Carnets sur sol

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mardi 28 juillet 2009

Escapade permanente

Ceux qui savent lire et écouter connaissent déjà notre sort. Appelés par le service glorieux de la Nation sur les fronts menacés de la République, la troupe joyeuse des lutins va prochainement prendre son essor, en une nuée de tapis volants bigarrés, vers d'autres cieux chargés de périls. Là-bas, l'épreuve est vaste - là-bas, la gloire est immense.

Suite de la notule.

Der Vampyr (« Le Vampire ») de Marschner sur 'Carnets sur sol'


Pour naviguer plus aisément, voici un petit rappel à l'issue de cette série (la dernière étape a paru aujourd'hui).

Tout d'abord, vu la quantité et l'interpénétration des notules, les lutins ont créé une catégorie spécifique autour du sujet, afin de facilité le repérage des lecteurs. Mais cette catégorie ne contiendra pas les oeuvres littéraires fantastiques abordées cet été. Donc, un petit mode d'emploi.

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A. Sources

Le texte original de John William Polidori ou bien la traduction d'Henri Faber : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori) (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).

Le livret en bilingue allemand / espagnol (même pour les francophones stricts, c'est relativement lisible).

B. Série de Polidori à Marschner

1. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
2. Les enjeux fondamentaux de la préface du Vampire de John Polidori.
3. Le découpage en motifs de la nouvelle.
4. Le réagencement des motifs dans l'opéra.

C. Autres entrées sur Marschner

=> Le mélodrame du I dans la discographie du Vampire.
=> Une version audio libre de droits (mp3).
=> Quelques mots sur d'autres oeuvres de Marschner.
=> Pensez à consulter la catégorie opéra romantique allemand, dans laquelle il est souvent dressé des parallèles avec cet opéra.

D. Sujets connexes : fantastique et vampires

=> Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture. On y aborde notamment la question de la notion de fantastique, qui évolue entre le début du XIXe et la fin du même siècle.
=> Par ailleurs, par extension, on fait aussi appel de temps au Moine de Lewis, que nous avions commenté en son temps , jusqu'à regarder d'un peu plus près la réécriture d'Antonin Artaud.

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Bonne lecture !

Le Vampire de Byron / Polidori à Marschner / Wohlbrück - IV - Réagencement des motifs chez Marschner, et conséquences


Avant de poursuivre avec Marschner, ajoutons peut-être deux mots sur le texte de Polidori lui-même.

  • On perçoit bien que ce qui donne de l'intérêt à ce récit, en fin de compte, est bien le ressort du passage de l'incrédulité à l'adhésion - typique des histoires de vampires. Même la préface rationnalisante ne l'atténue pas, au bout du compte. Une fois pris dans l'illusion romanesque, même assez peu vigoureuse comme ici, le lecteur se laisse dériver rapidement vers l'adhésion aux thèses impossibles qui conduisent le récit - sinon, de toute façon, on ferme le livre et on part marcher en forêt à la place.
  • Concernant plus précisément Aubrey, son sort est quasiment une fable sur les dangers de la curiosité (sa motivation principale, à moins que cette fascination, comme les tuteurs le lui écrivent à Rome, ne soit le fait de l'art vampiresque). Puis lié à l'imprudent d'un serment trop absolu à un mourant suspect (le cas typique où l'auteur cherche à faire crier le lecteur d'indignation devant la crédulité fatale du personnage). Ensuite, la débilité qui s'empare de lui, alternant avec des crises plus vigoureuses, une folie de douleur devant le sort possible de sa soeur, mais qui décribilise par avance son propos devant tuteurs et médecins... Et celui-ci n'est pas prêt, on ne sait trop pourquoi, à rompre ce serment inique. Ce héros trop romantique, comme nous le dit d'emblée Polidori, réagit par l'abattement rêveur face au danger, et abandonne de ce fait sa soeur. Si bien qu'on peut se demander, quelque part, si Aubrey a bien vu ce qu'il a vu, considérant sa faiblesse mentale...


N.B. : Plusieurs liens peuvent être utiles si des allusions sont faites dans cette notule.

  1. Le texte original de John William Polidori ou bien la traduction d'Henri Faber : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori) (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).
  2. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
  3. Les enjeux fondamentaux de la préface du Vampire de John Polidori.
  4. Le découpage en motifs de la nouvelle.
  5. Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture.


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5. Le livret de Wohlbrück

A présent, observons le livret utilisé par Marschner. On reprendra les numéros de situations pour établir les correspondances.


Heinrich (August) Marschner.


Suite de la notule.

lundi 27 juillet 2009

De Byron / Polidori à Marschner / Wohlbrück - III - Déroulement et motifs de la nouvelle de Polidori

On aura aussi vite fait de le lire, mais pour les lecteurs qui souhaitent juste remonter le fil depuis Marschner, un petit synopsis. Surtout, nous marquons les jalons de ce qui va se retrouver dans le livret de Wohlbrück. Dès que nous publierons la suite, nous utiliserons ces repères pour identifier les motifs qui ont été réutilisés mais changés de place.


John William Polidori, médecin personnel de Lord Byron, présent lors de la fameuse soirée.


Comme le résultat sera par la force des choses long à lire, on permet aux lecteurs de CSS de s'avancer un peu en s'imprégnant déjà des structures importantes de Polidori. Cette notule n'a donc pas d'intérêt en soi que de constituer l'introduction indispensable à ce qui va suivre.

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N.B. : Plusieurs liens peuvent être utiles si des allusions sont faites dans cette notule.

  1. Le texte de John William Polidori dans la traduction d'Henri Faber : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori) (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).
  2. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
  3. Les enjeux fondamentaux de la préface du Vampire de John Polidori.
  4. Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture.


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4. Le récit de Polidori

Suite de la notule.

dimanche 26 juillet 2009

Droit de suite


Il n'y a pas que les pacifistes qui soient fatigués en fin de saison.

Quelques jours ont passé qu'on a entendu une autre invention étymologique assez sympathique, sur France24. Malheureusement, pas d'extrait sonore, le reportage a aussitôt été retiré, peut-être à dessein. Je reproduis vaguement le contexte.

Mais malgré ce rapprochement les pays occidentaux ne souhaitent pas non plus laisser de blanc-seing à la Russie.

Prononcez blanc-seeing (à l'anglaise). Joli mariage mixte, n'est-ce pas. Le blanc-seeing, c'est sans doute lorsqu'on y voit que du feu. On est tellement ébloui par les leurres de la confiance qu'on ne peut plus percevoir que des taches blanches, c'est mignon comme tout.

Manifestement, dans le feu du commentaire, il y a eu une petite fantaisie qui ne fait guère que témoigner du fait que l'anglais s'est vraiment inséré de façon courante (et particulièrement dans certaines professions ouvertes sur l'extérieur), à l'intérieur même du français.

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Pour rétablir toute la vérité, seing (à prononcer comme les Patrons révérés de notre Eglise) dérive du latin signum : le signe, la marque, l'empreinte, l'étendard. Le blanc-seing n'a donc rien à voir avec une pureté visuelle ou un aveuglement, il s'agit tout simplement d'une signature laissée en amont, par confiance.

samedi 25 juillet 2009

De Byron / Polidori à Marschner / Wohlbrück - II - Préface et enjeux du Vampire original



Arrivée d'Aubry priant, puis menaçant Lord Ruthven sur le point d'épouser à sa place sa fiancée pour se repaître de son sang. Ruthven lui fait la réponse terrifiante qu'on peut lire ci-dessous.


N.B. : Plusieurs liens peuvent être utiles si des allusions sont faites dans cette notule.

  1. Le texte de John William Polidori dans la traduction d'Henri Faber : [http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori)] (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).
  2. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
  3. Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture.



Combat du Giaour et du Pacha d'Eugène Delacroix.
Huile sur toile, 73 x 61 cm.
Musée du Petit-Palais, Paris.
Voir plus bas la citation correspondante : ce tableau de 1835 est directement inspiré du poème de Byron de 1814, cité par la préface de Polidori.


On le mentionnait précédemment, le plus intéressant dans la nouvelle Le Vampire de John William Polidori, tirée de l'ébauche de Lord Byron, est bien son Introduction. En plus de rattacher le vampire à l'univers de la superstition, cette préface le caractérise avant tout par son injustice effroyable : le châtiment peut frapper l'innocent, et le conduire à torturer, impuissant mais en toute conscience, les êtres qu'il a le mieux aimés.

