Wagner en français, exemple - L'Annonce de la Mort
Par DavidLeMarrec, jeudi 19 février 2009 à :: L'horrible Richard Wagner - Lutin Chamber Orchestra - Opéra romantique allemand :: #1146 :: rss
CSS avait déjà évoqué la question des traductions chantables de Wagner, qui ont longtemps été le moyen principal de connaissance de ses oeuvres en France. On avait aussi rappelé, à cette occasion, la date très tardive des créations françaises de certains opéras moins accessibles (jusqu'à 1914 pour Parsifal !).
Seulement, les témoignages sonores sont rares, se limitant à quelques tubes de l'ancienne époque, gravés sur microsillons. On avait tout de même proposé en téléchargement les lectures de Germaine Lubin, mais la qualité de la diction laissait grandement à désirer, l'une des rares gloires de cette époque à ne pas être irréprochable sur ce point. Comme les lutins pratiquent le Wagner exotique pour le loisir, on se propose de montrer de façon informelle un aperçu de la couleur possible du Ring ainsi transplanté.
Débutons avec l'Annonce de la Mort, dans Die Walküre (quatrième scène de l'acte II).
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Tout d'abord nos excuses pour la prise de son assez difficile des deux extraits (de dos par rapport au chanteur, ce qui explique que la diction soit plus floue qu'à l'accoutumée).
(Et bien entendu, il va de soi qu'il s'agit de répétitions et non d'un produit fini de qualité irréprochable.)
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Version originale
Et le texte original, suivi d'une traduction commerciale :
Vierte Szene
(Brünnhilde, ihr Roß am Zaume
geleitend, tritt aus der Höhle. Sie
trägt Schild und Speer in der einen
Hand, lehnt sich mit der andern an
den Hals des Rosses und betrachtet
so mit ernster Meine Siegmund)
BRÜNNHILDE
Siegmund!
Sieh auf mich!
Ich bin's,
der bald du folgst.
SIEGMUND
Wer bist du, sag',
die so schön und ernst
mir erscheint?
BRÜNNHILDE
Nur Todgeweihten
taugt mein Anblick;
wer mich erschaut
der scheidet vom Lebenslicht.
Auf der Walstatt allein
erschein' ich Edlen:
wer mich gewahrt,
zur Wal kor ich ihn mir!
SIEGMUND
Der dir nun folgt,
wohin führst du den Helden?
BRÜNNHILDE
Zu Walvater,
der dich gewählt,
führ' ich dich:
nach Walhall folgst du mir.
SIEGMUND
In Walhalls Saal
Walvater find' ich allein?
BRÜNNHILDE
Gefallner Helden
hehre Schar
umfängt dich hold
mit hoch-heiligem Gruß.
SIEGMUND
Fänd' ich in Walhall
Wälse, den eignen Vater?
BRÜNNHILDE
Den Vater findet
der Wälsung dort.
SIEGMUND
Grüßt mich in Walhall
froh eine Frau?
BRÜNNHILDE
Wunschmädchen
walten dort hehr:
Wotans Tochter
reicht dir traulich den Trank!
SIEGMUND
Hehr bist du,
und heilig gewahr' ich
das Wotanskind:
doch Eines sag' mir, du Ew'ge!
Begleitet den Bruder
die bräutliche Schwester?
Umfängt Siegmund
Sieglinde dort?
BRÜNNHILDE
Erdenluft
muß sie noch atmen:
Sieglinde sieht
Siegmund dort nicht!
SIEGMUND
So grüße mir Walhall,
grüße mir Wotan,
grüße mir Wälse
und alle Helden,
grüß' auch die holden
Wunschesmädchen-
zu ihnen folg' ich dir nicht.
BRÜNNHILDE
Du sahest der Walküre
sehrenden Blick:
mit ihr mußt du nun ziehn!
SIEGMUND
Wo Sieglinde lebt
in Lust und Leid,
da will Siegmund auch säumen:
noch machte dein Blick
nicht mich erbleichen:
vom Bleiben zwingt er mich nie.
