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Origine et pastiche du final de la Cinquième Symphonie de Chostakovitch

Les lutins facétieux ont déjà décrit certains traits grinçants de cette pièce, avec des illustrations sonores et des extraits de partition.

Aujourd'hui encore, on risque ne rien énoncer d'original, mais on a été frappé de découvrir, au hasard de notre écoute du jour, par une parenté trop forte pour qu'elle ne soit pas une source d'inspiration.

Avec le final de la Troisième Symphonie de Tchaïkovsky...

Et on le prouve, en partitions et en musique.

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Revoici pour mémoire la toute fin de la symphonie de Chostakovitch, avec son insolent triomphe grippé :

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Et à présent, voyez pour Tchaïkovsky :

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Final de la Troisième Symphonie de Tchaïkovsky - concert inédit de l'Orchestre Philharmonique de New-York en octobre 2007, dirigé par Lorin Maazel (qui produit réellement toute l'année des merveilles en leur compagnie).


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Si les ressemblances paraissent encore confuses, précisons.

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1 - Tout d'abord, il est évident que la construction des deux mouvements est comparable. J'ai laissé au début les motifs en contrepoint qui même après leur développement fugato irradient la thématique de la coda :


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Le contrepoint est un peu plus haut dans l'oeuvre, et pas aussi méthodiquement fugué chez Chostakovitch, et cependant on entend cette montée irrémédiable des motifs principaux, jusqu'à la fin.


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2 - L'éclatement du climax (le point culminant d'intensité) se produit avec une écriture et une orchestration similaires : une fusée vers l'aigu, aux cordes doublées par le piccolo, qui donne cet aspect diaphane à l'ensemble. Ce moment est précédé par une séquence aux cordes qui se rallentit autour d'un motif bref.

Chostakovitch le fait par deux fois, et la seconde est la plus significative pour notre démonstration :


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On remarque cependant que l'orchestration est plus chargée, mais l'effet sonore est sensiblement comparable.


Chez Tchaïkovsky, c'étaient déjà ces notes et cette orchestration pour le début du climax, et l'on retrouve les cordes s'atrophiant avant le grand éclatement où intervient l'entrée triomphante des cuivres.


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3 - On avait beaucoup insisté, dans notre notule sur cette Cinquième de Chosta, sur la force incroyable de ce suraigu isolé des violons, obstinément répété.


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Or, chez Tchaïkovsky, on est frappé de la répétition dans le suraigu des violons, certes moins nu, d'un motif obstiné (qui comporte un intervalle de deux notes et pas seulement une note isolée), qui parcourt un assez long moment. Il est certes plus thématique (les cuivres le complètent plus qu'ils ne chantent seuls), mais tout de même, cette insistance, même si elle est ici plus jubilatoire qu'étouffante, a de grandes parentés dans sa conception avec ce que produira Chostakovitch pour son propre fina.


On voit ici les sextolets des violons I (chaque note est jouée deux fois en double croche). Sur le reste de la page, on s'aperçoit de ce que le matériau thématique est à tout l'orchestre sauf au quatuor (les contrebasses aussi chantent !). Comme chez Chostakovitch, les cordes occupent avant tout dans cette section une fonction de mise en tension.
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4 - Et pour finir, on rencontre des timbales obstinées et tonitruantes (avec prédominance des cuivres, mais c'est évidemment plus banal) sur un intervalle de quarte ascendante chez Tchaïkovsky...


Parties de timbales et de violons chez Tchaïkovsky.> ;;


... comme chez Chostakovitch :


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Donc ?

C'est sans doute réinventer l'eau chaude de ce qui s'est dit mainte et mainte fois, mais tant pis, ce sera avec une démonstration visuelle et sonore pour une fois : il semble que Chostakovitch ait eu dans l'oreille cette symphonie, suffisamment en tout cas pour en réutiliser, de façon intentionnelle ou non, certains éléments obsessionnels dans le final de sa propre symphonie. Ces éléments, d'une exultation débridée, se changent en quelque chose de beaucoup plus violent et oppressant, mais la similitude des procédés en fait quasiment un pastiche, sur la séquence de coda de quelques minutes que nous avons sélectionnée...

Voilà qui ajoute encore une couche d'intérêt à ces quelques mesures.