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1. Superstition

Polidori rappelle ainsi les origines orientales immémoriales, les superstitions de la Grèce chrétienne (le rite latin empêchant prétendûment la décomposition des corps), puis en Europe Centrale. Il en décrit même les variantes ; celle d'Europe Centrale correspond précisément au vampirisme de Stoker : le monstre ne tue pas ses victimes d'un seul coup, mais les affaiblit nuit après nuit.
Il pousse la documentation (et la mise à distance avant même de débuter son récit !) jusqu'à citer la Gazette de Londres de 1732, et à relater l'histoire d'Arnold Paul, assailli par un vampire en Hongrie, et malgré les rites, devenu vampire à son tour. On retrouve les caractéristiques bien connues : absence de corruption du corps inhumé, rejet d'un sang pur jusque par les pores. Pour régler la cause, épieu, décapitation, immolation, cris horribles du mort, on voit de quel coin Stoker avait tenu son corpus superstitieux.

Dans une préface destinée à introduire une nouvelle brève et épouvantable, on fait mieux pour la mise en condition du lecteur. Ici, on lui fournit toutes les clefs pour se défendre de l'impression qu'elle pourrait lui faire.

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2. Véridique

Cependant cette parole rationnelle, et l'accumulation de ses sources, dont certaines hautement qualifiées de véridiques (les Voyages de Tournefort), donnent du crédit à celui qui va raconter cette histoire. On avait déjà vu le procédé, précisément, chez Stoker : mobiliser la science pour bien montrer qu'on ne peut pas expliquer le phénomène, qu'il la dépasse.

Polidori me paraît toutefois dans une démarche beaucoup plus saine d'information de son lecteur, lui procurant amplement les moyens de faire résistance aux assauts qu'on va porter contre son incrédulité.

De son propre aveu, il fournit les renseignements « nécessaires à l'intelligence de la Nouvelle qui suit », c'est-à-dire que le but affiché est tout simplement d'instruire le lecteur - si bien qu'il achève son introduction par un catalogue de vocables équivalents au terme retenu de « vampire ».

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3. Un but littéraire

(Et Giaour.)

Suite de la notule.

vendredi 24 juillet 2009

Le Sacre de Stravinsky dans Fantasia de Disney

A l'occasion d'un petit badinage tout récent, je rapporte sur CSS cette anecdote amusante - et fondamentale, on s'en doute, pour l'Histoire de la Musique.

Suite de la notule.

Grosse fatigue

Quand on vous dit qu'il ne faut pas lire les revues musicales, et qu'un interprète est payé pour faire et non pour commenter... il faut croire son interlocuteur, sans plus discuter.

Dans un entretien paru dans le mensuel Classica (article disponible en ligne sur un site aux manières cavalières que nous ne citerons donc pas), Bertrand Dermoncourt et Franck Mallet ont interrogé (Sir) Simon Rattle à propos de son Götterdämmerung d'Aix-en-Provence, cette année, mis en scène par Stéphane Braunschweig (en toute petite forme pour ce dernier volet).

Traduction défaillante dans un sens ou l'autre, ou gros coup de bambou chez l'intéressé, on ne saurait dire, mais il y a comme du sable dans les rouages, en tout cas.

Suite de la notule.

jeudi 23 juillet 2009

Introduction à ARABELLA - [Richard Strauss ; Hugo von Hofmannsthal]

Comme nous avons préparé une petite présentation chez les voisins, autant en toucher un mot sur CSS.

Il s'agit simplement d'une introduction à l'oeuvre - et d'une invitation à la fréquenter.

1. La création. / 2. Introduction à l'intrigue / 3. Le pendant du ''Rosenkavalier / 4. ... en mieux / 5. Leitmotive comparés à Wagner

Suite de la notule.

mercredi 22 juillet 2009

Marschner / Wohlbrück - DER VAMPYR : une histoire des sources depuis Byron-Polidori

Il faut peut-être débuter cette balade par l'Indonésie, lorsqu'en 1815, le Mont Tambora entra en éruption. Il s'agit de la plus forte éruption connue depuis l'an 186, sur le degré 7 de l'échelle de Chris Newhall (baptisée Volcanic Explosivity Index). Le seul degré restant, le huitième, remonte à 26500 années.
Pour donner une idée simple : chaque degré suppose une multiplication par 10 de la force de l'éruption. La vulgarisation s'arrête généralement au degré 3 ou 4, baptisé péléen, et qui correspond à l'explosion de la Montagne Pelée en 1902. Au dessus, le cas du Mont St. Helens est bien connu, car assez récent (1980), ayant décapité la montagne, et dont le seul bruit, devenu onde de choc, pouvait aisément tuer. On est là au degré 5.
C'est-à-dire que l'éruption du Tambora a été 100 fois plus violente, propulsant 100 km³ de matière.

On comprend aisément que, l'été qui suivit, le soleil, masqué autour du globe par les poussières expulsées du volcan, n'a guère été au rendez-vous. Il était de plus, paraît-il, assez pluvieux.

Toujours est-il qu'en 1816, lorsque Mary Wollstonecraft Godwin, accompagnée de son futur mari (dont elle avait déjà décidé de porter le nom), frappe à la grille de la Villa Diodati, sur le Lac Léman, le ciel est couvert et l'atmosphère particulièrement fraîche.


L'entrée de la Villa Diodati, de nos jours.


Aussi leur hôte, un Lord dont l'Histoire a conservé quelque souvenir, convient-il avec eux de renoncer à leurs activités de plein air pour rentrer causer. On sait notamment que la conversation a abordé, à travers le galvanisme, la possibilité de ramener un corps - ou des morceaux de corps - à la vie. On a même débattu d'Erasmus Darwin, à qui on attribuait l'animation de cadavres. Puis on lut des histoires germaniques de fantômes (tiens, tiens), et le maître de maison proposa que chacun écrive, pour prolonger leur conversation, une nouvelle.

Mary Godwin prépara sa nouvelle, mais, sur les encouragements de son accompagnateur, Percy Bysshe Shelley, finit par livrer à la postérité Frankenstein ou le Prométhée moderne. Bien qu'étant à l'origine du projet, Lord Byron fut moins disert : il proposa une ébauche de conte de vampire, largement inspirée de récits qu'il avait entendus en Europe Centrale et dans les Balkans.

Cependant le médecin personnel de Byron assistait à la soirée. Il reprit l'histoire et la développa un peu dans une nouvelle cohérente, précédée d'une introduction, en réalité plus intéressante que le récit lui-même, dans laquelle l'origine du mythe et ses états dans l'Europe Centrale sont rappelés. Le récit paraît en 1819, et il s'agit du premier récit de vampire de langue anglaise. Le nom de Byron, plus prestigieux, est conservé pour la publication originale, mais aujourd'hui, on s'accorde généralement pour reconnaître que, si la matière est bien de Byron (ou plutôt recueillie par lui...), les mots sont du docteur John William Polidori.

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Les sources de Marschner

Heinrich August Marschner, maillon manquant de l'opéra romantique allemand entre Weber et Wagner, a particulièrement aimé les sujets habités par un surnaturel inquiétant, ou à tout le moins baignant dans une atmosphère historique pesante. Parmi les plus célèbres, outre Le Templier et la Juive, il y a le sombre Hans Heiling au royaume des fées (le contexte n'est pas sans rappeler le premier opéra de Wagner), mais aussi Das Schloß am Ätna (« Le Château au bord de l'Etna »), Adolf von Nassau ou encore Sangskönig Hiarne und das Tyrfingschwert (qui évoque l'épée Hervararkviða - Tyrfing en allemand - de la saga Hervarar dans l'Edda). Jusque dans ses assez nombreuses pièces comiques, la veine moyen-âgeuse est exploitée, à défaut de - témoin Des Falkners Braut (« La Fiancée du fauconnier »).

Sa veine favorite, à l'instar de Weber au demeurant, mais en plus sombre, se situe donc aux confins du Moyen-Age... et du fantastique gothique. [1]

Le Vampire de Marschner (1828) se situe en réalité à la croisée de sources extrêmement nombreuses et significatives de son époque. Le rôle-titre porte le nom du personnage de Byron / Polidori (1819) : Lord Ruthven, personnage froid et séducteur, s'exerçant exclusivement sur les femmes. La dimension que nous trouvions défaillante chez Bram Stoker (voir l'entrée '5.') est ici, non pas développée, mais tout à fait suggérée. La psychanalyse de comptoir parlerait volontiers de couple Eros-Thanatos, et c'est effectivement peu ou prou l'idée qui s'attache à la figure du vampire dans ce qu'elle peut avoir de plus riche.
A noter qu'un autre opéra allemand (Peter Josef von Lindpaintner sur un livret de Cäsar Max Heigel), écrit l'année des représentations du Marschner, fait porter le nom d'Aubri - Aubrey chez Polidori, Aubry chez Wohlbrück / Marschner - au vampire, c'est-à-dire celui, à l'origine, du principal opposant de Ruthven...

