Paris stigmatisé
Par DavidLeMarrec, lundi 16 février 2009 à :: Les plus beaux décadents - Disques et représentations - Saison 2009-2010 :: #1145 :: rss
Etat des lieux de l'offre musicale lyrique et fuites (enthousiasmantes) sur les saisons de Nicolas Joel à l'Opéra de Paris. (De la folie pure, pour être plus précis.)
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Situation
Quoi qu'on en dise - et Dieu sait que les esthètes adorent ratiociner sur le passé - on vit réellement un âge d'or en matière musicale, y compris en matière d'opéra. Peut-être pas pour la création en elle-même, mais pour la diversité, la qualité et l'accessibilité de l'offre.
La qualité, on l'a déjà évoquée : le niveau orchestral a considérablement augmenté (les spécificités locales s'étant partiellement effacées, mais pas nécessairement pour le pire !), il reste toujours de grandes voix en petit nombre (comme à chaque époque, les médiocres et les affreux étant toujours présents eux aussi), peut-être moins de voix parfaitement saines et haut placées (la manière de parler a évolué, et surtout l'usage de plusieurs langues étrangères rend considérablement plus difficile l'apprentissage et l'exécution), mais en tout cas des interprètes infiniment plus subtils théâtralement.
L'accessibilité, elle, est très nette : tarifs réduits pour les jeunes et les demandeurs d'emploi, bons plans de dernière minute, absence d'exigence dans la plupart des théâtres du monde d'une tenue particulière, et surtout le disque ! Le disque qui couvre un répertoire toujours plus vaste, devenu extrêmement facilement disponible avec les médiathèques et l'Internet, pour toujours moins cher.
Justement, la diversité de l'offre est elle aussi croissante - du moins dans l'Eldorado de l'Opéra, à savoir une poignée de pays d'Europe occidentale et nordique, les seuls lieux où l'Opéra ne se limite pas à la resucée d'un fonds de répertoire Mozart-Rossini-Verdi-Puccini-etparfoisWagner en boucle. (Les programmations américaines sont généralement terrifiantes, sans parler des pays fortement isolés comme les slaves orientaux, concentrés sur leur répertoire joué de façon tout à fait provinciale, ou des pays sans tradition opératique - cf. la programmation effrayante de l'Opéra d'Istanbul, pourtant si proche...) Les théâtres de jadis jouaient largement leur répertoire national propre, plus quelques grands titres internationaux importés. L'apparition de la radio a favorisé l'exploration très exhaustive du répertoire national négligé, mais toujours dans les mêmes limites géographiques (et parfois temporelles, ne serait-ce qu'eu égard aux contraintes de style et de date du premier opéra composé dans la langue...).
Aujourd'hui, dans ces pays privilégiés, on s'efforce dans chaque théâtre de produire aussi des choses originales, peu jouées, des recréations de diverses époques en langues diverses.
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Saison prochaine
Et il semblerait qu'à Paris, après une ère Mortier riche en découvertes, certes limitées aux goûts de son directeur, s'ouvre comme nous l'espérions une autre période faste. [Parce que même en province, on reçoit la radio, et que cela peut remettre à l'honneur des compositeurs, créer un climat favorable à de nouveaux enregistrements ou ouvrages, fluidifier la circulation de témoignages anciens, etc.]
Nicolas Joel serait plus consensuel, on le savait, et indubitablement un grand défenseur du répertoire français négligé du XIXe siècle. Il avait, semble-t-il, pensé depuis longtemps à remonter les Huguenots de Meyerbeer, oeuvre mythique s'il en est du répertoire national, dès qu'il en aurait les moyens.
Cela se confirme dans les informations qui sont parvenues jusqu'à nous, et cela s'étend même de façon très appétissante à des oeuvres majeures du XXe siècle qu'on ne savait pas dans ses bonnes grâces, et qu'on doit à ses nouveaux moyens, à son bon goût ou à sa lucidité d'être, manifestement, bientôt programmées.
