Carnets sur sol

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A la découverte de Pelléas & Mélisande - XV - L'influence de Boris et les leitmotive

Comme promis, on prolonge.

Lorsqu'on lit sur Pelléas, certaines influences sont régulièrement invoquées, sans qu'elles soient toujours étayées. On met de côté le précurseur Ernest Fanelli, qui utilise déjà, dans une oeuvre globalement pittoresque comme il sied à son temps, certaines harmonies ou formules musicales qui deviendront chez Debussy le fondement même d'un langage complet.

Les farfadets avaient évoqué pour plaisanter une parenté musicale étonnante entre un thème très secondaire des Huguenots de Meyerbeer et les premières mesures de l'oeuvre, mais à moins d'une réminiscence involontaire, il n'y a guère de raison d'y voir autre chose qu'une (très utile) coïncidence.

L'influence de Richard Wagner, elle, est toujours attestée, et elle se perçoit assez aisément : opéra à la fois 'orchestral (avec de surcroît quelques pièces d'orchestre isolées merveilleuses) et 'prosodique', où la langue est mise à nu. Il s'agit aussi d'un drame continu dont les airs ne sont jamais que des tirades que le néophyte peut trouver un peu grises, et sans ensembles.
Par ailleurs, la recherche chromatique, aussi bien sur le plan du coloris que de l'harmonie, la puissance des atmosphères laissent bien percevoir que, sans jamais l'imiter musicalement, Debussy hérite de la démarche musicale de Wagner. Jusqu'à, peut-être, l'usage de leitmotive... parfois tu par les commentateurs, parfois sous-entendu, quelquefois affirmé - comme par Olivier Py dans le film de Béziat, non sans une certaine maladresse comme on l'a relevé :

On a déjà proposé un mode d'emploi des motifs et symboles dans Pelléas, que les différents articles de la série complètent plus précisément, par l'exemple. Il y manque beaucoup de choses, et surtout un point un peu précis sur l'usage de leitmotive très différents de ceux que la tradition musicale utilise. [Et ici non plus, on n'est pas en accord avec l'interprétation très simplifiée de Py, qui en fait des motifs-décor, que je dirais à la manière de Richard Strauss et Franz Schreker (des béquilles compositionnelles chez eux, qui plus est), ce qu'ils ne sont pas chez Debussy, il me semble.]

CSS avait même relevé quelques citations frappantes du dernier Wagner, en particulier de Parsifal, dans certains interludes (le tout premier en particulier).
On peut trouver les exemples musicaux qui appuient nos gentilles trouvailles dans une des premières entrées de la série sur Pelléas.

L'influence de Modeste Moussorgsky est parfois invoquée, mais rarement avec précision, comme une chose diffuse qui circule dans la musicographie depuis des lustres et que tout le monde ne prend pas le temps de vérifier. CSS n'étant pas non plus le lieu de l'érudition universitaire, on le fera simplement par l'exemple musical, ce qui, sans rien prouver, laisse réfléchir - et permet accessoirement de s'amuser un peu.

On reviendra aussi sur les leitmotive, ci-dessous et dans de prochaines aventures.

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Début de l'acte I de Boris Godounov (l'écriture de Pimène), version de Jerzy Semkow (EMI 1976, avec Talvela).

Présente dans les trois versions de Boris Godounov, l'introduction de l'acte I, avec ce motif ondulant, s'apparente très nettement à celui plus tard utilisé par Debussy pour l'entrée de Golaud. Il s'agit d'une sorte de gamme ascendante, sans altération, mais hésitante, repassant plusieurs fois d'une note à l'autre.
Contrairement à Debussy, Moussorgsky utilise un motif binaire, qui évoque à la fois la contemplation (ou même la lassitude d'une nuit de veille), mais crée aussi un climat un peu inquiet, l'expression d'un homme dans un système clos ou en ruine.

Puis, pour Pelléas :


Pelléas (I,1), Rattle 2005 (Salzbourg, inédit).

Dans ce début de Pelléas, les violoncelles rugueux annoncent l'entrée d'un Golaud agité, égaré également. Ce sont les deux composantes de ce motif tout à fait comparable, mais en triolet et assis sur des harmonies moins paisibles et stables : d'une part l'inquiétude déjà présente chez Moussorgsky, mais beaucoup plus mobile et violente ; d'autre part une errance qui n'est pas celle de l'esprit épuisé, mais celle de l'existence même.


Pelléas et Mélisande (premier interlude), Rattle 2005 (Salzbourg, inédit).

Pour l'interlude entre I,1 et I,2, le motif de l'errance, après le mot de Golaud (« Je n'en sais rien, je suis perdu moi-même »), envahit tout le discours musical, jusqu'à aboutir aux marches parsifaliennes que nous avions déjà signalées. Avant d'aboutir, en fondu, à la lettre reçue par Geneviève, qui résume la vie incertaine de Golaud dans l'intervalle

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On ne sait pas s'il faut en tirer des conclusions, car on entend aussi un extrait d'Aida dans Pelléas (ce sera pour une autre fois...). La parenté harmonique entre les deux univers peut en tout cas se défendre plus globalement, sur le plan de la démarche : la recherche de couleurs nouvelles, la prédominance des atmosphères.

Cependant, clairement, on perçoit ici la trace de motifs récurrents - on verra si l'on peut parler de leitmotive - dans Pelléas : certaines formules font retour, certes de façon moins systématisée et moins impérieusement signifiantes que chez Wagner, mais semblent prolonger le sens de ce que formulent maladroitement les personnages.


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David Le Marrec

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