Le nom de Ruthven lui-même apparaît dès 1816 dans le roman Glenarvon, de type gothique, de Lady Caroline Lamb - paru anonymement. Il correspond à Byron, qu'elle a quitté à cause de la passion dévorante et dangereuse (y compris pour son mariage avec Lord William Lamb), et le portrait n'est pas flatteur. Mais il ne s'agit pas d'un vampire. Il a fallu sans doute une certaine dose d'autodérision à Byron pour réemployer ce nom non pas trois ans plus tard (date de publication de la nouvelle de Polidori), mais la même année (date du défi avec Mary Shelley) !

Dès février 1820, le personnage, d'après Polidori, est prolongé par Cyprien Bérard, directeur du Théâtre de Vaudeville (et publié par Charles Nodier, à qui on attribue souvent à tort, Wikipedia en tête [2], la paternité du récit - décidément, que d'usurpateurs dans cette histoire !), dans Lord Ruthwen ou les Vampires.
Et voilà une adaptation pour le théâtre (toujours le même titre : Le Vampire), sous forme de mélodrame (pas au sens musical [3] du terme, même s'il y avait peut-être de la musique dans l'affaire), par Pierre François Adolphe Carmouche, Charles Nodier lui-même et Achille François Eléonore Marquis de Jouffroy d'Abbans [4]. C'est la première source directe de Marschner, et aussi celle de la pièce homonyme d'Alexandre Dumas père (1851), qui avait précisément rencontré Nodier en 1823 à l'occasion d'une reprise de ce Vampire.

La seconde source directe est elle aussi tirée de Polidori : il s'agit du drame allemand de Heinrich Ludwig Ritter : Der Vampir oder Die Totenbraut (1821).

Tout cela est adapté par le très méconnu Wilhelm August Wohlbrück pour l'opéra.

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Bref, on voit le profit qu'il y a à se reporter à cette pierre angulaire qu'est le court récit de Polidori, aussi bien pour comprendre l'origine et les propriétés de l'adaptation de l'opéra que pour affiner la perception du vampire qu'on a déjà débutée presque malgré nous.

On sait donc ce qu'il nous reste à aborder...

Notes

[1] Je préfère parler de merveilleux horrifique, parce que le fantastique est également une catégorie, à partir du la fin du XIXe, qui joue de l'hésitation sur l'interprétation d'événements inexplicables. Mais on peut fort bien s'entendre sur le fait que, s'agissant du début du siècle, il ne s'agit pas de débattre de la véracité des faits présentés : dans le cadre d'une fiction épouvantable, on accepte comme aussi naturel le vampire ou le royaume des Fées qu'on le fait pour le dragon ou la mélusine dans la littérature médiévale.

[2] Qu'on se rassénère promptement : c'est corrigé.

[3] Un mélodrame, on l'a souvent indiqué, est un moment musical dans lequel le texte est déclamé en voix parlée tandis que des instruments accompagnent et ponctuent la récitation. Le principe est issu du théâtre grec antique.

[4] La même année, on compte pas moins de trois pièces à vampire, dont une parodie, Cadet Bouteux ou le Vampire, qui raille notamment les prétentions d'authenticité avec les faux-nez d'éditeurs bien connus depuis un siècle. Polidori ne joue d'ailleurs pas du tout sur cette corde, bien au contraire démystifiant par avance ce qu'il qualifie lui-même de superstition.

mardi 21 juillet 2009

La glotte et Mozart


Tout de même, manière de ne pas laisser les fidèles de CSS désemparés dans ce vaste désert culturel de la Toile estivale, quelques petites badineries.


Il s'agit, pour information, de la production de David McVicar à Covent Garden en 2006, dirigée par Antonio Pappano, et parue au DVD chez Opus Arte. [Les décors et même le jeu d'acteurs ont au passage, dans le genre littéral, un caractère infiniment plus poétique que Jonathan Miller au Met et son pendant ancien, quoique largement vanté pour des raisons qui restent mystérieuses en dehors de l'exaltation du souvenir, à savoir Strehler à Garnier. Les jeux de lumière en particulier créent un espace d'une autre trempe que les hangars platement ornés de Murano...]


En présence, Miah Persson (Susanna, avec le pendentif cruciforme) et Dorothea Röschmann (Contessa Almaviva, assise), deux grandes interprètes qui ont beaucoup chanté Mozart, sans toujours, du moins en italien, se départir d'une certaine étrangeté. Déjà, la langue italienne, on l'aperçoit aisément, ne leur est pas naturelle. Les voyelles de Dorothea Röschmann, en particulier, sont toujours très étranges, pas si allemandes que ça d'ailleurs - ce qui ajoute encore au côté finement sophistiqué de son chant. [Il est possible que ce soit lié à des choix spécifiques et peu répandus en matière de couverture vocale.]

Mais ce qui mérite l'attention, c'est l'emploi extraordinairement généreux, chez elle, des coups de glotte, déjà pour du Mozart et surtout dans une pièce aussi légère de ton.

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Phénoménologie du coup de glotte

La production du son chanté s'effectue par la mise en marche des muscles régissant la respiration, et en particulier de ceux actionnant le diaphragme, qui permettent le soutien, sorte de Graal vocal : la note peut être à la fois tenue, juste, belle et modifiable au cours de l'émission.

Pour démarrer et interrompre le son, il existe deux méthodes, très logiques.

La première consiste dans la maîtrise, précisément, du diaphragme, qui permet d'expulser l'air des poumons, de soutenir régulièrement l'expiration ou d'interrompre l'expulsion. C'est la technique la plus répandue, celle que tous les chanteurs maîtrisent, qui est indispensable, et qui suscite en théorie le moins de fatigue vocale.

La seconde procède par occultation et ouverture brusque du conduit phonatoire. La pression de l'air se trouve donc interrompue, ou plutôt concentrée sur son chemin ; dès l'ouverture, le son jaillit avec force, comme un liquide gazeux lorsqu'on perce un récipient clos. Cette technique est appelée coup de glotte.
Elle ne peut pas être appliquée sur tous les sons bien entendu, et fatigue potentiellement plus l'appareil vocal, mais est employée, dans certaines écoles de chant, pour assurer une attaque tonique de certaines notes haut placées. On cite souvent en modèle Leyla Gencer, dont les obturations étaient assez audibles, et qui le faisait sur à peu près toutes ses notes aiguës sur des temps forts...

Suite de la notule.

En raison

... d'une grève du personnel farfadesque, voici deux jours que, faute de bras, les caisses de notules ne sont pas vidées et triées pour CSS.

Les revendications portent sur des conditions de travail décentes. On espère la fin de la rénovation des locaux pour demain.

dimanche 19 juillet 2009

Fausse étymologie

C'est pas beau de se moquer. Et je prie humblement M. Francis Soler, rédacteur en chef de la Lettre de l'Océan Indien, de m'absoudre de la liberté mesquine que je prends en lui apposant, pourtant sans malignité, les stigmates.

Mais la confusion d'origine était trop belle, tellement pleine d'assurance.

Et il est vrai que, si on ne l'a pas entendu (bien que ça n'ait pas le même sens en anglais), on ne peut pas forcément deviner. Peut-être est-ce aussi une authentique confusion répandue en anglosaxonie.

Sans moquerie, et seulement parce que c'était drôle.

samedi 18 juillet 2009

Rai - [modulation et leitmotive dans Arabella]


Le pouvoir de la modulation est immense.

Il est largement ignoré de la majorité des grandes traditions musicales du monde. La tradition occidentale tonale l'utilise elle-même peu, son usage expressif généralisé (sous forme de rupture à l'intérieur de morceaux, et plus seulement de changement de couleur entre deux 'numéros') se limite largement à la brève période 1780-1960. On peut en discuter, bien sûr, mais l'usage raffiné ou audacieux de la modulation est finalement très restreint dans le monde et dans le temps.

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[Comme les lecteurs flash semblent mal fonctionner, on peut charger directement l'extrait : http://tinyurl.com/mck36q.]


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Rien qu'avec l'harmonie, on entend la porte s'ouvrir, l'air frais d'hiver pénétrer agréablement l'appartement, les parfums de la chaste coquette se répandre doucement, la lumière trancher en diagonale le sol de la pièce.


On aura reconnu l'entrée d'Arabella dans l'opéra homonyme.

Günter Neuhold dirige avec sa vérité dramatique et sa légèreté de pâte coutumières l'Orchestre du Capitole de Toulouse, le 24 février 2006. On entend d'abord Anne-Catherine Gillet, Zdenka éloquente en diable puis Pamela Armstrong, une Arabella de grande musicalité, au timbre charnu et aux intentions fines. Exactement le genre de soirée qui manque à la discographie.

Considérons à présent le déroulement des événements.

