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Le disque du jour - XXV - Récital Bo Skovhus / James Conlon : le maître-étalon

Avec l'orchestre de l'ENO (English National Opera, où l'on joue le répertoire en anglais), qui prouve une fois de plus ses grandes qualités, en particulier ses cordes si rondes et une belle tranparence.

  • KORNGOLD, Die tote Stadt : air de Fritz (Mein Sehnen, mein Wähnen)
  • THOMAS, Hamlet : invocation au père (Spectre infernal), air à boire (O vin, dissipe la tristesse), monologue de l'essence (J'ai pu frapper le misérable), monologue du dernier acte (Comme une pâle fleur)
  • GOUNOD, Faust : air de Valentin (Avant de quitter ces lieux)
  • MASSENET, Werther : air de la traduction (Pourquoi me réveiller)
  • VERDI, Don Carlos : scène de la prison (C'est moi, Carlos)
  • BRITTEN, Billy Budd : air de la renonciation (And farewell, to ye, old Rights o' Man !)
  • WAGNER, Tannhäuser : chant du concours (Blick' ich umher in diesem edlen Kreise) et chant à l'Etoile du Soir (O du, mein holder Abendstern)
  • TCHAÏKOVSKY, Eugène Onéguine : arioso du refus, arioso du temps passé
  • TCHAÏKOVSKY, La Dame de Pique : air de Yeletsky


Un récital qui mérite d'être érigé en modèle.

  1. Eclectisme. Beaucoup de pans du répertoire sont parcourus, en quatre langues, avec une grande variété d'atmosphères. Il est vrai que le répertoire de baryton le permet plus que pour aucune autre catégorie masculine. Le tout n'est pas chiche, sur 71 minutes, le disque est plutôt bien rempli.
  2. Goût. Le choix très minutieux permet un équilibre entre bravoure, airs moins connus, versions alternatives (version originale de Don Carlos, Werther pour baryton).
  3. Agencement. La progression entre les tonalités et les atmosphères est admirablement conçue ; on glisse d'un univers à l'autre quasiment insensiblement. Grâce aussi à la délicatesse de l'accompagnement de Conlon, dont c'est peut-être le plus beau disque... Le programme est idéalement disposé, de l'élégiaque à l'élégiaque (dont c'est, de façon assez peu conventionnelle, la principale couleur du récital), avec un centre plus vaillant (mais toujours méditatif).
  4. Qualité linguistique. Les langues sont superbement maîtrisées ; même pour le francophone, l'accent est imperceptible. Il y a bien une petite raideur verbale ici ou là, mais moins que chez la plupart des chanteurs francophones. Pas d'accent, la couleur des voyelles est très bonne, l'accentuation au sein des phrases (le plus important...) absolument irréprochable. [On ne se prononce pas sur le russe, nous ne sommes pas assez bon juges ; tout est très nettement prononcé (de façon trop antérieure en fait), peut-être un peu lourdement mouillé et un peu insistant sur certaines finales, mais manifestement très soigneusement accentué.]
    • L'anglais roule dans la bouche (les 'r' lyriques anglais sont d'une gourmandise !), l'allemand se tend languissamment sur ses accents de phrase... Un naturel impressionnant. Surtout qu'il n'est rien de tout cela, mais danois, dont les tics de langage sont ici imperceptibles, excepté dans la rondeur de certaines articulations, mais uniquement (et agréablement) musicales.
  5. Style. Mais le plus ahurissant réside dans la pertinence stylistique absolue de chaque piste, avec une maturité pour chaque domaine qui laisse mal voir qu'il s'agit de séances d'enregistrement communes.
    • Dans Korngold, la voix s'étend sans vibrato, presque sans vie, sur les rêveries du Pierrot. Dans Thomas, volontiers vaillante, mais toujours pleine de clarté, elle parcourt avec fermeté la longue tessiture, avec une belle souplesse. Dans Massenet, la noirceur mélancolique l'emporte, avec une émission plus percutante, plus concentrée. (Si bien que l'arrangement maladroit pour baryton finit par se tenir.) Dans Britten, elle parcourt rondement, doucement les articulations d'un anglais devenu très net. Pour Wagner, la langue nue du concours de chant se met à claquer superbement, chaque mot est croqué, mis en relation avec le sens - véritablement éloquent, au point de changer cette platitude en petite merveille. Enfin, dans Tchaïkovsky, le lyrisme se fait plus généreux, le legato plus prégnant. L'exactitude du ton et de la parole est à chaque fois au rendez-vous.


