Distinguer - les orchestres (et opéras) berlinois - 1
Par DavidLeMarrec, samedi 7 mars 2009 à :: Pédagogique :: #1157 :: rss
Berlin dispose de huit orchestres permanents célèbres, hors formations baroques.
Ayant des dénominations à peu près totalement similaires et s'amusant à en changer - petits facétieux - très régulièrement, il est peut-être utile d'y mettre un peu d'ordre.
On a fait le choix d'être exhaustif autant que possible, ce qui devrait permettre à terme, sur une seule page, de pouvoir se repérer dans l'ensemble de l'offre berlinoise.
On y a introduit pour être tout à fait complet :
- des rappels historiques (création, titulaires de la direction musicale) ;
- une présentation des directeurs musicaux présents et passés ;
- des commentaires sur les caractéristiques (son, répertoire) ;
- une présentation des lieux d'exercice avec leurs spécificités ;
- un commentaire sur la vie musicale de la capitale.
Et plein de jolies images des salles.
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Ce n'est pour l'heure que le début de la série, sans quoi ce serait long à lire d'une traite, et un peu fastidieux à préparer. Au programme aujourd'hui : le Philharmonique, une liste des Opéras de la capitale, et une présentation un peu détaillée pour la Staatskapelle (unter den Linden).
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A. Orchestre international
1. Le Philharmonique de Berlin
Le plus célèbre et le plus prestigieux - pas nécessairement le plus intéressant. Le Philharmonique est le soutien du Grand Répertoire à travers le monde, et la nomination à vie de son chef par le collège des musiciens fait toujours l'objet d'une vaste ébullition et de nombreux pronostics urbi et orbi.
Le son en est très rond, très plein, chaque instrumentiste a le potentiel (parfois exploité) de soliste. C'est en quelque sorte la volupté faite orchestre.
En revanche, son répertoire, quoique étendu (et le nombre de titres très important sur un seule saison), n'est pas non plus spécialement aventureux, les valeurs sûres étant privilégiées. Il n'a pas, en ce sens, de spécialité, et défend plus le Grand Répertoire que le rare, le baroque ou le contemporain, même s'il ne se défend pas non plus d'y toucher.
On ne perdra pas de temps à détailler ses caractéristiques historiques bien connues, avec notamment ses chefs élus à vie par les musiciens. Ce qui nous donne, après Hans von Bülow (1887-1895), pour le vingtième siècle :
- Arthur Nikisch (1895-1922)
- Wilhelm Furtwängler (1922-1944)
- Leo Borchard (1945)
- Sergiu Celibidache (1945-1952) - de très belles années méconnues, soit dit au passage
- Wilhelm Furtwängler (1952-1954)
- Herbert von Karajan (1955-1989)
- Claudio Abbado (1989-2002)
- Simon Rattle (depuis 2002)
(On l'aura compris entre les lignes, nous ne sommes pas éperdu d'admiration pour cette formation. Tout simplement parce que, comme Vienne, ces orchestres au niveau technique invraisemblable fonctionnent tout seuls, et 'abîment' d'une certaine façon les options des chefs. Entendre Harnoncourt avec Berlin ou Abbado avec Vienne, c'est entendre une demi-mesure de leurs volontés, largement marquée par la tradition de l'orchestre. En salle, ce doit être délirant évidemment, mais au disque, cette sûreté extrême finit par sonner un peu bonhomme, pas très urgente.)

Lieu de résidence : la Philharmonie de Berlin et son architecture circumorchestrale.
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B. Les orchestres lyriques
Il existe quantité d'opéras à Berlin : l'Opéra d'Etat (Staatsoper), l'Opéra Allemand (Deutsche Oper) et l'Opéra Comique (Komische Oper), qui sont les plus connus ; mais aussi l'Opéra Contemporain (Zeitgenössische Oper), le spécialiste des productions déjantées (Neuköllner Oper), l'Opéra de Chambre (Kammeroper), la Nouvelle Scène d'Opéra (Neue Opernbühne) ; et sans compter des salles où se joue aussi de l'opéra plus ou moins régulièrement : le siège du Festival de Berlin (Berliner Festpiele GmbH) qui regroupe le festival Berliner Festwochen et celui de musique contemporaine MaerzMusik, le Théâtre de l'Ouest (Theater des Westens) et la Lautten Compagney.
