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samedi 7 février 2009

Paris insensé, III - Fra Diavolo ou L'auberge de Terracine (1830), le 31 janvier 2009

Voilà bien l'exemple d'un spectacle dont on aurait mille occasions de dire du mal, et qui pourtant laisse un souvenir très positif.


Droits : Pierre Grosbois.

Auber n'est déjà pas le plus grand compositeur d'opéra-comique, loin de la maîtrise musicale de Boïeldieu, du charme naïf d'Adam ou du théâtre vigoureux d'Hérold, pour citer ses prédécesseurs directs les plus illustres. Fra Diavolo, de surcroît, n'est pas l'un de ses ouvrages majeurs, loin s'en faut - du sous-Rossini doté d'assez peu de relief -, mal servi par un livret de Scribe manifestement fatigué. Il est vrai que l'oeuvre est assez tôt dans la carrière longue du compositeur.

Devinant que le programmateur n'était pas non sans responsabilité, indépendamment du choix de l'oeuvre, nous avions préparé l'amère suite de reproches suivants, en pensant que l'oeuvre était, à l'image de certaines des meilleures pièces d'Auber, largement portée par la dimension théâtrale réjouissante de ses dialogues - soit qu'il fassent tout de bon l'essentiel de l'intérêt de l'oeuvre (Les Diamants de la Couronne), soit qu'ils lui ménagent des prolongements comiques très bienvenus et charmants (Le Domino noir).

Surtout, l'ensemble du spectacle est considérablement affaibli par la suppression presque intégrale des dialogues. Il faut le rappeler encore et encore, l'opéra-comique n'est pas un opéra sans récitatifs bavards, mais une forme qui comprend texte parlé et musique, sans que l'un ou l'autre soit facultatif. La plupart de ses pièces ne se soutiendraient pas seules, et la musique isolée, de même, perd tout son sens, même en conservant les paroles.
Il y a sans doute une part d'a priori à considérer l'opéra comme un genre uniquement musical, très courant, qui a pu présider à ce raccourcissement du spectacle. Le public n'aime pas les spectacles trop longs, il s'ennuie, il travaille le lendemain, il manque son métro, et c'est une préoccupation bien légitime. Le théâtre, quant à lui, quelle que soit la durée d'une même oeuvre, ne demande pas plus cher pour ses places alors qu'il paie l'électricité et les répétitions. Il paraît donc assez naturel de perpétrer ce sacrilège, pour des intérêts mutuels bien compris - ou par aveuglement esthétique.
Par ailleurs, les deux chanteurs principaux étant étrangers, et malgré un français très appliqué, manifestement un peu attentifs dans les dialogues, il est probablement que le choix de la réduction de voilure théâtrale provienne aussi de là.

Le problème est que l'oeuvre en perd tout son sens : certes, Scribe avait sans doute passé de mauvaises nuits avant d'écrire son livret, ou épuisé son génie au préalable en quelque autre endroit, mais on peut imaginer que l'air de présentation [et ici nous avions prévu la vérification...] de Fra Diavolo ne pouvait intervenir au dernier acte, sans qu'il ait lui-même largement énoncé ses motivations et sa psychologie auparavant, ne serait-ce que pour lui donner un semblant de contenu que l'action lui prête déjà bien peu.

Eh bien non. L'enfilade de numéros musicaux faibles est en réalité prévue dans la pièce, que les dialogues ponctuent en réalité assez brièvement et superficiellement.

Dans notre souvenir (la version Soustrot / Mesplé / Gedda bien célèbre), l'oeuvre était certes nettement moins réjouissante que les deux autres que nous avons citées, et largement moins prenante que Manon Lescaut - Fra Diavolo étant en réalité plus vocal et moins théâtral. Mais nous n'avions pas conservé ce souvenir d'indigence si prononcée du côté du texte.

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Malgré tout, le frais divertissement moral de l'opéra-comique agit, avec des conditions de représentation aux vertus inégales.

