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Brahms - Romanzen aus L. Tiecks Magelone ('Die schöne Magelone') - Goerne / Haefliger / Génovèse (TCE 2009)


(Théâtre des Champs-Elysées à Paris, 26 novembre 2009.)

Excellente initiative d'avoir ainsi reconstitué les soirées de lied, entrecoupées de lectures, qui redonnent sens aux poèmes très abstraits et aux lieder très homogènes de ce cycle. Le texte de Tieck retrouve alors toute sa dimension. Car le terme de romance ne doit pas être entendu ici dans le sens de la bluette de salon qui se répand à partir de la fin du XVIIIe siècle jusqu'au premier quart du XXe siècle français, mais dans le sens plus archaïque de 'chanson romanesque', 'récit versifié de hauts exploits'. Le texte de présentation du concert précise que c'est à dessein que Brahms l'emploie à rebours, mais il faut dire que c'est surtout parce que l'allemand a conservé ce sens - la 'Romanze' et un genre cousin du conte et de la ballade, un genre narratif donc (au contraire des poèmes galants de Marie-Antoinette et d'après).

Eric Génovèse relate ainsi (en français) de longues plages de prose qui singent de loin les lais médiévaux, pour donner sens. Son style est typiquement icomédie française/i : voix parfaitement placée, sonore, articulée, mais assez homogène dans les inflexions, finalement une lecture assez peu débridée, alors que ses longues interventions, qui n'avaient rien des résumés habituels des récitants, auraient volontiers souffert un peu de folie, surtout devant un ensemble de lieder assez peu variés et aux côtés de la voix grise de Matthias Goerne.

Quoi qu'il en soit, on a éprouvé un certain ennui oublié depuis longtemps, celui de notre première soirée de lied, lorsque nous cherchions à nous convertir, sans apprécier encore le genre - on compte le nombre de pièces qu'il reste à chanter, on ne perçoit plus les nuances entre lieder, on s'alarme du débit lent des lieder à tempo modéré, des répétitions des mêmes vers, on se laisse glisser dans une sorte de passivité accablée.

Je garde au demeurant un excellent souvenir de ce premier Winterreise ; non pas qu'il ait été exceptionnellement interprété, mais c'était là une grande soirée d'échange, où j'ai senti mes premières admirations pour le lied, avec des moments très intenses (Gute Nacht, Wasserflut ou Die Nebensonnen, par exemple). Hier soir, j'ai surtout senti l'ennui à vrai dire.

Ce n'est pas à cause d'Andreas Haefliger : je connaissais déjà son jeu, et il demeure fidèle à lui-même ; assez sec, un peu raide, presque cassant, pas forcément vertigineux. Mais, d'un point de vue technique, il se baladait, même le nez dans la partition, dans des lieder pourtant délicats à accompagner (pianistiquement autant que pour la mise en place avec le chanteur).

Ce n'est pas à cause de Matthias Goerne non plus : la voix a toujours cette présence, même dans des salles moins idéales qu'à Bordeaux, comme si le son était émis en rayonnant par tous ses pores.
Certes, la tessiture très tendue de Brahms et le legato extrême le mettent à plus rude épreuve qu'à l'accoutumée et flattent moins ses qualités : l'absence de contrastes forts dans cette musique condamne à entendre toujours la même couleur vocale, et l'émission semble un peu durcie, peut-être pour remplir le théâtre, peut-être pour tenir l'épreuve de ce cycle très difficile.
On peut d'ailleurs être admiratif de sa capacité à faire remonter le larynx pour éclaircir tout en conservant la même connexion de l'émission (le but étant ne pas dissocier l'aigu du médium), au sein d'une même pièce, lorsque le registre aigu devient vraiment exigeant.
Le soin des phrasés est toujours superbe, mais dans Brahms, sa diction ronde se noie un peu dans le legato. Et, par ailleurs, les lutins sont tellement pénétrés de la manière Goerne qu'il semble qu'il ne leur soit plus nécessaire de l'entendre pour profiter de son génie interprétatif.

Bref, Brahms (pour Goerne comme pour les autres) n'est pas flatteur. Et, surtout, la platitude abstraite de la plupart des poèmes du grand Ludwig Tieck et l'écriture musicale toujours identique, un peu combattive, d'un lyrisme très peu mélodique, créent une lassitude à force d'entendre de la belle musique très comparable, et d'une inspiration qui semble toujours égale, presque tiède.

En somme, malgré le remarquable concept, le programme plus original qu'à l'accoutumée... on s'est ennuyé ferme. Bravo aux artistes pour l'audace du choix, la pertinente du dispositif et la qualité de sa réalisation, et tant pis pour ceux qui sont restés à la porte du paradis.

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En attendant, on peut se reporter à quelques notules connexes :


Bonne soirée !


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David Le Marrec

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