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En un mot pour les lecteurs les plus ingénus : dans une famille aristocratique viennoise déclassée, vivant leurs derniers moments de crédit dans un grand hôtel, deux jeunes filles. L'aînée, Arabella, est une coquette rêvant à l'amour-évidence, à la rencontre parfaite, tout en se laissant courtiser par une foule de prétendants nombreuse. La cadette, Zdenka, passe, faute d'argent pour entretenir sa toilette et prévoir une dot digne de leur rang, pour un jeune homme. Elle est éprise d'un jeune officier impulsif, Matteo, qui s'appuie sur elle, sans connaître sa véritable identité, pour séduire Arabella qu'il aime éperdument.
On est au début de l'opéra, donc tout est encore simple.

Les bois rebondissent sinistrement, sur la fin du monologue de Zdenka - elle rêve de parvenir à faire aimer Matteo à sa soeur, afin qu'il ne recoure pas au suicide. Ce motif est celui attaché à Matteo, nerveux, sombre et hoquetant. Sur le dernier accord, le hautbois fixe une note de l'accord et la tient.
C'est alors que se produit le miracle de la modulation : la même note tenue sert de support à un autre accord, énoncé avec suavité aux cordes. Le hautbois ornemente délicatement, d'une façon un peu archaïsante, mais très émouvante.
En entrelacs avec la ligne vocale, qui l'imite.

Toute la personnalité d'Arabella tient dans cette entrée : délibérément séductrice, mais vertueuse ; coquette mais véritable.

Alors qu'elle aperçoit les roses sur la table, deux motifs apparaissent. D'abord l'écho de trompettes, version minimale du motif qui évoque l'étranger (Mandryka) pendant tout l'acte I, avant leur présentation au bal d'anniversaire de l'acte II ; ensuite un thème descendant en violons feutrés, qui rappelle très fortement le motif du « coup de foudre » dans le Chevalier à la Rose.
En effet, l'alliance des deux matières thématiques n'est pas anodine, Arabella va rêver pendant tout l'acte à l'étranger inconnu - jusqu'au sommet mélancolique de l'air Mein Elemer !, souvent enregistré en récital par les sopranos de format grand lyrique, où elle imagine qu'il est probablement marié et perdu pour elle.

Et ainsi, pendant toute la suite, passant en revue les présents de ses soupirants, on entend le retour des trompettes qui dévoilent poétiquement au spectateur la pensée d'Arabella devant les colis. Avec, concernant Matteo, une réaction de rejet sans ambiguïté : le livret nous indique qu'elle repose promptement les roses, mais en plus la musique entonne le leitmotiv du refus (cette descente prompte et accidentée qui s'apparente, en plus policée, au leitmotiv de Kundry dans Parsifal, si l'on veut). Tandis que, simultanément, les trompettes résonnent à nouveau, superposées à cette déception dépourvue d'équivoque.

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Tout cela pour chanter les louanges d'Arabella, certes, qui est en permanence sur ce mode d'éloquence simultanément verbale et musicale (et avec quel lyrisme, quelles demi-teintes !) ; mais aussi pour s'émerveiller du pouvoir d'une simple modulation, capable à elle seule de créer des mondes.

vendredi 17 juillet 2009

Immortalité populaire






(Non, je ne me suis quand même pas mis à lire Spirou, et il n'y aura pas de série Desberg / Maltaite. Simplement pour le sourire.)

C'est tiré du site d'Agnès Mellon où l'on trouve quantité de grandes choses. On ne la reconnaît nulle part sur les images, pas plus que René Jacobs d'ailleurs - il semblerait que Desberg et Maltaite se soient surtout nourris de disques.

jeudi 16 juillet 2009

Comte de vampire

Premier épisode ici, pour bénéficier du contexte culturel et générique, et d'une vue d'ensemble de la structure.

Au programme aujourdhui :
Rapports à la science et impossibilités théologiques, habiletés structurelles et réécriture spectaculaire. On ne se refuse rien, parfaitement.


Le début de l'opéra Der Vampyr de Heinrich Marschner sur le livret de Wilhelm August Wohlbrück d’après Polidori (développement de l’ébauche de Byron) notamment.
Ici, une version de chambre du Grachtenfestivalorkest (sous la direction de Peter Biloen), l’année dernière à Amsterdam. Vous entendez Henk Neven, remarque dans tous les répertoires, de la tragédie lyrique à Schreker, en Lord Ruthven (air d’entrée d’espoir dans sa mission puis d’éloge au sang ; duo avec Janthe, sa première victime ; « résurrection » au clair de lune grâce à son débiteur Edgar Aubry). Janthe : An De Ridder ; Aubry : Brad Cooper.
Vous pouvez également charger une version libre de droits (radio viennoise). Dans cette notule, on opère un pont avec Don Giovanni qui pourrait aussi se soutenir dans certains endroits de Dracula.


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4. Le fantastique et la science

On en était resté sur la classification difficile selon le genre fantastique : ici, pas d’hésitation entre naturel et surnaturel ; tout le roman, annoncé comme véridique par l’éditeur fictif qui aurait recueilli les documents (on ne sait pas véritablement qui ni pour en faire quoi, même si on peut imaginer un legs des héros destiné à éveiller la vigilance des hommes), est au contraire tendu vers la démonstration irréfutable de l’existence des vampires.
Il s’agirait donc plus d’un avatar néogothique du type « merveilleux horrifique », un récit épique où les fées ou les géants sont remplacées par des démons.

Cependant, l’esprit du fantastique n’est pas si loin. Précisément parce qu’il s’agit d’une démonstration.

Dans un récit merveilleux, on accepte, le temps de l’ouvrage, que les dragons existent, et qu’on les tue tout naturellement en leur perçant le coeur avec une épée reçue de la main des dieux. Siegfried ne paraît guère ému de rencontrer un hideux reptile au coin du chemin – ce n’est jamais qu’un dragon, on ne va pas non plus en faire un fromage.

Dans le Dracula de Stoker, au contraire, l’auteur, via les différents rédacteurs des lettres et journaux, effectue sans cesse un passage du doute à la certitude, du scepticisme méthodique à l’évidence empirique. En cela, et indépendamment du fait qu’au bout de l’oeuvre l’existence des vampires est formellement attestée par ces gens sympathiques et éclairés, il reste toute la démarche du fantastique : le balancement du doute. Longtemps, les choses ne sont pas nommées (il faut attendre plus de la moitié de l’oeuvre pour voir écrit le mot « vampire »).

Et alors que le merveilleux néglige la modernité, plante son décor dans d’autres mondes ou dans des époques reculées, ici au contraire toutes les innovations sont utilisées : on utilise un enregistreur audio pour écrire son journal, on sténographie, on tape à la machine, on télégraphie, on prend le train... Tout cet attirail scientifique n’empêche pas, et au contraire légitime, les superstitions des autres âges. Ainsi un professeur spécialiste des maladies mentales et même de la chirurgie du cerveau va, dans le secret, exploiter les connaissances intuitives des vieux grimoires sur les êtres de l’Autre monde (ou plutôt de l’entre-deux-mondes), et seule la tradition de l’ail et de l’hostie pourra protéger les aventuriers malgré eux. [Cela pose d’ailleurs d’autres problèmes de cohérence au sein du genre lui-même, on verra ça plus loin.]

Et cela cadre bien avec le fantastique, qui dans un monde dominé par des figures positivistes, souhaite tout simplement réhabiliter l’instinctif et le flou au sein de l’imaginaire humain – au moins le temps d’une lecture. Le professeur Van Helsing a bien souvent des mots durs sur les scientifiques qui à force de ne croire que ce qu’ils ont expérimenté, nient les vérités qui dépassent l’entendement humain. C’est presque le seul élément idéologique de l’oeuvre, qui reste avant tout un divertissement construit avec soin (malgré des manques évidents) : une défiance contre l’usage de la modernité déconnecté de la tradition.

Cela conduit cependant à quelques tensions insolubles – inhérentes à ce type de bidouillage supersticieux autour de l’âme, mais renforcées ici par une forme d’empirisme scientifique.

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5. Vampirisme et foi

Mon objet, en rendant compte de cette lecture insolite, n’est pas de dresser une dissertation sur les incompatibilités potentielles dans le triangle superstition / foi / raison. D’autant plus que c’est là une faiblesse du texte de Stoker : aucune perspective philosophique n’est tirée de la situation. On a la fable en trois étapes qu’on a rapidement retracée, et il faut s’en contenter.

Toutefois, la dimension pudiquement victorienne de ce roman amène quelques questions.


Les démons commandent aux nuées dans les Carpathes et au delà.


Tout ce qui peut rapprocher le vampire de sa signification dans la mythologie (la source que rappelle en partie Polidori et qu’appliquent Wohlbrück / Marschner) est tu. On se retrouve donc avec un être dont l’existence paraît bien arbitraire, malgré tous les efforts de raisonnement complaisant du lecteur.