Côté mise en scène, signée par le couple Jérôme Deschamps / Macha Makeïeff, il a beaucoup été souligné l'absence à peu près totale de direction d'acteurs, ce qui est tout à fait exact. Malgré le soin de Sumi Jo à se montrer alerte et à bouger de son mieux lorsqu'on lui en donne l'ordre, malgré le très beau maintien de Kenneth Tarver - les bras en croix et une jamble légèrement ployée derrière l'autre, dans toutes les scènes -, on peut trouver cela un peu suffisant à faire vivre une oeuvre où l'atmosphère sympathique prime sur toute qualité d'écriture...
Beaucoup de littéralité sur un plateau assez nu, quelques idées sympathiques, souvent proches du gag, comme les mouvements des soldats, les têtes enfoncées dans leur habit, qui peuvent soudainement se mettre à danser quelque tarentelle mécanique en symétrie avec les petites paysannes. Dans le même esprit, le tapis roulant couleur locale, qui fait défiler soldats et paysannes en habit traditionnel comme des santons prévus pour Dinorah est assez amusant. Ou encore, et ce sera à peu près tout, les deux compères imprudents de Fra Diavolo, munis de leurs tonneaux en toute circonstance - sauf à les troquer, dans l'auberge, contre les fougères arrosées par les naseaux de l'âne empaillé accroché au mur. Bien qu'assez insuffisant pour soutenir une oeuvre, cela suffit cependant, il faut bien le reconnaître, à mettre des farfadets de gentille humeur.

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L'étrange Diavolo

Avant d'en venir à l'exécution musicale, un mot sur la musique. Le thème musical de l'incontournable romance fondatrice rappelle évidemment, au moment de l'invocation du Nom, Robert le Diable de Meyerbeer, créé un an plus tard (1831) à l'Opéra de Paris. Mais plus encore, le thème du grand air de Diavolo rappelle de façon un peu saisissante pour qu'il n'y ait pas eu inspiration l'air à l'amour du Pré aux Clercs d'Hérold (Oui, le dieu des Amours / Guette une fillette toujours - 1832).
Mais vu les dates, si inspiration il y a eu, c'est de la part de l'aîné Hérold (Meyerbeer, lui, planchait dans son coin depuis longtemps, peu de production et toujours très soignée), et non d'Auber.
En revanche l'air de la perte des bijoux de Lady Pamela est clairement inspiré, aussi bien pour son contexte que pour sa musique, du Voyage à Reims de Rossini, un compositeur modèle très évident d'Auber pour Fra Diavolo. Et, pour le coup, il y a nette antériorité : la création du Viaggio a Reims date de 1825.


Le début de la Romance de l'acte I.

Autre caractéristique, tandis que Zampa constituait un pastiche de Don Giovanni, Fra Diavolo cite explicitement Othello (Milady à propos de la jalousie de son mari), et en effet à l'acte II le bandit, en faisant exploser les couples au moyen de preuves dérobées, tient bel et bien la place d'un Iago, ce qui est malheureusement peu exploité par la mise en scène.

En fin d'article, on développe aussi d'autres hypothèses sur la réception très mitigée de cette production.

Enfin, Fra Diavolo, le pivot du drame, se présente étrangement à l'acte III comme un brigand sympathique, ce qui était certes sont premier aspect, mais son attitude à la mode de Sherwood, respectant les fillettes, volant les aisés avares, mais recevant dignement les pélerins, laisse quelque peu dubitatif après son comportement de mufle à l'acte II, en compromettant deux femmes honnêtes (ou à peu près) pour sauver son intérêt personnel. Le personnage vogue ainsi d'une extrémité à l'autre de la surface ondoyante du bandit sympathique, sans qu'on puisse très bien s'arrêter sur sa psychologie réelle, qui reste très insaisissable, assez peu cohérente. Alors qu'il est au premier acte l'ami de la morale d'opéra-comique en rappelant à la jeune fille que son honneur a plus à redouter de son galant que de Fra Diavolo, il est pourtant exclu du jeu comme irrécupérable au dernier acte, alors qu'il pourrait fort bien se repentir et prendre l'habit saint qu'il a toujours vénéré. Dans la mise en scène, ce qui est amusant mais très bizarre, il est fusillé (par une armoire de cave à vins) ; l'information ne figure pas sur les livrets qui ne mentionnent rien lorsque de l'arrestation, mais je doute que la mort puisse être infligée de la sorte dans une fin d'opéra-comique à un brigand d'opérette, à moins de vouloir coller absolument à l'histoire de Michele Pezza, qui est de toute façon mort pendu en place publique et non fusillé au détour d'un chemin... [Autre hypothèse amusante : il y aurait pu avoir confusion du côté de la régie avec l'autre Fra' Diavolo, Salvatore Ferreri, bandit indépendantiste sicilien de la première moitié du XXe siècle, effectivement tué par le capitaine des carabiniers.]
Bref, le personnage de roublard sympathique mais peu galant, doté d'un sens moral mais pas amendable est assez peu aisé à appréhender, comme si Scribe n'avait pas su se décider entre plusieurs possibles.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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