Le disque du jour - XXVII - Chopin par Garrick Ohlsson
Par DavidLeMarrec, dimanche 1 mars 2009 à :: Le disque du jour :: #1160 :: rss
Un disque, mieux, une solution idéale pour renouveler le plaisir de l'écoute de ces pièces rebattues. Ou une porte d'entrée pour ceux qui seraient réticents au sentimentalisme qu'ils associent à Chopin.
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Repenser Chopin
L'effort en vaut la peine, Chopin étant, malgré son image d'auteur de géniales bluettes, le compositeur le plus novateur de son temps, aux côtés de Berlioz, et, un peu plus tard, Schumann - comme on s'est plu à le rappeler ces derniers temps, pour souligner malicieusement que s'il fallait absolument ajouter un membre à cette trinité, ce ne pourrait être que Meyerbeer...
La lecture des partitions permet de se convaincre de son talent harmonique, voire de son audace un peu folle (voir la fin de l'Op.32 n°1), qui lui a valu d'être corrigé par certains de ses amis - une treizième a été supprimée après sa mort dans l'accord de sol mineur à la fin du largo initial de la Première Ballade.
Bref, il s'agit, quoi qu'on pense de son goût pour le sentiment, d'un compositeur majeur dans l'histoire de la musique - et dont l'influence s'étend sur toutes les époques qui l'ont suivi. [De surcroît, c'est fichtrement beau, mais ce n'est que l'avis de farfadets provinciaux, bien évidemment.]
La fin du neuvième Nocturne de la maturité (Op.32 n°1), après ces élans bizarrement interrompus mais dans un langage tout à fait consonant, ce récitatif totalement libre, presque incompréhensible - la fin nue et désordonnée des Gezeichneten, ou bien malgré la présence nette de pôles harmoniques (mais dont on ne saisit pas bien la direction du discours), quelque chose du Berg de ''Wozzeck'', oppressant et comme dépourvu de sens. On exagère, mais quel exemple chez les contemporains de Chopin, ou même dans la musique pour piano en général, du récitatif pour du récitatif ? Pas beaucoup avant longtemps, longtemps.
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Le programme / L'interprétation / Autres disques de Garrick Ohlsson / Autres versions recommandées
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Le programme
Ce double disque économique EMI (il n'existe quasiment plus que du disque économique à présent, en dehors des nouveautés pendant deux ans - âge d'or, âge d'or, reste-nous quelque temps encore...) comprend l'intégralité des Préludes et des Nocturnes - ce qui nous épargne le pénible choix des anthologies sur un disque, toujours frustrant étant donné que rien n'y est à jeter et que les goûts diffèrent... On pense par exemple à un excellent disque Barenboim (sélection de l'éditeur, probablement) où l'Op.9 n°3 manque, alors que son thème chromatique est l'un des plus déroutants de tout Chopin et que la grâce de sa thématique... Tandis qu'on y trouve le charmant opus 15 n°1, qui doit sans doute plaire plus largement, mais qui est aussi moins intéressant.
Ici, on dispose de tout, puisque les Préludes font un peu moins d'une heure et les Nocturnes une heure et demie environ.
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L'interprétation
Garrick Ohlsson est l'un des pianistes favoris de Carnets sur sol, et, précisément, a été révélé à cette modeste assemblée par un concert des Préludes de Fryderyk Chopin. Le disque en question, plus ancien, n'est pas aussi électrique, mais on retrouve beaucoup de traits commun dans la conception.
La captation, à l'ancienne, se fait de près, très chaude, un peu pataude (on a presque l'impression d'entendre Cortot...). Le jeu avec assez peu de pédale renforce aussi cette impression d'ancienneté.
La personnalité d'Ohlsson se manifeste dans des choix originaux, souvent décapants, mais sans jamais abîmer ou dévoyer les oeuvres. Le pianiste s'engage toujours dans la voie de la complexité, sans jamais faire perdre de vue non plus la précieuse évidence de ces pièces. Il applique par exemple, dans le dix-septième Prélude, une indication qui fait d'une basse isolée récurrente une note un peu marquée, de façon à ce qu'elle retentisse déjà comme la menace du glas qui clôt le vingt-quatrième Prélude. L'effet n'était pas prévu de façon aussi inquiète, sans doute, mais tout en respectant la partition, Ohlsson en dit plus long - le propre des grands interprètes.
[Toutefois, concernant ces Préludes, il existe plus urgent et plus fou, ce sont surtout les Nocturnes intégraux, tous très réussis, qui motivent notre recommandation.]
Les phrasés sont souvent inégaux, les respirations dans les phrases nombreuses et surprenantes. Dans les Nocturnes, pourtant connus par coeur, ses lignes interpellent l'auditeur plus qu'elles ne le bercent, avec quelque chose de magnétique qui rappelle toujours l'attention - et la soutient fort bien. Impossible de décrocher.
L'allègement de la pédale crée parfois des surprises, comme dans le treizième Nocturne de la maturité (l'opus 48 n°1), à nu, s'éteignant entre chaque accord, et s'enflammant ou se rétractant à rebours de l'imagination conditionnée de l'auditeur - sans aucune artificialité.
