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Caballéschrei

Histoire d'une aventure épique.

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L'histoire du Rysanekschrei est mondialement célèbre, si bien qu'on la raconte au berceau aux petits glottophiles de toutes nations.

Leonie Rysanek était une puissante novatrice. A l'imitation de Jean Barraqué, André Boucourechliev et Pierre Boulez, grands praticiens de la musique ouverte, c'est-à-dire de l'introduction d'une part de hasard dans l'exécution de leurs oeuvres rigoureusement écrites, elle est l'inventeuse du concept de justesse ouverte, appelée non sans perfide malice par ses infâmes détracteurs intonation surprise.

Quoi qu'il en soit, sa carrière fut des plus brillantes, et elle marqua les esprits par la force de persuasion de ses phrasés brûlants et son grand impact vocal, très physique. En particulier en Sieglinde, où elle a ravi tant de suffrages. [1]

En 1958, alors qu'elle chantait le rôle à Bayreuth avec Jon Vickers sous la direction de Hans Knappertsbusch, arrivée à la fin du premier acte, l'électricité interprétative atteignait un tel degré entre les deux chanteurs que lorsque Siegmund retira son épée de l'arbre, elle ne put retenir un cri immense, fait de surprise terrifiée et d'exaltation tout à la fois : la soeur reconnaissait alors infailliblement le frère tant désiré.

Rentrant dans les loges quelques minutes plus tard, elle croise, tremblante, Wieland Wagner, directeur du festival. Elle redoutait son blâme légitime sur sa liberté prise avec l'Oeuvre de la Divinité locale. [2] Elle raconte qu'il n'en fut rien. Celui-ci, enthousiaste, lui demande immédiatement si elle peut renouveler son exploit.

Cette soirée a été documentée et publiée, mais on connaît surtout ce cri insolite et formidable, baptisé Rysanekschrei [3], dans la version plus largement diffusée par Philips, dirigée par Karl Böhm à Bayreuth 1967.


Le mythe Caballé

A présent, venons-en à Montserrat Caballé. Les lutins l'ont découverte en merveilleuse princesse de France dans Don Carlo de Verdi (studio de Carlo-Maria Giulini, 1970, d'après les représentations à Covent Garden), toujours mélancolique, mais ample, avec un galbe superbe dans les phrases. Idéale en un mot comme reine soupirant, un visage de la Doña Maria de Neubourg de Ruy Blas. Et au besoin souveraine lorsque le livret de Du Locle & Méry s'y prête.

Depuis, elle a toujours déçu, avec une diction (très) relâchée, des lignes flottantes mais invertébrées, des appuis trop sonores de la voix, qui semble 'sale' sur les contours, une placidité extrême des incarnations.

Et surtout dans Wagner (avec en outre un naufrage stupéfiant, vu la technicienne qu'elle est, dans les Quatre derniers lieder de Strauss).

D'autres que Rysanek ont tenté à sa suite ce cri. Jessye Norman (Levine / Schenk) s'en tire très bien, en imitant Rysanek : moins souverainement saisissant mais beau et efficace. D'autres sont un peu plus gutturaux.

Par pure facétie, on a considéré celui de Caballé.


Par pure facétie on a dit.

Notes

[1] Par forcément le nôtre, mais ça ne vous regarde pas. Concentrez-vous, un peu !

[2] Car il n'est prévu dans les didascalies de cri qu'à la toute fin de l'acte, cri qui n'est d'ailleurs jamais exécuté.

[3] Rysanekschrei, c'est-à-dire « cri de Rysanek », l'allemand permet de créer un mot nouveau, ce qui est assez amusant ici : un 'rysaneksement' serait incompréhensible en français.


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Commentaires

1. Le jeudi 29 octobre 2009 à , par Éric :: site

Je croirais entendre l'étudiante qui habite au-dessus de chez moi lorsqu'elle fait l'amour...

Désolé David pour la facétie de mon premier commentaire sur votre carnet. ;)

2. Le jeudi 29 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Dans ce cas, elle n'est pas si à côté que ça...

Bienvenue Éric. ;)

3. Le lundi 2 novembre 2009 à , par ernesto

Dans le genre néologisme, il y aussi le Kurztrill de Selma Kurz, dont la caractéristique est d'être interminable!

4. Le lundi 2 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Merci Ernesto ! Comme c'est libre de droits, on peut par exemple donner cette adresse pour écouter la cavatine de Rosine (chez Rossini) très ornementée.

