jeudi 20 août 2009
Découvrir le lied : essai de discographie réduite et essentielle
(Remarques pratiques : Si le texte vous paraît trop petit, vous pouvez utiliser sous Windows la commande "Ctrl" + "+". Ou bien le zoom de votre butineur préféré. Par ailleurs, cet article se trouve également ici pour que vous puissiez, si cela vous paraît plus pratique, le télécharger sur votre disque dur pour consultation ultérieure... ou impression pour faire les courses ! Il apparaît en pleine page, beaucoup plus agréable à lire.)
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Pour
prolonger notre série
d'initiation au lied, on tente ici un essai de discographie
très sélective,
équilibrée autant que possible entre les
époques, différents types de voix et
d'interprétation, et tâchant de recouvrir aussi
bien les incontournables
célébrités du répertoire
que les raretés souvent encore plus passionnantes.
Avec ces quelques disques, on peut estimer bien connaître
l'essentiel du lied
et bon
nombre de ses meilleurs interprètes, chanteurs et
pianistes.
On a fait le calcul : si vous utilisez notre guide au plus serré, vous disposez de l'essentiel en 23 disques !
Quelques remarques formelles :
1) On a séparé les oeuvres que tout amateur de
lied doit connaître de celles
que nous estimons incontournables, mais qui ne sont pas
forcément très connues
(voire extrêmement peu, comme les lieder de Reger et Holl ou
le cycle
de Gurlitt...).
2) Le
fond jaune indique qu'il s'agit d'un cycle de lieder avec
orchestre (ou
d'une interprétation avec orchestre). Cela n'a rien
à voir avec une quelconque
mise en valeur : souvent, les cycles orchestraux de lieder sont
quasiment plus
des poèmes symphoniques avec voix, plus musicaux que
réellement une mise en
musique d'un texte révéré.
3) On a essayé de diversifier les
interprètes recommandés pour couvrir un
spectre d'interprétations à la fois
irréprochable et varié.
4) On adopte l'ordre chronologique d'exercice des compositeurs. (Entre
parenthèses figurent les poètes et les labels.)
5) Lorsqu'on propose le choix entre plusieurs
interprétations assez différentes
et difficiles à départager, on essaie de placer
la référence qui nous
paraît la plus recommandable en premier.
Poèmes et traductions :
Dans le cas où il manquerait les textes (indispensables pour
apprécier
pleinement le genre), pas de panique, il faut consulter le site
formidable
d'Emily Ezust qui en contient énormément de
traduits. Et s'ils y figurent non
traduits, Google Traduction dégrossit un peu l'affaire. On
essaie de préciser
tout cela, mais nous n'avons pas tous ces disques sous la main
à l'instant où
nous rédigeons ces lignes...
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Compositeur |
Oeuvre |
Version |
Commentaires |
Indispensables célèbres |
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Première période : romantisme |
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Schubert |
Die Winterreise « Le Voyage
d’Hiver » (Müller) |
Fischer-Dieskau /
Moore Prades 1955 (INA) |
- Cycle fondamental, une marche
dans et vers l'anéantissement. |
Schubert |
Intégrale |
G. Johnson (Hyperion) |
Une somme immense, à pricorer au gré des volumes disponibles séparément à la vente (l'intégrale existe d'un seul tenant, mais présentée de façon moins pratique - en mélangeant les interprètes et les sujets au profit de la chronologie - et surtout en ôtant les commentaires musicologiques et littéraires remarquables des notices de Graham Johnson). Traductions anglaises des textes allemands. |
Schubert |
Lieder (épiques et antiques) |
Rolfe-Johnson / Johnson (Hyperion) |
|
Schubert |
Lieder (nocturnes) |
Hampson / Johnson (Hyperion) |
|
Schumann |
Liederkreis Op.39 « Cycle de lieder » (Eichendorff) |
Goerne / Schneider (Decca) |
- Une sorte d'idéal
romantique, sur des poèmes parmi les plus beaux de langue
allemande, avec des teintes crépusculaires et
mélancoliques, jubilatoires parfois aussi... |