C'est pour cela que la fréquentation de ce disque constituera nécessairement une redécouverte pour l'habitué, sans effets de manche, mais toujours un disque très pensé. Et une porte d'entrée intéressante pour le réticent, car tout le rubato habituel, les tournures et les afféteries que l'interprète associe instinctivement à Chopin sont mis de côté. Ce n'est pas non plus un retour sec au texte : habité et sans facilités, voilà tout.
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Autres disques de Garrick Ohlsson
C'est simple, tout ce que nous connaissons de lui est à recommander, que ce soient ses Variations Goldberg [1] très directes et élancées, avec une clarté et un entrain pas si loin de Gould, mais bien sûr plus lyriques, moins percussives ; ou son intégrale des Sonates de Beethoven...
Ses Polonaises sont du même niveau (chez EMI, mais on en trouve aussi chez Bridge en studio et sur le vif chez - un des labels - 'Arabesque') que le disque que nous recommandons, véritablement magnétiques encore une fois, mais cette clarté et cette recherche fonctionnent peut-être moins pour la danse. On peut, pour le coup, trouver mieux et plus avenant.
Il dispose par ailleurs d'un répertoire étendu, qui comprend plus de quatre-vingts concertos (!) et a enregistré beaucoup de choses, y compris rares : l'intégrale Weber, du Copland, du Wolpe, du Barber, du Wuorinen...
C'est immanquablement original et inspiré, vraiment une des très grandes valeurs sûres. Mais d'une certaine façon à l'opposé d'Argerich ou Arrau - son style n'est ni celui du grand panache très confortable de la première, ni du dépouillement un peu pesant du second. [2] Ce n'est pas forcément très prévisible ou très identifiable, comme s'il repensait son style à chaque incursion. A la manière de Tharaud, mais avec un son bien plus creusé et électrique. On y retrouve à la fois l'énergie de grands anciens (Grinberg, dirait-on pour en appâter certains, mais il n'a certes pas sa rondeur de son, surtout qu'il joue sur Bösendorfer [3]) et l'imagination qui prévaut chez certains pianistes plus récents, peut-être inspirés par les 'décapages' baroquisants.
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Autres versions recommandées
Pour les Préludes, ce sera simple, on en aime beaucoup, mais Tharaud suffit.
Pour les Nocturnes, le choix est vaste. On aime beaucoup :
- Nikita Magaloff, comme d'habitude pour ses Chopin, parfaitement dans le style. Tout coule de source, avec beaucoup d'élégance. Apparemment pas disponible en dehors de son excellente intégrale - juste trois Nocturnes dans une disque de la collection Grands pianistes du XXe siècle chez Philips. Il existe chez Magaloff une luminosité qu'on ne trouve pas dans les autres versions 'traditionnelles' de ces Nocturnes. Et de ce fait, nous serions bien en peine de recommander une version isolée 'standard' de ces pièces. [4]
- Daniel Barenboim, pour la qualité du chant. Attention, la ligne mélodique est jouée comme ses Mozart et Beethoven, donc un peu martelée. Second choix dans ce genre : Tamás Vásáry (chopinien très dansant ailleurs, ici aux lignes très découpées).
- Et sans originalité Claudio Arrau, qualité de chant et sobriété parfaites. Plus premier degré qu'Ohlsson, et à condition de ne pas être gêné par une main gauche très chantante et un peu massive.
Mais en fin de compte, c'est Ohlsson (et ses choix osés) qui nous paraît le plus complet, le plus varié, le moins lassant - et celui qui soutient le plus l'attention. Cela s'écoute d'une traite, sans difficulté.
Comme tant d'autres (Je rémoule et je scie), ce disque est écoutable légalement et en intégralité sur MusicMe pour vous faire une idée.
Notes
[1] Qu'il faudrait ajouter à cette liste, de même que celles de Yudina.
[2] Il ne faut pas comprendre ces descriptions comme des critiques, on aime énormément ces deux pianistes. C'est surtout pour poser leur caractère prévisible, d'une certaine façon.
[3] Donc avec un son plus incisif et plus métallique que Steinway.
[4] En écoutant Maria João Pires dans ces pages, pourtant à suivre les yeux fermés en général, tout cela est bien lisse, bien aplani (nous avions un fort bon souvenir d'elle). Mieux vaut risquer Barenboim et Tamás Vásáry.
Commentaires
1. Le dimanche 1 mars 2009 à , par aymeric :: site
2. Le dimanche 1 mars 2009 à , par Jorge
3. Le dimanche 1 mars 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
4. Le dimanche 1 mars 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le dimanche 1 mars 2009 à , par Morloch :: site
6. Le lundi 2 mars 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le mardi 3 mars 2009 à , par lou :: site
8. Le mardi 3 mars 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
9. Le mercredi 4 mars 2009 à , par Morloch :: site
10. Le mercredi 4 mars 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
11. Le mercredi 4 mars 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
12. Le samedi 7 mars 2009 à , par Morloch :: site
13. Le samedi 7 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
14. Le samedi 7 mars 2009 à , par Papageno :: site
15. Le samedi 7 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
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