La saison à venir n'est plus un secret pour personne. Parmi les choses un peu rares, on peut relever côté français Mireille de Gounod (un manifeste en ouverture de saison !), la reprise de Platée vraiment devenue une production culte et totalement entrée au répertoire, du moins tant que l'équipe Minkowski-Pelly la porte ; côté italien, Andrea Chénier de Giordano, type d'oeuvre classée vériste (et qui ne l'est que musicalement) qu'on ne voit en effet guère en France, et la Donna del Lago de Rossini, festival glottique manifestement distribué à des spécialistes de premier ordre (DiDonato, Barcellona, Flórez et Meli, dirigés par Roberto Abbado) ; et une belle nouvelle un peu inattendue du côté allemand, puisqu'on disposera, outre de l'ébauche d'un Ring, ce qui ravira sans doute beaucoup de monde, d'une Tote Stadt de Korngold (où l'on nous promet Riccarda Merbeth, Robert Dean Smith et Stéphane Degout dirigés par Pinchas Steinberg !), oeuvre désormais au répertoire des maisons germaniques et parfois jouée en France, mais pas à Paris, et d'une reprise du récent Faust de Philippe Fénelon, une belle réussite bien dans l'héritage germanique XXe. Billy Budd est également prévu.
Par ailleurs, Joel semble distribuer de façon plus luxueuse et plus régulière que Mortier (qui faisait selon l'intérêt qu'il portait à l'oeuvre), et l'on verra notamment sur place, parmi d'autres exemples, Waltraud Meier, Matthias Goerne (ou Vincent Le Texier selon les sources) et Hartmut Haenchen pour la reprise de Wozzeck ; Werther avec en alternance Álvarez et Kaufmann (plus Koch, Plasson et Jacquot) ; une Sonnambula dirigée par Pidò et mise en scène par Marelli (accessoirement, on y entendra Dessay et Pertusi, ce qui n'est pas plus mal), etc.
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Promesses enivrantes
Mais le plus fort reste à venir. On nous promet de monter pour la première fois à Paris quelques-uns des plus grands opéras jamais composés. (A côté, faire Cardillac et Louise avec des reprises, c'était presque mesquin, pour donner une idée !)
A présent, reste à voir ce qui sera tenu et ce qui ne pourra se réaliser.
Quelques reprises de Toulouse :
- Mignon d'Ambroise Thomas, une jolie oeuvre fraîche, mais à classer dans les faibles de Thomas.
- Oedipe d'Enescu. Pas non plus le chef-d'oeuvre du vingtième siècle, une oeuvre agréable à la prosodie bizarre, dotée d'un relief relativement modeste.
Quelques oeuvres françaises et italiennes très prisées du public de catégorie 2, et d'ailleurs pour beaucoup d'un véritable intérêt pour les publics de type 1, 3, 5 et 6.
- La Favorite de Donizetti dans sa version française - qui fait tout à coup très bien tenir l'ouvrage, avec beaucoup plus d'équilibre et d'ironie que sa version glottique italienne. Tout simplement à cause des traditions d'interprétation attachées à ces deux langues... et aux qualités contrastées des deux versions du livret - le Grand Opéra à la française ménage toujours une délicieuse distance, parfois même un peu d'ironie, vis-à-vis de ses héros.
- Gioconda d'Amilcare Ponchielli, sa seule oeuvre (et avec elle son ballet des Heures) qui soit restée, de façon intermittente, à l'affiche. Mais plutôt au Met qu'en Europe. Dans un langage verdien assoupli (plus proche du Ballo que de Traviata), absolument pas vériste, une construction dramatique très efficace, à la mode du Grand-Guignol, tirée du drame drame en vers de Hugo, Angelo, tyran de Padoue. De grandes voix, en particulier pour le rôle-titre, y sont nécessaire et font la joie des publics de catégorie 2 pour son impact physique et 5 pour son impact psychologique. Ce n'est peut-être pas une oeuvre qui ravit autant que d'autres au disque, mais la force de son action la rend sans doute très impressionnante sur scène - et la musique pure en est fort belle.
- Hérodiade de Massenet, une de ses oeuvres assez vocales, très appréciée des chanteurs 'internationaux'.