Schumann |
Dichterliebe Op.48 « L’amour du poète » (Heine) |
Fassbaender / Reiman (EMI) |
|
ou Gerhaher / Huber (RCA) |
|||
ou libre de droits disponible sur
CSS : Souzay / Cortot |
|||
Deuxième période : romantisme tardif | |||
Wagner |
Wesendonck-Lieder « Lieder sur des poèmes de Mathide Wesendonck » |
Minton
/ Boulez (Sony) |
- Cycle de lieder sur les
poèmes de la maîtresse de Wagner,
épouse de son mécène d'alors. Ce sont
largement des esquisses de Tristan und Isolde,
également inspiré par leur relation. Le dernier
lied a été orchestré seulement pour
une sérénade d'orchestre de chambre sous les
fenêtres de Mathilde, à l'occasion de son
anniversaire. Les autres orchestrations (pas bien meilleures...) sont
dues à Felix Mottl (l'assistant de Hans Richter pour la
création du Ring). Cependant, l'oeuvre
sonne mieux avec orchestre - au piano, on entend des silences et des
redondances, un déséquilibre voix-piano aussi. |
Brahms |
Volkslieder |
S. Genz / Vignoles (Apex) |
Parmi les oeuvres très homogènes de Brahms (entre elles, et même à l'intérieur de chaque pièce), c'est là sans doute le corpus le plus avenant. Version très bien dite et chantée. |
Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents ou raffinés) |
|||
Wolf |
Lieder |
Bär / Parsons (EMI) |
- Les lieder les plus
célèbres de Wolf,
interprétés par une voix très claire
(qui tient depuis des emplois parfois voisins du baryton dramatique,
voire du baryton-basse !), très raffinée,
idéal équilibre entre la simplicité et
la sophistication. C'est précisément cette
simultanéité bizarre qui est le propre de Wolf. |
Wolf |
Spanisches Liederbuch « Livre de lieder espagnol » (Heyse &
von Geibel) |
von Otter / Bär / Parsons
(EMI) |
- Deux heures de lied sous sa forme
populaire et joyeuse, mais toujours très
travaillée chez Wolf. Sans doute le plus accessible de son
corpus. |
Mahler |
Des Knaben
Wunderhorn « Le Cor merveilleux de l’enfant » (Arnim &
Brentano) |
Bonney, Goerne
(Fulgoni, Winbergh) / Chailly (Decca) |
- Des Knaben Wunderhorn,
fondé sur le recueil de poèmes populaires d'Arnim
& Brentano, est aussi un recueil de chants au ton badin ou
insolent, écrits et orchestrés brillamment par
Mahler. |
Mahler |
Trois cycles : « Chants d’un compagnon errant » (Mahler) - Rückert-Lieder « Lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert » (Rückert) « Chants sur les enfants
morts » (Rückert) |
Hampson / Bernstein (DG, existe également en
DVD) |
- Trois
éléments indispensables de l'histoire du lied
orchestral, conçu comme tel dès l'origine,
même si Mahler est passé par une particelle (=
version piano non destinée à publication), alors
que la plupart des exemples précédents sont des
orchestrations a posteriori, une fois la
carrière des partitions faite en piano / voix. - Il y a de surcroît quantité d'anecdotes attachées à leur composition dans la vie personnelle de Mahler, ce qui contribue d'autant plus à leur célébrité. - Interprétation extrêmement incarnée, difficile de trouver beaucoup mieux. - Moins cher, Henschel / Nagano, assez dans le même genre et avec le même programme, a paru chez Apex. Les petites budgets peuvent y aller voir aussi (sans attendre les textes qui sont chez DG...). On peut aussi citer, dans des cycles dépareillés, Siegfried Lorenz, Waltraud Meier, Dietrich Fischer-Dieskau, Brigitte Fassbaender, etc. Mais on préfère s'en tenir au plus petit nombre de disques possible, pour constituer cette discothèque 'essentielle'. |
Mahler | Das Lied von der Erde "Le Chant de la Terre" (Poètes chinois massacrés) |
Thorborg
/ Öhman (parfois graphié Öhmann) /
Schuricht (domaine public, disponible sur CSS) |
-
Mahler rechignait à écrire une dixième
symphonie,
du fait de l'image de la malédiction qui pesait dessus
depuis
Beethoven et Schubert ; aussi, après sa Huitième,
il
imagine de présenter autrement sa prochaine grande fresque
chantée, sous le titre de Lied,