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Commentaires

1. Le samedi 2 janvier 2010 à , par Simon

la toute fin de la symphonie de Chostakovitch, avec son insolent triomphe grippé



Je n'ai pas trouvé ce passage particulièrement grinçant, au contraire... Je ne sais ce que tu en penses, mais il y a une certaine propension à lire la musique de Chostakovitch selon une grille de lecture préétablie qui est une critique du régime soviétique. Et d'ailleurs, l'apparition de cette tendance coïncide avec le retour en grâce de Chostakovitch, comme s'il fallait se dédouaner moralement d'écouter un compositeur soviétique en se persuadant qu'il critique à longueur de temps dans sa musique le régime en question.
Je ne remets pas en cause le fait qu'il ait pu le faire, mais je trouve réducteur de voir sa musique selon ce seul prisme. Et puis cela semble directement arrivé de l'idéologie dominante - et l'idéologie c'est mal.

Cette noirceur, ces grincements, font pour moi plutôt partie de l'essence de la musique de Chostakovitch, de son langage en quelque sorte.

2. Le samedi 2 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

C'est tout à fait juste, ce que tu dis là. Il n'empêche que si je le dis, c'est que je le ressens comme cela - quand je parle d'insolence, ce n'est pas forcément contre le Régime, mais vis-à-vis de l'auditeur : ce triomphe avec ce hurlement ininterrompu dans l'aigu, c'est très étrange. En tout cas, moi, à la première écoute, ça m'avait mis mal à l'aise, sans même avoir le nom du compositeur. Mais comme tu le dis, Chostakovitch est toujours dérangeant.
A y regarder de plus près, ce n'est pas forcément un faux triomphe, c'est plutôt du faux Tchaïkovsky, donc peut-être plus une bonne blague qu'une révolte. :-)

Donc si tu veux, je pourrais parler d'insolence aussi pour le premier mouvement de la Septième, pour des raisons inverses, parce qu'il nous rabâche tellement son thème sans saveur (qui, paraît-il, provient de Suppé, décidément) que j'ai l'impression qu'il se moque de moi (tout en respectant à merveille, pour le coup, le cahier des charges idéologique). Pour le coup, en revanche, je tourne le bouton sur off. :-)

Pour le reste, on ne joue d'Orff que Carmina Burana parce que ceux qui l'écoutent ne savent pas qu'il était un compositeur 'officiel', et personne ne semble très intéressé par la programmation des oeuvres de Khrennikov (il y a peut-être plus urgent, il est vrai). Clairement, pour avoir le statut de grand, il est mieux d'avoir les opinions politiques valorisantes - et ce d'autant que le milieu artistique est assez, sinon politisé, vigoureux idéologiquement.
Après ça, certains y échappent, mais plutôt grâce au silence (les vantardises de Karl Böhm sur ses dîners fuehrerisants ne sont pas massivement passées à la postérité).

Pour d'autres, c'est possible, comme Karajan ou Schwarzkopf, mais c'est plus difficile, peut-être, pour un compositeur, parce que c'est l'oeuvre elle-même qui est en lien profond avec l'homme - même si ça ne se sent pas, l'auditeur y pense.


Mais tu mets le doigt sur quelque chose de trop négligé sans doute : on reproche au communisme soviétique d'avoir mis au pas la musique, ce qui est exact, mais ce n'était pas non plus dans la voie d'une simplification totale. Le formalisme (excessif) et l'atonalité étaient certes interdits, au grand dam de certains courageux, mais lorsqu'on voit la complexité du langage des compositeurs officiels, on ne peut pas reprocher non plus une fermeture d'esprit si formidable. En fin de compte, ce qui se composait en Europe était moins radicalement tarabiscoté et violent (on avait changé de paradigme en conservant les vieilles formes, ou on continuait avec de la tonalité bien stable).

Bref, c'était pas les goûts musicaux de Mao.

3. Le samedi 2 janvier 2010 à , par Simon

Il n'empêche que si je le dis, c'est que je le ressens comme cela



Oui, c'est bien ce que j'avais compris, j'enchaînais sur d'autres considérations. ;)
Merci pour ta réponse en tout cas.
C'est vrai que j'ai pu avoir l'impression moi aussi, dans cette 7ème symphonie, qu'il semble se moquer un peu de nous, mais replacée dans le contexte de sa fameuse exécution à Leningrad, elle finit par m'émouvoir. :)

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