[podcast] Une tentative d'Histoire de la mélodie française
Par DavidLeMarrec, jeudi 8 octobre 2009 à :: Découverte de la mélodie - Discourir - Pédagogique - Lutin Chamber Orchestra - Mélodie française :: #1376 :: rss
(Télécharger le son.
[Les sons ont aujourd'hui été désactivés, la transcription figure ci-dessous.])
Voici une petite improvisation qui était destinée à être distribuée sous forme de 'podcast', pour faire patienter les lecteurs de CSS durant la vacance du pouvoir lutinal (à la mi-août). Il se trouve que le son très mauvais (c'était juste un test, qui s'est révélé plutôt adéquat sur le contenu, mais le micro était trop mal placé, sous la table de travail près du ventilateur de la machine...) m'a dissuadé de le publier tel quel. En voici donc le réenregistrement ci-dessus et la retranscription ci-après.
J'ai ajouté les titres pour se repérer dans le flux verbal oral, et j'ai retouché une ou deux structures bancales. Je mets à disposition l'original, pour entendre l'improvisation (mais il est presque inaudible d'un point de vue technique), et la nouvelle version, où je lis cette fois les présentes notes.
On remarquera que je m'appuie beaucoup sur le parallèle entre les deux genres. On pourra se reporter aux propos sur l'histoire du lied pour mieux en profiter.
Il faut bien concevoir qu'il s'agit d'un petit parcours informel, sur le mode de la conversation : il y a donc un certain nombre de glissements, voire de digressions ; de répétitions, voire de martèlements, qui à l'oral servent à développer, à illustrer, mais qui fonctionnent nettement moins à l'écrit où l'on préfèrera des choses plus compartimentées et mieux délimitées. On se proposera peut-être de le faire prochainement. Dans l'attente, on pourra toujours suivre quelques-uns des nombreux liens ajoutés à la retranscription ci-après.
Qu'importe, c'est toujours un peu de matière.
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Bonjour à tous !
Vous l'avez sans doute compris, CSS va déménager, ou plutôt les nombreux lutins qui composent sa rédaction.
On vous laisse donc avec un essai de podcast, c'est-à -dire une notule sonore à emporter avec soi... ou à déguster en passant l'aspirateur ou en écoutant la Turangalîla.
1. Réputation de la mélodie française
La mélodie française, donc, a une image de genre salonnard - c'est quelque chose qui revient très souvent dans les appréciations qu'on lire peut sur le sujet ; contrairement au lied, elle n'a pas tout à fait la même origine, et on va voir que cette appréciation n'est pas tout à fait infondée.
2. Parallèle avec le lied
Le lied, lui, provient - son nom allemand signifie romance, chanson - d'une imitation un petit peu ambiguë de la forme populaire. C'est-à -dire que le lied se revendique d'une forme populaire, d'une forme de chanson, ce qu'on trouve dans le lied strophique. C'est-à -dire les lieder qui reprennent pour chaque strophe la même structure musicale, comme pour les chansons ; on en trouve notamment beaucoup chez Schubert, et ensuite cela disparaît assez vite. C'est une forme qui est relativement peu fréquente, parce que dans le même temps, le lied va devenir le laboratoire personnel des compositeurs, l'endroit où le compositeur va essayer de développer ses plus fines intuitions, va se confronter directement, aussi, à la poésie, en cherchant à donner sa propre couleur personnelle, la façon qu'il a de la ressentir. C'est donc un genre extrêmement intime dans lequel on peut faire des expériences. [Et c'est pourquoi la rudimentaire forme strophique ne survit pas à l'autonomisation du lied par rapport au fonds populaire. Comme il n'est pas conçu pour être joué en concert, il peut devenir très personnel.]
2.1. Exemples de recherches dans le lied
Exemples d'expériences : Schubert fait par exemple des lieder très récitatifs ; on a beaucoup parlé de Die Nacht d'après Ossian sur CSS, on a aussi évoqué Lodas Gespenst, et bien sûr les deux version de Der Taucher d'après Schiller ; Jonas Kaufmann ouvrait aussi certains de ses concerts de ces dernières années avec Die Bürgschaft ; ce sont des lieder qui peuvent durer jusqu'à une trentaine de minutes, qui sont des récitatifs (c'est-à -dire une ligne musicale proche de la déclamation, qui épouse l'aspect du texte) extrêmement expressifs, et qui sont en plus chez Schubert très proches du sens, c'est-à -dire que de façon quasiment hystérique, il va souligner chaque nuance. Chaque nuance du texte va être soulignée par une intention musicale, un effet, une texture, une modulation, un changement d'inflexion chantée.
2.2. Conséquences génériques
De ce point de vue-là , ce laboratoire va être en tension avec la revendication d'un genre populaire : c'est un genre qui revendique à la fois sa simplicité et qui en même temps, du point de vue harmonique, d'un point de vue rythmique, du point de vue aussi de la qualité du texte, va être un genre extrêmement retors. Lorsqu'on met Hölderlin en musique, c'est un poète qui est tellement raffiné, qui utilise des tournures qui sont parfois quasiment apparentées à l'argumentation philosophique, alors qu'en réalité il décrit un paysage (je vous renvoie aux commentaires sur Heimkunft I).
