vendredi 27 février 2009
Die Gezeichneten par Nikolaus Lehnhoff - la fausse réhabilitation, IV : enjeux et réalisations dans le deuxième acte
Premier tableau
Le deuxième acte, moins gravement coupé, se divise en deux entités : le dialogue de Tamare (le séducteur) avec le Duc Adorno [1] (l'Autorité) à propos du don de l'Ile d'Elysée et de la conquête impossible de Carlotta, puis la grande scène de peinture à l'atelier de celle-ci, en présence de Salvago.
La première partie est traitée de façon très traditionnelle par Lehnhoff : les représentants des bourgeois, tassés dans le coin jardin de la scène comme depuis le début de l'action, intimidés des palais qu'ils sont amenés à fréquenter, aussi loin que leur colère éclate. Puis l'entretien au bord du corps de la statue, sans accessoires. Adorno porte une collerette en papier plus anglaise qu'italienne (et stylisée de façon un peu grossière), ainsi qu'un costume assez ouvertement seizième - on songe aux portraits des Hawkins, par exemple.
Cette section fonctionne tout à fait bien, soutenue par le visuel - les tirades psychologiques sont plus longues au disque, évidemment.
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Extrait du second tableau.
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Les enjeux du second tableau
La seconde partie opère le choix discutable de changer la séance de psychanalyse sauvage [2] en scène d'initiation amoureuse ratée, ce qu'elle est indubitablement, mais qui est très réducteur. Car si Carlotta, dans un malaise qui semble cependant véritable - vu l'indice du tableau aux mains -, tombe dans les bras de Salvago, cela n'a pas pour implication unique qu'elle cherche à déniaiser le difforme. Tout d'abord, il ne faut pas escamoter la dimension de manipulation, pourtant trop soulignée par la mise en scène à l'acte I, le soupçon terrible qui pèse sur la jeune fille et qui ne peut véritablement être éclairci. L'intérêt pour l'achèvement du tableau est-il, comme maint signe le laisse entendre dans cette scène, premier sur tout autre, au point qu'elle puisse se donner en partage pour livrer un chef-d'oeuvre qui ne soit diminué en aucune façon ? Ensuite, le geste paternel de Salvago [3], ému de la compassion (ou de la belle simplicité d'âme) de la jeune fille, doit-il nécessairement être interprété à la façon de Tamare, comme un geste d'impuissance ? Salvago, dont le nom même traduit le caractère débridé (et même profondément pervers, avant le lever de rideau à l'acte I, contemplant les résultats des rapts qu'il a initiés), aussi bien dans le méfait que dans la générosité et le repentir, se trouve ici altéré, et dans un univers où le rapport de force, amical, amoureux, politique est omniprésent, accepte de différer sa victoire, de respecter l'objet qui l'a relevé de sa fonction de repoussoir secret.
La musique, à ce moment, d'un élan presque puccinien, me paraît assez soutenir mon hypothèse premier degré. Cette distance tendre est par ailleurs d'un caractère si élevé, et si touchante par sa naïveté, dans un univers dramatique et même musical si enclin à la lascivité, qu'il paraît difficile de la nier, et en tout état de cause dommage de la gâcher.
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Le second tableau sur scène
Notes
[1] La majuscule à Duc s'impose, c'est quasiment son prénom...
[2] C'est en tout cas l'impression qui ressort fortement de la discussion à bâtons rompus dans l'atelier, où Carlotta met à distance l'ensemble de sa vie et plusieurs noeuds de sa personnalité.
[3] Lorsque Carlotta, prise de malaise, s'effondre dans les bras de Salvago en se recommandant à lui, le livret indique que celui-ci se tempère et dépose seulement un baiser sur son front.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Die Gezeichneten (les stigmatisés) a suscité :
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