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Ferdinand HEROLD - Zampa et le marbre, Don Juan et la pierre, la clarinette, la distribution

La suite promise samedi dernier.

[Code : ferdinandherold]

L'oeuvre recycle malicieusement, jusque dans son titre, le thème de Don Juan, en châtiant un impie et séducteur de femmes, par le pouvoir surnaturel d'une statue. On y rencontre jusqu'au défi au mort - non pas une invitation à dîner, mais une nouvelle promesse de fiançailles, pour une soirée.
Le personnage principal, tout de même séduisant vocalement, concentre cependant toute la charge réprobatrice de la morale ; son valet se montre vénal mais de bien meilleure volonté. A tout point de vue, il s'agit bien d'un avatar du mythe de Don Juan - sur le mode léger.
Avec tous les éléments, on l'a vu, de l'opéra comique, du pittoresque, du rocambolesque, une structure précise et des moments obligés, une forte dimension morale - l'opéra comique était alors un spectacle familial.


L'engloutissement de Zampa. Est-il nécessaire de lister les points communs ? Les trombones menaçants, la main glacée, la palpitation de tout l'orchestre en une fanfare infernale, le lieto fine en contraste immédiat... Jusque dans le texte et l'écriture musicale, on s'inspire de la version mozartienne du mythe. Clin d'oeil évident. Pour le reste, la fin dévote annonce plutôt, sinon l'apothéose de Tannhäuser, du moins Gounod (Faust et Mireille).

Musicalement, tout est de surcroît de premier choix, aussi bien les romances que les ensembles. On songe à certains des meilleurs moments de l'opéra français de l'époque. Le trio de la frayeur de Dandolo annonce déjà le l'air de terreur de Corentin et le duo de la défiance dans Dinorah (Le traître morbleu a lu dans mon jeu), et la quatuor est digne des meilleures scènes de pétrification de Rossini (Guillaume Tell) et Verdi (Vêpres Siciliennes, Don Carlos), avec une entrée décalée des personnages sur le même motif mélodique qui sera également retenue pour Nabucco.
La cavatine initiale, très rossinienne, la beuverie joyeuse (à la façon d'O vin, dissipe la tristesse d'Hamlet de Thomas pour le soliste, et de Bonheur de la table / Bonheur véritable des Huguenots de Meyerbeer pour le choeur), tout cela s'inscrit au carrefour des styles, comme une synthèse idéale des tons d'une époque.


Trio et quatuor et l'acte I. On note la proximité du personnage de Dandolo avec Corentin de Dinorah. Vous goûterez aussi la qualité exceptionnelle des dialogues parlés.

De ce délice de fraîcheur émerge régulièrement le timbre enchanteur de la clarinette, pour introduire les romances, faire contrepoint à la voix - toujours tendre et évocatrice. J'ai lu quelques réserves sur l'interprète - je n'ai pas remarqué de faiblesses techniques notables sur la retransmission de Radio France, mais on pouvait en revanche constater une très grande qualité de phrasé.

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On évitera, pour de mesquines raisons de temps, de s'étendre sur la distribution, assez formidable. William Christie balaie toutes les réserves de sa Stratonice (Méhul) assez tiède, et les Arts Florissants, parfois d'un son asséché dans Mozart, trouvent ici des couleurs admirables, tout en conservant les qualités de respiration qui sont l'apanage traditionnel des ensembles de musique ancienne, opposés à l'ultralegato. Ainsi que la vivacité qui leur est coutumière dans leurs meilleurs jours.

Un rythme enivrant qui fait d'une partition en théorie moins copieuse l'égale d'un bon Meyerbeer.

Les chanteurs sont tous dignes d'éloge. Bernard Richter (Alphonse, ténor lyrique léger) est une merveilleuse surprise, voix ronde et chaleureuse, idéale pour ce rôle d'amoureux sans prise sur l'action, naïf sans la moins de pointe de niaiserie - charmant. Les graves sont d'une douceur idéale, et le suraigu est présent (un peu tendu dans le plus de l'étendue, c'est plus que véniel) ; et cela, en refusant résolument la moindre aide du placement nasal qu'on entend très souvent dans ce type de voix. La voix parlée bénéficie de ces mêmes caractéristiques, le plaisir est complet.

Léonard Pezzino (Daniel Capuzzi, ténor de caractère) et Vincent Ordonneau (Dandolo, ténor comique à la française, très rond) brillent également par des voix équilibrées et expressives. Le dernier surtout, qui déploie une virtuosité verbale sans pareille dans ses interventions parlées, et notamment le récit de la rencontre avec Zampa que vous pouvez entendre ci-dessus.

Doris Lamprecht (Ritta, mezzo comique) fait montre de ses qualités habituelles, abattage et tenue.

