Lesueur - PAUL & VIRGINIE - Niquet... et autres opéras
Par DavidLeMarrec, dimanche 28 décembre 2008 à :: Opéra romantique français et Grand Opéra - Opéra-comique (et opérette) :: #1098 :: rss

Gravure tirée de l'édition de 1806 du roman de Bernardin de Saint-Pierre, soit douze années après la création du drame lyrique en trois actes de Lesueur (au Théâtre Feydeau, sur un livret adapté par Alphonse de Congé Dubreuil).
L'auteur (1760-1837) de la Marche du Sacre de Napoléon Ier est d'abord un compositeur du théâtre lyrique, à l'origine aussi bien de choses très fraîches que du grand genre. Peut-être une transition entre la tragédie lyrique et le grand opéra romantique à la française - la continuité véritable entre les deux genres est une hypothèse que nous formulions déjà, par le biais des formats vocaux, et qui se trouve ainsi complétée.
Notes tirées de DSS et largement prolongées.
Sur les représentations dirigées par Niquet :
- Avec narrateur prenant souvent le pas sur les dialogues.
- Interprétation : choix de la distanciation, soulignant avec ironie mais empathie les conventions et répétitions, la pauvreté du propos ; image d'une époque regardée derrière la vitre.
- Il est vrai qu'en l'occurrence n'est vraiment plus comestible comme tel.
- Mais déconstruction très habile ici.
- Nous épargne des dialogues vraimnent faibles et inutiles, ici, et si CSS va jusqu'à le dire...
- Les chanteurs jouent le jeu d'ailleurs, belle cohérence du spectacle.
- Vraiment très piquant, et pour le coup délectable sans regret. Remarquable adaptation.
- La défiance comme esthétique.
Jean François Lesueur (parfois 'graphié' Le Sueur) est aussi à l'origine de choses très fraîches, des opéras-comiques, voire de la tragédie lyrique ; ou encore des choses héroïques plus indéterminées, comme La Caverne.
Cet opéra, bien que créé en 1793 au Théâtre Feydeau, n'est pas d'essence légère, et relate les aventures du Gil Blas de Santillane du roman de Lesage dans une adaptation assez sérieuse de Paul Dercy. Il s'agit d'un drame lyrique, un genre un peu libre qui préfigure le genre sérieux du XIXe siècle.
Bien que rien n'en soit publié, CSS sort de ses cartons un petit extrait tout à fait intéressant.
Extrait récent nécessairement, puisque la période révolutionnaire n'est servie sur le plan des études musicales que depuis fort peu de temps. Tiré d'un concert à la Chapelle Royale de Versailles, des extraits d'opéras français oubliés de la fin du XVIIIe siècle avec Pierre-Yves Pruvot et l'ensemble Les Agrémens, dirigés par Guy van Waas (29 septembre 2007).
Vous noterez la structure assez libre, surtout expressive, qui sépare certes l'air en 'récitatif, cantilène, récitatif, cabalette' d'une certaine façon, comme le feront les belcantistes italiens et comme c'était alors l'usage dans l'opéra-comique lorsqu'il se mue en grand genre sérieux (voir Joseph en Egypte en particulier). Pourtant, ce qui domine est bien l'impression de proximité avec les exigences théâtrales, sans doute amplifiée par l'interprétation emplie de naturel et très engagée. Le caractère formel du passage semble en devenir secondaire. On se dirige assurément vers les structures plus souples de l'opéra romantique.
Trois ans plus tard, au même endroit et par le même librettiste, Lesueur propose Télémaque dans l'île de Calypso ou Le Triomphe de la sagesse, sous la forme avouée de la tragédie lyrique (mais réduite en trois actes, selon une méthode beaucoup plus de son temps, qui réduit la part formelle et le divertissement propres au genre).
De la même façon, Ossian ou Les Bardes (Dercy, 1802) et Le Triomphe de Trajan (Esmenard, 1807) se placent dans la filiation des grandes formes, avec choeurs, exotisme, spectaculaire. Mais la langue et les affects (moins élevés, plus épidermiques, plus domestiques aussi) opèrent une transition avec le Grand Opéra romantique. Il faudrait bien entendu pouvoir disposer de témoignages musicaux ou de partitions pour en dire plus long, mais les livrets laissent déjà percevoir l'évolution. A noter, Ossian, joué à l'Opéra, était en cinq actes (et titré 'opéra'), contrairement à la tragédie lyrique Trajan, jouée dans le cadre moins prestigieux de Feydeau.
L'opéra Alexandre à Babylone est vraisemblablement composé dans le même goût, mais faute d'information, on s'interroge aussi sur le ton de cet opéra, débuté sous l'Empire (forcément...), dont le librettiste Pierre Baour-Lormian avait déjà collaboré avec Lesueur pour un intermède politico-mystique, L'Inauguration du Temple de la Victoire (joué à l'Opéra en 1804).
De la même façon, Lesueur prolonge le genre mixte de la 'tragédie lyrique religieuse' (qui n'existait pas exactement sous cette dénomination, mais à laquelle on peut rattacher David & Jonathas de Charpentier ou Jephté de Pignolet de Montéclair) avec sa Mort d'Adam (1809 à l'Opéra, livret de Guillard), inspirée de Klopstock. Le genre se confond avec l'opéra au XIXe siècle, mais souvent au profit d'une méditation critique ou à tout le moins mythiste [1] sur le sujet religieux (voir par exemple le lunaire Noé débuté par Halévy et complété par Bizet).
Ici aussi, il faudrait voir ce que Lesueur en fait. Le sujet des premiers hommes était en tout cas prisé dans ces années (par rapport à son absence assez répandue avant et après, à l'exception notable de Rudi Stephan un siècle plus tard), puisque Kreutzer a écrit un magnifique Abel (1810), remanié en 1823 en deux actes sous le titre de La mort d'Abel. La question de l'origine, plus prégnante dans les temps d'instabilité et de nouveauté constantes ?
Par ailleurs, Lesueur a bien sûr écrit des pièces plus légères ; Arabelle et Vascos récupère ainsi des types habituels, des chansons plaisantes... et pourtant il s'agit d'une comédie (?) grave et très critique, avec un Inquisiteur encombrant, de vrais périls, et une atmosphère générale de pièce à turc généreux, dont on sait qu'elle se finit bien, mais qui développe des crises bien plus graves que le début plaisant pourrait le laisser penser - comprenant le cachot et la menace de mort.
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Si nous parvenons à disposer de plus amples informations (n'habitant pas à Paris, la fréquentation de la BNF et de sa gestion administrative kafkaïenne ne nous est pas commode quand nous n'y passons pas plusieurs jours tout exprès), les lutins ne manqueront pas de diffuser les nouvelles. (Oui, comme nous ne l'avons pas fait pour Joseph, car nous avons joué l'oeuvre depuis... Mais elle existe au disque, alors...)
Bienvenue dans l'univers fascinant des opéras existants mais encore largement virtuels...
Notes
[1] On veut dire considérant les textes sacrés comme une matière dramaturgique, et non comme l'objet d'une célébration. Ce qui permet de ne pas les exalter, voire de les critiques, ou même de les tourner vaguement en ridicule, même si dans ce dernier cas le procédé n'est pas frontal.
Commentaires
1. Le lundi 29 décembre 2008 à , par Morloch
2. Le lundi 29 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le lundi 29 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec
4. Le lundi 29 décembre 2008 à , par Morloch
5. Le mardi 30 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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