A de rares exceptions près (vampirisation de Jonathan Harker et première vampirisation de Mina Harker), toute la volupté et toute la fascination qu’exerce la figure du vampire sont tues. Il parle peu, et n’apparaît guère que pour frapper – loin de Lord Ruthven et de ses stratagèmes mondains. Ainsi, toute la dimension prédatrice liée à la virilité de la figure du vampire disparaît ; la métaphore du séducteur qui ravit la chair en emportant l’âme, prêt à escalader n’importe quelle fenêtre et à laquelle il ne faut à aucun prix ouvrir, sous peine de ne plus résister à son pouvoir, par fascination ou par force – est à peu près totalement occultée. Certes, il s’agit là d’un conte de bonne femme qui réutilise à des fins morales une croyance plus ancienne et plus essentielle, liée aux frontières entre les mondes (les esprits errant sans sépulture, dès les Grecs, ne réclamant que l’accès à l’Enfer). Mais dans un cadre romanesque, on aurait gagner à donner plus d’épaisseur et pour tout dire de charme à une figure très schématique dans ce roman, uniquement moteur de l’intrigue.
Plusieurs autres explications culturelles existent, moins propres au romanesque, comme la pathologie porphyrique, qui peut faire prendre un aspect effrayant (nécrose de la lèvre qui découvre les dents, blanchissement du teint... exactement les symptômes cliniquement rapportés par Stoker... à ceci près que les dents et les ongles rougissent là où Dracula a un émail diamant gourmand) et a pu être assimilée à une possession.

Cependant, non content d’écarter cette épaisseur-là, Stoker met en relation ses damnés à lui avec un anglicanisme strict. Il commence très habilement par faire excuser son premier narrateur (Jonathan Harker, dans son journal transylvain) de prêter une importance magique païenne à des accessoires du culte (remis pour le protéger par les villageois qui le pleurent déjà). Mais par la suite, il se contente de mettre dans la bouche de ses personnages, et en particulier de la dernière victime Mrs Harker, des professions de foi renouvelées.

Cela pose un réel problème de foi, précisément. C’est un véritable désordre dans la Création, au point qu’écrire un tel livre mérite ni plus ni moins que l’excommunication. On dispose d’êtres en quelque sorte créés par le diable, et qui sont damnés sans avoir commis le moindre péché, ce qui va en contradiction manifeste non seulement avec l’échelle des valeurs chrétiennes (il n’est même pas question de Grâce, ni de près ni de loin dans le propos du roman...), mais surtout avec la nature même de Dieu, dont la miséricorde se trouve quelque peu mise à l’épreuve. Il ne s’agit plus de la théorie de la retraite du monde, laissé avec la liberté en apanage aux humains (ce qui pose déjà quelques problèmes logiques, puisque les maladies virales ou congénitales, par exemple, font partie du cadeau), qui serait en quelque sorte une épreuve avant la juste rétribution dans l’Autre monde ; ici, les créatures de Dieu sont laissées en pâture à d’autres forces qui leur piquent leur âme sans pacte, contrepartie ni péché.

C’est de la fantaisie pure, et ce qui pourrait finalement fonctionner dans un univers décléricalisé, est ici rendu absolument incohérent par la récurrence des prières ferventes : elles ne sauvent pas l’âme des croyants sincères et des hommes bons, et finalement les personnages s’en remettent à la miséricorde et, en dernière instance, à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à être envoyé dans les Enfers pour prix de leur foi et de leur bonté terrestres. La présence de ces poussées de foi, même si elles ont quelque chose d’assez joli dans leur pathétique (même Dieu ne peut les sauver, ils doivent se débrouiller comme des grands tout seuls contre l’Enfer, et faute d’avoir une chance quelconque de réussir, il faut bien y aller quand même pour passer le temps qui reste), rendent facilement autant invraisemblable les récits de vampire que le raisonnement rationnel – contre lequel Stoker est plus appliqué.

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6. La première vertu : subtilités narratives

Ce qui sauve l’oeuvre, en fin de compte, et maintient le caractère agréable de sa lecture, se trouve plutôt dans une manière assez originale (bien que loin d’être révolutionnaire à cette date) et efficace.
On a déjà parlé de la structure même du récit, fondé sur l’entrelacement de sources différentes. Pourtant, loin de mettre à distance le lecteur, cette succession rapide de narrateurs distincts parvient à l’introduire de plus en plus avant dans l’histoire.


Certains se font retrouver dans des abbayes et non près des fontaines.


Le tout début demeure très extérieur : on se trouve face à un personnage nouveau, un peu peureux, une sorte de voyageur ingénu assez proverbial. Typique du début de récit de voyage extraordinaire, qu’on trouve par exemple dans le récit inséré du marquis de Las Cisternas dans le Monk dont il était question récemment.
Rien de très saillant ni de très personnel dans sa psychologie. Les notes de voyage accentuent cet effet : il existe un décalage manifeste entre le moment de la narration et le moment des actions. On n’écrit pas dans les cahots de la route le voyage qu’on n’a pas encore fait. Donc il sera suffisamment sain et sauf pour pouvoir écrire ensuite.

Au fil du séjour chez Dracula, beaucoup du texte concerne le fait même d’écrire, le moment choisi volé à la journée ou à la peur. C’est donc beaucoup plus une écriture instantanée, de plus en plus fréquemment dans les journées, et ce caractère immédiat va peu à peu se systématiser.

Dans le même temps, alors qu’il s’agissait d’un journal de voyage relativement banal dans sa forme (parfois négligée, comme ces dialogues sans marques typographiques), se glissent des éléments qui, l’air de rien, ne relèvent plus du tout du journal intime. « Tous ceux qui ont vécu cet instant me comprendront » peut encore être une formule qui s’adresse à soi, mais « Qu’on me permette d’exposer des faits – dans toute leur nudité, leur crudité, tels qu’on peut les vérifier dans les livres et dont il est impossible de douter. » (chapitre III, date du 12 mai), clairement, s’adresse à un auditoire plus vaste qu’à sa future épouse à qui il est susceptible de faire lire le journal.
Cette formule rhétorique, l’air de rien, en plus de rendre son récit moins distant, fait glisser sa position singulière vers une mission universelle, et surtout fait parler dans un présent (pas le temps verbal) très urgent : effectivement, il peut être fauché à tout moment, il écrit tous les faits sur le vif.

Presque imperceptiblement, le compte-rendu assez factuel et impersonnel des premières pages, presque sous forme de notes (beaucoup de phrases nominales), se met à utiliser un prétérit très narratif : Harker ne fait plus un compte-rendu de voyage, ils nous raconte... un roman.


Le château de Bran, où Vlad Ţepeş ne demeura que quelques jours, devenu un lieu touristique en raison de son aspect relativement conforme, vu depuis le bas de la falaise, avec celui du comte Dracula.


Le comble de la posture narrative intervient vers la fin du journal, où l’injonction « Hark ! » (« Ecoute(z) ! » ) ne cache même plus la mise en scène...

Je précise tout de même que j’ai lu, peut-être bien à tort, l’oeuvre dans une édition française, et que le développement de certaines expression fait perdre le style en densité – et accentue ces discordances. Ainsi « hark » se trouve traduit par « écoutez » et « let me » par « qu’on me permette », ce qui force un peu le glissement déjà présent dans le texte original.

Par ailleurs, cet poussée depuis le journal intime vers une narration romanesque demeure sensible, une fois acquise, dans le reste du roman. Très habile façon pour l’auteur de rendre crédible son dispositif initial, sans nuire en quoi que ce soit à la force d’illusion romanesque qu’il souhaite obtenir au bout du compte. Une jolie manière progressive d’atteindre le langage qu’il avait désiré, tout en lui conservant l’aspect extérieur qu’il prétend.

Cela n’empêche pas, au demeurant, un certain nombre de jeux, notamment avec des références (Mille et une nuits et Hamlet sont tout à fait explicites).

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7. Réécriture

Pour terminer, j’en viens au chapitre connu sous le nom de Dracula’s Guest, qui ne figurait pas dans l’édition originale, mais qui est peut-être une ébauche antérieure au roman. Dans un genre beaucoup plus narratif (et, il faut bien en convenir, beaucoup plus élégant et beaucoup plus prenant), un vrai récit assumé cette fois, à la première personne également, un personnage (qui n’est pas, comme on le lit parfois, Jonathan Harker) effectue une balade pédestre pendant la Nuit de Walpurgis sur le chemin du château de Dracula (mais on est encore dans la forêt... munichoise).


Des vallons roumains transylvains comparables à ce qu'on imagine, de jour, du paysage du village abandonné dans L'Invité de Dracula.


On se situe au moment même où débute l’oeuvre intégrale, mais il se passe autre chose. Il est étonnant de voir comme Stoker redéploie le même matériau de façon totalement différente.

