Carnet d'écoutes - Rolando Villazón et la tradition Haendel
Par DavidLeMarrec, vendredi 20 mars 2009 à :: Musique baroque - Carnet d'écoutes :: #1174 :: rss
Concept bizarre d'un récital de ténor lyrique, largement adressé au public de catégorie 1 qui y retrouve certaines caractéristiques de timbre et d'énergie propres à Domingo (bientôt retraité vocal), mais dans du Haendel, qui est langage que les glottophiles d'obédience di forza goûtent d'ordinaire moins que Donizetti ou Puccini.

Jolie couverture devant un papier peint alla Konwitschny (Rinaldo), au moins ça ne se prend pas au sérieux.
Le produit en lui-même est bizarre. Et c'est bien pour cela qu'il plaît aux lutins.
--
L'accompagnement de McCreesh, excellent spécialiste de Haendel, est fidèle à ses caractéristiques habituelles : basses marquées, avec beaucoup de respiration, belles couleurs d'un ocre un peu brillant, véritable urgence théâtre sans histrionisme, jamais d'excès. Du très bon baroquisme d'aujourd'hui, mais avec quelque chose d'une retenue un peu élégante, jamais d'effet gratuit ni de recherche ostentatoire, du travail de fosse à son meilleur.
Rappelez-vous, c'était déjà lui qui secondait si admirablement baaAAAAAARRbaaaaAAAARHAaaaa.
--
Quant à Villazón, on ne sait s'il faut trouver cela bon ou mauvais, et c'est bien ce qui est chouette.
Ce disque fait le choix de reconfier, à l'ancienne, les rôles travestis à une voix d'homme solide, sans fausset. En soi, ce contre-courant bizarre, sans autre justification que l'envie manifeste du ténor de faire du baroque, est sympathique.
Ensuite, la voix elle-même. Toujours cette nasalité qui paraît poussée depuis la gorge (!), captée de près, le résultat est toujours étrange. On remarque beaucoup de scories (du souffle dans la voix, un timbrage pas toujours parfait, des aigus très serrés, des [ou] un peu bas), qui ne sont pas très rassurantes sur un programme aussi reposant - dans son énergie débordante, on sait déjà qu'il ne peut pas refuser de rôles, mais peut-il au moins se protéger, se ménager en tantinet ? Pas sûr non plus. Dans certains instant tendres, la proximité du micro permet à la voix de sonner quasiment à la façon crooner, peu soutenue, peu pleine. Le timbre en revanche est beau, plus rond (on pourrait dire plus plein) que celui de Domingo qui n'a jamais pu réellement s'épanouir dans ce répertoire ; et porte ici une urgence intrinsèque très bienvenue. Bizarre, en somme.
Stylistiquement, c'est bizarre aussi. Les diminutions [1] sont tout à la fois pertinentes stylistiquement (on ne nous ajoute pas des aigus verdiens) et très bien pensées par rapport à la nature de la voix (on n'y cherche pas la ductilité d'un soprano léger). Elles ont manifestement été pensées pour le disque - en tout cas, je ne les ai jamais entendues auparavant.
En revanche, Villazón ne semble pas avoir pensé à effectuer quelques détachés, sont chant legato assez donizettien sonne étrangement dans Scherza, infida. Surtout, cela semble brider la force de son expression. On s'interroge, précisément, sur son expression, qui avec son intuition scénique, approche des émotions intéressantes, mais par instant seulement, et contradictoires. Que reste-t-il de la douleur, de la stupéfaction et de la dérision amère dans cet air ? On peut privilégier les abîmes, la stupeur (von Otter), la combattivité (Kožená) ou l'aigreur (Della Jones), mais Villazón semble picorer son inspiration entre deux segments purement vocaux. Très étrange.
Le cas est plus problématique pour la Resurrezione, réellement chantée legato et pleine voix, comme une sérénade napolitaine (là, ce n'est pas possible, même en fin de disque !). De même, le vrai rôle de ténor Bajazet laisse entendre une fin un peu expressionniste, assez réussie, mais totalement hors du style qu'on veut aujourd'hui appliquer au seria.
Il n'empêche que sur l'ensemble, et en particulier pour les airs de Serse et Ariodante, il y a là une façon de chanter sans complexe ni précautions, en mordant avec conviction son texte, en particulier dans les récitatifs, qui fait plaisir, face à l'écueil opposé (le maniérisme un peu inoffensif, surtout pour le récitatif, de certains chanteurs baroques). L'imagination ne fait pas défaut de ce côté-là. La substance de la voix aussi, généreuse, est bien confortable, surtout pour un récital ; la vocalisation bien maîtrisée et assez détaillée. Et surtout cette forme d'insolence un peu folle, aussi bien dans le programme et dans le style que dans la façon.
On s'interroge juste, vu l'irrégularité des intentions, sur la qualité de la préparation (stylistique et surtout textuelle) du chanteur.
--
En somme, ça ressemble un peu à rien, ça ne mène nulle part, mais ça plaît au lutins.
Pas une référence non plus, d'autant que bonne partie du disque est très abondamment enregistrée, mais il y a là de quoi s'amuser sans bouder son plaisir.
Ecoutable sur MusicMe (parce qu'il ne faut pas rigoler, il y a une marge avant d'acheter ça) : http://www.musicme.com/George-Frideric-Handel/albums/Arias-0028947780571.html.
Notes
[1] les diminutions : c'est-à-dire les ornementations (dans des valeurs plus brèves que la mélodie originale, d'où leur nom) à la reprise du thème A de l'air à da capo
Commentaires
1. Le dimanche 22 mars 2009 à , par Jorge
2. Le lundi 23 mars 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
Ajouter un commentaire