Patricia Petibon (Camille, soprano lyrique léger, et colorature au besoin) émerveille par le gain en chair de sa voix, et la clarté de sa diction malgré la nature de son timbre. Extrêmement expressive, tout particulièrement dans les dialogues, très soignée dans les phrasés, et toujours cette énergie qui lui est propre. Voilà longtemps (depuis son disque avec les Folies Françoises, en fait), qu'on ne l'avait entendue en semblable inspiration (et forme vocale). Elle porte beaucoup de l'enthousiasme sur scène, qu'une héroïne fade aurait nécessairement bridé.

Enfin Richard Troxell (Zampa, ténor demi-caractère) présente de très grandes qualités, contrairement à ce que les huées (inexplicables !) et les critiques tièdes pouvaient laisser penser - mais pour tout dire, les lutins voyaient ça gros comme une maison. Le timbre n'est pas très séduisant, fortement métallique, plutôt nasal, mais l'assurance est là ; la diction, comme pour tous les chanteurs, impeccables ; l'engagement sans faille. Ne pas oublier que la limitation de la séduction est aussi un choix pour caractériser un ténor inquiétant (et la sélection des interprètes a bien pris soin d'individualiser les timbres des quatre ténors). L'aperture des voyelles, la clarté de la diction, l'accentuation des phrases, l'expressivité sont parfaites. Ce qu'on lui reprochait n'était que de l'ordre de l'accent (on entend qu'il n'est pas français), ce qui n'a, à vrai dire, strictement aucune importance sur le plan artistique.
Certes, on aurait pu embaucher quelqu'un d'autre (Philippe Do, par exemple), mais il est drôlement commode de décréter sans connaître les contraintes financières, les emplois du temps des artistes, leur acceptation des rôles, qu'on aurait pu distribuer autrement... une facilité que nous épargnerons à nos lecteurs.
Bref, même si la prestation de Richard Troxell était moins enthousiasmante que celles (superlatives) de ses collègues, le rôle était tenu avec valeur de bout en bout, sans défauts notables, avec un bel engagement et une vraie justesse de ton, jusque dans les dialogues parlés, jamais maladroits - ce qui est un vrai tour de force pour un étranger, de surcroît formé d'abord pour chanter et non pour déclamer.

Notre admiration majeure ira précisément à la déclamation, telle qu'on aimerait toujours l'entendre dans les théâtres. Avec une technique comparable à la voix chantée, on obtient des voix puissantes, timbrées, très flexibles et expressives, où chaque intention est immédiatement audible, et sans le moindre braillement. Aussi jouissif (plus ?) que les parties chantées. De surcroît, les artistes se sont attachés à rendre de façon très précise les variations d'affects. Plus encore qu'une grande soirée de musique, une grande soirée de théâtre, qui rendra difficile le retour pour les lutins dans les salles habituelles.


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Commentaires

1. Le mercredi 25 juin 2008 à , par sk†ns

D'après les extraits, c'est un peu plus fun que le Moses und Aron (Solti, 1984) que je suis enfin parvenu, après maintes tentatives (et sans aucun soucis de performance, je l'assure), à écouter d'une seule traite ce matin même. Ce qui m'a quand même fatigué (je suis fragile).

2. Le mercredi 25 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Pourtant, la version Solti est très hédoniste, assez confortable même. Mais cette musique très dense et difficile est épuisante, c'est vrai. J'incline à penser que ce premier dodécaphonisme est parmi les langages les plus difficiles d'accès, largement plus que le sérialisme systématique des années à venir.

Mais ça n'en est pas moins une belle oeuvre... un peu plus complexe que Zampa, j'en conviens.

Comme on m'a dit un jour : Moïse et Aaron, j'adore, surtout la fin.

3. Le jeudi 26 juin 2008 à , par Morloch

D'accord avec à peu près tout sur ce spectacle, l'accent de Richard Troxell n'est pas gênant, il est utilisé pour caractériser son personnage comme pirate en carton-pâte à la mode hollywoodienne des années 30.

Le point faible était peut-être une mis en scène peu inspirée dans le premier acte, qui obligeait le spectateur à patienter avant que ça commence " vraiment " (deuxième acte).

Une très belle découverte, reprogrammée la saison prochaine :)

4. Le jeudi 26 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Malheureusement, j'étais assez mal placé vis-à-vis de la radio, je voyais mal la scène.

Et j'espère pouvoir y assister, ça me consolera d'avoir manqué Cadmus et surtout Cardillac cette année...

5. Le jeudi 26 juin 2008 à , par Morloch

Ah bin voilà un moyen de te mettre la pression : tu dois venir voir ce spectacle + le Roi Roger de Bastille + Les Fées du Châtelet (avec Minko) + plein d'autres choses :)

6. Le jeudi 26 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Pour me mettre la pression (hé ho, on n'est pas chez hope52era, ici !), il faut plus que ça... les Gezeichneten annoncés, par exemple ! Et encore, comme la mise en scène va forcément me déplaire... :)

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