On les a déjà agencés par ordre de prestige décroissant (forcément approximatif, mais l'essentiel y est). Une fois terminé les maisons avec un orchestre résident célèbre, on se penchera sur les autres.
1. Die Staatskapelle Berlin
C'est-à-dire le Petit Orchestre [1] d'Etat de Berlin. Il s'agit de l'orchestre attaché au Staatsoper unter den Linden (« Opéra d'Etat sous les tilleuls »). Il se produit parfois (avec un vrai bonheur) en concert hors opéra, et en particulier sous la direction de Barenboim.
Données historiques : La fondation de l'orchestre remonterait à 1570, ce qui en ferait l'un des plus anciens du monde, via l'Electeur de Brandeboug (Joachim II Hector). Après que les Electeurs de Brandebourg furent passés sous les ordres du roi de Prusse, l'orchestre est dénommé comme Königlich Preußische Hofkapelle, c'est-à-dire comme Orchestre Royal de la Cour de Prusse (tout bêtement). Cela lui valut de collaborer notamment avec Carl Philipp Emanuel Bach, Franz Benda, et Johann Joachim Quantz...
Directeurs musicaux : La liste des staatskapellmeister est particulièrement impressionnante.
1759-1775 : Johann Friedrich Agricola.
1775-1794 : Johann Friedrich Reichardt. Peu connu, mais l'un des premiers et des plus inspirés compositeurs de lieder. Nous ne l'avions pas évoqué précisément (simplement nommé) malheureusement dans notre série d'initiation au lied, faute de matériel, assez rare, mais il faudra bien nous fendre de quelque chose. Il a notamment écrit l'un des plus beaux Erlkönig - peut-être notre préféré. Il y aurait de quoi se divertir, on lui prête quelque chose comme 1500 lieder.
1816-1820 : Bernhard Anselm Weber.
1820-1841 : Gaspare Spontini. Compositeur d'opéras bien connus, pour une fois célébré pour la partie française de son parcours. Il est l'auteur d'un certain nombre d'opéras comiques italiens, et aussi, à son arrivée en France sous le Consulat, d'opéras-comiques plus charmants par leur livret que par leur musique - Julie ou le pot de fleur, Milton... Des imbroglios dont on sait qu'ils se finiront bien, mais pas comment, et surtout le plaisir de voir s'amonceler les difficultés qui seront levées d'un coup. C'est surtout sous l'Empire que son art dans son versant sérieux, en résonance avec l'esthétique du temps, lui apporte la gloire : La Vestale (1807), et, plus intéressant, Fernand Cortès (1809). Son chef-d'oeuvre est sans doute Agnès von Hohenstaufen, absolument introuvable dans le commerce, et jamais donné en français dans un passé raisonnable (c'est-à-dire dont l'on pourrait trouver une trace sonore, même ténue). L'écriture continue ainsi de s'améliorer (puisqu'Agnès date de 1829). Mis à part la Vestale, et encore, souvent connue coupée et en italien, on néglige plutôt ce maillon de la chaîne [2], un peu comme Méhul - même si leurs opéras-comiques sont joués, çà et là, dans de petits festivals par des baroqueux très méritants.
1842-1846 : Giacomo Meyerbeer. C'est Meyerbeer le Grand, le roi du grand genre et le prince de la dérision fine, qui pendant ses années de retour en Allemagne, met en place les concerts souscrits par abonnement, et développe le rôle de l'orchestre. Lorsqu'on disait que cet homme était un novateur ! On n'insiste pas sur le personnage, très souvent losangié dans ces pages.
1848-1849 : Otto Nicolai. Resté l'immortel auteur de l'opéra comique Les Joyeuses Commères de Windor (Die lustigen Weiber von Windsor), oeuvre pleine de verve, toujours populaire dans les pays germanophones.
1871-1887 : Robert Radecke.
1888-1899 : Joseph Sucher.
1899-1913 : Richard Strauss. Inutile de le présenter, en plus du grand compositeur et librettiste, un grand chef dont il nous reste quelques témoignages sonores.
1913-1920 : Leo Blech.
1923-1934 : Erich Kleiber, le chef très prestigieux au style viennois si fêté (chacun a son goût).