Et côté accompagnement, ni absence, ni maladresse, ni prosaïsme ; rien de que de la douceur, mais sans la mollesse proverbiale de Conlon.

On couvre d'autant plus volontiers ce chanteur de louanges que sa carrière nous avait toujours laissé interrogatif ; le timbre est un peu mince, la voix légère vibre comme mal assurée : rien de chatoyant ni de percutant. Peut-être bien, et il est vrai que quoique très en forme ici, ce n'est pas la voix la plus séduisante du marché, loin s'en faut, même chez les chanteurs provinciaux... mais il a tout le reste pour lui, ce disque en témoigne. Dans un programme d'élégies dépourvues de toute uniformité plaintive.

Rien de la parade vocale qui est habituellement le lot des récitals, où le chanteur doit prouver dans des airs rebattus déjà niais et de surcroît privés de sens par leur isolement ses capacités techniques. Ici, le disque peut s'écouter souvent et longtemps.

Rarement on aura entendu programme si bien composé, si précisément maîtrisé et si pleinement habité.

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Ecouter

C'est ici qu'il faut remercier Musicme, sans qui les lutins, qui n'achèteraient jamais un récital d'opéra (et à plus forte raison d'un chanteur pas trop adulé par eux), n'auraient pas eu connaissance de cette leçon qui déborde de mots.

Très commode, aussi bien une discothèque portable qui évite de faire suivre certains disques possédés qu'une médiathèque de découvertes à domicile.

Alors on partage.


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Commentaires

1. Le mercredi 14 janvier 2009 à , par Morloch

La blague sur le maître-étalon, la dernière fois que je l'ai lue, c'était dans l'Equipe pour un joueur de tennis :D

Donc si je comprends bien, Bo Skovhus est donc le baryton à battre, redoutable sur toutes les surfaces...

2. Le mercredi 14 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

Méchant garçon !

Skhovus n'est pas du tout à battre, il n'a rien d'athlétique en dehors de son allure générale, c'est une petite vois jaunâtre qui flageole... Mais il parvient à édifier des personnages très précis, dans une langue qui claque et un style parfait. Un poète exemplaire si tu veux, plus qu'un baryton à battre.

Comme chanteur, il est largement battu par autant de tâcherons italianisants qu'on voudra.

3. Le vendredi 16 janvier 2009 à , par Morloch

Méchant, méchant... Mais non, pas du tout. Tu prépares sans l'avouer ta potentielle future carrière de journaliste, je respecte tout à fait.

Pendant que tu écoutes de la musique, j'ai trouvé un maître-étalon du cabotinage. Je ne connais pas son avenir comme ténor, mais pour faire alarme de voiture, il est au point.

Tout en sachant que ce n'est jamais que de la musique légère, je trouve que c'est une honte de manquer à ce point de respect au répertoire qu'on prétend chanter. La comparaison avec Enrico Caruso est édifiante. Caruso est tout en sobriété et en élégance, il défend cette chanson populaire comme elle le mérite, avec un ton d'époque, larmoyant mais sincère.

Suite à l'éternel débat des glottophiles psychotiques, pour une fois, je me demande si je ne verrais pas là une justification pour huer, d'autant plus que l'interprétation du jeune ténor français, même dans cet air qui n'est pas le plus redoutable du répertoire, ne me paraît pas suffisamment maîtrisée pour cabotiner de la sorte. Le droit au cabotinage ça se mérite, d'abord. Dans le même type de répertoire, Roberto Alagna me touche beaucoup dans son récital sicilien, il est au moins conscient qu'on ne doit pas ridiculiser ce que l'on chante, surtout pas ces mélodies populaires un peu fragiles.

Mais bon, huer aurait impliqué de pouvoir fuir en courant d'une église poursuivi par un public de maison de retraite enragé, je me serais donc sans doute abstenu (courageux mais pas téméraire).