On y retrouve la marche à pied interdite, les chiens hurlants tout autour, l’orage, le vers de la Lenore de Bürger, le flacon d’eau-de-vie, la neige prompte... mais d’un usage totalement différent. L’épaisseur du personnage (un gentilhomme, et brave, cette fois-ci) est nettement plus importante, avec un humour bienvenu (pour exprimer son calme : « Mon sang anglais me monta à la tête ») ; le mystère qui l’entoure bien plus grand, car mêlant de multiples choses mystérieuses, concrètes ou surnaturelles (alors que dans le texte définitif on finit facilement par comprendre que le « héros » est prisonnier d’un vampire, tout bêtement), et puis la morsure inexpliquée du loup à la gorge (mêmes symptômes que pour le vampirisme dans le texte intégral), le télégramme protecteur du comte Dracula, qui a prévu ses maux et a réussi à lui prodiguer des sauveteurs...

Peut-être Stoker a-t-il été quelque peu épouvanté par la richesse ambitieuse de ce premier chapitre (où déjà toutes les forces de l’enfer ont été visibles, plus encore que dans le roman tout entier), qui dévoilait trop, même sans expliquer, qui ouvrait trop de portes et d’enjeux. Toujours est-il que la lecture du roman paraît, après cette ébauche, assez chiche et mesurée (une aventure à la fois, surtout, ne nous dispersons pas...). Jusqu’à la langue, tout y est plus sec... et pendant toute l’oeuvre.
[Sans doute logiquement écrit avant (visiblement, les spécialistes ne sont pas décidés), ce chapitre isolé et abandonné paraît en fin de compte maîtriser infiniment mieux ses références et son pouvoir verbal.]

Mais pour qui voudrait simplement se faire une idée, la lecture du journal de Harker (quatre premiers chapitres), comparée à ce chapitre délaissé, permet de bien s’imprégner des tons distincts.

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Ce sera ici qu’on achèvera notre balade impromptue autour de cette oeuvre imprévue.

Et insolite pour les pacifiques lutins ascètes.

mercredi 15 juillet 2009

Soavi siano i venti

Une version rafraîchissante de Così fan tutte pour ensemble à vent (par l'Ensemble à Vents des Pays-Bas). La réduction est incisive à l'égal de l'original, et dans le très beau plateau, vous reconnaîtrez la Fiordiligi de la si polyvalente Johannette Zomer.

Sous couvert de toutes ces plaisanteries savoureuses (voyez le choeur des instrumentistes), c'est une exécution de très haut niveau qui s'affirme.


La virtuosité instrumentale, la variété de ses couleurs, la conviction de ses accents laissent pantois.

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(On intègre sans remords cette vidéo, qui est précisément conçue pour la promotion.)

lundi 13 juillet 2009

Vampire-Roi


On avait prévu - afin de remettre les choses en perspective, exercice apprécié sur CSS, comme on peut s'en rendre compte - la lecture commentée du Vampire de Polidori (inspiré par Byron), l'une des sources (pas directe) du livret de Wilhelm August Wohlbrück pour Marschner. Mais on nous fit une recommandation sur un sujet similaire, en nous assurant que le mythique Dracula de Bram Stoker (1897), qui procède de Polidori, était remarquablement fait, avec le croisement de ses lettres et de ses notes, avec tant d'enthousiasme que j'ai voulu m'en assurer. N'étant pas véritablement amateur de littérature fantastique ou horrifique, ça a été l'occasion de combler une lacune de culture générale.


Le voilà fini, et à défaut d'enthousiasme, c'est toujours l'occasion d'en toucher un mot. Ce qui fait qu'aux antipodes des goûts de CSS, on se retrouve avec une ribambelle de commentaires autour du feuilleton et de la littérature gothique et merveilleuse horrifique. On tâchera de se rattraper avec une introduction à Ščepanović, ou quelque chose d’un peu plus propre à nos goûts...

En attendant, il y a bon nombre de remarques à faire sur l'ouvrage, qui se situe à la frontière de pas mal de problématiques aussi bien dans la construction d’un récit que dans la conception du monde en règle générale.

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1. Généalogie du comte Dracula et géographie

Stoker est le premier à nommer un vampire Dracula. Bien que l'ouvrage porte son nom, il n'est que le centre mécanique de la quête, et en rien un personnage dont la psychologie serait développée.

Son nom provient de Vlad III dit Ţepeş (« l’Empaleur »), un voïvode valaque (et non transylvain) du XVe siècle, qui tint bravement tête aux Turcs, provoqués par son geste de faire clouer les turbans sur la tête des ambasseurs refusant de se découvrir. Il est défait suite à l’invasion turque, mais non sans avoir empoisonné les sources, brûlé les villages, et laissé une « forêt de pals » de prisonniers turcs derrière lui.

Son nom de famille est Besarab, d’où provient le toponyme Bessarabie, qui désigne aujourd’hui le Sud de la Moldavie, mais qui autrefois était appliqué (très logiquement) à la Valachie. Son père Vlad II Besarab portait, lui, le surnom de dracul, c’est-à-dire « le dragon », en raison de son courage, et son fils fut logiquement désigné par draculea, c’est-à-dire « le dragonneau », « le fils du dragon ». Il est aisé de voir comment Stoker, qui s'était documenté sur lui, a pu en faire usage.


Portrait fameux de Vlad III Besarab.


A la lecture, on peut tout à fait vérifier que Dracula est assimilé aux Besarab, par le récit qu’il fait de ses propres combats contre les Turcs. S’identifiant à plusieurs épisodes historiques, et avec des détails très relatifs, il n’est pas toujours aisé d’en déceler le modèle véritable. Pour notre part, l’épisode glorieux de l’incursion (ratée) sur sol turc, avec cette retraite laissant périr l’armée sans remords rappelle plutôt Mircea II le Jeune, frère aîné de notre Vlad – mais les chroniqueurs, eux, n’en ont pas gardé un souvenir très flatteur, ayant remplacé son père rechignant pour la croisade, puis chargé par lui de l’échec...

Dracula n’est d’ailleurs, historiquement, pas comte, mais plutôt maître d’une principauté, la Valachie, celle où le Danube fait son delta. Son château, dans le roman, se situe en revanche à l’intérieur des terres, à flanc de Carpathes, en Transylvanie – qui a là une belle publicité, avec de très beaux paysages, les survivants y vont même se promener ensuite, voire s’émerveillent tandis qu’ils jouent leur âme, quoiqu’il y ait somme toute assez peu de descriptions dans le roman. On retrouve quantité de noms de localités réelles (ou à peu près) dans le récit de Stoker : le port de Varna (actuelle Bulgarie) où l’on guette le retour de la caisse fatale, le Pruth, le Seret, et la Bistritza, trois rivières que j’ai en réalité repérées comme des villes roumaines, sur le trajet de l’Ouest. Galati, la ville qui correspond de plus près à Goletz est déjà dans les terres contrairement à Varna, et on ne voit pas trop comment on aurait pu y débarquer en bateau. Et le col de Borgo se trouve de l’autre côté de la chaîne, au Sud-Ouest, de même que Bistriţa, d’ailleurs.
C’est ce qu’on appelle des effets de réel : ça existe, ça sonne comme des choses véritables, procure un cadre vraisemblable au récit – sans forcément être véridique. Dommage pour les marchands de voyage, en plus : au delà de l’aspect emblématique qui pourrait tenter un touriste draculaire, la région fait tout simplement envie.


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2. Structure romanesque générale

[Attention, pour pouvoir causer de ce type d’ouvrage, il est nécessaire de fournir des articulations-clefs de l’intrigue. Si les lecteurs de CSS ne souhaitent pas s’épargner la lecture ou la relecture du texte de Stoker, il peuvent au préalable en charger une traduction française ici, et la lire avant de poursuivre.]

Ce qui m’a convaincu de lire l’ouvrage, en dépit des mes inclinations coutumières, est précisément de l’ordre de la structure : il ne s’agit pas d’un récit linéaire conçu uniquement comme une fiction destinée à impressionner. Le récit est en effet constitué d’une suite de documents compilés, annoncés comme authentiques par l’éditeur (fictif), et en précisant qu’on saura au fil de leur lecture comment ils ont pu être réunis (pour ménager un minimum d’attente, évidemment). En effet, chaque rédacteur fictif prend le soin de dire où il écrit, quand, à l’occasion de quel temps libre ou de quelle préoccupation. Les sections sont assez courtes, quelques pages seulement, à l’exception du premier journal intime qui doit planter le décor avec un minimum de cohérence pour ferrer le lecteur, susciter son adhésion au propos irrationnel.

Pour parler plus concrètement : essentiellement huit personnages, et leur répartition dans le récit. Les plus gros contributeurs sont soulignés.