3. Justifications de cette image salonnarde de la mélodie française
Alors cette image du lied d'un genre qui se veut populaire entre fortement en contradiction avec l'histoire elle-même de la mélodie française, qui a cette réputation salonnarde qui n'est pas fausse :
- aussi bien dans le ton qu'elle adopte, dans sa couleur, sa façon de traiter la mélodie, dans sa façon de traiter le texte ; plus sinueuse, plus ronde ;
- que dans son histoire elle-même. Puisque dans son histoire, la mélodie française descend directement de la mélodie de salon qui elle-même descend de la mélodie de cour Louis XVI (simple, mais pas populaire comme le prétend le lied). Et on trouve d'ailleurs les premières mélodies françaises - qu'on décrit comme les premières dignes d'intérêt, ce n'est pas extrêmement documenté ni par les partitions, ni par les disques, donc on fait avec ce dont on dispose dans la production discographique et dans les partitions plus ou moins disponibles - mais ça semble relativement vrai, chez Berlioz qui écrit encore des bluettes - il écrit même une mélodie d'après Béranger, il écrit des choses encore assez légères, on a La belle voyageuse, qui est effectivement d'une forme fortement strophique, et une forme proche de la chanson, avec des textes inoffensifs d'une certaine façon. Et la mise en musique est extrêmement agréable, pas vraiment un laboratoire musical.
Berlioz émerge de là et va être le premier, semble-t-il, à proposer des mélodies d'un certain intérêt (inutile de citer Les Nuit d'Eté).
3.1 Exemples de galanteries, inattendues chez certains compositeurs
Et c'est ici que naît la mélodie française, elle naît dans cette forme un peu galante, un peu superficielle, et c'est vrai que certains compositeurs, notamment des compositeurs d'opéras français qui peuvent se distinguer par la beauté de leur invention aussi bien mélodique que dramatique entrent dans ce schéma :
- on a Lalo, dont on a découvert Fiesque récemment à Montpellier ; on a Gounod, Gounod qui écrit des choses assez intéressantes dans Mireille, on a tout l'acte III qui se passe au Val d'Enfer et surtout au pont de Trinquetaille qui est extrêmement intéressant, il y a la Reine de Saba, avec des trouvailles dramatiques véritables, on a Reyer qui écrit des mélodies extrêmement consensuelles alors que son Sigurd est assez hors du commun, et même sa Salammbô, avec ses couleurs quasiments debussystes, des couleurs orientalisantes qui sont un petit peu raffinées tout de même, et cependant cela va être absolument de la mélodie... plutôt... épurée, mais c'est même plus qu'épurée, de la mélodie pastel, extrêmement pastel ; et dans le même genre on a Benjamin Godard, qu'on connaît moins, mais il existe quelques titres comme La Vivandière ou Jocelyn, qui sont tout à fait intéressants, mais sa mélodie est également extrêmement ronde ; et on a même Bizet, Bizet qui écrit des choses assez rugueuses pour de l'opéra français, comme Carmen, qui sortent de l'ordinaire, avec une forte dimension rythmique, écrit des mélodies parfaitement rondes et sucrées, parfaitement consensuelles à nouveau.
La réputation de la mélodie française est donc justifiée par ce corpus, qui existe vraiment, qui est très peu joué, mais qui est documenté par le disque.
3.2. La part des poèmes dans cette situation
C'est une image de la mélodie française qui est d'une certaine façon justifiée. C'est aussi lié aux poèmes : on voit beaucoup de poèmes du jeune Hugo, généralement pas ceux qui sont bons, et dont certains sont effectivment un petit peu naïf, on utilise quand même beaucoup son Eglogue, en effet on aime beaucoup Viens, une flûte invisible, qu'on voit souvent composée avec une flûte obligée, ce n'est pas forcément furieusement intéressant.
4. La mélodie française des novateurs
En revanche, chez les novateurs, et ça se voit assez bien dans les textes choisis qui sont souvent plus intéressants, et même lorsqu'ils sont mineurs, c'est notamment chez eux qu'on va trouver les grands Baudelaire et Verlaine, avec souvent une bonne intuition poétique, avec notamment Debussy, qui a eu une intuition poétique assez formidable, puisqu'il n'a choisi quasiment que de très bons poèmes, et même ceux qu'il a écrits pour les Proses Lyriques sont loin d'être négligeables.