alors qu'il s'agit bien dans son esprit d'une symphonie - c'est au
demeurant amplement autant une symphonie que la Huitième
(pas
moins en tout cas...). Il utilise l'adaptation allemande de poèmes chinois assez méconnaissables, pour certains à partir d'une traduction française... avec de surcroît des ajouts de sa propre fantaisie ici et là. - La version Schuricht dispose d'une atmosphère extraordinaire, et le son est tout à fait bon pour l'époque (à part pour l'incident fameux de l'exaltée néerlandaise probablement nazifiante qui vient prononcer un petit slogan près du micro avant de sortir : on l'entend à peine, ce n'est absolument pas une gêne à l'écoute). Pour les oreilles sensibles ou les âmes délicates, Klemperer, dans un tout autre genre, plus charnu mais sans sa lourdeur coutumière, est un enchantement. |
[pour
ceux qui n'aiment pas les versions anciennes : Ludwig / Wunderlich / Klemperer (EMI)] |
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R. Strauss | Vier
Letzte Lieder « Quatre derniers lieder » (3 Hesse et 1 Eichendorff) |
Te Kanawa / Soli (Decca) | - Dans le versant ultralyrique et assez
sirupeux du Chevalier
à la Rose et d'Arabella,
le grand classique du lied orchestral. D'une beauté hors du
commun, il faut bien le reconnaître. - Parmi les pléthoriques excellentes versions (Grümmer / R. Kraus, Stemme / Pappano, Janowitz / Karajan, Norman / Masur, Popp / Tennstedt, Della Casa / Böhm, Mattila / Abbado, Fleming / Thielemann, Pollet / Weise, etc.), on a choisi celle-ci comme le meilleur équilibre entre la diction (secondaire mais appréciable), l'expression, la ductilité - et la présence de l'orchestre. De surcroît, le couplage avec d'autres lieder orchestrés de Strauss (nettement moins essentiels) correspondait mieux à notre projet que les autres couplages. Mais chacun peut aller voir ses chouchous et ne manquera pas de le faire s'il en a. |
Berg | Sieben
Frühe Lieder « Sept lieder de jeunesse » (divers poètes) |
von Otter / Forsberg (DG) (version piano) |
- Les Frühe
Lieder
sont encore dans un ton très décadent
à la
façon de Schreker ou du jeune Webern, tarabiscoté
mais
tout à fait dans une logique tonale. On
préfère
recommander la version piano, pour mieux goûter les
délicieuses alternances tension-détente de
l'harmonie, et
tout l'intimisme sophistiqué de leur ton, mais ils ont
été orchestrés par Berg vingt ans plus
tard
(très belle chose également). - Les Altenberg-Lieder, eux, sont déjà du côté des recherches d'avant-garde de Berg, et appartiennent vraiment au coeur du vingtième siècle (les strates alla Schreker se font de plus en plus libres et inquiétantes). Le texte chanté est très bref, et l'orchestre tient la première place (souvent l'introduction, les ponctuations et la conclusion sont plus longues cumulées que la partie chantée...). Le travail orchestral tient véritablement de l'orfèvrerie, mais l'on n'est finalement plus dans le lied. [C'est d'ailleurs une constante : après Wolf, le texte, même s'il est très soigneusement choisi, devient de plus en plus prétexte à une expression essentiellement musicale. C'est aussi lié aux langages musicaux de plus en plus libres qui s'accommodent mal des inflexions naturelles de la voix parlée. Et à la prédominance au fil du temps du lied orchestral - un contresens d'une certaine façon par rapport à la nature initiale du lied.] - On a choisi deux versions superlatives, mais qui ont le défaut d'être séparées, pour deux cycles assez court. Il est donc possible, pour économiser, d'acquérir en un seul volume Banse (Frühe) / Marc (Altenberg) / Sinopoli (Teldec, avant que ce soit épuisé...), avec une direction extraordinairement précise et intense de Sinopoli, mais Marc vraiment en difficulté vocalement (ça criaille, même si ce n'est pas grave ici - mais on est loin de la magie de Price) ou Balleys / Ashkenazy (Decca), très détaillé, assez sombre et un peu froid (mais peut-être plus préférable car plus équilibré). Tout cela est excellent et, pour le coup, ce sont les versions orchestrales des Frühe Lieder, moins essentielles, on l'a dit, mais c'est une économie possible. |