BRÜNNHILDE
So lang du lebst,
zwäng' dich wohl nichts:
doch zwingt dich Toren der Tod:
ihn dir zu künden
kam ich her.
SIEGMUND
Wo wäre der Held,
dem heut' ich fiel?
BRÜNNHILDE
Hunding fällt dich im Streit.
SIEGMUND
Mit Stärkrem drohe,
als Hundings Streichen!
Lauerst du hier
lüstern auf Wal,
jenen kiese zum Fang:
ich denk ihn zu fällen im Kampf!
BRÜNNHILDE
Dir, Wälsung -
höre mich wohl:
dir ward das Los gekiest.
SIEGMUND
Kennst du dies Schwert?
Der mir es schuf,
beschied mir Sieg:
deinem Drohen trotz' ich mit ihm!
BRÜNNHILDE
Der dir es schuf,
beschied dir jetzt Tod:
seine Tugend nimmt er dem Schwert!
SIEGMUND
Schweig, und schrecke
die Schlummernde nicht!
Puis la traduction française que nous avions recopiée du livret EMI (réédition dans la collection économique The Opera Series, pas de nom de traducteur indiqué) pour gagner du temps.
Mauvaise idée : d'innombrables coquilles émaillent le texte (les traits d'union sont par exemple systématiquement supprimés et les mots accolés) ; on y rencontre des espaces à l'anglaise bien sûr, la ponctuation y est oubliée ou rendant les phrases fautives... Surtout, la traduction elle-même est à la fois un peu lointaine, et écrite comme un mot à mot insupportable, parfois même pas compréhensible en s'appuyant sur le texte allemand. C'est d'une désinvolture un peu exagérée...
Trop tard, nous l'avons recopiée... en corrigeant certaines coquilles, en conservant d'autres aberrations pour document, sans pouvoir nous retenir d'en souligner certaines. [En conséquence, on est soulagé de ne pas avoir à livrer de nom d'auteur.]
Quatrième Scène
Brünnhilde, conduisant son cheval par la bride, est sortie de la caverne. Elle s'est avancée, lente et solennelle, et s'arrête à présent - latéralement par rapport à Siegmund - à peu de distance de celui-ci. D'une main elle tient la lance et le bouclier ; de l'autre elle s'appuie sur l'encolure du cheval, et dans un silence grave, elle contemple un moment Siegmund.
BRÜNNHILDE
Siegmund ! -
vois vers moi !
C'est moi, moi
que tu suivras.
[Wilder est combien plus juste... et plus élégant !]
SIEGMUND (dirigeant ses regards sur elle)
Qui donc es-tu,
qui si belle et grave paraît ?
[sic ! Il va de soi que le verbe doit être conjugué à la deuxième personne... Voir entrée 6.]
BRÜNNHILDE
Seuls ceux qui meurent
voient ma face :
à qui m'entend,
j'annonce le jour obscur.
Sur le champ du combat
je vais aux braves :
qui m'aperçoit,
la mort l'a désigné.
[C'est vraiment du mot à mot, et sans le côté rituel de l'original...]
SIEGMUND (la regarde longuement dans les yeux, puis baisse la tête comme pour réfléchir, et enfin se tourne vers elle de nouveau, avec une solennelle gravité)
[Ca ressemble même furieusement à du cacheton traductif, ça. Certes, c'est suffisant pour suivre.]
S'il suit tes pas, où conduis-tu le brave ?
BRÜNNHILDE
Le Maître du Choix
t'a choisi,
viens vers lui :
au Walhall suis mes pas.
SIEGMUND
Le Dieu du Walhall
doit-il seul m'accueillir ?
BRÜNNHILDE
Les forts, les braves,
choeur glorieux,
te vont fêter,
d'un faste triomphal.
[Et la ponctuation est bizarre.]
SIEGMUND
Dois-je trouver là
Wälse, mon propre père ?
BRÜNNHILDE
Au Walhall Wälse
attend son fils.
SIEGMUND
Dois-je y goûter
l'accueil d'une femme ?
BRÜNNHILDE
Vierbes qu'animent ses voeux,
les filles de Wotan,
vont te verser l'hydromel.