L'autre caractéristique de Kurz, vu d'aujourd'hui, c'est cette technique de vomitare, en passant d'une voyelle inventée à celle écrite pour favoriser la rondeur de la voix. Assez déstabilisant. Quelques-uns utilisent encore cette technique, mais il ne font pas carrière.

Certains trilles de Kurz sont de toute beauté, mais d'autres tiennent surtout du vibrato 'exagéré'.


Et pour poursuivre la série, c'est vrai qu'il y a aussi la Fugekoloratur. Elle cumule, parce qu'il y a aussi, fourni avec, un mémorable Fugeschrei.

5. Le lundi 2 novembre 2009 à , par Guillaume

D'ailleurs, ton extrait du Rysanekschrei ne marche pas et nous ramène sur un extrait de Schubert. Je sais que les lutins veulent limiter la propagation du mauvais goût glottophile, mais là, c'est une publicité mensogère !

N'empèche, Rysanek sur CSS, je n'en crois pas mes yeux. Et Caballé en plus !

6. Le mardi 3 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Sisi, ça marche, c'est juste si tu cliques sur la flèche "suivant" qu'il reste un Schubert maison derrière.

Il faudra que je l'ôte pour rendre les choses plus nettes.

(Mais je rêve où tu osais sous-entendre qu'on perdait au change ? Gare !)


Rysanek et Caballé sur CSS, pourquoi pas... il y a bien plus insolite. :) Par ailleurs, j'ai vaincu depuis longtemps mes réticences sur le timbre et la justesse de Rysanek pour apprécier son investissement. Mais il faut qu'il soit à la hauteur, comme pour Senta, Salome ou Chrysothemis. Dans Sieglinde, c'est présent, mais disons que le rôle est facile et très bien servi, donc que j'y prends moins d'intérêt lorsqu'on a Crespin sous la main...
Chez Furtwängler, la voix bouge tellement et l'incarnation est si sage en comparaison que je ne peux pas.

7. Le mardi 3 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Voilà, j'ai fait une petite manipulation, ce devrait être audible pour tout le monde (ça variait selon les navigateurs visiblement).

8. Le mercredi 4 novembre 2009 à , par Guillaume

Ca vient d'où cette Sieglinde de Caballé ? Moi je n'ai pas ça dans ma discographie.
Et c'est pas un cri qu'elle pousse, elle s'étrangle en fait.

9. Le jeudi 5 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

C'est issu d'une captation vidéo au Théâtre de la Zarzuela, à Madrid (on entend Siegfried Jerusalem à son meilleur, avec). Contrairement à ses Salomé et Arabella qui ont été documentées au disque, Sieglinde et Isolde sont restées inédites. Ce n'est pas une perte incommensurable, parce que c'est encore plus à côté que Strauss. Isolde en particulier est d'un lisse absolument terrifiant : ce n'est tout simplement pas possible. :)

10. Le lundi 19 novembre 2012 à , par Mathieu

C'est incroyable cette histoire! Ce n'est quand meme pas la première fois que Rysanek chantait Sieglinde, elle devait bien savoir que Siegmund allait résussir à sortir l'épée de l'arbre!
Ou alors elle est complètement dans son personnage mais cela me semble quand meme très difficile, surtout avec cette musique difficile à chanter.
En tout cas, Rysanek a le suraigu facile pour une wagnérienne!
Elle crie beaucoup d'ailleurs dans l'enregistrement que j'ai: en plus du Rysanekschrei, elle pousse un cri tres bizarre juste avant la phrase "Siegmund wo bist du" et un Rysanekschrei bis quand Siegmund se fait tuer. Mais j'imagine que ce dernier n'est pas son invention?

En ce qui concerne Caballé, je ne comprends pas pourquoi tu mets son Elisabetta à part car personnellement, j'y entends les memes qualités (et quelques fois les memes defauts) que dans la plupart de ces enregistrements d'avant les années 80. Tu n'aimes pas son Aida par exemple?
Moi je l'adore dans les roles belcantistes et verdiens (meme si je n'aime pas trop son "Tu che le vanita"..). Par contre, dans les roles dramatiques, les coups de glottes me dérangent trop.
Et je ne vois pas comment elle a pu chanter Isolde et Sieglinde dans les années 80??

11. Le mercredi 21 novembre 2012 à , par David Le Marrec

Bonjour Mathieu !