Berg | Altenberg-Lieder « Lieder sur des poèmes de Peter Altenberg » |
M. Price / Abbado (DG) | |
Quatrième période : modernités et contemporanéité | |||
Cycles contemporains | Il existe bien sûr des cycles intéressants plus récents (en particulier Rihm), mais ils nous paraissent moins essentiels, aussi bien du point de vue de la célébrité que de leur intérêt intrinsèque. Il faudrait plutôt aller chercher du côté de la mélodie française symphonique : Poèmes pour mi de Messiaen, La Geôle & Deux Sonnets de Jean Cassou de Dutilleux, Pli selon pli (voire Le Soleil des eaux) de Boulez pour rencontrer des choses vraiment indispensables. Et qui, esthétiquement, doivent bien plus au lied que de la mélodie française. | ||
Au moins aussi
indispensables, mais moins connus et commentés (donc moins utiles pour nourrir la conversation, et peut-être moins urgents pour le néophyte qui voudrait pouvoir échanger) |
|||
Première période : romantisme | |||
Wieck-Schumann | Lieder | Högman / Pöntinen (BIS) | - Entre Schubert et Schumann, et
certainement pas inférieure, inspiration et
poésie au sommet. -
Version superlative pour l'investissement des deux partenaires, la
poésie et l'évidence du tout :
peut-être le plus
beau disque de lied du marché. Couplé avec
d'autres
indispensables de Fanny Mendelssohn-Hensel et Alma Schindler-Mahler,
donc très économique. - Pour aller plus loin : intégrale Gritton / Loges / Asti (Hyperion) ou Craxton / Djeddikar (Naxos). |
Deuxième période : romantisme tardif | |||
On pourrait sans doute parler des lieder de Liszt, mais faute de disques vraiment monographiques (il n'y en a presque pas !), et surtout faute que le corpus soit totalement majeur (même s'il est passionnant !)... on s'abstiendra, en le mentionnant simplement pour mémoire. | |||
Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents et raffinés) | |||
Reger | Duos
Op.14 (divers poètes dont Eichendorff) |
Klepper / M. Borst / Deutsch (Capriccio) | - Attention, cela dure à peine
un quart d'heure, mais
c'est un sommet de délicatesse, le cycle de duos
à
connaître dans le répertoire du lied. - Version remarquable avec pianiste remarquable. Couplé avec d'autres duos (intéressants) dans le domaine du lied également. |
Reger | Lieder | May / Renzikowski (Arte Nova) | - Ce disque parcourt l'ensemble de la
production de Reger, de
puis la jeunesse jusqu'à la maturité, et
révèle un raffinement décadent dont on
n'imaginerait pas capable l'auteur des poèmes symphoniques
rondement et tristounettement postromantiques. Un corpus majeur, tout
un monde ; dans le même goût que Wolf si l'on veut,
mais
infiniment plus travaillé et personnel. - Excellente interprétation, sobre mais habitée. |
Schindler-Mahler | Lieder (dont Novalis et Dehmel) |
Högman / Pöntinen (BIS) | - Un corpus vertigineux, dont on ne
connaît
malheureusement que très peu de titres, ceux
publiés par
Alma de son vivant (on se rappelle que son mari lui avait
défendu la composition). C'est véritablement
l'une des
fulgurances les plus étonnantes de l'histoire de la musique,
en
pointe de la modernité et de l'invention chez les
décadents, bien plus moderne (et, disons-le, plus
génial)
que Mahler dans les mêmes années, par exemple. A
connaître absolument, quasiment tous ceux qui l'ont
découvert ont été conquis... - Disque superlatif décrit plus haut (Clara Wieck-Schumann) et qui contient aussi du Fanny Mendelssohn-Hensel, donc un véritable achat économique et forcément enthousiasmant. - Pour aller plus loin : intégrale (de ce qui était alors publié) Ziesak / Vermillion / Elsner / Garben chez CPO. |
Langgaard | Lieder | Dahl / Stærk (Da Capo) | - Un corpus étrange, avec une
sorte d'hypertophie du
discours, quelque chose d'assez véhément et
épique, dans un langage qui reste relativement
postromantique.