- Le Cid de Massenet, qui pourrait être un symbole de l'art français sur le papier, mais malheureusement une oeuvre bâclée par son auteur, vraiment faible, même sans avoir lu Corneille. Qu'on est loin du soin porté à Panurge ! Dominent des fanfares de cuivres en guise de ponctuation de récitatifs, et quelques élans lyriques joliment téléphonés. Il faut dire que la version Queler souffre, comme toujours avec cette cheffe, d'un vrai prosaïsme dans la direction... et d'une distribution assez loin d'être francophone. La révélation est peut-être possible, qui sait. Mais nous ne sommes pas en présence, clairement, d'une oeuvre majeure, pour litotiser gentiment.
- La Fanciulla del West de Puccini. Une oeuvre qui passe pour être le comble de la modernité chez les publics italiens traditionnels - c'est-à-dire ceux qui n'écoutent pas Dallapiccola... Moderne, elle ne l'est pas vraiment (et bien moins que la Francesca di Rimini de Zandonai ou la stupéfiante Cassandra de Gnecchi), mais le climat hors du monde, ahuri, des mineurs à la recherche de l'or, leur solitude, la spécificité de cette sous-société d'hommes perdus, qui recréent un milieu social bancal à partir de débris sans valeur, est très touchant. Le livret tombe très juste, et l'orchestre, qui ne fait certes qu'accompagner à l'italienne, soigne extrêmement bien ses atmosphères. Une des très belles réussites de Puccini, très séduisante et malgré son sujet assez poétique. Voilà qui remplacera avantageusement les vulgarités (certes très entraînantes) de Manon Lescaut.
Et de très belles choses fin de siècle pour plaire aux esthètes.
- Pénélope de Fauré, un opéra ici encore bien écrit musicalement, mais d'une très grande mollesse prosodique... et surtout librettistique. Il ne se passe absolument rien, et rien ne bouge, ce qui est un peu pesant. Bien interprété, cela peut en revanche convaincre amplement. (Autrement dit : n'achetez pas l'intégrale Dutoit qui est indigérable malheureusement, attendez plutôt la réédition de la version très coupée Crespin / Jobin...)
- Daphné de Strauss, belle oeuvre sans livret, mais très bien écrite musicalement. Mieux aurait valu l'Amour de Danaé, mais la durée, le nombre de personnages... La pièce a de toute façon déjà amorcé un retour en grâce avec des représentations récentes en Europe et une nouvelle intégrale (Fleming / Bychkov, oui, on sait).
En plus de cette programmation tout à fait intéressante, Nicolas Joel (en passe de récolter un surnom plus positif que Gégé, peut-être plus Nico qu'Affreux-Jojo) a pensé aux lutins avec un répertoire taillé sur mesure pour nous. Avec quatre opéras qui sont pour nous parmi la poignée des plus grands jamais écrits.
- Mathis der Mahler de Hindemith ne semble pas confirmé, mais ce serait évidemment une belle nouvelle que Hindemith, à défaut malheureusement de concurrencer Janáček, devienne de plus en plus un incontournable du répertoire. (Il y aurait pourtant encore plus à faire du côté du symphonique et de la musique de chambre...)
- Die Gezeichneten de Schreker, un visiteur nous en avait déjà obligeamment informé.
- Le Roi Arthus de Chausson, qui n'est pas vraiment une surprise venant d'un défenseur du répertoire français épris de Wagner, mais ce pastiche de Tristan, l'une des premières notules de CSS qu'on se promet d'enrichir depuis longtemps déjà, est une merveille absolue du répertoire, d'une grande richesse de musique et de sens, un monde comme le sont les opéras de Wagner, mais avec quelque chose de plus souple, de plus raffiné, de moins dogmatique.
- Toujours plus haut, toujours plus fort, Die Vögel de Walter Braunfels, grand chef-d'oeuvre d'esprit de dérision, sorte de pastiche décadent où s'entremêlent réminiscences classiques (sans néoclassicisme), postromantisme et recherche harmonique, toujours au service de la réflexion et de l'humour. Un hapax absolument jubilatoire, dont il n'existe qu'une version au disque (Zagrosek - très largement épuisée, sautez dessus si vous le trouvez en ligne), redonné en 2005 à Genève avec un grand succès, et à Cagliari en avril 2007.