1935-1936 : Clemens Krauss, l'immortel interprète des Strauss détaillés, poétiques et boisés comme nul autre, le grand wagnérien plein de fraîcheur et d'élan (plus qu'à son Ring, on songe à son Parsifal également libre de droits et présent sur CSS).
1941-1945 : Herbert von Karajan, oui, Karajan lui-même, dans ses jeunes années fougueuses, au service de ses lectures d'alors, aux textures toujours sèches et vigoureuses.
1948-1951 : Joseph Keilberth, qui a été reconnu ces dernières années comme un chef de théâtre valant largement mieux que sa réputation d'aimble Kapellmeister.
1954-1955 : Erich Kleiber. Parce qu'on ne meurt que deux fois.
1955-1962 : Franz Konwitschny, autre chef qui a un peu perdu en prestige au fil des années, et qui n'est certes pas le plus inspiré ou le plus séduisant du côté de la pâte sonore et de la profondeur des intentions, mais de grande valeur cependant.
1964-1990 : Otmar Suitner. La mollesse du chef en question explique peut-être la gentille éclipse de l'orchestre, à moins que ce ne soit Barenboim qui l'ait propulsé à plus qu'il n'avait jamais valu.
depuis 1992 : Daniel Barenboim (nommé chef à vie à partir de 2000). En s'emparant la place, Barenboim a fait de cet orchestre non seulement une vitrine pour l'opéra, avec, notamment, ses studios Wagner chez Teldec avant la fermeture, mais de surcroît un orchestre de concert réputé, qui a fait ses preuves notamment dans les symphonies de Beethoven, avec un accueil enthousiaste de la critique, à juste titre, devant l'évidence d'une lecture presque chambriste, mais aussi élancée et grandiose que les plus traditionnelles. Une forme de quadrature du cercle assez séduisante, il est vrai.
Waldner, vous avez la parole pour résumer le tableau de chasse :
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Caractéristiques : L'orchestre dispose désormais d'un son à la fois ample et plein, tout en conservant ses qualités chambristes. C'est-à-dire qu'en tant qu'orchestre de fosse, il doit être capable de remplir tout à la fois les qualités d'éclat et de discrétion, et pour plusieurs repertoires.
Répertoire : Malgré son prestige - et c'est là, nous le verrons, l'une des principales caractéristiques de la vie musicale berlinoise -, le répertoire du Staatsoper est extrêmement étriqué, limité presque uniquement aux piliers du répertoire, solidement distribués, mais sans luxe excessif non plus ; avec cependant une part de second vingtième siècle assez conséquente. On trouve cette saison-ci trois titres récents, de très grande qualité (Phaedra de Henze, Medeamaterial de Dusapin, Hölderlin de Ruzicka), dont aucun n'est une création.
Lieu d'exercice :
Un théâtre à l'italienne un peu formel, caractéristique de l' « architecture lyrique » d'Europe centrale : doré mais assez froid, sans balcons ni loges (galeries uniquement). Décoration limitée et très peu figurative, dans un goût assez réformé.

On trouvera la programmation ici : http://www.staatsoper-berlin.org/.
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La suite bientôt sur vos écrans.
Notes
[1] kapelle : taille au-dessus de l'orchestre de chambre, un véritable orchestre, mais pas pléthorique
[2] Le maillon manque en effet cruellement à la chaîne, entre Les Danaïdes de Salieri, dernier éclat de la tragédie lyrique, sous son aspect réformé, ou si l'on préfère l'opéra-comique perverti de Cherubini en Médée, et Guillaume Tell'' de Rossini, le coup d'envoi du Grand Opéra à la française.
Commentaires
1. Le samedi 7 mars 2009 à , par Faust
2. Le samedi 7 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le dimanche 8 mars 2009 à , par Faust
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6. Le lundi 9 mars 2009 à , par Jorge
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9. Le mardi 10 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
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11. Le mercredi 18 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
12. Le vendredi 11 décembre 2009 à , par Jean-Charles
13. Le samedi 12 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
14. Le dimanche 13 décembre 2009 à , par Jean-Charles
15. Le dimanche 13 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
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17. Le dimanche 3 mai 2015 à , par David Le Marrec
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