Ayant dû abandonner faute de crédits mes recherches de post-doc en spiritisme, je ne suis pas en mesure de préciser le degré de reconstruction (voire d'affabulation) des récits de Rysanek. Sur cette matière, nous ne disposons que de sa parole - et lorsqu'on est sur scène, à plus forte raison en s'abandonnant comme elle le faisait, on n'a pas forcément la possibilité de s'observer faire avec une calme distance.

Ca me paraît difficile vu la beauté du cri, très haut, très chanté, très dense (un immense portamento en fait, aux confins du glissando), ce n'est pas un cri "primal". Mais en même temps, dans une forme d'exaltation très spécifique, de liberté, ça ne me paraît pas du tout impossible. En tout cas personne n'a jamais attesté l'avoir entendue préparer ceci - et il se serait bien trouvé quelqu'un pour médire...

Pour la mort de Siegmund, oui, plusieurs crient, mais je n'en ai pas tenu le décompte, je ne pourrais pas te dire qui "commence" dans les témoignages sonores dont nous disposons.

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L'Elisabetta de Caballé a une qualité de déclamation dramatique qui est très rare chez elle - avec un son généralement beaucoup plus guttural ou flottant, mais rarement avec cette assise et cette autorité. Non, je ne l'entends pas ainsi dans son Aida, assez molle...

Pourquoi, "comment" ? Isolde, le témoignage que j'ai est plutôt de la fin des années 60 ou du début de 70, mais pour Sieglinde, ça existe en 86 à Madrid. Sacrée représentation d'ailleurs : Johanna Meier, Fassbaender (ou Dernesch selon les soirs), Jerusalem, Sotin (en Wotan !), Moll (ou Tschammer ou Augland)... Et Caballé y est tout à fait audible sur le strict plan technique, même si je n'aime pas du tout ce qu'elle fait dans ce répertoire.

12. Le vendredi 30 novembre 2012 à , par Mathieu

Bonjour David,
merci pour ces précisions! Décidément, les organismes qui financent les recherches ne savent pas quels sujets sont importants! A quand une thèse sur Rysanek?
Le cri est tres beau en tout cas!
Hors sujet: Sais tu pourquoi Rysanek n'a jamais (je crois en tout cas) chanté Brünnhilde? C'était un role dans ses moyens (elle a chanté Turandot et Salomé après tout!) et c'est un role bien plus prestigieux que Sieglinde. Qu'elle n'ait pas chanté Elektra en live, je comprends car elle ne voulait pas s'abimer la voix mais Brünnhilde aurait été faisable.. Dommage :-(

Caballe en Isolde? J'ai du mal à imaginer. Encore sa Turandot je l'aime bien, sa Salomé est intéressante mais Isolde me parait encore plus meurtrier que ces deux roles... Je préfererais encore entendre Rysanek dans ce role!
Qui aimes-tu sinon en Sieglinde? Mireille Delunsch?

13. Le vendredi 30 novembre 2012 à , par David Le Marrec

Bonsoir Mathieu !

Rysanek avait peu de graves, et Brünnhilde en réclame beaucoup, en particulier de puissants dans le Crépuscule. Pour Siegfried, oui, c'est dommage, elle aurait été très adaptée là-dedans. Vocalement, c'est plutôt son absence en Isolde qui m'étonne - elle en avait beaucoup plus le profil.

Turandot et Salomé ont des centres de gravité beaucoup plus hauts - la difficulté principale pour Turandot est qu'on ne peut pas le donner à une voix qui sonne trop légèrement, alors que beaucoup d'endroits sont écrits complètement au-dessus du passage.

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L'Isolde de Caballé est très peu convaincante, mais surtout parce que c'est affreusement lisse, comme sa Salomé, comme son Arabella - et en pire que l'une et l'autre.

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Sieglinde est un rôle facile, et très valorisant, ce ne sont donc pas les très grandes incarnations qui manquent... Mireille Delunsch ne l'a jamais chantée, et c'est plutôt dans ses mauvaises notes, mais ce serait probablement très stimulant.

Parmi celles qui l'ont réellement interprété, j'aime des choses très différentes, certaines lumineuses (Bernardy, Müller, Janowitz), d'autres dramatiques (Mödl, Sjöberg, Secunde), d'autres particulièrement déclamatoires (Westbroek, Crespin) ou plus musicales (Denoke, Meier)... J'ai entendu très peu de mauvaises Sieglinde, en réalité. Au pire, des interprétations un peu grises (Hilde Konetzni chez Moralt, par exemple).

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