SIEGMUND
Noble et sainte
S'annonce la fille de Wotan :
pourtant réponds-moi, Déesse ! [un joli faux-sens, tout de même]
Doit-on voir au Walhall
la soeur, près du frère,
unie à Siegmund
Sieglinde aussi ?
BRÜNNHILDE
L'air terrestre
est pour sa lèvre :
perd Siegmund ici ! [sens ?]
SIEGMUND
Salue alors Walhall, [??]
Salue aussi Wotan,
salue encor Wälse
et tous les braves,
dis mon adieu
aux douces vierges :
vers elles je n'irai pas !
[tellement réalisé à la va-vite que l'accord ne se fait pas au delà d'un vers...]
BRÜNNHILDE
Tu vois de la Walküre [on n'est pas payé au mot traduit, manifestement]
l'oeil meurtrier :
tu dois suivre ses pas !
SIEGMUND
Où Sieglinde vit
en joie et deuil,
là son Siegmund veut vivre :
j'ai vu ton regard sans épouvante ;
en vain tu veux me dompter !
BRÜNNHILDE
Sur toi vivant rien n'a pouvoir ;
la mort pourtant te contraint ;
moi qui l'annonce
j'ai parlé.
[inutilement lointain de l'original...]
SIEGMUND
De moi quel héros
serait vainqueur ?
[l'inversion n'est même pas motivée par l'original... on renverse même la focalisation de la réplique]
BRÜNNHILDE
Hunding doit te frapper.
[très plat par rapport à la concentration de l'original, etc., etc.]
SIEGMUND
Menace vaine -
je brave Hunding [ponctuation ?]
guettes-tu là
l'heure du sang,
mon rival t'appartient
je sais qu'il, mourra sous mes coups ! [sic sic]
BRÜNNHILDE (secouant la tête)
Toi, Wälsung,
écoute-moi bien !
Toi seul ici mourras.
[Ce n'est plus une traduction, c'est un résumé ! Qui évacue toutes les images de Wagner...]
SIEGMUND
Vois cette épée !
Qui la donna promit victoire :
ta menace cède à ce fer !
BRÜNNHILDE (élevant fortement la voix)
Qui la donna décide ta mort
de vertu il prive l'épée !
SIEGMUND (violemment)
Tais-toi ! et n'éveille
pas l'endormie !
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Version française
Et pour les mêmes raisons de prise de son défaillante, voici la retranscription, pour plus de clarté, du texte chanté. Il s'agit donc de la traduction en vers de Victor Wilder (La Valkyrie), officiellement autorisée par la famille Wagner à l'époque de sa diffusion en France. [La ponctuation est placée par nous en réécoutant l'enregistrement, pour plus de commodité sous la dictée. Elle doit donc différer de la partition, mais on a tâché d'en respecter les rythmes et l'esprit.]
Quatrième scène
BRÜNNHILDE
Siegmound ! Regarde-moi ! Tu me suivras bientôt.
SIEGMUND
Qui donc es-tu, dis, guerrière
Si belle et si fière ?
BRÜNNHILDE
Là-haut ta mort est résolue.
Celui-là doit mourir, que mon regard salue.
J'apparais aux héros tombés dans les combats -
Qui m'a vue est marqué pour le trépas.
SIEGMUND
Si je te suis, où vas-tu me conduire ?
BRÜNNHILDE
Au palais souverain des dieux,
Au Walhall, l'éternelle et céleste demeure.
SIEGMUND
Qui viendra m'accueillir au séjour radieux ?
BRÜNNHILDE
Les vrais héros qu'un sort prospère
A fait tomber les armes à la main.
SIEGMUND
Parle, au Walhall verrai-je mon noble père ?
BRÜNNHILDE
Ton père est là, tu le verras demain.
SIEGMUND
Mais le Walhall est-il ouvert aux femmes ?
BRÜNNHILDE
Les filles de Wotan aux yeux plein de flammes
T'offriront l'hydromel.
SIEGMUND
Tu m'éblouis, fille du ciel, par la splendeur de ta beauté sacrée.
