le concubinage et le pacs, cela a accentué le côté contrat et atténué le côté institution.

Cet arrêt est significatif à cet égard. A quand l'application du droit de la consommation au contrat de mariage ? Un marché du neuf et de l'occasion ?

Il y a tout de même un danger, dans cette jurisprudence, à voir l'apparition de règles de formation du mariage différentes selon les communautés, même s'il faut prendre garde à ne pas généraliser ce qui est un cas d'espèce.

Ce qui pouvait arriver de pire est l'extrême médiatisation de cet arrêt, qui lui donne une portée qu'il n'avait pas lors de sa rédaction. Mais bon, il était tellement tentant de sauter dessus pour tout bon politique qui se respecte.

7. Le jeudi 19 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

... et pour tout journaliste, effectivement. Je suis d'accord avec toi sur ce danger de phénomène, au moins chez les justiciables, dû à la mise sur la place publique assez bruyante. Je plains les juges de la cour d'appel, qui sont attendus à couteaux tirés.

La question étant, comme tu le fais, à poser en comparaison avec le divorce - mais les malheureux juges ne pouvaient pas prononcer un divorce lorsqu'on les saisit pour une annulation, comme on l'entend parfois dans la bouche d'indignés qui feraient mieux de s'instruire un minimum avant d'ouvrir leur bouche tonitruante (et fatigante). Là, oui, sur le choix d'accepter l'annulation au lieu de renvoyer vers une procédure de divorce, on peut gloser. Mais on peut imaginer que les juges n'ont pas souhaité engorger les tribunaux, parce que ça ne changeait rien au bout du compte, vu qu'ils n'avaient pas eu de vie commune...


Pour ce qui est des règles de mariage par communauté, c'est un peu inévitable de toute façon, puisque le choix du mariage est, par essence, une discrimination... Ensuite, il faut voir si certains choix on le droit d'être portés devant la justice.
En l'occurrence, ça me paraît tout simplement un mensonge assez lourd sur le passé et la personnalité de l'épouse (il ne s'agit pas de marchandise bien entendu...), qui pouvait être vu comme une tromperie sur les caractéristiques constitutives de la personne. Ensuite, est-ce qu'il est sage de permettre pour un motif aussi banal une annulation au lieu d'un divorce, c'était aux juges d'en juger d'après le dossier...

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David Le Marrec

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