Assez insolite, cette manière de traiter la petite forme
avec
les moyens de la grande, y compris sur la durée assez
étendue des pièces. - Belle interprétation pour pas cher (la seule au disque). |
Webern | Intégrale | Oelze / Schneider (DG) | - Dans le coffret de la seconde intégrale Boulez de Webern, la véritable intégrale qui contient (à peu près) tout en deçà des numéros d'opus, on trouve cette intégrale des lieder, par un couple de rêve (ductilité et naturel... surnaturels d'Oelze dans cette musique si difficile, et rondeur très assurée chez Schneider). Les premières oeuvres sont les plus intéressantes, de la tonalité stricte des Frühe Lieder à l'atonalisme libre des autres premiers cycles. Le sens de l'atmosphère de Webern, sans s'attacher plus que cela au mot en tant qu'unité, est proprement exceptionnel. Peut-être l'ensemble le plus émouvant, le plus prenant depuis Schubert... Rien de sombre dans ces premières pièces, juste une sorte de lassitude chaleureuse, comme accablée sous un été gorgé de soleil. A connaître absolument. |
Gurlitt | Vier dramatische Gesänge « Quatre chants dramatiques » (Hardt, Goethe, Gerhart Hauptmann) |
Oelze / Beaumont (Phoenix) | -
Ici aussi, peut-être l'exemple le plus réussi
de lieder orchestraux, car le texte est au coeur du traitement de
Gurlitt, qui choisi quatre extraits fondamentaux du
théâtre allemand pour en faire un traitement
relativement
récitatif, mais toujours lyrique. - Oelze participe bien entendu largement à la réussite de l'entreprise par la justesse de son ton mélancolique mais détaillé. (On se souvient qu'Antony Beaumont avait écrit une fin alternative à celle de Philipp Jarnach pour le Doktor Faust de Busoni...) |
Schreker | Vom ewigen Leben « De la vie éternelle » (sur traduction allemande de Whitman) |
Barainsky / Ruzicka (Koch) | -
Dans le versant purement instrumental du lied avec orchestre, un
complément très bienvenu au Vier Letzte Lieder,
bien plus sinueux et sophistiqué, moins direct aussi. Une
orgie
orchestrale du meilleur Schreker. [Il s'agit en
réalité
de l'orchestration de ses deux derniers lieder.] - Peu de versions disponibles (déjà rares) sont satisfaisantes, celle-ci l'est pleinement. |
Korngold | Lieder | Kirchschlager / Deutsch (Sony) | - Beaucoup
de poèmes anglais en VO (y compris du Shakespeare) dans les
deux cycles proposés dans ce disque, mais Korngold
mérite tout de même d'être
mentionné, vu son esthétique, en tant que
compositeur de lied. Extrêmement tonal, se fondant sur la
plénitude des harmonies et des tensions-détentes,
il serait assez à comparer à Mahler sans les
grincements ou à R. Strauss sans le sirop, pour ces
oeuvres-là. (Leur date de composition est
très tardive - années 40, et la conception de ces
cycles a donc eu lieu en Amérique où Korngold
s'installe comme compositeur de film dès 1934.) - Magnifique interprétation, ronde, fruité, très dite, très maîtrisée aussi ; avec un piano présent et inspiré. Il s'agit du premier récital discographique de Kirchschlager - son meilleur au demeurant, et d'une audace programmatique plus que notable, puisque ces Korngold sont couplés avec le premier cycle d'Alma Schindler-Mahler et des extraits de Des Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler en version piano. |
Quatrième période : modernités et contemporanéité | |||
Holl | Lieder | Holl / Jansen (Sonder) | Robert Holl est surtout connu comme
chanteur (encore en activité), mais son inspiration comme
compositeur apparaît bien supérieure à
celle de sa (bonne) qualité d'interprète. C'est
une lecture très noire du lied, extrêmement
tourmentée et qui reste cependant tonale ; cela se rapproche
beaucoup de la couleur de Křenek (en mieux), ou du Berg des
pièces orchestrales Op.6 et des Altenberg. En
réalité, il s'agit d'un héritage
direct de la décadence radicale, et ce n'est pas
véritablement de la musique typée XXIe
siècle que l'on entend là (encore qu'il y ait
aujourd'hui beaucoup de courants postmodernes,
néotonals ou
syncrétiques - majoritaires d'ailleurs sur la stricte
atonalité). Il n'empêche que pour
le coup, on dispose d'un traitement étroit du
texte et non pas de volutes abstraites ou d'une succession d'effets, et par
conséquent, cela marche bien mieux pour le lied. En tout état de cause, il s'agit d'un très bel ensemble. On peut s'en faire une idée sonore sur son site personnel (les CDs ne sont de toute façon pas faciles à trouver dans le commerce) ; et pour en savoir plus... on peut lire CSS. Ceci, par exemple. |
Jalons historiques (Pour comprendre les origines du lied, mais pas majeur du tout. On s'est limité aux très célèbres, mais C.P.E. Bach, Zelter et Loewe peuvent permettre de comprendre également des choses.) |
