Le baryton - II - une histoire sommaire (a)
Par DavidLeMarrec, mercredi 15 avril 2009 à :: Pédagogique - Glottologie :: #1203 :: rss
L'avant-tragédie lyrique.
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3. Aux origines
A l’origine, la distinction entre catégories vocales n’existait pas, si l’on prend pour origine les chansons populaires (tranposables, et surtout dans une tessiture très centrale) ou le chant liturgique issu du Haut Moyen-Age (vieux-romain, messin et enfin grégorien). Sur les tessitures grecques, manifestement peu étendues (car limitées à la juxtaposition de deux tétracordes, souvent défectifs qui plus est), il est un peu difficile de se prononcer, mais à moins d’effets inconnus, elles étaient à peu près égales à l’octave.
Sachant que la tessiture standard au XIXe siècle (ne parlons pas du XXe !) se situe légèrement au-dessus de l’octave et demie pour les barytons, et autour des deux octaves pour les ténors et les basses, on se fait une idée de la différence de difficulté d’exécution.
De ce fait, n’importe quelle voix pouvait chanter, à l’unisson avec les autres, une séquence de plain-chant (comme c’est encore le cas, chez les catholiques, dans le rituel tridentin, et même dans les messes de Vatican II, dont on exige rarement qu’elles soient chantées à plusieurs voix). Toutes ces œuvres sont donc écrites (contrairement à la version originale de la Marseillaise, par exemple, requérant beaucoup de sol 3) dans une tessiture de baryton réduite au minimum.
D’une certaine façon, au commencement n’existait que le baryton.
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4. Le madrigal et l’apparition de l’opéra
Alors que les voix se sont légèrement spécialisées (aiguës ou graves), dans le madrigal, selon le nombre de voix, on peut voir apparaître des entrées intermédiaires. Cela dit, dans les faits, la tessiture est plutôt celle d’une basse ou d’un ténor – peu de cas d’intermédiaires, et rarement une correspondance à la tessiture de baryton « élevée » qu’on connaîtra à partir du XIXe siècle. Au mieux, on rencontrera une basse sans graves ou un ténor peu montant. C’est encore le problème des barytons dans l’écriture des chœurs, dans les siècles qui marquent pourtant leur triomphe comme chanteurs solistes.
On ne va pas rappeler les circonstances de l’apparition de l’opéra, on l’a déjà fait à plusieurs reprises, et dans sa version la plus complète ici. Simplement, on se souviendra qu’il est né dans le but d’exalter le pouvoir du texte, et donc conçu comme une psalmodie, ou, dans le meilleur des cas musicaux, comme une monodie – c’est-à-dire une ligne mélodique simple sur un accompagnement. Sur le modèle fantasmé d’Orphée et de sa lyre.
De ce fait, et aussi en raison d’une technique vocale encore peu adaptée aux soli puissants, puisqu’après la réverbération des églises, ce sont les salles des palais qui tiennent lieu de scène, et n’imposent donc pas de technique solide au sens où nous l’entendons pour s’exprimer, les voix utilisées se cantonnent dans un médium assez proche de la voix parlée ou de la voix des chansons.
On peut ainsi imaginer que les Orfeo de Peri (L’Euridice) et de Monteverdi disposaient d’une voix claire et harmonieuse, soit par nature (ténors ou barytons clairs), soit par technique (voix « naturelle » au sens C). Sur les partitions, il s’agit encore une fois de tessitures de baryton extrêmement centrales, sans graves ni aigus.
A cette époque, les distinctions n’existent pas réellement, on écrit des hauteurs assez centrales (si on nous pardonne le paradoxe), et on les distribue sans doute ensuite, dans l’à-peu-près, aux voix qui en ont l’aisance ou la couleur. Les classifications n’existent que lorsqu’on entre en polyphonie. Et la polyphonie est rare aux débuts de l’opéra, débuts qui coïncident avec la fin de la Renaissance et le début du Baroque (musical). On romp radicalement avec la polyphonie, repoussée car mélangeant les mots et rendant le sens inintelligible.
Il en reste des traces significatives dans les chants des quatre Bergers et des trois Esprits de l’Orfeo de Monteverdi, et effectivement, on reconnaît, par l’empilement de tessitures du grave à l’aigu, des tessitures différentes (peu ou prou basse / baryton, ténor grave / baryton, ténor et contre-ténor pour le Berger I). C’est ici qu’on s’aperçoit réellement qu’il existe des types vocaux répartis selon leur hauteur.
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Siegmund Nimsgern,
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5. L’opéra et les spécialités vocales
Cependant, dès Monteverdi, les impératifs de la caractérisation dramatique font répartir les types de voix présentes dans la nature et leurs effets propres (graves puissants ou aigu ductile) selon les attributs des personnages. Ainsi Charon est-il pourvu d’une voix de basse à la présence impressionnante.
L’opéra italien, progressivement à partir de Legrenzi (second XVIIe), se fascine pour les voix seulement, et fait de tout sujet mythologique ou historique un prétexte à la présentation de variations sur des affects stéréotypés et très 'sublimés'. On y trouve quelques basses pour les rôles de méchants (ou de benêts comiques, comme dans Serse de Haendel), et progressivement au cours du XVIIIe siècle, de plus en plus avec l’avènement de l’ère classique, de vrais ténors, certes aujourd’hui chantables par des barytons à la voix élevée, dans les rôles de souverain et de père – donc, par rapport aux voix de femmes et aux castrats (qui ne sont pas des contre-ténors), des voix « graves ».
Mis à part peut-être Elviro (Serse), prévu pour basse, mais qui dispose d’un vrai registre aigu, et dont le caractère ne s’oppose pas fondamentalement à une voix d’essence plus légère qu’Argante (Rinaldo), on voit mal ce qui dans le seria de Haendel, Vivaldi, Hasse ou Jommelli pourrait être confié à un baryton. Les interprètes n’y touchent pas non plus, d’ailleurs.
C’est à peine plus fréquenté pour l’oratorio. Quelques barytons bien pourvus en grave comme Nimsgern ou Goerne ont bien tenté Jésus chez Bach – dont la majesté, certes douce et bienveillante, appelle logiquement une voix de basse (ces deux-là disposant l’un d’une noirceur, l’autre de la présence adéquates). Mais c’est surtout l’effet d’une attraction de chanteurs célèbres vers des œuvres très fêtées, pas le résultat d’une exactitude musicologique.
Bref, quittons les Italiens (et, par ricochet, les Germaniques), on n’a rien à y faire pour l’instant.
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6. La France baroque lyrique
A suivre.
Commentaires
1. Le mercredi 15 avril 2009 à , par Morloch :: site
2. Le mercredi 15 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
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