Richard Wagner - Die Walküre (La Walkyrie) - Jordan / Krämer (Paris Bastille, 26 juin 2010)
Par DavidLeMarrec, jeudi 15 juillet 2010 à :: Saison 2009-2010 - L'horrible Richard Wagner :: #1567 :: rss
Malgré toutes les tiédeurs plus ou moins complaisantes qu'on a pu lire ici ou là , on avait affaire à des soirées pleinement exceptionnelles.
Je commence tout de suite par la concession, à savoir la mise en scène du premier acte, assez statique et bien peu poétique, avec de surcroît le choix cohérent mais appauvrissant pour l'intensité dramatique de placer sur le plateau la troupe que commande Hunding. Cela dit, il est très difficile à réussir, et mis à part Stéphane Braunschweig, je ne crois pas avoir été déjà enthousiasmé par quelque mise en scène que ce soit ici. Cet acte semblait également assez mou (et pas très bien en place côté vents) pour l'orchestre.
Chose intéressante d'ailleurs, je n'ai pas adoré la direction de Phlippe Jordan, pas très précise, pas très expressive, marquée par quelques problèmes de gestion des blocs de l'orchestre (avec des départs de groupes trop audibles) - néanmoins amplement satisfaisant. Or, lors de la radiodiffusion de la représentation, j'ai au contraire été émerveillé par la justesse de l'expression, la puissance émotive et la finesse de l'agencement des timbres.
Il est probable que dans cette grande salle, ce travail trop fin (et très attentif à ne pas couvrir les chanteurs) se soit perdu, et qu'il y ait, à côté d'une très grande hauteur de vue, un petit manque de technique qui empêche le chef de faire pleinement communiquer ses intentions à la salle.
Bref, une grande leçon de prudence et d'humilité pour qui voudrait s'arroger la posture du juge. (Il existe aussi des choses similaires avec les voix, plus ou moins phonogéniques, et même des chanteurs qui peuvent sembler chanter faux selon l'endroit du théâtre, parce que les partiels harmoniques du son qui parviennent au spectateur diffèrent... )
J'ai beaucoup aimé la mise en scène de Günter Krämer, particulièrement les deux scènes de l'acte II. Dans la première, on se retrouve du côté opposé de la forteresse bâtie lors de Rheingold, et avec un miroir qui permet pleinement de profiler du dénivellement spectaculaire. Le renversement d'une partie du plateau par Wotan lors de sa fureur désespérée est particulièrement inattendu et grandiose : la tentation de destruction du monde qu'il évoque à l'acte III devient pleinement crédible grâce à ce bref saccage du Walhalla.
La seconde scène en a laissé perplexe plus d'un, à cause des pommes que Brünnhilde aligne en cercle pendant l'Annonce de la mort. J'y vois au contraire un réseau symbolique assez dense, et bien trouvé :
- Elles sont la charge de Freia, déesse de la jeunesse, et leur consommation maintient les dieux jeunes : il s'agit donc d'une métaphore de la vie.
- Au début de l'acte, les walkyries jouent avec les pommes, elles symbolisent à la fois leur jeunesse éternelle, la vie des héros qu'elles protègent puis ramènent au Walhall, et aussi les jeux de leur enfance.
- Le retour de ces pommes alignées en cercle pour circonscrire Siegmund marque bien évidemment le terme de son destin, le souvenir des jeux des soeurs de Brünnhilde au moment où celle-ci va se séparer de son sort de walkyrie, la fin aussi de l'innocence de Brünnhilde.
- ... et à plus forte raison que dans l'imaginaire collectif, la pomme est aussi le fruit de la tentation, lié, pour des raisons d'interprétation très discutables et néanmoins ancrées dans la culture populaire, à la consommation du péché charnel. Autrement dit, ce fruit-là laisse aussi planer une fragrance, ou plutôt une saveur amoureuse ; sans rien expliciter, il renforce les indices de l'admiration amoureuse de Brünnhilde pour Siegmund, l'insolent généreux.
Côté chant,
Côté chant, c'était extraordinaire en tout point, excellent Hunding noir et mordant, sans caricature non plus, de Günther Groissböck, Sieglinde extrêmement présente et volontaire de Ricarda Merberth, Siegmund tout de grâce de Robert Dean Smith, Bünnhilde très éloquente de Katarina Dalayman, au médium remarquablement fruité, à la fois vaillante, juvénile et gracieuse, y compris du point de vue scénique, et par-dessus tout le Wotan de Thomas Johannes Mayer. Je souhaitais précisément le voir plutôt que Falk Struckmann que je n'aime pas beaucoup, et parce que j'avais aimé ses autres Wotan... mais la surprise fut cependant excellente. Le timbre n'est pas très beau, la puissance juste correcte, toutefois le résultat est d'une générosité verbale vraiment rare, le monologue du II étant particulièrement époustouflant. Acteur assez naturel aussi.
Il est exact que la voix claire et légèrement mixée de Robert Dean Smith n'a qu'un impact limité (et le métal de la voix passe l'orchestre alors que le timbre mixé est happé par lui dès qu'une section de musiciens un peu vaste de musiciens prend la parole), mais la qualité exceptionnelle de la musicalité et des phrasés compense amplement. Quant à Katarina Dalayman, son assurance est assez stupéfiante, à tout point de vue : voix, mots, jeu.
En somme, tout était excellent (à part l'orchestre depuis la salle, plus fébrile), et pour une oeuvre aussi difficile, c'est vraiment un exploit, et un régal. Pour ne pas être content, il faut vraiment vouloir sur scène et Hotter et Mödl et Melchior et Leider...
Commentaires
1. Le samedi 24 juillet 2010 à , par Gilles
2. Le dimanche 25 juillet 2010 à , par DavidLeMarrec
3. Le dimanche 25 juillet 2010 à , par DavidLeMarrec
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