  • Jonathan Harker, clerc juriste, auteur du premier journal intime pendant son séjour chez le comte Dracula, en vue de régler l’affaire d’acquisition d’un château anglais. Il écrit assez peu par la suite, excepté dans les derniers événements – et pour le mot de la fin.
  • le comte Dracula, être étrange et protéiforme avec les propriétés que l’on sait. Il n’écrit rien (à part des lettres utilitaires), et ne laisse rien transparaître de sa propre pensée. Il agite mécaniquement l’action de tous les autres personnages.
  • Mina Murray (plus tard Harker), fiancée de Jonathan, qui l’attend en Angleterre, rédactrice d’un journal abondant qui fournit un bon tiers de l’histoire.
  • Lucy Westenra, amie de Mina, jeune fille aux nombreux soupirants généreux. Elle écrit quelques lettres, et un bref journal au moment du basculement de sa vie.
    • John Seward, médecin aliéniste, directeur d’une clinique spécialisée, dans un genre expérimental très XIXe. Il tient un journal essentiellement phonographié, qui constitue facilement l’autre tiers du récit reconstitué. Il est un soupirant rejeté de Lucy, mais lui fait serment d’amitié.
    • Quincey Morris, jeune et riche américain, ami de chasse de Seward, qui se déclare à Lucy le même jour. Il n’écrit rien, et ne dispose, malgré ses qualités et sa fermeté de caractère admirables, d’à peu près aucune psychologie.
    • Arthur Holmwood (Lord Godalming à la mort de son père), également ami des deux autres, est le troisième soupirant, déclaré le même jour, et celui qui est aimé de Lucy. A part quelques télégrammes, il n’écrit rien non plus.
  • Abraham Van Helsing [sic], éminent professeur spécialiste du cerveau et des pathologies mentales, dont la vie a été sauvée par Seward ; celui qui mène les opérations et ouvre la porte à l’explication vampiresque. Il n’écrit guère qu’un memorandum pour suppléer au journal de Mina souffrante, vers la fin de l’histoire – en réalité, il s’agit pour le romancier de mettre en scène la transformation de la femme blessée par l’être surnaturel, et l’effroi mêlé de pitié et d’amitié qu’elle suscite.


Tous les personnages sont indéfectiblement soudés, au delà même de la vraisemblance psychologique, contre le comte prédateur. Les trois prétendants sont d’une constance et d’un désintéressement qui passe l’entendement, ou plutôt qui excède la nature humaine en dehors des romans.


Une illustration très conforme à la topographie du château comtal transylvain.


Trois étapes essentielles dans le cours de l’intrigue.

  1. Le séjour du clerc Harker chez Dracula, où il s’aperçoit qu’il est retenu prisonnier et destiné à être dévoré tout cru. Le récit s’arrête au moment où il envisage le suicide pour ne pas être la proie des monstres (et on le croit perdu pendant des pages et des pages où l’on parle d’autres choses). On ne saura pas, par la suite, comment il a pu s’échapper alors qu’on en a vu toute l’impossibilité pendant cent pages, et c’est un trou très regrettable dans le texte.
  2. Le calvaire de Lucy. La proie de Dracula venue s’installer en Angleterre, elle s’affaiblit et malgré les transfusions de ses soupirants éconduits et jusqu’au professeur Helsing, finit par mourir de faiblesse.
    • Un autre épisode suit, mais plutôt bref, si bien qu’on peut l’adjoindre au précédent : le stratagème pour libérer l’âme de Lucy de ses nouvelles attributions vampirisantes. C’est le moment de bascule dans l’intrigue : une rupture fondamentale s’est faite du fait que trois amoureux, une amie, plus un professeur impuissant, sont désormais en contentieux mortel avec le comte.
  3. La chasse à Dracula. Elle n’occupe que le dernier tiers de l’oeuvre et se déroule assez rapidement (ce qui est plus confortable pour le lecteur que le grand tiers consacré à l’agonie saccadée de Lucy). Le comte se venge de ces velléités en contaminant Mina, l’autre femme du groupe, ce qui contraint le groupe non seulement à le chasser d’Angleterre, mais à le poursuivre par-delà les mers pour rendre son âme à la pauvre femme. C’est le second point de rupture : d’une volonté de vengeance, on passe à une nécessité impérieuse de salvation, qui condamne en réalité le comte, puisque ses ennemis n’ont plus comme solution que la mort de sa non-mort.


Certains se sont amusés à comparer l’évolution de ces situations à une progression psychanalytique : traumatisme et refoulement (le mystères découverts du château et la fuite), apogée de la névrose (« maladie » de Lucy, qui est plus vulnérable car déjà somnambule), première période de l’analyse jusqu’au début de la névrose de transfert (explication du décès et poursuite de Dracula), enfin poursuite de l’analyse jusqu’à liquidation du transfert (déductions, retrouvailles avec le vampire et fin de sa carrière criminelle).
Sans que ce puisse être attribué aux intentions de Stoker, il y a effectivement une évolution de ce type dans la dynamique du récit : choc initial, conséquences impuissantes et inexpliquées (interminable agonie de Lucy avec de fausses joies), puis renversement de l’attitude, active et non plus passive. Mais ce n’est pas propre à la psychanalyse, c’est aussi une structure dramatique efficace : Don Giovanni, à la fin du premier acte, de prédateur devient prédaté, et ne fait plus que fuir devant ses anciennes victimes révoltées.

Ce n’est pas tout à fait par hasard que l’on prend Don Giovanni en exemple, il existe quelque lien entre les deux figures, on y reviendra.

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3. Type romanesque

Le principe de faire de l’épouvante, du néogothique ou du merveilleux horrifique, comme on voudra, avec la mise à distance qu’implique le changement régulier de narrateur (selon celui qui rédige la lettre ou le journal intime), laissait entendre un projet un peu plus ambitieux et m’a donc décidé à la lecture.

Suite de la notule.

dimanche 12 juillet 2009

A bon port

Quelqu'un est arrivé ici il y a quelques heures en cherchant [cd opera oedipe a cologne].

C'est un gros détour qui passe par CSS-les-termes.

vendredi 10 juillet 2009

Carmen révélée - IV - ... à l'opéra de Bizet (c, la cousine d'Alcalá)


Rappels :


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Acte II, scène 4 (suite)
La conversation des contrebandiers vient sur José.


Carmen de Bizet ; Acte II, scène 4.
A Milan en 1955, Herbert von Karajan retient, en coupant comme il est de coutume dans les dialogues (hélas) - néanmoins raisonnablement -, la leçon d'« Alcalá » pour la chanson hors scène et a cappella du dragon.
A l'époque où la tradition de la langue originale commence à peine à émerger, à commencer avec des chefs rigoureux comme Karajan (traité de cinglé par Toscanini pour avoir joué Pelléas et Mélisande à Turin en français), on peut à bon droit louer la qualité, la définition et la clarté de la prononciation de Giulietta Simionato et de Giuseppe Di Stefano, pourtant rompus à de tout autres exercices, et guère formés pour cela à l'origine.
Version très vivante et savoureuse (avec Michel Roux en Escamillo-Lucas). Disponible pour trois francs six sous chez Walhall.


CARMEN.
Partez sans moi… j'irai vous rejoindre demain… mais, pour ce soir, je reste…

Suite de la notule.

jeudi 9 juillet 2009

Nouvelles catégories

Tout n'a pas exhaustivement été reporté à l'intérieur, mais les voici :

mardi 7 juillet 2009

Francesco Bartolomeo CONTI - Don Quichotte de la Manche dans la Sierra Morena - René Jacobs

Suite à la production impromptue d'une courte note sur le sujet, on en propose une version un peu étoffée pour CSS.


Un autre Florentin.

Florence 1681 - Vienne 1732.

On connaît essentiellement de Conti son Don Chisciotte della Mancia in Sierra Morena (« Don Quichotte de la Manche dans la Sierra Morena »), créé à la cour de Vienne en 1719. C'est un opéra seria un peu particulier, puisqu'il comporte quasiment des finals en fin d'acte, une suite de "numéros" [1] et d'ensembles en particulier, ou au minimum un "numéro" libre et développé, à la manière de l'opéra classique, tel qu'on le connaît par exemple chez Martin y Soler ou dans les Da Ponte de Mozart. (Donc passablement moderne !)

L'argument est tiré de l'épisode de la traversée (puis de la retraite, au sens religieux du terme) de la montagne espagnole par Don Quichotte. C'est un épisode célèbre du premier livre de ses aventures, qui comprend les fameuses Folies de Cardenio mises en musique par Lalande, et qui raconte dans un récit inséré l'histoire de Dorothée. C'est là où Don Quichotte, qui se prépare à mourir d'inanition exposé au soleil en songeant à Dulcinée, est ramené chez lui sous prétexte de remettre la fantasmagorique Micomicona sur son trône.

C'est une oeuvre intéressante à plusieurs titres.