- Et pour finir, la cerise sur le gâteau, un projet pour le Wozzeck de Manfred Gurlitt, oeuvre composée simultanément avec la version de Berg du drame de Büchner, et sur le même concept, sans que l'un ait connaissance du travail de l'autre ! Chacun exploite un nombre choisi de scènes de Büchner, en les paraphrasant d'assez près, dans une langue très similaire à l'original ; et à chacune de ces scènes correspond une forme musicale, aussi bien chez Berg que chez Gurlitt. Le plus étonnant est la rectification du patronyme de Franz Woyzeck, identique chez les deux compositeurs.
- Gurlitt, qui a malheureusement fait les mauvais choix toute sa vie, émigrant trop tard d'Allemagne pour ne pas être discrédité aux yeux du régime nazi, s'installant au Japon, où l'influence de la propagande allemande a permis de le laisser longtemps sur la touche, retournant trop tard en Europe pour ne pas paraître comme un rétrograde. On n'a redécouvert sa musique qu'assez récemment, avec les parutions de ses opéras Wozzeck et Die Soldaten, tous deux éclipsés par leurs homonymes respectifs (d'Alban Berg et de Bernd-Alois Zimmermann), sous la baguette du toujours providentiel Gerd Albrecht, et avec la parution de la Goya-Symphonie dirigée par Antony Beaumont. Surtout, ce dernier disque contient un couplage avec les Quatre Chants Dramatiques (d'après Hardt, Goethe et Hauptmann), des lieder avec orchestre au moins du niveau des Quatre derniers lieder de Strauss et de Vom ewigen Leben de Schreker, d'une vérité littéraire assez hors du commun.
- Il semblerait que Gurlitt opère un rapide retour en grâce, puisque le Festival de Montpellier lui laissera une place, le 19 juillet, dans son concert réunissant Dörte Lyssewski, Fanny Ardant et Gérard Depardieu... Mais reprogrammer si promptement un opéra entier d'un compositeur encore assez inconnu, quelle surprise !
- On doit à l'honnêteté de préciser que Wozzeck est un chef-d'oeuvre absolu, sinon musicalement, du moins pour les amateurs de drame en musique, une des oeuvres majeures du premier vingtième, dont nous avions d'ailleurs projet de parler prochainement. La surprise est donc aussi réjouissance !
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La seule question reste celle de l'argent, pour monter des spectacles parfois assez longs, réclamant beaucoup de répétitions, de vastes orchestres, de nombreux rôles, des voix résistantes... et remplissant peu. Nous verrons ce qui se concrétisera bien sûr, car une partie de ce que nous avons cité ne doit être qu'en l'état de liste, et ce sera peut-être bien fromage ou dessert. Il n'empêche qu'y penser et que programmer quelques-uns de ces titres méritera de toute façon les lauriers farfadesques.
[On aurait pu tenir le même propos, au demeurant, sur le symphonique, qui même en province avec des orchestres pas tous exceptionnels est assez varié. Certes, les couplages sont souvent fait avec des oeuvres rebattues, qu'on fuit parfois lorsqu'elles sont interprétées de façon routinières et dans de mauvaises conditions acoustiques, comme au Palais des Sports de Bordeaux ; mais cette saison en Aquitaine, on pouvait tout de même entendre du Szymanowski ou du Koechlin, rien de moins. L'âge d'or est valable aussi pour ce pan du répertoire, d'autant que le niveau des orchestres, comme on le soulignait, a sensiblement augmenté.]
En tout cas, il n'y a que des raisons de se réjouir... et d'en profiter, avant que la crise du disque n'engloutisse les meilleurs labels et que la crise tout court ne coupe les ailes aux théâtres aventureux.
Commentaires
1. Le lundi 16 février 2009 à , par Morloch :: site
2. Le lundi 16 février 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le mardi 17 février 2009 à , par Laurent :: site
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5. Le mardi 17 février 2009 à , par Ouf1er
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29. Le mercredi 16 septembre 2009 à , par lou :: site
30. Le jeudi 17 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
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