Andromaque de... Grétry - (Niquet, TCE 2009) - II - Le livret : la polémique Racine
Par DavidLeMarrec, mercredi 21 octobre 2009 à :: Baroque français et tragédie lyrique - Opéra-comique (et opérette) - Opéras de l'ère classique - Saison 2009-2010 - Andromaque de Grétry (1780) :: #1385 :: rss
Une fois exprimé nos attentes impatientes de la découverte de ce chaînon manquant dans la très pauvre documentation de cette Quatrième Ecole de tragédie lyrique, impatientes mais peu rassurées, penchons-nous un peu sur ce qu'est réellement l'oeuvre. En commençant par son poème dramatique.
3. Le livret
3.1. Racine recruté
Le livret se révèle extrêmement proche de Racine, dont il reprend tout de même 80 vers intégralement, ce qui est une première et une audace qui lui ont beaucoup été reprochées. Certes, l'abbé Pellegrin avait déjà employé des fragments de vers raciniens dans Hippolyte et Aricie mis en musique par Rameau, mais pas au point d'inclure si effrontément le grand aîné dans son travail.
Louis-Guillaume Pitra (1735-1818) s'en excuse platement dès son Avertissement des auteurs, d'une façon qui paraît extrêmement naturelle et convaincante au lecteur de notre époque - oui, c'est une dénaturation honteuse, qui ne prétend pas approcher l'original, mais plutôt lui faire hommage en s'inspirant de l'émotion qu'il peut causer, en le proposant à la mise en musique d'un compositeur reconnu.
Pour adapter cette tragédie de Racine à la scène lyrique, il a fallu sacrifier mille beautés que l'on a regrettées autant que le feront tous les gens de goût. On a senti plus que personne le ridicule, l'audace même d'une pareille entreprise ; mais l'on n'a eu d'autre prétention que de servir le génie d'un artiste dont les talents ont fait si souvent nos délices, et tout le monde sait que la marche d'un opéra nécessite les retranchements que l'on a été forcé de faire au poème de l'immortel Racine. On a conservé les vers de ce grand homme, autant que la coupe des scènes, la forme des airs et du récitatif l'ont permis. Il a fallu malheureusement mêler souvent d'autres vers avec les siens pour former la contexture de l'action. On espère que le public pardonnera cette espèce de sacrilège, en faveur du motif qui l'a fait faire.

Et précisément, comme le redoutaient les auteurs, on reprocha beaucoup à cet opéra de Grétry, lors de sa création à l'Académie Royale de Musique, le 6 juin 1780, son mélange des genres.
3.2. Le pourquoi du scandale
3.2.1. Les règles fondamentales
Il faut se remémorer que la tragédie lyrique naît sous forme d'un genre complémentaire et distinct de la tragédie classique parlée.
A l'origine, il s'agit de transposer le théâtre à machines prisé du public de cour et du public parisien dans une forme française intelligible ; par ailleurs, afin d'asseoir le prestige de la Cour française, on cherche à créer un style typiquement louisquatorzien dans le domaine de l'opéra où règnent sans partage les Italiens, dont les oeuvres sont jouées en langue originale à Paris. Lully, après quelques essais dans le domaine mixte de la comédie-ballet (Le Bourgeois Gentilhomme) et de la tragédie-ballet (Psyché I) avec Molière et parfois Quinault et Corneille, parvient à édifier le premier style musical authentiquement français, le seul à résister en Europe à la norme italienne - ce qui se prolonge plus tard avec le Grand Opéra de la première moitié du XIXe, dont les codes, et en particulier l'introduction nécessaire de ballets, héritent directement de la tragédie en musique de Lully / Quinault.
Cette innovation se produit alors qu'il existe depuis longtemps un théâtre parlé en France, comme partout ailleurs. Un théâtre très codifié. Et la tragédie lyrique va précisément exploiter ce qui est interdit dans le domaine de la tragédie parlée.
Il fallait avant toute chose que le théâtre soit soumis à la règle de la vraisemblance : c'est-à -dire que les actions ne devaient pas paraître improbables, y compris les actions étroitement attachées aux habitudes scéniques comme le monologue (on doit soliloquer sous le coup d'une grande émotion, comme saisi par le délire, et pas pour une calme délibération bien équilibrée) ; c'est-à -dire que le temps et les déplacements devaient pouvoir coïncider avec la durée approximative de la représentation (quelques heures). D'où découlent toutes les règles que l'on décrit comme les unités et dont la logique revient toujours à cette vraisemblance. Même le vraisemblable extraordinaire, possible mais assez peu probable, dont use à son gré Corneille, était considéré comme une transgression.
Evidemment, la priorité de la vraisemblance ne porte pas sur les mêmes éléments que nous le faisons aujourd'hui - il suffit de considérer le langage filmique, même des grands réalisateurs, pour s'apercevoir que si le goût du mimétique est demeuré, ce n'est pas en portant sur les mêmes objets.
La tragédie en musique, au contraire, devait utiliser le merveilleux, c'est-à -dire le surnaturel, les changements de décor (pour le plaisir du théâtre à machines), et se souciait peu de la vraisemblance de durée, même si les actions paraissent toujours se dérouler d'une traite.
Pas question de marcher sur des oeufs pour traiter la question de la Divinité, au singulier ou au pluriel : ici, les divinités païennes paraissent volontiers, papotent, chantent à plein gosier, mandatent des démons pour danser la gigue la gavotte. Il s'agit, d'une certaine façon, d'un théâtre de plein divertissement, qui ne renvoie plus à l'image qu'on veut se faire de l'humanité et de la religiosité.
Enfin, dans la tragédie parlée, l'alexandrin (et sa richesse) était souverain, tandis que le poème dramaituqe destiné à la mise en musique, devait, lui, alterner les mètres (alexandrin, décasyllabes, octosyllabes, hexasyllabes) de façon résolument asymétrique pour permettre au compositeur de varier les rythmes et les inflexions.
3.2.2. Le problème
Bref, les deux théâtres, totalement complémentaires, étaient tout à fait incompatibles, et les observateurs de bon goût tenaient à ce qu'ils conservent leur place propre.
On conçoit bien dès lors la gêne que pouvait susciter l'importation de vers prévus à un autre usage, adulés mais détournés, dans une tragédie en musique.
De surcroît, dans le livret d'Andromaque, on ne trouvera pas de démons (rien que des invocations un peu abstraites de la jalousie et des Erinyes), ni même de magie de près ou de loin. Quatre personnages plus un confident à quatre vers. Véritablement le format d'une véritable tragédie classique. Les danses sont rares, le propos toujours violent et rarement décoratif (pas d'airs galants, un seul air vraiment élégiaque), bref un mélange des genres rendu manifeste par l'emprunt revendiqué à Racine.
C'était déjà le tour pris par la tragédie lyrique de cette dernière école, puisqu'Iphigénie en Tauride par exemple, que ce soit chez Piccinni ou chez Gluck, ménage fort peu de place aux dieux. Avec tout de même l'intervention de Diane, et le fondement sur l'histoire d'un rapt surnaturel, de retrouvailles fortuites aussi (vraisemblable extraordinaire).
Dans Andromaque, il ne reste plus que les noms légendaires (même plus mythologiques, puisqu'on parle des suites de la guerre réelle de Troie), et des passions totalement humaines.
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A suivre : le contenu.
Commentaires
1. Le mercredi 21 octobre 2009 à , par Moander
2. Le jeudi 22 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le jeudi 22 octobre 2009 à , par Moander
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