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Mozart | Intégrale | Ameling (Philips) | - Des miniatures très
naïves, vraiment sous forme de romances. On se trouve vraiment
au moment où la chanson populaire fusionne avec la bluette
de salon (ou plutôt juste avant, puisqu'on est encore dans
quelque chose de galant). - Très belle interprétation souple et gracieuse d'Ameling, mais la version de l'intégrale Brilliant Classics (avec Claron McFadden pour moitié), de surcroît pour partie avec pianoforte (ce qui devrait procurer un brin plus de relief) devait tout à fait faire l'affaire, inutile de se mettre en dépense. |
Beethoven | An
die ferne Geliebte (Jeitteles) |
Goerne / Brendel (Decca) | - La première oeuvre
expérimentale du lied : le ton est très simple,
sans affèteries, mais il s'agit d'un cycle continu
où chaque lied s'enchaîne directement aux autres
(la partition ne marque d'ailleurs aucune discontinuité),
comme un tout. De surcroît, le travail malicieux (mais pas
drôle non plus, entendons-nous bien, c'est Beethoven),
presque expérimental, sur le matériau musical, le
retour de thèmes, la manière de variations sur
les motifs déjà énoncés,
l'unité générale, tout cela fait
véritablement de la chanson légère une
oeuvre à part entière, destinée
à ceux qui sont capable de l'apprécier - et non
plus l'importation de thématiques populaires, même
s'il en est encore question. L'oeuvre en elle-même n'est pas d'une beauté bouleversante, mais sa modernité presque insolente est vraiment impressionnante - et fondamentale pour la suite. - On propose une excellente version, profonde et intériorisée, couplée qui plus est au Schwanengesang de Schubert, autre morceau majeur du répertoire - une économie de plus ! |
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Mais... à part l'allemand ?
On a délibérément écarté les autres langues germaniques, scandinaves et nordiques du corpus, pour des raisons de vastitude de l'entreprise, de documentation disponible moindre... et surtout de nature. Le ton des mélodies nordiques est extrêmement différent du lied ; on parle d'ailleurs de mélodies scandinaves... Et à juste titre, car il s'agit plus de miniatures rondes et un peu populaires. On pourrait presque parler de chansons (en conservant la mélodie pour le salon poétique à la française).
Pour ceux qui sont intéressés, on peut déjà indiquer quelques pistes, comme Toivo Kuula pour la part finnoise et la remarquable anthologie Aulin / Rangström / Nystroem / Alfvén / Larsson (et accessoirement Alqvist / Frumerie / Linde) d'Anne Sofie von Otter et Bengt Forsberg, extrêmement représentative de la meilleure école suédoise (récital « Watercolours » chez DG). Grieg et Sibelius nous paraissent moins urgents.
Il manque bien entendu, au sein même des compositeurs de langue allemande, un nombre important de corpus, mais nous les détaillerons plus volontiers dans un autre tableau en préparation, qui tentera de rassembler tous les excellents enregistrements de lieder de notre connaissance, tous compositeurs confondus, destiné donc à ceux qui connaissent déjà le répertoire, ou qui veulent partir à l'aventure, collectionner, etc.
On a aussi remarqué non sans une indicible horreur, à l'heure de publier ce petit récapitulatif, qu'il nous manquait Erwartung et Pierrot Lunaire de Schönberg. Faute d'avoir été séduits par le premier en quelque circonstance que ce soit, les lutins ne citeront pas de versions pour l'heure, et chercheront. Pour Pierrot Lunaire, la version DeGaetani / Weisberg (Nonesuch) s'impose absolument : les autres versions, trop parlées, trop chantées, trop minaudées, ne nous ont jamais convaincu, alors qu'ici tout prend évidence et poésie.On tâchera de mettre le tableau à jour en conséquence, mais pour l'heure, il se peut que nous n'en ayons pas le loisir.
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La recommandation des lutins ?
Voici à à notre gré, sans considération de célébrité, les corpus les plus intéressants, par ordre chronologique : Schubert / Schumann / Wieck / Reger / Schindler / Gurlitt / Webern / Holl.
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Pour aller plus loin qu'une discographie ?
Un certain nombre de ces oeuvres et la plupart de ces compositeurs ont été abordés sur Carnets sur sol ; on peut y accéder :
- par l'index (pratique, mais encore incomplet) ;
- dans la série d'introduction au lied ;
- dans la catégorie indépendante, consacrée à la mélodie et au lied ;
- en effectuant une recherche dans le petit moteur de la colonne de droite ('Fouiner').
N'hésitez pas, parce qu'il y a très probablement du matériel autour du corpus qui vous intéressera. Et amusez-vous bien.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Découverte du lied a suscité :
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