Le duetto final de l'acte I, quasiment un final tout court. Dans le récitatif, Sancho (Christophoros Stamboglis) oppose à toutes les raisons séductrices de Maritorne (Maria Cristina Kiehr) le leitmotiv du muletier qui peut revenir le rosser... et l'obsession du gouvernement d'île qu'on lui a promis, et qui est également utilisée par Boismortier et Massenet dans leurs opéras quichottesques respectifs.
Bois rigolards, castagnettes, coups de talon à la façon du flamenco, continuo déchaîné... A Innsbruck, René Jacobs et l'Academie für Alte Musik Berlin violemment inspirés. L'orchestration, si elle est d'origine, évoque également les derniers feux du seria, avec tous ces bois en particulier - soit quelque chose comme soixante ans d'avance !


Lire la suite.

Notes

[1] C'est-à-dire une partie chantée valorisée et close, un air ou un duo par exemple.

Suite de la notule.

lundi 6 juillet 2009

Vers une victoire décisive

Pour geeks surtout, mais c'est amusant (et on donne les définitions).

La fin des LOLcats est-elle proche ?

Suite de la notule.

dimanche 5 juillet 2009

Raccommodage


On sait qu'on affectionne les jeux de réécriture et leurs divers enjeux sur CSS. Pour une fois, ce sera un autre type de manipulation que celle propre à l'opéra. Il s'agit d'une traduction-adaptation d'une oeuvre faible (sinon ce ne serait pas drôle) par un auteur fort - ce qui ne laisse pas de produire quelque chose de bizarre.


Le deuxième mouvement du Quintette pour piano et cordes Op.80 de Charles Koechlin, d'une modernité assez saisissante (1920-1) - « la plus marquante, peut-être, de mes oeuvres ». Sans nul doute le cas, même s'il faut connaître absolument sa Sonate pour violon et piano Op.64 (1915-6), son cycle pianistique (plus tard orchestré) Les Heures persanes Op.65 (1913-9) et son dernier cycle de mélodies, les Sept Chansons pour Gladys Op.151 (1935).
On l'a choisi en raison de son mystère et de ses éclats, même si sa profondeur vertigineuse outrepasse assez violemment l'envergure de l'oeuvre littéraire dont on va parler. Mais cela peut s'écouter, malgré tout, comme une musique de fantômes. Ou bien rehausser avantageusement la lecture, à chacun de voir.


On l'a déjà précisé récemment, le Moine de Lewis n'est pas précisément un chef-d'oeuvre de finition stylistique. Quelques grosses pailles se voient dans le lot, comme dans l'orchestre secondaire mal préparé à affronter une oeuvre furieusement (ou modérément) exotique. C'est pour cela qu'Antonin Artaud, tout en concisionnant, a touchaillonné abondamment à l'agencement des phrases et aux détails laissés saillants.

On reprend ainsi l'extrait rigolard de King-Kong contre Godzilla précédemment indiqué, dans la traduction de Wailly, proche du texte.

Suite de la notule.

samedi 4 juillet 2009

La vie en un seul schéma

En revanche, je ne prétends pas que tous les conseils soient bons à suivre :

Suite de la notule.

La dictature dans votre fauteuil

http://chinachannel.hk/

Pour les utilisateurs de Firefox, ce petit utilitaire permet d'accéder à un serveur proxy situé en Chine. Il permet de ne voir que le web perceptible depuis la Chine, c'est-à-dire d'être confronté à toutes les limitations informatives qui y sévissent. Le grand frisson près de chez vous pour pas cher.
Et en plus, c'est de l'information empirique vraiment intéressante.

vendredi 3 juillet 2009

Comprendre Lang Lang

Beaucoup de choses en préparation, et une notule un peu vaste qu'on souhaitait laisser lire paisiblement aux lecteurs de CSS.
Aussi, pour ce soir, ce sera amusette au programme.

Pianiste qui fut très mal accueilli par la critique lors de son intrusion dans les plus grandes salles d'Europe, par ailleurs (inexplicablement) protégé par Barenboim. On a soupçonné Deutsche Grammophon, peut-être pas sans fondement, de compter sur le marché national chinois pour y vendre cette fierté locale, quitte à dépiter un peu le public euro-américain, qui n'aura qu'à se ruer sur le dernier disque aventureux de l'intrépide Maria João Pires, qui désormais a non seulement Mozart et Chopin à son répertoire, mais jusqu'à Beethoven.
Ou, pour les plus chics, investir dans le fonds Pollini.

Devant le déferlement de haine qu'il suscita chez les critiques-juges, il avait tout pour inspirer la sympathie et l'indulgence ; et force est d'avouer qu'en dépit de la meilleure volonté du monde, il est difficile de trouver une demi-once de musicalité dans cet implacable abattage de touches par ces effrayants doigts-maillets et cette imagination peu poétique.

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Cette vidéo est très éclairante sur le fonctionnement de Lang Lang.

Suite de la notule.

jeudi 2 juillet 2009

Le moine juif volant


Mise à jour : cette notule comporte de nombreuses citations et de nombreux extraits musicaux.


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1. Un extrait

Il cita des gens qui avaient cessé d’exister depuis plusieurs siècles, et qu’il paraissait avoir connus personnellement. Je ne pouvais pas nommer un pays si éloigné qu’il ne l’eût visité, et je ne me lassais pas d’admirer l’étendue et la variété de son instruction. Je lui fis la remarque qu’il devait avoir eu un plaisir infini à tant voyager. Il secoua tristement la tête.

— Personne, répondit-il, n’est à même de connaître la misère de mon lot ! Le destin m’oblige d’être constamment en mouvement ; il ne m’est pas permis de passer plus de deux semaines dans le même endroit. Je n’ai pas d’amis dans le monde, et cet état d’agitation perpétuelle m’empêche d’en avoir. Je voudrais bien déposer le fardeau de ma déplorable existence, car j’envie ceux qui jouissent du repos de la tombe ; mais la mort m’échappe et fuit mes embrassements. En vain, je me jette au-devant du danger : je plonge dans l’océan, et les vagues me rejettent avec horreur sur le rivage ; je m’élance dans le feu, et les flammes reculent à mon approche ; je m’expose à la fureur des brigands, et leurs armes s’émoussent et se brisent sur mon sein ; le tigre affamé tremble à ma vue, et l’alligator s’enfuit devant un monstre plus affreux que lui. Dieu m’a scellé de son sceau, et toutes ses créatures respectent cette marque fatale. Je suis condamné à inspirer la terreur et l’aversion à tous ceux qui me voient ; déjà vous sentez l’influence du charme, et d’instants en instants vous la sentirez davantage.

Non, ce n'est pas une version romancée du Fliegende Holländer de Wagner.

Pourtant, la proximité est grande. Jugez-en vous-même avec cette version bilingue.

Cet extrait est tiré

Suite de la notule.

Vittoria !

Tandis qu'on poursuit les recensions du concours de Strasbourg à côté, on constate avec jubilation que nous avons réussi dans notre propagande insidieuse, qui a gagné les coeurs et les esprits.

Suite de la notule.

mercredi 1 juillet 2009

Troisième Concours International d'Art Lyrique de Strasbourg

Le Troisième Concours International de Strasbourg propose, d'une façon intéressante, un échantillon de grande qualité de deux écoles de chant, l'une de type slave oriental, l'autre extrême-orientale.

On avait déjà signalé l'adresse où l'on peut visionner la finale dudit concours.

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On va à présent se plonger un peu dans les forces en présence. Tout d'abord, le répertoire abordé - lorsqu'on part du principe qu'il doit s'agir d'un air d'opéra, et pas trop rare - est assez varié, ce qui est une bonne surprise. L'épreuve finale, il faut dire, oblige à chanter dans deux langues différentes, ce qui, on le sait, permet bien des révélations.

Puisqu'il s'agit d'un concours, on va présenter, en essayant de progresser vers ce qui nous paraît le plus prometteur, les différents candidats plutôt qu'essayer de faire une synthèse typée par aire culturelle, par exemple - ce qui pourrait se justifier, mais en perdant l'individualité de chaque interprète. Or, les concours étant conçus pour révéler autant que possible de jeunes chanteurs intéressants...

Comme le travail serait un peu fastidieux en une fois, on le propose sur Diaire sur sol. On le complètera en principe au fil des prochains heures et jours.

Déjà dépassé

Découvert par hasard :

http://operachannel.twww.tv/

Un concept très sympathique, mais avec l'explosion des sites à la demande gratuits, un programme imposé à heure fixe ne fera, nécessairement, pas l'unanimité - d'autant que beaucoup doit se retrouver à volonté sur lesdits sites de partage.

Par ailleurs, en ce moment, une mise en scène d'Aida qui tient sur 2m², ce n'est pas forcément enivrant pour tout le monde.

David Le Marrec

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