Chez ces novateurs-là , au contraire, donc ceux qu'on appelle les impressionnistes, ou ceux que d'une manière plus générale on peut associer à une certaine recherche musicale, on va au contraire faire usage de la mélodie comme d'un laboratoire, exactement comme dans le lied. Donc tous ceux qui ont un versant un peu 'décadent', c'est-à -dire qui sont capables de pousser le raffinement de l'ancien système quasiment jusqu'à sa destruction (Debussy annonce clairement la fin de la tonalité avec sa gamme par tons, sans arêtes, sans tensions, sans résolutions). Et d'une façon qui va bien plus entrer en dialogue avec le texte qu'une jolie mise en musique. Ca va être Duparc bien sûr, Fauré, Debussy, Koechlin, Ravel, Ropartz, Vierne ou Cras ; tous ces gens-là vont au contraire faire de la mélodie un laboratoire extrêmement intéressant de la recherche musicale en France. Même si cela n'aura peut-être pas la même importance que le lied, puisqu'on n'aura pas de compositeurs principalement ou uniquement mélodistes, comme c'est le cas pour Hugo Wolf par exemple.
5. Parcours qui devient similaire au lied
5.1. Du côté du lied
C'est à ce moment-là qu'on échappe à nouveau comme le lied qui va finalement devenir une forme extrêmement élitiste, qui va se limiter à la haute poésie allemande, et un genre qui va devenir quelque chose d'extrêmement raffiné : lorsqu'on écoute un lied de Schreker, ou même de Pfitzner, c'est quelque chose qui demande, vraiment, une culture musicale assez assise en amont ; parce qu'entre le texte à apprendre et le contenu assez abstrait finalement du traitement musical, c'est quelque chose qui est très difficile d'accès, alors que son nom même revendique une origine populaire.
Ici on a une tension qui en fait à la fois peut-être le genre le plus difficile d'accès (évidemment, si on est sensible à la poésie, c'est assez formidable, mais musicalement, c'est assez abstrait ou aride) et un genre qui en même temps va revendiquer des origines populaires. Et qui le revendique parfois jusqu'assez tard, avec des restes de thèmes ou de denses.
5.2. Du côté de la mélodie française
On n'a pas cette origine populaire aussi clairement revendiquée pour la mélodie française, même si on trouve à l'époque de Marie-Antoinette un goût d'une certaine couleur locale (présente aussi chez Berlioz avec Le Chant des Bretons), mais assez imaginaire.
En tout cas mais on a quelque chose au départ, comme pour le lied, qui était très simple, un divertissement facile d'accès ; la mélodie, si on prend le terme musical, c'est une monodie, ou une simple ligne sur un accompagnement musical, quelque chose d'extrêmement simple. Et cela va devenir, vraiment, le lieu d'entrelacs très intéressants ; si on prend, par exemple, les Ariettes oubliées de Debussy ou si l'on prend les Odelettes de Ropartz, on va avoir un développement de strates musicales assez extraordinaires qui se manifestent avec une parole, un chant qui est extrêmement libre et riche par rapport à l'origine.
Une conclusion temporaire
Donc on a cette évolution dans les deux cas d'un genre qui puise son origine à la source de la sobriété (le populaire ou la romance), vers un développement musical de plus en plus raffiné et de plus en plus difficile d'accès, qui demande une étude sérieuse du texte, une étude sérieuse du traitement musical pour parvenir, je ne dis même pas à la mémoriser, mais à en apprécier les miroitements, puisque c'est effectivement ce que l'on recherche, c'est-à -dire la variation de couleur selon les mots.
Finalement, on va peut-être rester plus proche du texte dans la mélodie française que dans le lied qui, comme on a pu le voir, chez Webern, chez Schreker, va devenir une forme plus purement musicale, où le texte n'est plus aussi premier qu'il pouvait l'être chez Schubert, chez Schumann.
Voilà , c'était une petite introduction à la mélodie française, il faudrait développer ça avec des exemples sonores ; organiser ça dans une petite étude de façon plus propre ; c'était juste une petite mise en bouche. Les lutins avaient l'intention de faire prochainement un concert d'initiation à la mélodie française, on en recausera si besoin.
Merci beaucoup, bonnes vacances et à bientôt sur CSS.
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Et voici l'improvisation originale :
Commentaires
1. Le vendredi 9 octobre 2009 à , par Jean NairêvéDavidLaFait
2. Le vendredi 9 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le vendredi 9 octobre 2009 à , par Jean NairêvéDavidLaFait
4. Le vendredi 9 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le samedi 10 octobre 2009 à , par der Wanderer
6. Le samedi 10 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le samedi 10 octobre 2009 à , par Le voyageur
8. Le samedi 10 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
9. Le samedi 10 octobre 2009 à , par Caminando
10. Le samedi 10 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
11. Le samedi 10 octobre 2009 à , par Nuit infertile
12. Le samedi 10 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
13. Le mercredi 14 octobre 2009 à , par Giselle :: site
14. Le mercredi 14 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
15. Le jeudi 15 octobre 2009 à , par lou :: site
16. Le jeudi 15 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
17. Le vendredi 16 octobre 2009 à , par lou :: site
18. Le vendredi 16 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
19. Le jeudi 22 octobre 2009 à , par lou :: site
20. Le jeudi 22 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
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