Réponds, de grâce, au séjour éternel,
Viendra-t-elle avec moi ma compagne adorée,
Vivrons-nous côte à côte au sein de l'empyrée ?
BRÜNNHILDE
Elle doit rester sur terre. Sa vie ici-bas doit suivre son cours.
SIEGMUND
Alors adieu Walhall, délices infinies ;
Adieu, héros tombés dans les combats ;
Adieu, divines Valkyries -
Aux dieux je n'irai pas !
BRÜNNHILDE
Tes jours sont comptés et ton heure est prochaine -
Le Ciel te condamne au trépas !
SIEGMUND
Où Sieglinde vivra, dans la joie ou la peine
Siegmund veut vivre aussi.
Sous ton regard, ton front n'a point pâli -
N'espère pas que je suive ta trace.
BRÜNNHILDE
Folle jactance ! Infructueuse audace !
La Mort ne fait ni grâce ni merci -
Ton sort est décidé, tu mourras aujourd'hui.
SIEGMUND
Et quel homme osera m'immoler à sa rage ?
BRÜNNHILDE
Hunding, ton ennemi.
SIEGMUND
Cher un bras plus robuste, un plus mâle courage !
Et si l'un de nous deux doit te suivre au Walhall
Le choix est fait, c'est lui qui mourra, je l'atteste !
BRÜNNHILDE
Non, c'est lui qui doit te porter le coup fatal !
Telle est la volonté céleste.
SIEGMUND
Celui qui m'a donné ce glaive triomphal
M'a jadis promis la victoire !
BRÜNNHILDE
Promesse vaine et dérisoire,
Ton épée a perdu
Sa force et sa vertu !
SIEGMUND
Tais-toi ! Tu vas éveiller cette femme !
Quelques remarques rapides.
- On notera la qualité exceptionnelle de la langue, vraiment généreuse et savoureuse. (Folle jactance ! Infructueuse audace !).
- Mètres variés suivant de très près le texte original, et sans changer une note ni un rythme de la musique de Wagner (un musicien !) ; belles rimes (fonctionnant souvent sur l'idée de contraste) suivies ou croisées, qui donnent un naturel [1] et un raffinement tout particuliers à ce tour de force.
- Côté prononciation, la partition indique très pédagogiquement Siegmound. [Ce qui nous épargne les méditations abyssales sur la juste prononciation de 'Gunther' dans le Sigurd de Reyer.]
- Malgré le pari de la mise en vers, le texte traduit est extrêmement proche de l'esprit de l'original, et même souvent de sa lettre. On peut se faire une idée assez exacte de l'original à travers cette traduction - ce qui n'est pas pour rien dans l'intérêt de la présenter ici.
- Wilder a cependant, et ce n'est pas une surprise, supprimé toutes les allusions au caractère incestueux de l'amour de Sieglinde et Siegmund, dont la parenté nominale n'a pas plus de valeur que celle de la destination de Pamina à Tamino ou de Papagena à Papageno. Viendra-t-elle avec moi ma compagne adorée, / Vivrons-nous côte à côte au sein de l'empyrée ? remplace l'interrogation bien plus explicite sur la perpétuation de l'union du frère à la soeur (Begleitet den Bruder / Die bräutliche Schwester ? [2]). C'est une constante de cette traduction, et une habitude répandue à cette époque dans les traductions françaises.
La traduction de Wilder est bel et bien un bijou, en certains endroits supérieur à l'original, et on espère que les imperfections de l'enregistrement (aussi bien sa source que sa réalisation) n'empêcheront pas les lecteurs de CSS d'en goûter les saveurs.
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Commentaires
1. Le dimanche 8 mars 2009 à , par Pois de senteur
2. Le dimanche 8 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le dimanche 8 mars 2009 à , par Pois de senteur
4. Le dimanche 8 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
5. Le dimanche 8 mars 2009 à , par Pois de senteur
6. Le dimanche 8 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
7. Le dimanche 8 mars 2009 à , par Pois de senteur
8. Le samedi 8 décembre 2012 à , par Mathieu
9. Le dimanche 9 décembre 2012 à , par David Le Marrec
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