4. Le vendredi 16 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

Ah oui, il fallait que parle de Sébastien Guèze en profitant des mélomanes plus généralistes qui se renseignent sur les Victoires de la Musique, comme l'an dernier. Mais je ne suis pas enthousiaste du tout, donc je n'ai pas trop envie d'en parler. Pour moi, c'est un format plutôt léger (à la française ?) sur qui on a voulu calquer une technique italienne de spinto (c'est-à-dire ce répertoire de pousse-la-note). Et le résultat est plutôt métallique et un peu poussif, franchement pas naturel (la diction pas fameuse non plus).

Je suis plus enthousiaste devant des voix respectées, comme Sébastien Droy qui chante de vrais rôles de lyrique léger avec une diction parfaite et beaucoup d'esprit.

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Après, sur la canzone, ma foi, c'est tellement rebattu (et tellement fade) qu'un peu de n'importe quoi pour la rendre plaisante, je suis client. Et la longueur de souffle est en effet remarquable (moi qui pensais qu'avec un peu plus de soutien ça pourrait toujours s'améliorer un peu... vraiment pas sûr, il a l'air de bien maîtriser son affaire).
Saluer debout, pas de quoi non plus, mais ce doit être un bis, et je trouve ça amusant et très sympathique. Et il avait peut-être chanté du Roussel pendant tout le spectacle, on ne sait pas après tout.

Sur le reste, oui, l'interprétation reste très prudente, on voit qu'il pense plus à son chant qu'à ses mots. Mais quand tu compares à Caruso... ma foi, c'est tout aussi inécoutable sauf que ce n'est pas drôle.

Alagna, c'est différent : il modifie vraiment sa voix lyrique en quelque chose de plus populaire (sans se métamorphoser tout à fait) pour chanter ce récital sicilien, de façon tout à fait adéquate. Contrairement à son « Mariano », la voix est parfaitement équilibrée, les arrangements très spirituels, et le résultat vraiment réjouissant.

Et pourtant je n'étais pas du tout client au départ, mais il faut bien reconnaître que c'est réussi de bout en bout. A choisir, d'ailleurs, ça me donnerait plus envie d'acheter qu'un récital bien téléphoné Verdi / Puccini / Tosti / Mascagni.

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A part ça, il y a l'intégrale des lieder de Pfitzner chez CPO. (Je dis ça je dis rien.)

5. Le vendredi 16 janvier 2009 à , par Morloch

Bin s'il trouve ça ridicule, qu'il chante autre chose. Caruso n'est pas un jeune premier quand il fait cet enregistrement, mais j'aime bien (oui, j'ai mauvais goût, et alors ? :p) Mais il respecte ce qu'il chante et je trouve cela important, même si Sole Mio n'est pas ma tasse de thé.

Pour les victoires de la musique, j'ai voté Yuri Kissin, donc il devrait perdre (c'est comme ça quand je vote pour quelqu'un) et je me demande bien pourquoi j'ai voté. Enfin bref.

En lieder, j'ai récemment découvert Werner Gura, et j'ai adoré.

6. Le samedi 17 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

Je ne pense pas qu'il pense que ce soit ridicule, je pense que c'est une façon de s'excuser de chanter ce 'sous-répertoire', tout en étalant bien ses compétences glottiques. Je ne trouve pas ça pire que de le chanter avec un sérieux et une application infinis. Peut-être si tu veux au niveau de l'attitude, mais au résultat...

Oui, Kissin - tout en rappelant qu'il faut toujours se méfier des voix de basse - ne paraît pas bien timbré, pas bien soutenu, c'est épais, un peu goudronneux, c'est difficilement expressif à cause des limites vocales. Pas renversant, mais c'est peut-être le plus convaincant.

En lieder, Güra, dans quel programme et avec quel pianiste ? Autant je trouve ses Bach enthousiasmants, autant dans le lied, c'est un brin lyrique et aimable à mon goût, il a tout à fait le potentiel pour y mettre plus de relief. Son disque Clara en particulier m'avait déçu. (C'est excellent quand même, hein.)

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David Le Marrec

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